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Date : 20230405


Dossier : IMM-4540-22

Référence : 2023 CF 482

Montréal (Québec), le 5 avril 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SANTIAGO GONZALEZ SOTO

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Cette demande de contrôle judiciaire vise la décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] de rejeter la demande d’asile du demandeur en raison d’une possibilité de refuge intérieure [PRI]. La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.

II. Contexte et faits

[2] Le demandeur est citoyen de la Colombie. Il craint être persécuté par l’Armée de libération nationale [ELN] qui a tenté à plusieurs reprises de le recruter en 2015 alors qu’il était à l’école secondaire. Le demandeur a résisté à ces efforts de recrutement en changeant d’école, puis en fuyant la Colombie pour les États-Unis en 2016.

[3] La famille du demandeur a tenté de le rejoindre aux États-Unis mais a été expulsée en Colombie. Elle a ultérieurement fui au Chili où elle vit toujours. Après avoir été témoin de ce qui est arrivé à sa famille, le demandeur craignait que la même chose ne lui arrive s’il présentait une demande d’asile aux États-Unis. Il y a donc vécu de façon clandestine jusqu’à ce qu’il présente une demande d’asile au Canada en mars 2020.

[4] Le 21 février 2022, sa demande d’asile a été entendue par la SPR. Le 1er avril 2022, la SPR a refusé sa demande d’asile [Décision] en raison de l’existence d’une PRI à Medellin. La SPR a conclu que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que l’ELN a la motivation de le retrouver et de s’en prendre à lui, cinq ans après qu’il ait quitté la Colombie.

[5] La Décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire parce que l’appel du demandeur devant la Section d’appel des réfugiés a été rejeté pour défaut de compétence.

III. Analyse

[6] En l’espèce il s’agit de déterminer si la Décision est raisonnable, autrement dit si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 85).

[7] La SPR ayant conclu que les événements vécus par le demandeur en Colombie sont crédibles, la question déterminante est celle de l’existence d’une PRI à Medellin. Pour cela, la SPR doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités (i) qu’il n’y a pas de risque sérieux que le demandeur soit persécuté à Medellin; et (ii) qu’il ne serait pas déraisonnable pour lui de s’y établir, compte-tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 CF 706 à la p. 709 ; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 aux pp. 595-599). Le demandeur a le fardeau de réfuter la présomption d’une PRI en démontrant que la SPR n’a pas établi l’un des deux volets du test ci-dessus (Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 au para 45).

[8] Le demandeur fait valoir que la SPR a erré dans son analyse du premier volet en concluant que l’ELN n’a pas la motivation de le retrouver parce que (i) il ne dispose pas de renseignements sur l’organisation pouvant le mettre à risque; et (ii) il n’est plus meneur d’écoles et n’entretient plus de rapport avec l’ELN depuis qu’il a quitté la Colombie.

[9] Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de la perception de l’ELN pour déterminer qu’il ne disposait pas de renseignements pouvant le mettre à risque. Selon le demandeur, peu importe qu’il ait une connaissance réelle des renseignements sur l’ELN, le simple fait que l’organisation pense qu’il a entendu des conversations importantes entre ses membres suffit pour qu’elle le cible.

[10] Je ne suis pas d’accord. La SPR a raisonnablement déterminé que le demandeur ne disposait pas de renseignement sur l’ELN pouvant le mettre à risque. Lorsque la SPR a questionné le demandeur quant aux prétendus renseignements sensibles dont il aurait connaissance, il n’a pas été en mesure de fournir une réponse précise : il ne connaissait pas les noms des membres de l’ELN avec qui il a interagi au-delà de leurs pseudonymes ; il ne pouvait pas décrire comment l’ELN avait infiltré certaines universités ; et il ne savait pas qui à ces universités se faisaient extorquer par l’ELN, ni comment.

[11] Il était donc raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne connaissait aucune information confidentielle ou sensible sur les activités illégales de l’ELN, ni sur la façon dont elle opère, ni sur l’identité de ses membres.

[12] De surcroît, le demandeur n’a soumis aucune preuve objective pour appuyer son argument que les connaissances qu’il a du fonctionnement de l’ELN suffisent pour établir la motivation de celle-ci de le poursuivre à Medellin et par conséquent, il ne s’est donc pas acquitté de son fardeau élevé de démontrer que la PRI proposée est objectivement déraisonnable (Henao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 84 au para 11, citant Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) aux para 15-17).

[13] Je note également que dans sa plaidoirie en appel à la SAR, le demandeur a indiqué que : « [l]ors de l’audience, la demandeur [sic] a témoigné que ses agents persécuteurs lui ont partagé des informations importantes sur leur façon de travailler et que donc, pour cette raison, ils veulent le faire disparaître. » Les allégations de persécution déposées par le demandeur à la SAR n’étaient donc pas basées sur la perception de l’ELN de ses connaissances, mais bel et bien sur les renseignements qu’il prétendait connaître.

[14] De plus, le demandeur s’appuie sur les arrêts Sabogal Riveros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 547 [Sabogal Riveros], Parra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 65 [Parra] et Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 665 [Sanchez] pour faire valoir que la SPR a erré en arrivant à une conclusion de vraisemblance. Le demandeur soutient que la SPR a spéculé sur la motivation de l’ELN de le retrouver et n’a pas tenu compte d’éléments de preuve objectifs qui indiquaient que l’organisation était active dans la région de Medellin, notamment aux onglets 7.35 et 7.23 du cartable national de documentation [CND].

[15] Je ne peux souscrire à cet argument du demandeur. La SAR a raisonnablement analysé la preuve objective aux onglets 7.35 et 7.23 et a conclu que l’ELN n’a pas une forte présence à Medellin. Les éléments de preuve du CND auxquels le demandeur fait référence dans sa plaidoirie pour faire valoir que l’ELN avait une forte présence à Medellin ne sont pas convaincants. Je note par exemple qu’à l’onglet 7.35, bien qu’il est indiqué que l’ELN était présente dans la périphérie de Medellin, tel que souligné par le demandeur dans ses arguments, la phrase au complet explique que le gouvernement a exécuté deux offensives militaires en 2002 et 2005-6 pour repousser l’ELN hors de la périphérie de Medellin et hors de l’est du département d’Antioquia, où est située Medellin.

[16] De plus, la carte à l’annexe 1 de l’onglet 7.23 confirme également que toute présence restante de l’ELN dans le département d’Antioquia est concentrée au nord-est, alors que Medellin est située au sud-ouest du département. J’estime donc que la SAR n’a ni erré dans son analyse de la preuve documentaire ni dans sa conclusion que l’ELN n’avait pas une forte présence à Medellin.

[17] En tout état de cause, la SPR a concédé dans ses motifs que « compte tenu de la présence de [l’ELN] dans de nombreuses régions du pays et de sa structure, elle pourrait être en mesure de suivre une cible qui se déplace à l’intérieur de la Colombie. » La SPR a donc déterminé que l’ELN avait la capacité de poursuivre le demandeur à l’intérieur du pays et, de ce fait, la preuve qui indiquait que l’ELN était active dans la région de Medellin n’a aucune incidence sur le facteur déterminant dans le raisonnement de la SPR qui était que l’ELN n’avait pas la volonté de poursuivre le demandeur. En effet, aux fins du premier volet du test pour déterminer l’existence d’une PRI, un demandeur doit établir la capacité et la volonté d’un persécuteur de le poursuivre (Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 13 [Leon]).

[18] En l’espèce, le demandeur n’a soumis aucune preuve objective pour appuyer le fait qu’il possède des renseignements au sujet de l’ELN qui le mettrait à risque. Par ailleurs, le demandeur fait valoir que l’ELN a la volonté de le persécuter parce qu’il a refusé de se faire recruter lorsqu’il était meneur d’école et qu’elle n’aime pas « laisser de traces ». Le demandeur note que la SPR a reconnu qu’il a été harcelé et agressé même après avoir changé d’école, ce qui démontre que les menaces et la persécution s’étendent au-delà de la période durant laquelle il était meneur de classe.

[19] Toutefois, la SPR a relevé que « [r]ien dans le CND sur la Colombie ne laisse entendre que l’ELN a tendance à rechercher les personnes qui ont refusé d’être recrutées au sein du groupe lorsqu’elles étudiaient ou à en faire des cibles militaires, et le demandeur d’asile n’a présenté aucun élément de preuve objectif pour soutenir cette allégation. »

[20] La conclusion de la SPR est donc une inférence raisonnable, compte-tenu de l’absence de preuve objective, et non une conclusion d’invraisemblance au sujet de la motivation de l’ELN de poursuivre le demandeur (Leon au para 18). Je note également qu’à l’audience devant cette Cour, l’avocate du demandeur était incapable d’indiquer où dans les motifs antérieurs se trouvait la conclusion de vraisemblance alléguée.

[21] De plus, la situation du demandeur se distingue de celle de la demanderesse dans l’arrêt Sabogal Riveros, sur lequel le demandeur s’appuie. Mme Sabogal Riveros travaillait pour une banque mais a démissionné et demandé l’asile au Canada après avoir refusé d’aider des membres de la FARC à commettre une fraude. Elle avait soumis plusieurs éléments de preuve pour corroborer le fait que la FARC avait les moyens et la motivation de la retrouver si elle se rétablissait en Colombie, incluant un témoignage d’un membre de l’armée colombienne que sa démission augmenterait son risque de persécution (Sabogal Riveros au para 48).

[22] Dans les autres arrêts cités par le demandeur, Parra et Sanchez, la Cour a déterminé que le tribunal était arrivé à des conclusions de vraisemblance parce que ces conclusions n’étaient pas appuyées par la preuve au dossier. Toutefois, en l’espèce, le demandeur n’a soumis aucun élément de preuve convaincant pour démontrer que ses circonstances personnelles font en sorte que l’ELN a toujours un intérêt à l’éliminer et ne s’est donc pas acquitté de son fardeau de preuve d’établir qu’il y a un risque prospectif s’il devait s’installer à Medellin. La conclusion de la SPR était donc raisonnable et basée sur l’insuffisance de preuves de la part du demandeur et non d’une conclusion conjecturale ou de vraisemblance.

[23] Le demandeur n’a soulevé aucun argument quant au second volet du test pour établir l’existence d’une PRI et j’estime que l’analyse de la SPR sur ce point était raisonnable.

IV. Conclusion

[24] Pour les raisons ci-dessus, la Décision est raisonnable, et par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT au dossier IMM-4540-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4540-22

 

INTITULÉ :

SANTIAGO GONZALEZ SOTO c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 mars 2023

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Virginie Beaubien

 

Pour le demandeur

 

Me Chantal Chatmajian

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Virginie Beaubien

Avocate

Sherbrooke (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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