Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230605


Dossier : IMM-6609-23

Référence : 2023 CF 784

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

GURMUKH SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Gurmukh Singh, a déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada qui a été prise contre lui et qui doit être exécutée le 6 juin 2023.

[2] Le demandeur implore la Cour de surseoir à son renvoi en Inde jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à une demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution de la loi (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a rejeté sa demande de report du renvoi.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête sera rejetée. Le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi.

II. Les faits et les décisions sous-jacentes

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Inde âgé de 44 ans. Son épouse et ses enfants demeurent en Inde.

[5] Le demandeur est arrivé au Canada en 2014. Il a présenté une demande d’asile en novembre 2017. En mars 2021, il a également présenté une demande de résidence permanente en vertu de la politique temporaire d’intérêt public pour les demandeurs d’asile qui travaillaient dans le secteur de la santé durant la pandémie de COVID‑19. En septembre 2021, sur demande d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, il a retiré sa demande d’asile en instance afin de poursuivre le processus de demande de résidence permanente.

[6] La demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée dans une lettre datée du 3 mai 2022, au motif qu’il ne satisfaisait pas aux critères d’admissibilité prévus dans la politique temporaire d’intérêt public. Le demandeur a également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), mais il a reçu une décision défavorable le 6 avril 2023.

[7] La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée à l’encontre du rejet de sa demande de résidence permanente a été rejetée par la Cour, alors que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision défavorable relative à l’ERAR est toujours en instance.

[8] Le 21 avril 2023, l’ASFC a envoyé au demandeur un ordre de se présenter en vue de son renvoi du Canada. Le demandeur a demandé le report de son renvoi le 27 avril 2023. L’agent a refusé la demande de report dans une décision datée du 25 mai 2023.

III. Analyse

[9] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) (Toth); Manitoba (P.G.) c Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores Ltd.); RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 11 (RJR-MacDonald); R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.

[10] Le critère énoncé dans l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir : i) que la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente soulève une question sérieuse; ii) qu’un préjudice irréparable sera causé s’il est renvoyé; iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. L’existence d’une question sérieuse

[11] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour juger si le premier volet du critère a été respecté, il faut procéder à « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR‑MacDonald, à la p 314). La Cour doit également garder à l’esprit que le pouvoir discrétionnaire de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi prise contre une personne est limité. La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67) (Baron). Selon l’arrêt Baron, le refus de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi impose au demandeur une norme plus élevée quant au premier volet du critère établi dans l’arrêt Toth, qui est d’établir l’existence d’une question sérieuse à trancher.

[12] Le demandeur soutient que la demande sous-jacente soulève des questions sérieuses quant au caractère raisonnable du rejet par l’ASFC de sa demande de report. Il fait valoir que l’agent s’est fondamentalement mépris sur les faits et sur la preuve, comme en témoigne la déclaration de ce dernier selon laquelle le demandeur aurait pu présenter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire alors que, selon lui, ce n’était pas le cas.

[13] Le défendeur affirme qu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher, parce que l’agent a raisonnablement évalué la demande de report du demandeur et tenu compte des faits et de la preuve. Il ajoute que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire dont l’agent a fait mention renvoie clairement à la demande de résidence permanente présentée en vertu de la politique temporaire d’intérêt public. Il soutient en outre que, mis à part cette erreur d’appellation, le demandeur ne soulève aucune question sérieuse concernant le contenu de la décision de l’agent.

[14] Après avoir examiné les documents de requête des parties et la décision sous‑jacente, je conviens qu’il existe une question sérieuse à trancher. La demande sous-jacente de contrôle judiciaire soulève des questions suffisamment sérieuses concernant l’évaluation que l’agent a faite de la situation du demandeur pour satisfaire au premier volet du critère établi dans l’arrêt Toth.

B. L’existence d’un préjudice irréparable

[15] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Le terme « irréparable » n’a pas trait à l’étendue du préjudice; le préjudice irréparable désigne plutôt un préjudice auquel il ne peut être remédié ou qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire (RJR‑MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746 (CF 1e inst.); Horii c Canada (C.A.), [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[16] Le demandeur soutient qu’il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé en Inde. Il fait valoir qu’on lui refusera la possibilité de présenter des arguments dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes. En outre, il affirme que la douleur qu’entraîne le fait d’être séparé de sa famille et de ses amis et de perdre son emploi n’est pas quantifiable et constitue un préjudice irréparable. Il ajoute également qu’il est exposé à un risque et à une menace à sa vie en tant que militant en faveur du Khalistan en Inde.

[17] Le défendeur soutient que le demandeur ne satisfait pas à ce volet du critère relatif à l’octroi d’un sursis au renvoi. Il fait valoir que pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, le demandeur doit prouver que son renvoi entraînera des conséquences autres que les conséquences inhérentes à l’expulsion, comme la séparation de la famille (Melo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 403 (QL) au para 21). Le défendeur affirme aussi que les allégations du demandeur selon lesquelles il est exposé à un risque en raison de son statut d’activiste en faveur du Khalistan ont déjà été évaluées par un agent d’ERAR, qui a jugé qu’elles n’étaient pas fondées. Il avance donc que ces allégations ne peuvent servir de fondement pour établir l’existence d’un préjudice irréparable dans une requête en sursis et que le demandeur n’a pas soulevé d’allégation concernant le risque continu auquel il serait exposé à son retour en Inde.

[18] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y a pas de préjudice irréparable en l’espèce. Le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les conséquences normales de son renvoi – comme le fait d’être séparé de sa famille et de perdre son emploi – constituent un préjudice irréparable en l’espèce. L’allégation du demandeur selon laquelle il risque d’être persécuté en Inde parce qu’il milite en faveur du Khalistan est la même allégation que celle qui était au cœur de sa demande d’ERAR et que l’agent d’ERAR a jugé non fondée. Les allégations de risque qui ont déjà été évaluées par un juge des faits compétent ne peuvent servir de fondement pour établir l’existence d’un préjudice irréparable dans une requête en sursis (Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 593 au para 56). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur n’a pas démontré qu’il est toujours exposé au même risque que celui qu’il avait allégué la première fois qu’il avait quitté l’Inde en 2014.

C. La prépondérance des inconvénients

[19] Le troisième volet du critère nécessite l’appréciation de la prépondérance des inconvénients — qui consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR‑MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt du public à maintenir la bonne administration du système d’immigration.

[20] Le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Il fait valoir que le risque de préjudice auquel il serait exposé à son retour en Inde l’emporte sur l’inconvénient que représente pour le défendeur l’incapacité d’exécuter la mesure de renvoi.

[21] L’insuffisance de la preuve de l’existence d’un préjudice irréparable est déterminante quant à l’issue de la présente requête. Néanmoins, la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur. Aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, les mesures de renvoi doivent être exécutées dès que possible. Comme la preuve est insuffisante pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients favorise l’exécution de la mesure de renvoi rapidement par le ministre.

[22] En définitive, le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La requête sera donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-6609-23

LA COUR ORDONNE QUE la requête en sursis de la mesure de renvoi visant le demandeur est rejetée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6609-23

 

INTITULÉ :

GURMUKH SINGH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 juin 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Amit Vinayak

 

Pour le demandeur

 

Neeta Logsetty

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amit Vinayak Law Office

Avocat

Brampton (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.