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Date : 20230830


Dossier : IMM-7206-22

Référence : 2023 CF 1176

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 août 2023

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

RAJINDER KAUR AULAKH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNET

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande d’asile a été rejetée. Je rejetterai sa demande parce que je suis d’avis que la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a raisonnablement conclu que la demanderesse disposait de possibilités de refuge intérieur [PRI] dans son pays d’origine.

II. Contexte

[2] La demanderesse est citoyenne de l’Inde. Elle craint une personne et ses associés parce qu’elle a signalé à la police leurs activités de trafic de drogue et qu’elle militait contre la consommation de drogues. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] et la SAR ont jugé crédibles les éléments fondamentaux de sa demande, éléments qui ne sont pas contestés.

[3] La demanderesse était infirmière dans un hôpital de l’État du Pendjab. À ce titre, elle traitait des patients toxicomanes et les dirigeait vers des centres de désintoxication pour toxicomanes, et elle participait à des colloques sur les effets négatifs de la consommation de drogues.

[4] En juin 2018, la demanderesse a vu deux personnes vendre de la drogue à des étudiants d’une école située à proximité de son lieu de travail. Elle a appelé la police, et des policiers sont venus et ont arrêté les deux personnes. Ces personnes ont toutefois été libérées par la suite.

[5] Peu de temps après, la demanderesse a commencé à recevoir des appels de menace anonymes. Elle a demandé l’aide de la police, mais cette dernière a été incapable de localiser l’origine des appels.

[6] Le 11 janvier 2019, la demanderesse a été victime d’une tentative d’enlèvement. Elle a appelé la police, mais celle-ci n’est pas intervenue.

[7] La demanderesse a d’abord déménagé à Ludhiana, au Pendjab, et, le 19 avril 2019, elle s’est rendue au Canada puis, plusieurs mois plus tard, a demandé l’asile.

[8] La SPR a instruit la demande d’asile de la demanderesse le 29 décembre 2021 et l’a rejetée le 2 février 2022, car, même si elle a estimé que les allégations de la demanderesse étaient crédibles, elle a également conclu que la demanderesse disposait de PRI dans les villes de Bengaluru et de Kolkata.

[9] La SAR a confirmé la décision le 8 juillet 2022.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] La SAR était du même avis que la SPR quant à la crédibilité des allégations de la demanderesse [para 24]. Toutefois, la SAR a conclu, à la suite de son examen indépendant et de son analyse du dossier, que la SPR avait correctement déterminé qu’elle disposait de PRI en Inde.

[11] La SAR a décrit et appliqué le critère à deux volets pour déterminer l’existence de PRI viables. Elle a conclu ce qui suit : 1) la demanderesse n’a pas établi avec assez d’éléments de preuve crédibles qu’elle serait exposée à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque de préjudice aux endroits proposés comme PRI; 2) il serait objectivement raisonnable pour elle, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles lui étant propres, d’aller s’y installer.

[12] En ce qui concerne le premier volet du critère, la SAR a estimé que la SPR avait correctement conclu que la police du Pendjab et la personne qu’elle craint n’avaient ni les moyens ni la volonté de la pourchasser jusqu’à l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI. La demanderesse a soutenu que la personne qu’elle craint a une certaine influence au sein de la police ou qu’elle lui a versé un pot-de-vin.

[13] La demanderesse a fait valoir que le risque de persécution et de préjudice existe pour elle partout en Inde, car ses agresseurs et la police peuvent la retrouver aux endroits proposés comme PRI grâce aux bases de données de la police.

[14] La SAR a fait la synthèse de la preuve relative aux conditions dans le pays concernant les services de police en Inde et conclu qu’il existe une communication policière interétatique, mais qu’elle est, en pratique, limitée aux affaires concernant les crimes majeurs ou la criminalité organisée. Comme la demanderesse n’a pas été arrêtée ou accusée d’une quelconque infraction, et en l’absence de preuve que son nom a été enregistré dans un système de police, la SAR conclut que les agents de persécution n’ont pas les moyens de la suivre d’un État à l’autre.

[15] La SAR s’est ensuite penchée sur les arguments de la demanderesse selon lesquels elle pourrait être suivie au moyen de la carte Aadhaar ou du système de vérification des locataires. Elle a examiné de nouveau la preuve relative aux conditions dans le pays pour conclure que la police du Pendjab ou la police des endroits proposés comme PRI n’ont pas accès à ces renseignements. La SAR reconnaît que la vérification des locataires est obligatoire aux endroits proposés comme PRI, mais elle conclut que cette procédure ne conduira pas la police des endroits proposés comme PRI à communiquer des renseignements à la police du Pendjab.

[16] Enfin, la SAR a évalué le risque que la demanderesse soit retrouvée en raison de menaces proférées contre sa famille pour qu’elle fournisse l’adresse de la demanderesse. Elle a estimé que la preuve ne permettait pas d’établir que la famille de la demanderesse avait fait l’objet de pressions ou de menaces pour l’amener à révéler le lieu où elle vivait, et que ce risque n’était donc pas établi.

[17] Ensuite, la SAR a pris en compte la volonté de la police du Pendjab et de son agresseur à la pourchasser jusqu’aux endroits proposés comme PRI. La SAR a reconnu que des affidavits avaient révélé que des inconnus et des agents de police avaient posé des questions sur l’endroit où se trouvait la demanderesse, mais elle a souligné que ces recherches étaient limitées à son village de Jhingran.

[18] En ce qui concerne le second volet du critère, la SAR estime que la SPR a conclu correctement qu’il est objectivement raisonnable pour la demanderesse d’aller s’installer aux endroits proposés comme PRI.

[19] La SAR reconnaît qu’en tant que femme célibataire, la demanderesse sera confrontée à un certain nombre de difficultés en se réinstallant dans les endroits proposés comme PRI.

[20] La SAR conclut que la demanderesse dispose de PRI viables à Bengaluru et à Kolkata, et confirme la décision de la SPR.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[21] La seule question à trancher est celle de la possibilité de refuge intérieur, qui exige l’application de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 16).

V. Analyse

[22] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation des facteurs relatifs à la « volonté » et aux « moyens » dans le cadre de son analyse du premier volet du critère de la PRI, en procédant à une analyse microscopique des éléments de preuve et en appliquant la loi de manière arbitraire. Les observations de la demanderesse portent presque exclusivement sur les conclusions de la SAR concernant les pressions ou les menaces dont les membres de la famille de la demanderesse auraient fait l’objet; les conclusions de la SAR sur quatre autres points principaux ne sont pas contestées.

[23] En ce qui concerne le facteur relatif aux moyens, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que la police n’avait pas les moyens de retrouver la demanderesse, bien qu’elle ait accepté comme crédible l’information selon laquelle sa famille a été approchée par la police pour demander où se trouve la demanderesse. La demanderesse soutient en s’appuyant sur le paragraphe 50 de la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93 que le fait de s’attendre à ce que la demanderesse dissimule l’endroit où elle se trouve à sa famille revient à exiger de la demanderesse qu’elle se tienne cachée, et cette exigence ne peut donc servir de prétexte à écarter le risque au titre du premier volet du critère.

[24] Deuxièmement, en ce qui concerne la volonté, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en déterminant que la police n’avait pas la volonté de retrouver la demanderesse aux endroits proposés comme PRI. Elle soutient que la SAR a accordé trop d’importance au fait que la demanderesse a vécu à Ludhiana pendant deux mois sans être contactée pour déterminer que la police n’avait pas la volonté de la retrouver.

[25] Avec égards, j’estime que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable.

[26] L’affaire Ali sur laquelle la demanderesse a fondé ses observations est différente de la présente affaire. Dans cette affaire, les membres de la famille d’un demandeur d’asile avaient fait l’objet de menaces de mort répétées de la part de personnes armées prétendant être membres d’un groupe terroriste (les talibans pakistanais). Dans l’affaire qui nous concerne, la police et des inconnus auraient cherché à savoir où se trouvait la demanderesse. La conclusion de la juge Martine St-Louis selon laquelle la conclusion tirée dans l’affaire Ali est fondée sur des faits particuliers et ne peut être généralisée à toutes les situations de PRI s’applique donc ici (Kodom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 305 au para 13, voir également Shakil Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 156 au para 12).

[27] Par ailleurs, dans ses motifs, la SAR souligne que la preuve n’est « pas claire » en ce qui concerne les pressions exercées ou les menaces proférées lorsque les inconnus sont venus poser des questions et indique que la demanderesse n’a pas soulevé ces points dans ses observations écrites présentées à la SPR. En outre, comme l’a fait remarquer le défendeur, rien ne permet d’affirmer que des personnes ont posé des questions sur l’endroit où se trouvait la demanderesse à l’extérieur de son village natal, par exemple, à Ludhiana, où elle a vécu pendant deux mois avant de venir au Canada. En somme, les faits sont différents de ceux dans l’affaire Ali et ne permettent pas de conclure que l’agent du préjudice ou la police avait la volonté ou la capacité de retrouver la demanderesse en dehors de son village natal.

[28] Compte tenu de ce qui précède, la demanderesse n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable.

VI. Conclusion

[29] Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et les faits de l’affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7206-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7206-22

 

INTITULÉ :

RAJINDER KAUR AULAKH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 30 août 2023

 

COMPARUTIONS :

Mark Gruszczynski

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sarah Sbeiti

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Westmount (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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