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Date : 20230608


Dossier : IMM-12176-22

Référence : 2023 CF 815

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

DINH DUNG NGUYEN

THI QUYNH MAI TRAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs ont déposé une requête en sursis à la mesure de renvoi qui a été prise contre eux et qui doit être exécutée le 11 juin 2023.

[2] Ils demandent à la Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi au Vietnam dont ils font l’objet jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’ils ont présentée à l’égard de la décision du 16 novembre 2022 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande d’asile.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête sera rejetée. Je conclus que les demandeurs n’ont pas satisfait au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

II. Les faits et la décision sous‑jacente

[4] Dinh Dung Nguyen (le demandeur principal), âgé de 24 ans, est un citoyen du Vietnam. Il s’est fiancé à Thi Quynh Mai Tran (la codemanderesse), puis il est devenu le conjoint de fait de celle-ci. Le couple a un enfant.

[5] Le 24 novembre 2017, la codemanderesse s’est vu délivrer un permis d’études, lequel était valide jusqu’au 31 juillet 2020. Le 15 décembre 2017, elle est entrée au Canada munie de ce permis. Le 17 mars 2018, le demandeur principal s’est aussi vu délivrer un permis d’études, lequel était valide jusqu’au 30 mars 2019. Il est entré au Canada muni de ce permis le 27 mars 2018.

[6] Le ou vers le 24 avril 2020, la codemanderesse a présenté une demande de prolongation de son permis d’études. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté cette demande de prolongation le 10 juillet 2020. La codemanderesse a présenté une nouvelle demande de prolongation le 20 juillet 2020. Cette demande a été accueillie le 23 juillet 2020, et la période de validité de son permis d’études a été prolongée jusqu’au 31 juillet 2023.

[7] Les demandeurs ont présenté une demande d’asile le 5 novembre 2021. Ils ont fait valoir qu’il existait une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés au Vietnam par le gouvernement vietnamien. L’allégation principale sur laquelle reposait la demande d’asile était que, en octobre 2017, le demandeur principal avait pris contact, par l’intermédiaire de Facebook, avec des militants au Vietnam afin d’organiser des manifestations contre le Parti communiste vietnamien. Les demandeurs ont soutenu que les autorités gouvernementales avaient eu vent du plan. Au moins cinq des militants ont été emprisonnés, et le demandeur principal a supprimé son compte Facebook et vécu dans la clandestinité au Vietnam de novembre 2017 à mars 2018.

[8] Le 10 mars 2022, les demandeurs se sont vu délivrer des permis de travail valides jusqu’au 10 mars 2023.

[9] Dans une décision datée du 16 novembre 2022, la SPR a conclu à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile des demandeurs, au titre du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le 1er décembre 2022, les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par la SPR.

[10] Le 24 mai 2023, la période de validité du permis de travail du demandeur principal a été prolongée jusqu’au 24 mai 2024. Aucune décision n’a encore été rendue quant à la demande présentée par la codemanderesse visant la prolongation de son permis de travail.

[11] Le 16 mai 2023, les demandeurs ont reçu l’ordre de se présenter pour leur renvoi le 11 juin 2023.

III. Analyse

[12] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration) [1988] ACF no 587 (CAF) (Toth); Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd, 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores Ltd); RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (RJR-MacDonald); R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.

[13] Le critère énoncé dans l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir ce qui suit : i) la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente soulève une question sérieuse; ii) le renvoi causerait un préjudice irréparable; iii) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. L’existence d’une question sérieuse

[14] Dans l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour déterminer si le premier volet du critère a été respecté, il faut procéder à « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR-MacDonald, à la p 314). La norme de contrôle qui s’applique à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67).

[15] Les demandeurs soutiennent que la demande sous‑jacente soulève des questions sérieuses quant au caractère raisonnable de la conclusion d’absence de minimum de fondement tirée par la SPR à l’égard de leur demande d’asile. Plus précisément, ils soutiennent que la SPR n’a pas appliqué correctement le critère permettant de tirer une conclusion d’absence de minimum de fondement au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR et qu’elle a tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité de leur preuve et de leur demande d’asile.

[16] Le défendeur fait valoir qu’il n’existe aucune question sérieuse puisque la SPR a fait un examen raisonnable de la demande d’asile des demandeurs et qu’elle a tiré sa conclusion en se fondant sur les faits et la preuve.

[17] Après avoir examiné le dossier de requête des parties et la décision sous‑jacente, je conviens qu’il existe une question sérieuse à trancher. La demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève des questions quant à l’appréciation de la preuve des demandeurs faite par la SPR, plus particulièrement compte tenu des conséquences graves de la conclusion d’absence de minimum de fondement tirée au titre du paragraphe 107(2). Ces questions sont suffisantes pour satisfaire au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Toth.

B. L’existence d’un préjudice irréparable

[18] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, les demandeurs doivent démontrer qu’ils subiront un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Le terme « irréparable » n’a pas trait à l’étendue du préjudice. Un préjudice irréparable est un préjudice auquel il ne peut être remédié ou qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire (RJR-MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le risque de préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice surviendra nécessairement (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746 (CF 1re inst); Horii c Canada, [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[19] Les demandeurs allèguent qu’ils subiront un préjudice irréparable s’ils sont renvoyés au Vietnam. Ils soutiennent qu’une conclusion de préjudice irréparable découle des questions sérieuses soulevées par la conclusion d’absence de minimum de fondement tirée par la SPR à l’égard de leur demande d’asile, laquelle conclusion les a privés d’un sursis réglementaire à l’exécution de la mesure de renvoi ou d’un droit d’appel devant la Section d’appel des réfugiés. Ils ajoutent que le caractère théorique potentiel de la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR étaye la conclusion selon laquelle ils subiraient un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés.

[20] Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas satisfait à ce volet du critère régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Il souligne que la notion de préjudice irréparable doit comporter plus qu’une simple suite de possibilités et qu’elle ne peut reposer uniquement sur des allégations ou des hypothèses. Il fait valoir que les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve démontrant qu’ils subiraient un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés et que tout préjudice allégué est fondé sur des hypothèses ou sur le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Toth.

[21] Je suis d’accord avec le défendeur. Je conclus que l’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été démontrée en l’espèce. Comme les observations présentées par les demandeurs à l’égard de ce volet reprennent essentiellement celles qu’ils ont présentées à l’égard du premier volet, elles ne contiennent aucun nouvel élément de preuve démontrant qu’ils seraient exposés à un risque s’ils étaient renvoyés au Vietnam. Les demandeurs n’ont pas démontré, ni même soutenu, que les autorités vietnamiennes continuaient à représenter pour eux une menace telle qu’ils subiraient un préjudice irréparable si un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi n’était pas accordé. Ils soutiennent plutôt, pour l’essentiel, qu’un préjudice irréparable découle des conséquences graves de la conclusion tirée par la SPR et du fait que la demande sous-jacente deviendrait théorique. Cela ne suffit pas à établir l’existence d’un préjudice irréparable en l’espèce.

C. La prépondérance des inconvénients

[22] Pour décider si le troisième volet du critère a été respecté, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, ce qui consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR-MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public à l’égard de la bonne administration du système d’immigration.

[23] Les demandeurs soutiennent que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Ils font valoir que le risque de préjudice auquel ils seraient exposés en cas de renvoi l’emporte sur l’inconvénient que représente, pour le défendeur, le fait de ne pas pouvoir exécuter la mesure de renvoi.

[24] Le caractère insuffisant de la preuve de l’existence d’un préjudice irréparable est déterminant quant à l’issue de la présente requête. Néanmoins, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du défendeur. Selon le paragraphe 48(2) de la LIPR, les mesures de renvoi doivent être « exécutée[s] dès que possible ». Étant donné le caractère insuffisant de la preuve de l’existence d’un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’exécution rapide de la mesure de renvoi par le ministre.

[25] En définitive, les demandeurs ne satisfont pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La requête sera donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-12176-22

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié afin que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit désigné comme défendeur dans la présente requête en sursis.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12176-22

 

INTITULÉ :

DINH DUNG NGUYEN ET THI QUYNH TRAN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Gavin MacLean

 

Pour les demandeurs

 

Margherita Braccio

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gavin MacLean Immigration

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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