Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     T-224-97

Entre :

     KARLHEINZ SCHREIBER,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

     Le 1er octobre 1997, à Vancouver (Colombie-Britannique), j'ai été saisi d'une requête présentée au nom de l'intimé en vue d'obtenir l'ajournement de l'instance en attendant l'issue du pourvoi formé devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Schreiber (no du greffe 26039 de la C.S.C.).

     Le requérant a initialement été mêlé à la poursuite que le ministère de la Justice prétendait intenter contre le très honorable Brian Mulroney, et a par la suite introduit la présente instance par voie d'avis de requête introductive d'instance déposée auprès de la Cour le 7 février 1997. La réparation demandée consiste principalement en une ordonnance enjoignant au ministre de la Justice ou à son représentant d'adresser aux autorités suisses une lettre portant retrait et annulation de la demande d'aide en date du 29 septembre 1995 que le représentant du ministre a soumise aux autorités suisses; le requérant demande en outre que tous les registres, dossiers et autres documents saisis et actuellement en la possession des autorités suisses lui soient rendus sans délai. La lettre du ministre est à l'origine de la recherche et de la saisie des comptes bancaires et d'autres documents connexes du requérant.

     Après certaines procédures provisoires initiales entre les deux parties et le dépôt du dossier de la demande du requérant le 17 juin 1997, l'intimé a demandé par voie de requête une ordonnance tendant à l'ajournement de l'instance en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Schreiber et, si l'autorisation de pourvoi était accordée, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le pourvoi. Par ordonnance en date du 20 juin 1997, la demande d'ajournement a été rejetée et, comme le préconisait le juge en chef adjoint dans son ordonnance, l'affaire devait être inscrite au rôle pour audition à une date aussi rapprochée que possible du 21 octobre 1997. Il était en outre indiqué dans l'ordonnance du juge en chef adjoint que [TRADUCTION] "[c]haque partie est libre de demander l'ajournement de l'affaire sur la base de faits nouveaux dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Schreiber (no du greffe 26039 de la Cour suprême du Canada).

     Après le prononcé de cette ordonnance, l'avocat de l'intimé a fait savoir que la Cour suprême du Canada avait accueilli la demande d'autorisation de pourvoi le 4 septembre 1997 et, en conséquence de ce fait nouveau, a déposé un nouvel avis de requête en ajournement jusqu'à la fin de ce qu'il a appelé l'instance connexe devant la Cour suprême du Canada.

     La preuve par affidavit présentée au soutien de la présente demande révèle que malgré la lettre de demande adressée aux autorités suisses en septembre 1995, tous les documents saisis sont demeurés entre les mains des autorités suisses. Ces documents n'ont pas été communiqués au Canada, et il n'y a pas eu d'autre ingérence dans les affaires du requérant Schreiber; celui-ci continue d'avoir librement accès à ses comptes bancaires en Suisse. Dans son argumentation, l'avocat a fait valoir que le requérant ne réclame pas de dommages-intérêts; que le requérant cherche principalement à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d'adresser aux autorités suisses une lettre portant retrait de sa lettre de demande; que l'affaire devrait demeurer en suspens jusqu'au prononcé de la décision de la Cour suprême du Canada pour plusieurs raisons : l'affaire est vexatoire et fait perdre du temps à la Cour; elle pourrait occasionner des frais excessifs et inutiles pour les deux parties; M. Schreiber ne subit actuellement aucun préjudice; les ennuis qu'il peut avoir eus dans le passé, par exemple la dépense occasionnée par l'obligation de retenir les services d'un avocat au Canada et en Suisse, demeureront inchangés; une " ordonnance portant suspension " est en vigueur et toutes les autres mesures de recherche et de saisie ont été annulées. Enfin, l'avocat affirme que la Cour suprême du Canada entendra probablement le pourvoi au printemps 1998 et qu'il est plus que probable que la décision de cette cour rendra la présente demande théorique.

     De son côté, l'avocat de M. Schreiber a soutenu que la réparation demandée dans la présente demande est différente de celle qui est demandée dans l'affaire qu'entendra la Cour suprême du Canada; qu'en fait, M. Schreiber cherche à obtenir une réparation contre une décision ministérielle, c'est-à-dire qu'il demande une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d'adresser aux autorités suisses une lettre portant retrait de sa lettre de demande en date du 29 septembre 1995, et la restitution de tous les documents actuellement conservés par les autorités suisses. Il soutient en outre que son client a présenté la présente demande introductive d'instance afin de rétablir sa réputation; que les questions sur lesquelles la Cour suprême doit se prononcer ne se rapportent pas à la présente demande et devraient faire l'objet d'une audition parce que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de son client. L'avocat m'a ensuite référé à des décisions qui appuient l'affirmation qu'aucun autre ajournement ne devrait être accordé. Il s'est référé à l'affaire Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1987), 12 F.T.R. 267, dans laquelle le juge Dubé a exposé plusieurs raisons pour lesquelles un ajournement ne devrait pas être accordé. Il s'est également référé à la décision rendue par le juge Muldoon dans l'affaire Administration régionale Crie c. Robinson et autres (1992), 46 F.T.R. 193, dans laquelle le juge Muldoon se réfère à certains principes juridiques qu'il faut respecter avant de suspendre une instance.

     Les motifs d'appel de la décision de la Cour d'appel fédérale devant la Cour suprême du Canada sont les suivants :

     [TRADUCTION] La Cour d'appel a commis une erreur de droit en statuant qu'il faut obtenir une autorisation judiciaire préalable au Canada, fondée sur " l'existence de motifs raisonnables établie sous serment ", avant que des fonctionnaires canadiens puissent demander à un État étranger de les aider dans une enquête en appliquant ses lois pour rechercher et saisir des documents et des dossiers qu'elle conserve sur son territoire.         

     J'ai pris connaissance de la décision de la Cour d'appel fédérale et il me semble que les questions suivantes y étaient traitées :

-      la question de savoir si les autorités devraient respecter les normes applicables au Canada pour obtenir un mandat afin d'effectuer une fouille, une perquisition et une saisie, avant d'adresser une lettre de demande à un gouvernement étranger;
-      la question de savoir si la démarche des autorités a porté atteinte aux droits à la protection de la vie privée prévus à l'article 8 de la Charte;
-      la question de savoir si la protection conférée par la Charte a une application extraterritoriale inhérente;
-      la question de savoir si la lettre de demande a porté atteinte à la protection garantie à l'intimé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

     Il existe actuellement une ordonnance qui protège le requérant en l'espèce contre toute autre ingérence par le ministre; aucun document n'a été communiqué aux autorités canadiennes; les comptes bancaires suisses demeurent accessibles; aucune autre mesure préjudiciable ne peut être prise à l'égard des droits ou des intérêts du requérant; les décisions touchant les ajournements qui ont été invoquées par l'intimé se rapportent à des sursis d'exécution obtenus après que des demandeurs ont eu gain de cause et ne sont donc pas particulièrement applicables à l'instance.

     Compte tenu des questions sur lesquelles la Cour d'appel fédérale a statué et des motifs d'appel sur lesquels la Cour suprême du Canada se prononcera ultérieurement, je suis convaincu que ces questions et ces motifs d'appel se rapportent à la présente demande au point qu'on pourrait presque qualifier la présente demande de demande sub judice. Je suis convaincu que le refus d'accorder l'ajournement imposerait un fardeau injustifié aux ressources de la Cour.

     En conclusion, je suis d'avis que la décision que prononcera la Cour suprême du Canada sur la question qui lui a été soumise rendra la présente demande théorique.

     Je fais droit à la requête. Il n'y a pas d'attribution des dépens.

                                 (signature) " P. Rouleau "

                                         Juge

Le 3 octobre 1997

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-224-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          KARLHEINZ SCHREIBER

                         - et -

                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 1er octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU en date du 3 octobre 1997

ONT COMPARU :

     M. Robert Hladun, c.r.                  pour le requérant

     M. David Frankel, c.r.                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Hladun & Company                      pour le requérant

     Vancouver (C.-B)

     George Thomson                          pour l'intimé

     Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.