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Date : 20230524


Dossier : IMM-9568-22

Référence : 2023 CF 720

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2023

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SOFIANE SAGHIRI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Fait inhabituel, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 31 août 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a accueilli son appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] et renvoyé l’affaire à la SPR. Il demande l’annulation de la décision de la SAR et le renvoi de l’affaire à la SAR pour un nouvel examen de l’appel. Le défendeur demande pour sa part le maintien de la décision de la SAR et donc le renvoi de l’affaire à la SPR en vue d’un nouvel examen. Le point en litige est la conclusion de la SAR selon laquelle la SPR a commis une erreur en ne se demandant pas d’abord si le demandeur devait se voir refuser le statut de réfugié au sens de la Convention pour criminalité.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II. Faits

  1. Contexte factuel

[3] Le demandeur est un citoyen de l’Algérie. Il est venu au Canada pour la première fois en 2016 au moyen d’un visa de visiteur afin d’aider sa sœur à Montréal et de témoigner dans le cadre d’un procès. Il a ensuite déménagé en Colombie-Britannique et a présenté une demande d’asile en 2020.

[4] Le demandeur affirme craindre d’être tué ou gravement blessé en Algérie par d’anciens membres du Front Islamique du Salut [le FIS] et un gang criminel qui y est associé.

[5] Alors qu’il vivait en Italie au début des années 2000, le demandeur a été arrêté en même temps que des membres du gang associé au FIS relativement à une cargaison de 60 kg de haschisch. Il affirme que les membres du gang ont exercé des pressions sur lui en prison pour qu’il assume la responsabilité de la cargaison, mais qu’il a refusé et a fini par être libéré et que les accusations portées contre lui ont ensuite été abandonnées en 2003.

[6] Le demandeur affirme qu’à son retour en Algérie, sa famille et lui ont subi des pressions de la part de membres du gang pour qu’ils leur versent jusqu’à 15 000 euros pour la perte de la cargaison de haschisch. Il ajoute avoir été poignardé à plusieurs reprises par des membres du gang.

[7] Le demandeur a également été arrêté et déclaré coupable deux fois en Algérie pour des infractions liées à la drogue.

[8] Avant que la demande d’asile ne soit instruite par la SPR, le 28 janvier 2022, le ministre a avisé la SPR de son intention d’intervenir pour des motifs liés à la crédibilité et à l’exclusion du demandeur de la protection offerte aux réfugiés au titre de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR] parce qu’il est visé à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Cependant, quatre mois plus tard – quelques jours seulement avant l’audience et la décision de la SPR –, le ministre a avisé la SPR qu’il retirait son intervention. Aucune raison n’a été donnée.

  1. Décision de la Section de la protection des réfugiés

[9] Dans une décision rendue de vive voix au terme d’une audience tenue virtuellement le 3 mai 2022, la SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu dans la Convention au titre de l’article 96 de la LIPR, ou encore d’établir qu’il serait personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités au titre de l’article 97 de la LIPR. Le tribunal a relevé deux questions en litige principales dans le cadre de la demande d’asile : la crédibilité et la protection de l’État.

[10] Durant l’audience, la SPR a posé quelques questions au demandeur au sujet de ses antécédents criminels et a pris note du fait qu’il avait un casier judiciaire en Algérie. La transcription des motifs de vive voix du commissaire ne mentionne pas une possible exclusion du demandeur pour criminalité en application de la Convention.

[11] La SPR a relevé des divergences entre l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] du demandeur et son témoignage, et elle a conclu que les explications du demandeur concernant ces divergences ou ces incohérences n’étaient pas raisonnables. De plus, elle a estimé que l’affirmation du demandeur selon laquelle il craint le FIS minait sa crédibilité parce que l’organisation n’existait plus. Elle a aussi conclu que les raisons pour lesquelles le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve corroborants étaient insuffisantes, ce qui minait également sa crédibilité.

[12] En outre, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et qu’il n’avait pas fourni de preuve claire et convaincante que, selon la prépondérance des probabilités, la police ne pourrait pas l’aider. Par conséquent, elle a conclu que le demandeur bénéficierait d’une protection adéquate de l’État s’il devait retourner en Algérie, et ce, malgré ses antécédents criminels.

[13] Vu l’absence d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, et comme le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, la SPR a rejeté la demande d’asile au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

  1. Décision faisant l’objet du contrôle

[14] Dans une décision datée du 31 août 2022, la SAR a accueilli l’appel interjeté par le demandeur contre la décision de la SPR pour un motif que le demandeur n’avait pas soulevé. Elle a conclu que la SPR avait commis une erreur en omettant d’effectuer une analyse au titre de l’article 98 de la LIPR pour établir si le demandeur était une personne visée à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Elle a également conclu que la SPR n’avait pas démontré dans ses motifs qu’elle avait tenu compte des antécédents criminels du demandeur en Italie et en Algérie pour établir « s’il existe des raisons sérieuses de penser que ce dernier a commis un crime grave de droit commun dans l’un ou l’autre pays au sens de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ».

[15] La SAR a ensuite conclu qu’elle ne pouvait pas remédier à cette erreur parce que le dossier ne contenait pas suffisamment d’éléments de preuve pour lui permettre d’effectuer une analyse relative à l’exclusion, étant donné que la SPR n’avait pas suffisamment interrogé le demandeur au sujet de ses antécédents criminels. Par conséquent, la SAR a jugé qu’elle ne pouvait pas procéder à un examen de la décision de la SPR concernant l’inclusion (la crédibilité et la protection de l’État) sans une telle analyse.

[16] La SAR a conclu que la SPR avait l’obligation d’établir si l’article 98 s’applique au demandeur d’asile, et ce, que le ministre intervienne ou non dans le cadre de la demande d’asile. Elle a également conclu que la SPR devait s’acquitter de cette obligation avant de procéder à une analyse de l’inclusion.

[17] Pour en arriver aux conclusions qui précèdent, la SAR s’est appuyée sur les décisions Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40 aux para 32-36; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Badriyah , 2016 CF 1002 [Badriyah] aux para 22-34 et Ospina Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 273 au para 15.

[18] La SAR a renvoyé l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvelle décision.

III. Question en litige et norme de contrôle

[19] Selon les parties – et je suis d’accord –, la seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR était inéquitable pour le demandeur sur le plan procédural, car ce dernier n’a pas reçu d’avis et n’a pas eu l’occasion de présenter des observations sur l’application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

[20] La norme applicable aux questions d’équité procédurale consiste à établir si la procédure était équitable « eu égard à l’ensemble des circonstances, [...] en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne » : Chemin de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46‑47. Cette norme ne commande aucune déférence à l’égard du décideur. Voir aussi Khaleel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1385 au para 17.

IV. Cadre législatif

[21] L’article 111 de la LIPR décrit les décisions que la SAR peut rendre ainsi :

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

 

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

 

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

 

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

 

(BLANK)

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

[22] Les articles 24 et 26 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, prévoient ce qui suit :

24 (1) Avant d’utiliser des renseignements ou des opinions qui sont du ressort de sa spécialisation, la Section en avise les parties et leur donne la possibilité de faire ce qui suit

24 (1) Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the parties and give them an opportunity to,

a) présenter des observations écrites sur la fiabilité et l’utilisation du renseignement ou de l’opinion et transmettre des éléments de preuve par écrit à l’appui de leurs observations, si aucune date d’audience n’a été fixée;

(a) if a date for a hearing has not been fixed, make written representations on the reliability and use of the information or opinion and provide written evidence in support of their representations; and

b) présenter des observations oralement ou par écrit sur la fiabilité et l’utilisation du renseignement ou de l’opinion et transmettre des éléments de preuve à l’appui de leurs observations, si une date d’audience a été fixée.

(b) if a date for a hearing has been fixed, make oral or written representations on the reliability and use of the information or opinion and provide evidence in support of their representations.

(2) Toute partie transmet ses observations écrites et ses éléments de preuve par écrit à toute autre partie, puis à la Section.

(2) A party must provide its written representations and evidence first to any other party and then to the Division.

(3) Les observations écrites et les éléments de preuve transmis à la Section sont accompagnés d’une preuve de la transmission à toute autre partie.

(3) The written representations and evidence provided to the Division must be accompanied by proof that they were provided to any other party.

[…]

[…]

26 (1) La Section peut exiger que les parties participent à une conférence pour discuter de points litigieux, de faits pertinents ou de toute autre question afin que l’appel soit plus équitable et efficace.

26 (1) The Division may require the parties to participate at a conference to discuss issues, relevant facts and any other matter in order to make the appeal fairer and more efficient.

(2) La Section peut exiger que les parties, avant ou pendant la conférence, lui communiquent tout renseignement ou lui transmettent tout document.

(2) La Section peut exiger que les parties, avant ou pendant la conférence, lui communiquent tout renseignement ou lui transmettent tout document.

(3) La Section note dans un procès-verbal toutes les décisions prises et les accords conclus à la conférence.

(3) The Division must make a written record of any decisions and agreements made at the conference.

[23] L’article 98 de la LIPR énonce ce qui suit :

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[24] L’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés est libellé ainsi :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

[…]

[…]

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

V. Analyse

  1. Observations du demandeur

[25] Le demandeur soutient que la SAR a fait totalement abstraction de ses observations et qu’elle a décidé unilatéralement de rejeter les conclusions et la décision de la SPR. Il ajoute qu’elle ne lui a jamais donné la possibilité de répondre à ses réserves concernant l’alinéa Fb) de l’article premier, d’autant plus que cette question n’a jamais été soulevée devant la SPR. Aucune des parties n’a soulevé cette question en appel non plus.

[26] Le demandeur fait valoir que, comme la SAR était la première à examiner la question et qu’elle a jugé qu’elle était cruciale pour la demande d’asile, elle aurait dû tenir une conférence préparatoire en vertu de l’article 26 des Règles de la SAR pour en discuter et donner au demandeur la possibilité d’aborder la question. De même, il affirme que, conformément à l’article 24 des Règles de la SAR, cette dernière était tenue de l’aviser du fait qu’elle soulevait une nouvelle question.

[27] Le demandeur soutient que la SAR a l’obligation de permettre aux parties de répondre à de nouvelles questions cruciales qui n’ont pas été soulevées par la SPR : Fu c Canada, 2017 CF 1074 au para 14. Il fait également valoir que l’obligation d’équité procédurale exige que la SAR donne à l’appelant la possibilité de présenter des observations sur des questions que ce dernier n’a pas soulevées et qui n’ont pas non plus été soulevées par la SPR : Ehondor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1253 [Ehondor] au para 13. Par conséquent, il affirme que la SAR a unilatéralement soulevé une question importante dans son dossier et rendu une décision à cet égard sans lui en donner avis ni lui permettre de répondre, ce qui constitue un manquement grave aux principes d’équité procédurale.

[28] Le demandeur soutient que la question de l’alinéa Fb) de l’article premier entraîne des conséquences graves pour lui, parce qu’elle peut l’empêcher de présenter une demande d’asile et qu’elle restreint sa capacité de demander l’asile au Canada.

[29] Le demandeur fait également valoir que la SAR a enfreint le paragraphe 111(2) de la LIPR, qui lui permet seulement de renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen si la décision de la SPR est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait. En outre, la SAR ne peut pas rendre une décision sans entendre la preuve qui a été présentée à la SPR : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica] au para 103; Ogbonna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 180 au para 29; Liao c Canada, 2017 CF 1163 aux para 31-32.

  1. Observations du défendeur

[30] Le défendeur soutient qu’il était juste et raisonnable pour la SAR de renvoyer l’affaire à la SPR, car elle a accordé au demandeur l’un des recours qu’il a demandés dans le cadre de son appel. Comme la preuve établissait que le demandeur avait des antécédents criminels, cela soulevait la possibilité qu’il soit visé par l’alinéa Fb) de l’article premier. La SAR s’est demandé si elle pouvait effectuer sa propre analyse, mais elle a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour le faire et qu’elle ne pouvait donc pas examiner la question de l’inclusion.

[31] Le défendeur mentionne que le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SAR selon laquelle il fallait examiner l’application de l’alinéa Fb) de l’article premier avant de pouvoir rendre une décision quant à l’octroi de l’asile. Il soutient que, compte tenu de ce qui précède, et vu que la SAR ne disposait pas d’une preuve suffisante pour rendre une telle décision, il était raisonnable et juste pour elle de renvoyer l’affaire à la SPR.

[32] Selon le défendeur, le demandeur n’a aucune raison de se plaindre, parce que la décision de la SAR ne l’a pas privé de la possibilité de présenter des observations sur la question de savoir s’il doit se voir refuser l’asile en application de l’alinéa Fb) de l’article premier et parce que la SAR n’a pas tranché cette question. Elle a simplement accordé l’une des ordonnances que le demandeur avait demandées et a renvoyé l’affaire à la SPR pour que celle-ci examine la possibilité que celui-ci soit visé par l’alinéa Fb) de l’article premier. Le défendeur soutient que le demandeur aura l’occasion de présenter des observations sur cette question à la SPR.

  1. Analyse

[33] Comme l’a déclaré la juge Roussel au paragraphe 26 de la décision Badriyah, la SPR est tenue de décider si l’article 98 de la LIPR s’applique à un demandeur d’asile que le ministre choisisse ou non d’intervenir. Lorsque la SPR a été avisée du fait que l’exclusion était possiblement une question à trancher, elle aurait dû, dans la présente affaire, poser des questions plus approfondies au demandeur pour évaluer adéquatement s’il devait se voir refuser l’asile en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. En l’espèce, le défaut de la SPR de le faire était une erreur que la SAR avait le droit de prendre en considération dans l’exercice de sa compétence de procéder à une évaluation indépendante de la preuve : Huruglica, au para 103.

[34] La preuve relative aux antécédents criminels du demandeur en l’espèce comprenait le témoignage du demandeur devant la SPR, les déclarations figurant dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA concernant son emprisonnement en Italie relativement à une infraction de possession de cannabis à des fins de distribution et les dossiers judiciaires algériens qu’il avait lui-même fournis et qui indiquaient qu’il avait été déclaré coupable d’infractions liées à la drogue. Comme l’a mentionné la SAR, la plus grave des accusations portées contre le demandeur semblait correspondre à une infraction qui, au Canada, serait punissable d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

[35] Les parties s’entendent sur le fait qu’il aurait été raisonnable pour la SPR de procéder à une évaluation afin d’établir si, en tant que demandeur d’asile, le demandeur devait se voir refuser l’asile au titre de l’article 98 de la LIPR. Comme la SPR n’a pas procédé à une telle évaluation, était-il alors loisible à la SAR de conclure qu’il s’agissait d’une erreur déterminante dans la décision de la SPR, sans en aviser le demandeur et sans lui donner l’occasion d’être entendu sur cette question?

[36] À la lumière de ce qui s’est passé devant la SPR, y compris la décision du ministre de retirer son avis d’intention d’intervenir, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que de telles circonstances exigeaient qu’il reçoive un avis et qu’on lui donne la possibilité de présenter des observations sur la question soulevée avant que la SAR tire des conclusions concernant l’exclusion. À mon avis, le défaut de le faire équivaut à un manquement à l’équité procédurale.

[37] L’article 24 des Règles de la SAR prévoit qu’avant d’utiliser des renseignements ou des opinions qui sont du ressort de sa spécialisation, la SAR doit donner aux parties la possibilité de présenter des observations écrites. La question de savoir si la SPR a commis une erreur en omettant d’effectuer une analyse au titre de l’article 98 de la LIPR pour établir si le demandeur est visé à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés relève de la connaissance spécialisée que possède la SAR du droit applicable aux demandes d’asile.

[38] De même, il est établi que l’obligation d’équité procédurale exige que la SAR donne à l’appelant la possibilité de présenter des observations au moment d’examiner une question que ce dernier n’a pas soulevée et qui n’a pas non plus été soulevée par la SPR : Ehondor, au para 13. Lorsqu’aucune des parties ne soulève de question ou lorsque la SPR ne se prononce pas sur une question, il n’est pas loisible à la SAR de soulever une question et de rendre une décision au sujet de celle-ci, car cela soulève un nouveau motif d’appel non identifié ou prévu par les parties, lequel est susceptible de violer l’obligation d’équité procédurale en privant la partie concernée de la possibilité de répondre : Tan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 876 au para 40.

[39] La Cour suprême a déclaré qu’une conclusion selon laquelle il y a eu un manquement à l’équité procédurale rend la décision invalide (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 au para 23). Cela a par la suite été interprété comme voulant dire qu’il fallait une violation d’un élément essentiel de l’obligation d’équité procédurale, comme un refus de tenir une audience (Uniboard Surfaces Inc. c Kronotex Fussboden GmbH, 2006 CAF 398 au para 13). Dans les circonstances particulières de l’espèce, j’estime que le fait d’aviser le demandeur que la question de l’exclusion était soulevée était une exigence essentielle de l’obligation d’équité de la SAR dans le cadre de l’appel.

[40] La Cour a le pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de contrôle judiciaire malgré une violation du principe de l’équité procédurale, lorsque, si le contrôle judiciaire était accueilli, le résultat serait néanmoins le même : Bergeron c Canada (Procureur général), 2017 CF 57 au para 73. En l’espèce, le manquement à l’équité procédurale tenait à l’incapacité du demandeur de présenter des observations sur une nouvelle question soulevée devant la SAR. Si je devais accueillir la présente demande, l’affaire serait renvoyée à un autre commissaire de la SAR. Ce commissaire serait confronté au même fondement factuel insuffisant dont disposait la SPR, lequel a poussé le tribunal de la SAR à renvoyer l’affaire à la SPR. À mon avis, une telle démarche serait futile.

[41] Si on examine la présente affaire sous un autre angle, on pourrait dire que le demandeur n’a pas épuisé ses recours administratifs avant de s’adresser au tribunal. Dans le cadre d’une nouvelle audience devant la SPR, il aurait la possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments en réponse à l’allégation selon laquelle il devrait se voir refuser l’asile en application de l’alinéa Fb) de l’article premier. Les préoccupations du demandeur au sujet de l’équité procédurale découlant de la décision de la SAR ne constituent pas des « circonstances exceptionnelles » justifiant l’intervention de la Cour avant l’achèvement du processus administratif : C.B. Powell Limited c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61 au para 33.

[42] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rebello c Canada (Procureur général) 2023 CAF 67 :

[16] Cela dit, à supposer qu’il s’agisse d’une violation des principes de l’équité procédurale, cette violation ne justifie pas l’annulation de l’ordonnance contestée puisque, à mon avis, l’issue de la requête des intimés visant à radier la déclaration est inévitable (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, 1994 CanLII 114 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 202, p. 228; Ilaslan c. Hospitality & Service Trades Union, 2013 CAF 150 au para. 28). En d’autres termes, le renvoi de l’affaire à la Cour fédérale afin de permettre à l’appelante de présenter des observations orales en réponse à la requête des intimés, qui est la seule mesure de redressement importante que notre Cour pourrait raisonnablement accorder si elle devait accueillir le présent appel, serait futile (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56 au para. 117).

[43] Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il serait, selon moi, futile d’accueillir la demande et de renvoyer l’affaire à la SAR pour une nouvelle décision, car le tribunal, ayant réparé le manquement à l’équité procédurale en donnant un avis, se retrouverait probablement dans la même position que le tribunal précédent. Le rejet de la demande entraînerait le renvoi de l’affaire à la SPR pour que celle-ci procède à l’évaluation qu’elle aurait dû effectuer en premier lieu, conformément aux instructions de la SAR.

VI. Question à certifier

[44] À la fin de l’audience, j’ai invité les avocats à se demander si, vu la nouveauté de l’affaire, il souhaitait proposer des questions graves de portée générale à certifier dans le cadre d’observations écrites présentées après l’audience.

[45] Le demandeur a proposé les questions suivantes aux fins de certification :

  1. La SAR peut-elle renvoyer l’affaire à la SPR pour un nouvel examen dans des circonstances qui ne sont pas visées au paragraphe 111(2) de la LIPR?

  2. La SAR a-t-elle compétence pour analyser une question qui n’a pas été examinée par la SPR, puis trancher la question sur le fond et substituer sa décision à celle de la SPR?

  3. Quelles circonstances font intervenir les dispositions du paragraphe 111(2) de la LIPR?

  4. La SAR a-t-elle compétence pour renvoyer une affaire à la SPR en vertu du paragraphe 111(2) de la LIPR si aucun élément de preuve n’a été présenté à la SPR sur une question examinée par la SAR?

  5. La SAR a-t-elle compétence pour renvoyer une affaire à la SPR en vertu du paragraphe 111(2) de la LIPR après avoir accueilli un appel sur une question que la SPR n’a pas examinée?

  6. La SAR peut-elle tenir sa propre audience sur une question que la SPR n’a jamais examinée?

  7. L’alinéa 111(2)b) de la LIPR vise-t-il les situations où aucun élément de preuve sur une question que la SAR juge déterminante dans le cadre d’un appel n’a été présenté à la SPR?

  8. Quelles sont la portée et la signification de l’expression « sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés »? Cela comprend-il les situations où la SPR n’a entendu aucun élément de preuve sur une question que la SAR est la première à examiner?

[46] Le défendeur soutient que les questions proposées par le demandeur ne satisfont pas au critère de certification et que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. Il fait valoir que le demandeur a proposé huit questions, mais que les questions graves de portée générale sont rares et qu’il est exceptionnel qu’une seule et même affaire soulève plus d’une question : Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145 au para 28. Il ajoute que les questions du demandeur trouvent une réponse dans la jurisprudence constante, ou bien qu’il s’agit de demandes de jugements déclaratoires sur des questions subtiles qui ne sont pas déterminantes quant à l’issue de l’appel.

[47] En ce qui concerne la première question, le défendeur soutient que le libellé du paragraphe 111(2) de la LIPR est déjà clair et que la Cour a confirmé que la SAR peut renvoyer l’affaire à la SPR seulement si elle est d’avis que les critères énoncés aux alinéas 111(2)a) et 111(2)b) sont respectés : Canada. (Citoyenneté et Immigration) c Hayat, 2022 CF 1772 aux para 26-33; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Denis, 2022 CF 552 au para 18. La question est donc inutile et inappropriée.

[48] En ce qui concerne la deuxième question, le défendeur fait valoir que le paragraphe 111(1) permet explicitement à la SAR de substituer sa propre décision à celle de la SPR et qu’il est également établi en droit que la SAR peut tirer des conclusions sur une question que la SPR n’a pas examinée : Huruglica, au para 78. Si une question qui n’a jamais été examinée par la SPR est soulevée par la SAR et non par les parties, les principes d’équité procédurale entrent en jeu.

[49] En ce qui concerne la troisième question, le défendeur soutient que le paragraphe 111(2) de la LIPR répond déjà à cette question en décrivant les critères nécessaires au renvoi à la SPR et qu’il est futile de tenter de dresser une liste de toutes les circonstances possibles qui pourraient satisfaire à ce critère.

[50] En ce qui concerne les questions 4 et 5, le défendeur fait valoir que la première englobe la deuxième et que la SAR a compétence pour renvoyer l’affaire à la SPR lorsque les critères énoncés au paragraphe 111(2) sont respectés. L’alinéa 111(2)a) est discrétionnaire et dépend des faits, et il ne s’agit donc pas d’une question de portée générale appropriée.

[51] En ce qui concerne la sixième question, le défendeur affirme que la Cour d’appel s’est déjà penchée sur les circonstances dans lesquelles la SAR peut tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR et qu’elle a jugé que la SAR n’a pas compétence pour tenir une audience si elle n’admet pas de nouveaux éléments de preuve : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 [Singh] au para 51.

[52] Enfin, le défendeur estime que les questions 7 et 8 sont très similaires. Il reconnaît que l’alinéa 111(2)b) de la LIPR est rédigé de façon maladroite tant en anglais qu’en français. Cependant, il fait valoir que la Cour d’appel s’est penchée sur la capacité de la SAR de renvoyer une demande à la SPR en vue d’obtenir de nouveaux éléments de preuve lorsqu’elle estime que le témoignage de vive voix est crucial ou déterminant ou lorsqu’elle estime que toute la preuve devrait être réentendue pour prendre une décision éclairée : Huruglica, au para 69; Singh, au para 51. Le défendeur ajoute qu’une interprétation téléologique de l’alinéa 111(2)b) de la LIPR [traduction] « permet à la SAR de renvoyer une demande d’asile pour obtenir d’autres éléments de preuve parce qu’autrement, limiter la preuve accessible dans le cadre du nouvel examen de la SPR entraînerait une conséquence absurde », car, selon le paragraphe 111(1) de la LIPR, la SAR peut seulement confirmer une décision, substituer sa propre décision ou renvoyer l’affaire. Si la SAR a besoin de plus d’éléments de preuve, mais qu’elle ne peut pas renvoyer une demande d’asile à la SPR, elle serait [traduction] « limitée ».

[53] Je conviens avec le défendeur que les questions proposées ont déjà été réglées par la jurisprudence ou qu’elles ne sont pas de portée générale, car elles dépendent des faits particuliers de la présente affaire.

[54] L’alinéa 111(2)b) est effectivement [traduction] « rédigé de façon maladroite » dans les deux langues, comme le défendeur le souligne. Comme il est mentionné au paragraphe 69 de l’arrêt Huruglica, l’alinéa 111(2)b) prévoit que la SAR ne peut renvoyer l’affaire pour réexamen, selon les instructions qu’elle juge appropriées, seulement si elle « estime » qu’elle ne peut confirmer ou casser la décision rendue par la SPR « sans réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à celle-ci » [without hearing the evidence presented before the RPD]. La Cour d’appel a déclaré ceci :

Cette possibilité est offerte parce qu’il peut arriver que, dans certaines affaires mettant en cause des témoignages de vive voix cruciaux ou déterminants aux yeux de la SAR, celle-ci ne soit pas en mesure de confirmer une décision de la SPR ou d’y substituer la sienne.

[55] C’est le dilemme dans lequel la SAR se trouvait en l’espèce. La SPR ne disposait pas ou n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve sur la question de l’exclusion pour que la SAR puisse confirmer la décision attaquée ou y substituer sa propre décision. Par conséquent, la seule solution était de renvoyer l’affaire à la SPR pour que tous les éléments de preuve liés à la demande d’asile soient réentendus, de façon à pouvoir rendre une décision éclairée sur la question de l’exclusion.

VII. Conclusion

[56] Par conséquent, je suis convaincu qu’il faut rejeter la présente demande de contrôle judiciaire et que la décision de la SAR d’accueillir l’appel et de renvoyer l’affaire à la SPR doit être maintenue. Le fait pour la Cour de modifier la décision de la SAR, nonobstant le manquement à l’équité procédurale, entraînerait une issue futile.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9568-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9568-22

INTITULÉ :

SOFIANE SAGHIRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 avril 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 24 mai 2023

COMPARUTIONS :

Gurpreet Badh

POUR LE DEMANDEUR

Courtenay Landsiedel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Badh & Rejminiak LLP

Surrey (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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