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Date : 20230818


Dossier : IMM-4119-22

Référence : 2023 CF 1118

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Calgary (Alberta), le 18 août 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

VALERIE SAGIBO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Mme Sagibo demande le contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, de la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté sa demande de permis d’études. J’ai fait droit à la demande de contrôle judiciaire à l’audience pour les motifs suivants.

[2] Mme Sagibo, ressortissante philippine âgée de 28 ans, a fait une demande d’inscription au Southern Alberta Institute of Technology [SAIT], où elle a été acceptée dans un programme de deux ans menant vers un diplôme en administration des affaires.

[3] L’agent a rejeté la demande de permis de travail de Mme Sagibo parce qu’il n’était pas convaincu (i) qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour et (ii) qu’elle fût une étudiante véritable [la décision contestée]. L’agent a justifié la conclusion (ii) de la décision contestée par le fait que le contenu des cours et le niveau des études proposées semblaient chevaucher les études que Mme Sagibo avait déjà suivies ou y être inférieurs. L’agent a jugé que, par conséquent, la demanderesse n’avait pas démontré de façon adéquate que le programme du SAIT auquel la demanderesse voulait s’inscrire constituait une progression logique de ses études. L’agent a également souligné qu’il n’était pas manifeste que les études seraient utiles et qu’elles [TRADUCTION] « l’emporteraient » sur le diplôme en commerce qu’elle avait obtenu aux Philippines ainsi que sur son expérience de travail antérieure.

[4] Mme Sagibo fait valoir que la décision contestée est déraisonnable, parce que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve et qu’il a fourni une justification non étayée lorsqu’il a conclu que les études proposées ne « l’emporteraient» pas sur sa formation et son expérience professionnelle. La demanderesse fait valoir son plan d’études détaillé, qui explique les avantages que présentent ses études et la manière dont elles lui permettront d’atteindre son objectif, qui consiste à devenir directrice des opérations.

[5] Mme Sagibo s’appuie sur la récente décision rendue dans l’affaire Monteza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 530 [Monteza], pour faire valoir qu’il était inapproprié pour l’agent d’agir comme un « conseiller en orientation professionnelle » dans la mesure où il a insisté sur le fait que le plan d’études qu’elle proposait ne mènerait probablement pas à de l’avancement (Monteza, aux para 19-20).

[6] Le ministre établit une distinction entre la présente affaire et l’affaire Monteza fondée sur le fait que l’agent des visas a tiré des conclusions déraisonnables sur le parcours professionnel et les perspectives d’emploi de Mme Monteza, ce que, selon le ministre, l’agent n’a pas fait dans la présente affaire.

II. Analyse

[7] Je ne suis pas convaincu par la thèse du ministre. Contrairement aux conclusions tirées aux paragraphes 17 et 20 de la décision Monteza, l’agent a formulé des conclusions explicites sur le choix de carrière de Mme Sagibo, car il n’était [TRADUCTION] « pas en mesure de tracer un plan de carrière clair pour la demanderesse après qu’elle eut terminé un tel programme scolaire ni d’établir comment ce programme pourrait lui être utile étant donné qu’elle a déjà réussi à combiner études et travail », malgré un plan d’études qui était tout sauf [TRADUCTION] « vague et général ».

[8] Quant à l’affaire Balepo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1104, sur laquelle s’appuie le ministre, elle est clairement distincte de l’affaire en l’espèce : M. Balepo avait eu amplement l’occasion de justifier son projet d’études lors de son entrevue au bureau des visas. En l’espèce, Mme Sagibo n’a jamais eu cette possibilité (ce qui ne veut pas dire que les entrevues sont obligatoires pour les demandeurs de permis d’études). De plus, l’agent n’a pas tenu compte des explications écrites de Mme Sagibo à savoir comment des études au SAIT constitueront un complément à son expérience et à ses connaissances. Parmi les autres différences notables, citons l’âge déjà plus avancé de M. Balepo, la longue interruption de ses études, le fait qu’il semblait avoir changé de carrière, les problèmes de crédibilité liés à son témoignage devant l’agent des visas, ses liens familiaux au Canada et les faibles liens qu’il entretenait avec son pays d’origine.

[9] En revanche, l’agent en l’espèce n’a signalé aucun des problèmes qui se posaient dans l’affaire Balepo, et je suis d’avis qu’ils ne sont pas présents. Mme Sagibo était encore jeune et, en plus de ne pas avoir de liens familiaux au Canada, son mari et son fils philippins n’étaient pas inclus dans sa demande de permis d’études.

[10] En fin de compte, l’agent n’a pas tenu compte des deux principales assertions du plan d’études de Mme Sagibo, à savoir (i) que ses enseignants aux Philippines ne possédaient pas d’expérience professionnelle dans le domaine des affaires, et (ii) que l’expérience et les diplômes acquis à l’étranger sont valorisés par les entreprises philippines pour les directeurs ou directrices des opérations, un poste auquel elle aspire, elle qui est actuellement adjointe administrative.

[11] À la lumière de l’explication détaillée qu’a donnée Mme Sagibo dans sa lettre de motivation, selon laquelle les études proposées au SAIT seraient complémentaires à son diplôme et à son expérience professionnelle, tout en favorisant l’atteinte de son objectif de devenir directrice des opérations, les conclusions de l’agent étaient injustifiées et n’étaient pas étayées par la jurisprudence pertinente.

[12] En fait, comme il a été jugé dans la décision Penez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1001 [Penez] au para 20, « c’est la situation contraire (p. ex., un demandeur ayant l’intention d’étudier dans un domaine complètement déconnecté de ses antécédents et de son expérience) qui habituellement incite les agents des visas à remettre en question l’intention véritable qui sous-tend une demande de permis d’études ». Dans cette affaire, comme en l’espèce, l’agent des visas avait rejeté la demande de permis d’études de Mme Penez au motif qu’elle souhaitait venir au Canada pour obtenir un diplôme dans un domaine qu’elle connaissait déjà, ce que la Cour a jugé déraisonnable (Penez, au para 21).

[13] Au cours de l’audience, le ministre a particulièrement insisté sur la question du chevauchement des cours que Mme Sagibo avait déjà suivis et de ceux du programme menant au diplôme qu’elle souhaite obtenir au SAIT, bien que l’agent n’ait fourni que peu ou pas d’analyse sur cette question.

[14] Quoi qu’il en soit, si l’on procède à une comparaison approfondie des deux programmes, il est clair que le SAIT offre des cours distincts avec une possibilité de spécialisation au moyen d’une majeure au cours de la deuxième année du programme. Cela n’a rien à voir avec la nature générale du diplôme en administration des affaires qu’elle a obtenu aux Philippines, au sujet duquel la preuve fournie par World Education Services montre qu’il équivaut à un baccalauréat de trois ans. Là encore, l’agent n’a fait aucun commentaire sur l’évaluation des diplômes relativement au programme du SAIT.

I. Conclusion

[15] La décision de l’agent ne peut être conciliée avec la preuve présentée par Mme Sagibo et elle est par conséquent déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4119-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4119-22

 

INTITULÉ :

VALERIE SAGIBO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 août 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 août 2023

 

COMPARUTIONS :

Lucinda Wong

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Duncan McManus

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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