Dossier : IMM-4438-22
Référence : 2023 CF 1226
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2023
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE : |
RAFAQAT ALI AZHAR GONDAL |
SHAHMEER KARAM |
ZARA KARAM |
HASHAM KARAM |
SHAZAL KARAM |
NAZMA HAYAT |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Rafaqat Ali Azhar Gondal [le demandeur principal], son épouse et leurs quatre enfants mineurs [les codemandeurs] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].
[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire. La SAR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs et sa décision est raisonnable.
Le contexte
[3] Les demandes d’asile des demandeurs sont toutes fondées sur l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] du demandeur principal. Dans son exposé, le demandeur principal a déclaré que sa famille et lui étaient des citoyens du Pakistan et que, pour sa part, il était également titulaire du statut de résident permanent en Italie. Il a affirmé qu’ils étaient chiites et qu’ils craignent d’être persécutés au Pakistan par des extrémistes sunnites. Il a déclaré plus précisément avoir participé à l’administration de l’imambargah hussainia à Mandi Bahauddin et que, en 2016, sa maison avait été désignée comme point de départ de la procession de l’Achoura, une cérémonie religieuse chiite. En 2019, des membres d’un groupe d’activistes nommé Ahl‑e‑Sunnat Wal Jamaat [ASWJ] ont menacé de blesser le demandeur principal si la procession avait lieu. Le demandeur principal a affirmé que, le 10 septembre 2019, ASWJ avait tendu une embuscade à la procession et l’avait attaquée alors qu’elle passait devant une mosquée sunnite, et que la police qui était chargée d’assurer la sécurité lors de l’événement ne l’avait pas fait. Le demandeur principal a affirmé avoir identifié plus d’une douzaine d’agresseurs à la police et avoir rempli un premier rapport d’information, mais qu’aucune arrestation n’avait été effectuée. Il a en outre déclaré avoir été agressé le 13 septembre 2019 et avoir reçu un appel téléphonique menaçant le 15 septembre 2019. Les demandeurs ont déménagé chez un cousin à Lahore, où le demandeur principal a reçu un autre appel téléphonique menaçant. La famille est ensuite restée chez un beau‑frère à Islamabad avant d’obtenir des visas de visiteur pour les États‑Unis et de s’envoler pour New York le 23 décembre 2019. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 27 décembre 2019 et ont présenté une demande d’asile.
[4] La SPR a rejeté leur demande d’asile le 19 octobre 2021. Elle a conclu que certains aspects de la demande d’asile du demandeur principal n’étaient pas crédibles. La SPR a jugé que celui‑ci était chiite et qu’il participait à l’organisation de processions, mais qu’il n’était pas un chiite très connu, selon la description fournie dans la preuve documentaire du cartable national de documentation [le CND], et qu’il n’était pas à risque à ce titre. La SPR a également conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] valable à Islamabad. Les demandeurs ont interjeté appel de la décision devant la SAR.
[5] La SAR a jugé que les questions déterminantes en appel étaient l’exclusion du demandeur principal de la protection accordée aux réfugiés en application de la section E de l’article premier de la Convention et l’existence d’une PRI pour les codemandeurs. La SAR a conclu que le demandeur principal avait le statut de résident permanent en Italie et les droits qui y sont associés, de sorte que sa demande d’asile au Canada était irrecevable. La SAR a également conclu que les codemandeurs n’avaient pas démontré que le groupe local d’ASWJ à Mandi Bahauddin avait la motivation de les trouver à Islamabad. La SAR s’est aussi penchée sur l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité du demandeur principal. La SAR a effectué une analyse indépendante du profil du demandeur principal, notamment sur la question de savoir si ce dernier avait été personnellement ciblé par ASWJ. Après avoir évalué la preuve présentée par les demandeurs, la SAR a conclu, entre autres, que le demandeur principal n’était pas titulaire d’un permis pour la procession de 2019 à Mandi Bahauddin, que cette procession n’avait pas été attaquée, qu’il était plus probable qu’improbable que le premier rapport d’information soit frauduleux et que le demandeur principal avait exagéré son profil au sein de la communauté chiite de Mandi Bahauddin.
Les questions en litige et la norme de contrôle applicable
[6] Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :
La SAR a‑t‑elle manqué aux principes de justice naturelle en n’avisant pas le demandeur principal qu’elle examinerait la question de savoir si ce dernier était visé par une clause d’exclusion?
La conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur est visé par une clause d’exclusion est‑elle déraisonnable?
La conclusion de la SAR selon laquelle il existe une PRI est‑elle déraisonnable?
[7] Les questions relatives à l’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP], la Cour d’appel fédérale a conclu que l’exercice de révision requis était particulièrement bien reflété – quoique de manière imparfaite – dans la norme de la décision correcte. La Cour doit déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (CFCP, aux para 54‑56; voir aussi Watson c Syndicat canadien de la fonction publique, 2023 CAF 48 au para 17).
[8] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, il existe une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25). Aucune partie ne fait valoir qu’il existe en l’espèce des circonstances qui justifieraient de s’écarter de cette présomption, et je conviens qu’il n’y en a aucune. Par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable.
[9] « La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci […] »
(Vavilov, au para 99).
Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale
[10] La section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés indique que la Convention ne s’applique pas aux personnes qui ont établi leur résidence dans un pays tiers et qui sont reconnues par ce pays comme « ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays »
. L’article 98 de la Loi incorpore la section E de l’article premier de la Convention dans le droit canadien et précise que la personne visée par cette section ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. Dans l’arrêt Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118 [Zeng], la Cour d’appel fédérale énonce le critère permettant d’évaluer l’applicabilité de l’exclusion prévue à la section E de l’article premier à la date de l’audience devant la SPR :
[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.
[11] En ce qui concerne les changements de statut, une fois que le ministre a établi à première vue que le demandeur d’asile est visé par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier de la Convention, le fardeau est alors renversé et il incombe au demandeur de réfuter la preuve d’exclusion, c’est-à-dire de démontrer que le statut qu’il avait auparavant a expiré ou a été perdu (Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 311 [Lu] au para 24; Dieng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 450 au para 21; Mulugeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1436 au para 22).
[12] Dans sa décision, la SPR a indiqué que le ministre avait été informé, le 22 avril 2021, du fait que le demandeur principal avait le statut de résident permanent en Italie, mais que le ministre n’avait manifesté aucune intention d’intervenir avant la tenue de l’audience. La SPR a également mentionné que la preuve documentaire indiquait clairement que le statut de résident permanent en Italie était invalide après une absence d’un an. Par conséquent, la SPR a conclu que le demandeur principal n’avait aucun statut en Italie.
[13] La SAR a fait observer que le ministre lui avait envoyé un avis d’intervention le 23 février 2022. L’avis comprenait des observations sur un manquement de la part de la SPR aux principes de justice naturelle et sur l’exclusion du demandeur principal au titre de la section E de l’article premier de la Convention, ainsi qu’une preuve montrant qu’un avis d’intervention, des éléments de preuve et des observations avaient été signifiés à la SPR le 6 mai 2021. La SAR a fait remarquer que, d’après le dossier de la SPR, celle‑ci avait, conformément à l’article 26 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, avisé le ministre le 22 avril 2021 de la possibilité que le demandeur principal soit visé par la clause d’exclusion. Cependant, même s’il a été signifié, l’avis d’intervention du 6 mai 2021 ne figurait pas dans le dossier de la SPR et celle‑ci ne disposait pas de ce document lorsqu’elle a rendu sa décision. Pour cette raison, la SAR a indiqué qu’elle considérait l’avis d’intervention du 23 février 2022 ainsi que les observations et les éléments de preuve l’accompagnant comme de nouveaux éléments de preuve en appel. Elle a également indiqué que l’avis d’intervention du 23 février 2022 avait été signifié à l’avocat des demandeurs, mais que ces derniers n’y avaient pas répondu. Les demandeurs n’ont pas contesté la crédibilité ni la fiabilité des nouveaux éléments de preuve.
[14] Les demandeurs font valoir que la SAR a manqué aux principes de justice naturelle en ne les informant pas qu’elle examinerait une [traduction] « nouvelle question »
en appel en lien avec l’intervention du ministre. Ils affirment que l’exclusion de la protection accordée aux réfugiés ne constituait pas un motif sur lequel s’est appuyée la SPR pour rendre une décision défavorable à leur égard et que la question a été analysée pour la première fois par la SAR. Par conséquent, les observations du ministre sur la question de l’exclusion étaient [traduction] « nouvelles »
pour eux. Les demandeurs renvoient à la jurisprudence pour appuyer la proposition selon laquelle la SAR, lorsqu’elle examine de nouvelles questions, doit en informer les parties afin que celles‑ci aient la possibilité de présenter des observations (renvoyant à Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 aux para 67, 71, 74 et 76; Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 au para 10). Les demandeurs font également valoir que l’avis d’intervention du 23 février 2022 n’a été produit en preuve devant la SAR que lorsque celle‑ci a déterminé qu’elle le considérerait comme un nouvel élément de preuve en appel. Ils soutiennent que c’est à ce moment que la SAR aurait dû les informer que la question de l’exclusion prévue à la section E de l’article premier de la Convention serait examinée et leur permettre de présenter d’autres observations ou une demande d’audience. Les demandeurs font valoir qu’ils n’étaient pas tenus de répondre aux allégations formulées dans l’avis d’intervention du 23 février 2022 avant que la SAR confirme l’admission de l’avis en preuve.
[15] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’allégation des demandeurs selon laquelle la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale est sans fondement.
[16] L’avis d’intervention du 23 février 2022 indiquait que la SPR avait précisé dans ses motifs que le ministre avait été informé de la résidence permanente du demandeur principal en Italie, [traduction] « mais [qu’il] n’avait manifesté aucune intention d’intervenir avant la tenue de l’audience »
. Toutefois, le ministre avait bien envoyé l’avis d’intervention ainsi que ses éléments de preuve et ses observations à la SPR le 6 mai 2021. Le ministre a fait valoir que ses éléments de preuve devraient être examinés par la SAR étant donné leur valeur probante. Le ministre a expressément affirmé que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’avis d’intervention ainsi que des éléments de preuve et des observations qui l’accompagnaient.
[17] Selon moi, l’avis d’intervention du 23 février 2022 était un « avis »
informant les demandeurs que la question serait examinée. Nul ne conteste que cet avis a été signifié à l’avocat des demandeurs. J’estime qu’il était évident que la transmission de l’avis d’intervention aux demandeurs signifiait que la question de l’exclusion prévue à la section E et de l’article premier de la Convention serait examinée. Le statut du demandeur principal n’était pas non plus une nouvelle question, puisque la SPR avait traité de celle‑ci, quoique de manière erronée étant donné qu’elle aurait dû avoir à sa disposition l’avis d’intervention du ministre du 6 mai 2021.
[18] De plus, comme le fait remarquer le défendeur, le paragraphe 4(1) des Règles de la Section d’appel des réfugiés [les Règles de la SAR] permet au défendeur d’intervenir à tout moment avant que la SAR rende une décision en signifiant un avis d’intervention écrit accompagné des éléments de preuve qu’il veut invoquer. Le paragraphe 5(1) des Règles de la SAR prévoit que l’appelant, pour répliquer à une intervention du ministre, doit transmettre au ministre, puis à la SAR, un dossier de réplique. Le dossier de réplique doit être reçu par la SAR au plus tard 15 jours après la date de réception par l’appelant de l’avis d’intervention du ministre, du dossier d’intervention du ministre ou de tout autre document supplémentaire transmis par le ministre (art 5(5) des Règles de la SAR). Par conséquent, les demandeurs ont eu la possibilité de répliquer à l’avis d’intervention, mais ne l’ont pas fait.
[19] Enfin, bien que les demandeurs puissent être d’avis qu’ils n’étaient pas tenus de répondre aux allégations formulées dans l’avis d’intervention avant que la SAR n’ait [traduction] « confirmé »
l’admission de l’avis en preuve, ce point de vue n’est pas étayé par les paragraphes 4(1) et 5(1) des Règles de la SAR, et les demandeurs ne renvoient à aucune procédure ou décision pour appuyer leur argument. Comme le soutient le défendeur, la SAR ne pouvait refuser d’admettre et de traiter l’avis d’intervention dûment déposé. À mon avis, le choix des demandeurs de ne pas y répondre était à leurs propres risques.
[20] Dans les circonstances, la SAR n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale.
Il était raisonnable de conclure que le demandeur était visé par la clause d’exclusion
[21] La SAR a jugé que la SPR, même si cette dernière n’avait pas à sa disposition l’avis d’intervention du ministre du 6 mai 2021 et les documents l’accompagnant, avait commis une erreur en ne demandant pas d’explication au demandeur principal avant de conclure qu’il avait perdu son statut, étant donné qu’il s’était lui‑même décrit comme un résident permanent de l’Italie. La SAR a fait remarquer que le demandeur s’était décrit, dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA, comme un citoyen du Pakistan et un résident permanent de l’Italie. Il a également déclaré ceci : [traduction] « En tant que résident permanent de l’Italie, j’aurais pu m’y rendre, mais pas ma femme et mes enfants. Je ne pouvais pas les y emmener, car il faut avoir résidé au moins deux ans en Italie et fournir la preuve d’un revenu important pour parrainer des membres de sa famille. »
La SAR a renvoyé à la décision Lu de la Cour d’appel fédérale, qui énonce que, lorsqu’il y a une preuve à première vue que le demandeur d’asile a un statut dans un autre pays, il incombe à ce dernier d’établir qu’il a perdu son statut.
[22] De plus, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas contesté l’observation du ministre selon laquelle le demandeur principal, en tant que résident permanent de l’Italie, pouvait travailler et avoir accès à des services sociaux, notamment à des soins de santé et à des programmes de formation. La SAR a également fait observer que le ministre avait fourni un élément de preuve selon lequel les autorités italiennes avaient confirmé que le demandeur principal était titulaire d’un permis de résident permanent délivré à des fins professionnelles (travail autonome), lequel ne comportait aucune date d’expiration.
[23] La SAR a conclu que le demandeur principal était exclu de la protection accordée aux réfugiés en application de la section E de l’article premier de la Convention.
[24] Les demandeurs font valoir que, peu importe le statut que le demandeur principal croyait avoir en Italie, dans les faits, ce dernier n’était plus un résident permanent de ce pays. À l’appui, ils renvoient à la réponse à la demande d’information (RDI) ITA104045.EF, qui énonce ce qui suit : « [U]n résident permanent qui s’absente de l’Italie pendant 12 mois ou plus perdra son statut de résident permanent, peu importe la période de validité indiquée sur la carta di soggiorno. »
[25] Le défendeur soutient que, conformément à ce que prévoit l’arrêt Zeng, la SAR a raisonnablement évalué la preuve au dossier avant de conclure que le demandeur principal, qui était auparavant titulaire du statut de résident permanent en Italie, ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer que son statut avait expiré. Les demandeurs affirment devant la Cour que le statut du demandeur principal a expiré, mais n’ont pas présenté cette position à la SAR. En l’absence de réponse des demandeurs quant au statut du demandeur principal, la SAR était en droit de s’appuyer sur le dossier à sa disposition, qui contenait les déclarations du demandeur principal dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA, les observations du 30 août 2021 par lesquelles les demandeurs ont reconnu, à la suite de l’audience de la SPR et par l’entremise de leur avocat, que le demandeur principal [traduction] « [était] titulaire du statut de résident permanent en Italie »
, et les renseignements obtenus des autorités italiennes.
[26] À mon avis, le fait que les demandeurs n’ont pas répondu à l’avis d’intervention du 23 février 2022 a eu des répercussions défavorables et prévisibles sur l’évaluation réalisée par la SAR relativement à l’exclusion prévue à la section E de l’article premier de la Convention. Comme le fait remarquer le défendeur, les éléments de preuve au dossier dont disposait la SAR appuyaient manifestement le fait que le demandeur principal avait le statut de résident permanent en Italie, et ce dernier ne conteste pas le fait qu’il a déjà été titulaire d’un tel statut. Une fois cela établi, il incombait au demandeur principal de démontrer qu’il avait perdu ce statut et qu’il ne pouvait pas retourner en Italie, c’est‑à‑dire qu’il ne pouvait pas renouveler son statut (voir Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Choovak, [2002] ACF no 767 au para 41; Osazuma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2016] ACF no 122 au para 29). La SAR n’a pas traité de la RDI, mais celle‑ci n’a pas été soulevée par les demandeurs dans une réplique à l’avis d’intervention du 23 février 2022. De plus, la SAR a fait remarquer que, même si le demandeur principal avait quitté l’Italie en 2015, le ministre avait fourni un élément de preuve indiquant que les autorités italiennes avaient confirmé que le demandeur principal était toujours titulaire d’un permis de résident permanent. Il s’agissait d’une déclaration solennelle du 4 mai 2021 dans laquelle un agent d’immigration confirmait avoir examiné une réponse des autorités italiennes qui indiquait que le demandeur principal était titulaire d’un permis de résident permanent [traduction] « délivré à des fins professionnelles (travail autonome) par la police de Prato le 26 mai 2008 (aucune date d’expiration) »
.
[27] Les renseignements reçus des autorités italiennes en 2021 révèlent donc que le demandeur principal avait le statut de résident permanent à ce moment‑là. Le demandeur principal était à l’extérieur de l’Italie depuis bien plus de 12 mois lorsque les renseignements ont été reçus. Les demandeurs n’ont pas répliqué à l’avis d’intervention du ministre et n’ont pas traité de la preuve documentaire objective qui portait précisément sur le statut de résident permanent du demandeur principal en Italie.
[28] Dans ces circonstances, la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur principal est exclu de la protection accordée aux réfugiés en application de la section E de l’article premier de la Convention est raisonnable.
L’existence d’une PRI
[29] Les demandeurs font valoir que la conclusion de la SAR relative à l’existence d’une PRI était fondée sur la fausse hypothèse selon laquelle seuls les chiites très connus sont exposés à un risque au Pakistan. De plus, indépendamment des réserves quant à la crédibilité formulées par la SPR et la SAR relativement au profil du demandeur principal, des éléments de preuve non contredits indiquaient qu’il avait été harcelé.
[30] À mon avis, la SAR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de l’existence d’une PRI.
[31] Fait important, la SAR a conclu que les codemandeurs n’avaient pas établi que le groupe local d’ASWJ à Mandi Bahauddin aurait la motivation de les trouver à Islamabad. Cette conclusion reposait sur celle selon laquelle le demandeur principal n’était pas assez connu pour justifier qu’il soit pris personnellement pour cible. Dans le cadre du contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont pas contesté sur le fond cette conclusion relative au profil du demandeur principal. En l’absence de motivation, les codemandeurs ne seraient pas exposés à un risque de la part de ceux qu’ils prétendent être les agents de persécution.
[32] À l’appui de leur affirmation selon laquelle le fait que le demandeur principal n’est pas très connu ne les empêche pas d’être exposés à un risque, les demandeurs invoquent un élément de preuve documentaire indiquant qu’il y aurait eu une augmentation de la violence sectaire envers les groupes chiites depuis 2012 et que les attaques viseraient principalement des personnes ordinaires. La SAR a conclu que, bien que la preuve documentaire indiquait qu’ASWJ avait la capacité de frapper n’importe où au pays, cette capacité ne concernait rien de plus que des attaques générales causant des pertes massives ou la prise pour cible particulière de personnes bien en vue. Selon l’analyse de la SAR, le demandeur principal n’avait pas ce profil. Cependant, la SAR a aussi déclaré qu’elle avait examiné les extraits du CND auxquels les demandeurs avaient renvoyé, mais que ces extraits n’établissaient pas que Lashkar‑e‑Jhangvi ou d’autres groupes prenaient précisément pour cible des personnes ayant peu d’importance dans le but de les attaquer, même si ces personnes pouvaient malgré tout être touchées par des attaques générales ou de masse. Lorsque la preuve objective indique que des chiites ordinaires ont été pris pour cible, il s’agit de situations où des groupes d’activistes attaquent des lieux chiites bondés et non de situations où des chiites peu en vue sont expressément pris pour cible.
[33] Lu dans son ensemble et en contexte, l’extrait des principes directeurs du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, cité en partie par les demandeurs, appuie la conclusion de la SAR :
[traduction]
b) Traitement réservé aux chiites par des acteurs non étatiques
Les groupes d’activistes qui seraient responsables de la plupart des attaques contre les chiites au Pakistan sont Ahl‑e Sunnat Wal Jama’at (ASWJ) (anciennement Sipah‑e‑Sahaba (SSP)), Lashkar‑e‑Jhangvi (LeJ), Tehrik‑e‑Taliban Pakistan (TTP) et Jundullah, un groupe étroitement affilié à TTP. Les analystes ont souligné que les attaques sectaires contre les civils constituaient une menace croissante, en particulier pour la communauté chiite. Il y aurait eu une augmentation de la violence sectaire envers les groupes chiites depuis au moins 2012 et les attaques cibleraient principalement des chiites ordinaires. Des groupes d’activistes auraient commis des attentats-suicides à la bombe et des attaques à la grenade dans des lieux chiites bondés, tels que des écoles, des zones commerçantes et des marchés, de même que dans des autobus et d’autres types de véhicules. Ils auraient attaqué des pèlerins chiites qui se rendaient en Iran et qui en revenaient et auraient ciblé des mosquées, plus particulièrement durant les heures de prière, ainsi que des fêtes religieuses, notamment les processions de l’Achoura pendant le muharram, le mois sacré chiite. Il y aurait également eu des assassinats ciblés de professionnels et de représentants chiites, notamment des médecins, des avocats, des politiciens, des hommes d’affaires importants et des commerçants locaux.
[Non souligné dans l’original.]
[34] À mon avis, la SAR a décrit avec exactitude le contenu de la preuve documentaire objective. La preuve ne permet pas d’affirmer que les personnes chiites peu connues sont prises pour cible en raison de leur profil.
[35] La SAR a également examiné d’autres éléments de preuve documentaire et a fait remarquer que, même si des événements violents pouvaient être perpétrés n’importe où et que certains s’étaient produits à Islamabad, il s’agissait vraisemblablement d’événements inhabituels et isolés.
[36] Selon moi, la SAR a adopté une approche mesurée et équilibrée dans l’analyse de la preuve documentaire objective, et sa conclusion relative à l’existence d’une PRI est raisonnable.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4438-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier : |
IMM-4438-22 |
INTITULÉ :
|
RAFAQAT ALI AZHAR GONDAL, SHAHMEER KARAM, ZARA KARAM, HASHAM KARAM, SHAZAL KARAM, NAZMA HAYAT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 5 SEPTEMBRE 2023
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE STRICKLAND
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 12 SEPTEMBRE 2023
|
COMPARUTIONS :
John Guoba |
POUR LES DEMANDEURS |
Lorne McClenaghan |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Grice & Associates Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |