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Date : 20221013


Dossier : IMM-4500-19

Référence : 2022 CF 1401

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

VICTORIA OWUSU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 11 juillet 2019 par laquelle un agent du Centre de soutien des opérations d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, situé à Ottawa, a rejeté sa demande visant à faire modifier le nom de famille, le prénom et la date de naissance figurant sur son document de confirmation de résidence permanente [la décision contestée].

[2] Dans la présente demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l’alinéa 72(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], la demanderesse conteste à la fois l’application des lignes directrices administratives à sa situation et les lignes directrices administratives elles-mêmes.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. Le contexte

[4] La demanderesse est une citoyenne canadienne. Elle est arrivée au Canada, en provenance du Ghana, le 28 octobre 2001 en tant que résidente permanente.

[5] En février 2019, treize ans après avoir obtenu la citoyenneté et dix-huit ans après avoir obtenu la résidence permanente, la demanderesse a déposé une demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement pour modifier son nom complet et sa date de naissance de Victoria Owusu, née le 30 août 1987, à Gloria Hemaa Okyere, née le 16 septembre 1988.

[6] Dans un affidavit produit avec la demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement, la demanderesse a expliqué qu’elle était venue au Canada et avait obtenu la citoyenneté sous une identité d’emprunt.

[7] Grace Asante, la tante de la demanderesse, avait été parrainée par son mari avant 2001. Sa demande comprenait une enfant adoptive, Victoria Owusu, en qualité d’enfant à charge qui l’accompagnait.

[8] Mme Asante a par la suite décidé de ne pas emmener Victoria au Canada. Une fois les documents de voyage délivrés, elle s’est arrangée pour emmener sa nièce, Gloria Hemaa Okyere, au lieu de Victoria. Gloria, âgée de treize ans à l’époque, est entrée au Canada en utilisant le passeport de Victoria et vit sous cette identité depuis. Selon ses dires, Gloria tente, au moyen de la demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement, de rétablir les faits et de corriger les renseignements personnels figurant dans sa fiche relative au droit d’établissement.

[9] La demanderesse a fourni un affidavit et une pièce justificative au soutien de sa demande de modification, soit un document d’enregistrement de naissance délivré par le Ghana qui contient, selon elle, son vrai nom ainsi que sa vraie date de naissance. Le document d’enregistrement de naissance a été délivré le 27 décembre 2018.

III. La décision contestée

[10] Dans sa lettre de décision, l’agent a expliqué que, selon la politique d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), la fiche relative au droit d’établissement est un document historique. À ce titre, seules les erreurs commises par les agents canadiens de l’immigration au moment de l’arrivée de la demanderesse au Canada peuvent donner lieu à une modification du document.

[11] L’agent a précisé que, puisqu’il s’agit d’un document historique, il ne peut pas être modifié pour tenir compte des événements de la vie tels qu’un mariage, une naissance, un changement de nom, un décès ou d’autres événements survenus après l’obtention de la résidence permanente au Canada.

[12] L’agent a conclu que les modifications demandées n’étaient pas justifiées, compte tenu de la politique d’IRCC, puisque les renseignements enregistrés dans la fiche relative au droit d’établissement de la demanderesse correspondaient aux renseignements figurant dans le passeport présenté par la demanderesse au moment de son arrivée.

[13] Les motifs de la décision contestée sont exposés dans les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 au para 9 et les décisions qui y sont citées.

[14] Même si les notes sont brèves, elles font mention de la demande visant la modification du nom de famille de la demanderesse de Owusu à Okyere et la modification de son prénom de Victoria à Gloria Hemaa. Les notes démontrent également que l’agent a examiné le document de résidence permanente et le document d’enregistrement de naissance de la demanderesse. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer sa demande et a mentionné qu’elle devrait fournir un [traduction] « jugement de la cour ».

[15] La politique d’IRCC est énoncée dans le guide intitulé Demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement, de la confirmation de résidence permanente ou de documents de résident temporaire valides (IMM 5218) [la politique de modification].

[16] La demanderesse reconnaît que la procédure prévue dans le guide permet seulement de modifier le nom, pas la date de naissance.

IV. Les questions en litige

[17] La demanderesse soulève trois questions :

  • 1)Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • 2)La décision contestée est-elle déraisonnable?

  • 3)Est-ce que le guide Demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement, de la confirmation de résidence permanente ou de documents de résident temporaire valides (IMM 5218), en date du 13 mai 2019 [la politique de modification], est incompatible avec l’objet de la LIPR et les obligations du Canada aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le gouvernement du Canada le 12 décembre 1991?

V. La norme de contrôle

[18] La Cour suprême du Canada a établi que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à la présomption n’est présente en l’espèce.

[19] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige : Vavilov, au para 83.

[20] Avant de pouvoir infirmer la décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

[21] Le décideur peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

VI. Analyse

A. La décision contestée est raisonnable

[22] La demanderesse soutient que le fait que l’agent a indiqué, dans la décision contestée, qu’elle devait fournir un jugement de la cour rend la décision déraisonnable puisque, comme le document serait postérieur à son arrivée au Canada, il ne serait pas suffisant. Elle affirme aussi que cette déclaration démontre que l’agent n’a pas tenu compte de son affidavit ni des pièces justificatives.

[23] Avec égards, la déclaration de l’agent ne permet pas de tirer ces conclusions.

[24] Le guide indique qu’il est nécessaire de fournir au moins deux pièces d’identité ou documents de l’état civil délivrés avant la date d’entrée au Canada. De plus, le document d’IRCC intitulé « Procédure d’appellation : Gestion des dossiers existants – Demandes de changement de nom », qui figure dans le dossier de la demande, établit une procédure précise pour les demandes de changement de nom. Ce document indique que, si une personne dépose une demande de modification de la fiche relative au droit d’établissement et qu’il est déterminé qu’IRCC a fait une erreur de transcription ou administrative au moment de l’arrivée, l’erreur sera corrigée dans la fiche et la correction sera consignée dans le système d’IRCC. Le guide précise également que les documents de nature historique, comme la fiche relative au droit d’établissement et la confirmation de résidence permanente, ne seront pas modifiés à moins qu’une erreur de transcription ou administrative ait été commise par IRCC.

[25] Dans le cas des demandes de changement de nom pour une raison autre qu’une erreur de transcription ou administrative, il faut présenter une décision juridique ou administrative établissant le changement de nom. En l’espèce, la demanderesse n’a produit que son affidavit et un document d’enregistrement de naissance délivré plus de 17 ans après son arrivée au Canada.

[26] D’après ce qui précède, il semble que le renvoi de l’agent à un jugement de la cour montre simplement que la demanderesse ne s’est pas conformée aux exigences administratives propres aux changements qu’elle demandait.

[27] Il n’y a aucun fondement à l’allégation de la demanderesse selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte de son affidavit ni des pièces justificatives. Les notes du SMGC comprennent ce qui suit : [traduction] « Documents supplémentaires : CRP, certificat de naissance, etc. (voir la correspondance en pièce jointe) ».

[28] Même si l’agent n’avait pas mentionné les documents, il est bien établi que le décideur n’est pas tenu de mentionner chaque détail au soutien de sa conclusion. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16.

[29] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que la décision contestée est déraisonnable.

B. La politique de modification n’est pas incompatible avec la LIPR

[30] La demanderesse affirme que ni la décision contestée ni les notes du SMGC ne mentionnent la LIPR ou la Convention relative aux droits de l’enfant.

[31] Elle fait valoir que l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant garantit à chaque enfant le droit à un nom et que, selon l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RSC 817, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être au cœur de l’exercice d’interprétation de la LIPR. Selon elle, la politique de modification est donc incompatible avec les objectifs législatifs de la LIPR puisqu’elle ne prévoit aucun moyen pour une personne placée dans sa situation (c’est-à-dire un enfant à charge visé par une fausse déclaration faite par un adulte dans une demande d’immigration) de corriger les erreurs.

[32] Je ne souscris pas aux arguments formulés par la demanderesse à l’égard de cette question.

[33] Je suis sensible à la situation décrite par la demanderesse, mais je suis d’avis que la politique de modification n’est pas déraisonnable et qu’elle n’est pas incompatible avec la LIPR ni ultra vires, comme le fait valoir la demanderesse.

[34] L’analyse de la contestation qu’oppose la demanderesse à la politique de modification doit commencer par le fait que sa situation malencontreuse n’a pas été causée par la politique en l’espèce, mais est plutôt le résultat de la fausse déclaration faite par sa tante/tutrice au moment de son arrivée au Canada.

[35] Rien n’indique que la politique de modification est incompatible avec les objectifs de la LIPR ou qu’elle constitue une politique gouvernementale déraisonnable dans le cadre de l’application ordinaire de la LIPR.

[36] La demanderesse fait remarquer que si le ministre entamait des démarches pour révoquer sa citoyenneté pour cause de fausse déclaration en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, elle aurait l’occasion de présenter des observations au sujet des aspects de sa situation qui justifieraient la prise de mesures spéciales et elle pourrait conserver sa citoyenneté.

[37] La demanderesse semble invoquer cet argument pour souligner ce qu’elle considère être une dichotomie dans la législation.

[38] Il ressort clairement de la jurisprudence que les enfants mineurs sont assujettis aux mêmes conséquences que leurs parents dans le contexte d’une demande de révocation de la citoyenneté et de constat de perte de l’asile pour fausse déclaration faite par les parents : Tobar Toledo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 226 [Toledo] aux para 67-68, et Mella c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1587 aux para 32-35.

[39] Les faits essentiels dans l’affaire Toledo sont semblables à ceux en l’espèce, y compris, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale, le fait que « [d]ans sa demande de contrôle judiciaire, monsieur Tolbar Toledo allègue que l’agent a mal interprété l’alinéa 101(1)b) de la Loi et que cette interprétation erronée va à l’encontre des obligations assumées par le Canada en tant que signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant, [1992] RT Can no 3 (la Convention) ».

[40] La Cour d’appel fédérale a examiné la question certifiée suivante :

Le rejet d’une demande d’asile présentée par des parents accompagnés d’enfants mineurs emporte-t-il nécessairement l’irrecevabilité d’une demande ultérieure présentée en leur propre nom par l’un de ces enfants devenus majeurs, aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR, peu importe que les faits sur lesquels repose la deuxième demande d’asile soient différents de ceux qui étaient à l’origine de la première demande présentée par les parents?

[41] En accueillant l’appel et en annulant la décision de la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de l’agent des services frontaliers et a répondu à la question de la façon suivante :

Le rejet d’une demande d’asile présentée par un enfant mineur, qu’elle soit faite de concert avec les demandes d’autres membres de sa famille ou non, emporte nécessairement l’irrecevabilité d’une demande ultérieure présentée par l’enfant devenu majeur, aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR, peu importe que les faits sur lesquels repose la deuxième demande d’asile soient différents de ceux qui étaient à l’origine de la première demande présentée par l’enfant.

[42] À mon avis, il serait incongru de conclure qu’une situation pareille à celle qui a mené à la révocation de la citoyenneté dans l’affaire Toledo mène en l’espèce à la conclusion que la politique gouvernementale relative à la modification administrative de renseignements personnels figurant sur la fiche relative au droit d’établissement est déraisonnable.

[43] Pour ces motifs, je conclus que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer que la politique de modification est incompatible avec la LIPR.

VII. Conclusion

[44] La demande en l’espèce est rejetée.

[45] Les faits ne soulèvent aucune question grave de portée générale et les parties n’en ont soulevé aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4500-19

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4500-19

 

INTITULÉ :

VICTORIA OWUSU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 OcTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Damilola Asuni

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marcia Jackson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Veeman Law

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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