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Date : 20230825


Dossier : IMM-5578-22

Référence : 2023 CF 1152

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SARAH JANE BARRIL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 24 août 2023)

[1] Sarah Jane Barril (la demanderesse) souhaite obtenir un permis d’études pour venir au Canada. Elle a été acceptée dans un programme d’études en gestion des services touristiques au collège Seneca. C’est la deuxième fois qu’elle présente une demande de visa, et sa deuxième demande, tout comme sa première, a été rejetée. Il s’agit aussi de la deuxième fois qu’elle s’adresse à la Cour pour obtenir le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de visa. Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. À la fin de l’audience, après une courte pause, j’ai prononcé le jugement et les motifs, en précisant que les motifs feraient l’objet d’une révision pour des raisons de format et de style.

[2] Je ne décrirai pas de manière exhaustive les antécédents de la demanderesse, son histoire personnelle ou les détails de sa demande précédente. Tout cela est exposé dans la décision de la juge Aylen : Barril c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 400 [Barril I]. En résumé, un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse en se fondant sur le but de sa visite (qui a trait à son programme d’études et à ses aspirations professionnelles), sur ses liens familiaux au Canada (une tante) et aux Philippines (elle est citoyenne de ce pays et son père, sa belle-mère, deux demi-frères et une demi-sœur y résident toujours), et sur des questions relatives à ses capacités financières. Cette décision a été annulée par la juge Aylen de la Cour dans une décision rendue le 23 mars 2022 (Barril I), et l’affaire a été renvoyée pour un nouvel examen.

[3] La demanderesse a présenté de nouveaux documents pour appuyer sa deuxième demande. L’agent a refusé celle-ci en se fondant sur le but de sa visite et les liens familiaux. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle. Les considérations financières n’ont pas été prises en compte dans cette décision, et je n’en traiterai donc pas plus en détail.

[4] Le cadre juridique et politique qui s’applique au contrôle judiciaire des décisions relatives aux permis d’études a été examiné dans de nombreuses décisions récentes de la Cour. J’ai fourni un résumé des principes pertinents aux paragraphes 5 à 9 de la décision Nesarzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CF 568. Je l’applique à la présente affaire, et il n’est pas nécessaire de le répéter dans les présents motifs.

[5] Une autre particularité de la présente affaire est que la décision faisant l’objet du contrôle découlait d’un réexamen de la demande de visa à la suite d’un contrôle judiciaire dans lequel la demanderesse avait eu gain de cause. Dans ces circonstances, l’agent était tenu de suivre les « issues, les conclusions de fait ou l’appréciation de la preuve qui sont énoncées comme des directives dans le jugement » (Garcia Balarezo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 841 au para 42). En d’autres termes, la décision rendue par l’agent dans cette affaire a été jugée déraisonnable parce que ce dernier n’avait pas fait mention de facteurs qui avaient été expressément examinés en tant qu’éléments clés dans la décision précédente. La question est de savoir si l’agent a commis la même erreur en l’espèce, ce qui constituerait un élément supplémentaire du contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[6] Dans la présente affaire, les décisions de l’agent sont fondées sur le but de la visite et sur les liens familiaux. Les deux questions en l’espèce ont été abordées dans la décision précédente rendue par la juge Aylen. Bien que l’agent ait expliqué l’analyse des liens familiaux d’une manière plus approfondie que dans la décision précédente, je conclus encore une fois que l’explication du raisonnement sur le but de la visite est insuffisante. Notamment, l’agent n’a pas tenu compte d’un point explicitement soulevé par la juge Aylen concernant l’explication de la demanderesse quant à sa décision de s’inscrire au programme du collège Seneca.

[7] Parce que je juge déraisonnable le fondement de l’un des deux piliers sur lesquels repose la décision, la décision doit être annulée dans son intégralité, conformément au cadre juridique qui régit le contrôle judiciaire dans ce genre de cas : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100.

[8] En ce qui concerne la question de l’objet, la décision de l’agent s’est concentrée sur deux éléments : l’explication donnée par la demanderesse pour justifier sa décision de chercher un emploi dans l’industrie du tourisme, bien qu’elle ne l’ait pas fait lorsqu’elle a obtenu son baccalauréat (c.-à-d. son parcours professionnel), et la raison pour laquelle elle l’a fait pendant une période de ralentissement de l’industrie attribuable à la pandémie de COVID-19 (c.-à-d. son choix du moment).

[9] L’agent mentionne que la demanderesse est titulaire d’un baccalauréat en tourisme obtenu dans une université des Philippines, mais qu’elle n’a pas poursuivi une carrière dans ce domaine lorsqu’elle a obtenu son diplôme. L’agent mentionne également que la demanderesse a indiqué dans sa déclaration d’intention que le programme offert au collège Seneca est différent de son ancien programme, parce qu’il accorde davantage d’attention à l’aspect commercial de l’industrie du tourisme, ce qui est différent de son ancien programme. Le passage clé des motifs de l’agent sur ce point est le suivant : [TRADUCTION] « Il n’est pas clair [] pourquoi la demanderesse cherche, à ce moment-ci, à renforcer ses compétences dans un secteur qui, elle le reconnaît, a beaucoup souffert de la pandémie de COVID-19 et dans lequel elle n’a pas cherché à se lancer auparavant, et ce, même si elle possède déjà un diplôme reconnu dans ce domaine ». Ces passages montrent le degré de chevauchement entre ces deux éléments de l’analyse de l’agent, à savoir le parcours professionnel et le moment du retour aux études de la demanderesse.

[10] Ce raisonnement pose deux problèmes majeurs : tout d’abord, il est incomplet; deuxièmement, il ne tient pas compte d’une caractéristique clé du programme du collège Seneca qui a été expressément mentionnée par la demanderesse dans ses deux lettres, et dont l’omission a également été relevé comme une faille importante dans la décision antérieure par la juge Aylen.

[11] Dans sa demande, la demanderesse a souligné les différences entre le programme du collège Seneca et celui menant au diplôme qu’elle avait obtenu dans le cadre de ses études antérieures. Elle a notamment déclaré que le programme de certificat du collège Seneca était davantage axé sur l’aspect commercial de l’industrie (comme l’a fait remarquer l’agent) et qu’il lui permettrait de se familiariser avec des domaines qui lui sont complètement nouveaux comme celui des navires de croisière. Deuxièmement, et c’est tout aussi important, elle a souligné l’alternance études-travail obligatoire qui est intégrée au programme du collège Seneca, et le fait que ceux-ci lui permettraient d’acquérir l’expérience pratique de travail dans l’industrie qui lui manquait. Elle a souligné l’importance de l’élément d’alternance travail-études dans ses deux lettres expliquant pourquoi elle avait choisi ce programme.

[12] La juge Aylen a annulé la décision précédente, en partie parce que l’agent n’avait pas tenu compte de ces différences, en particulier en ce qui concerne l’importance du programme d’alternance travail-études (voir Barril I, au para 26). Je juge inadéquate la description qu’a faite l’agent dans la décision à l’examen du motif invoqué par la demanderesse pour poursuivre ses études dans le domaine du tourisme.

[13] L’agent déclare qu’il n’était [traduction] « pas clair » pourquoi la demanderesse voulait entreprendre cette démarche à un moment où le secteur du tourisme avait [traduction] « beaucoup souffert » en raison de la COVID-19. Toutefois, l’agent ne mentionne pas clairement la raison bien précise pour laquelle la demanderesse a agi exactement de la sorte — à savoir qu’elle utiliserait cette période pour améliorer ses qualifications professionnelles afin d’être mieux préparée à lancer sa carrière dans le tourisme au moment même où l’industrie se relèverait de la pandémie. Il était loisible à l’agent d’expliquer pourquoi il ne trouvait pas l’explication de la demanderesse convaincante. Il ne pouvait toutefois pas omettre d’en tenir compte.

[14] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. Bien qu’il puisse y avoir des réserves valables qui ressortent de l’analyse que l’agent a effectuée au sujet des liens familiaux, il n’est pas nécessaire d’en discuter, parce que les lacunes de l’analyse concernant le but de la visite rendent la décision déraisonnable.

[15] La décision de l’agent sera annulée et renvoyée pour réexamen, avec pour instruction précise que le prochain agent prenne en compte les présents motifs, ainsi que la décision rendue par la juge Aylen dans l’affaire Barril I.

[16] Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5578-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent des visas, avec pour instruction précise que l’agent prenne en compte les présents motifs, ainsi que la décision rendue par la juge Aylen dans l’affaire Barril I.

  3. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5578-22

INTITULÉ :

SARAH JANE BARRIL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

ST. JOHN’S (TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR)

(par VIDÉOCONFÉRENCE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 août 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 25 août 2023

COMPARUTIONS :

Jack C. Martin

POUR LA DEMANDERESSE

Allison Grandish

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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