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Date : 20230801


Dossier : T‑889‑22

Référence : 2023 CF 1053

Dossier : T‑889‑22

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er août 2023

En présence du juge en chef

ENTRE :

DEREK ELLIOTT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monsieur Elliott demande deux principaux types de réparation relativement au refus du ministre défendeur d’accepter, aux fins de traitement, une demande qu’il a présentée en vertu de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, LC 2004, c 21 (la « LTID »).

[2] En premier lieu, M. Elliott demande une ordonnance annulant ce refus (la « décision »). Ensuite, il demande une ordonnance enjoignant au ministre d’accepter sa demande de traitement (la « demande ») et de l’examiner sans retard.

[3] Pour appuyer sa demande de contrôle judiciaire, M. Elliott affirme que la décision était déraisonnable pour principalement trois motifs. Plus précisément, il affirme que la décision était fondée sur une interprétation déraisonnable de la définition de « délinquant canadien » dans la LTID. Il affirme également que la décision n’a pas tenu compte des observations qu’il a présentées à l’appui de sa demande de transfèrement de la totalité de sa peine au Canada. En dernier lieu, il prétend que le ministre a mal interprété certains éléments de preuve.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’interprétation du terme « délinquant canadien » par le ministre n’était pas déraisonnable. Cependant, la décision n’était pas suffisamment justifiée et il est possible qu’elle ait été fondée sur une interprétation erronée de certains des éléments de preuve fournis à l’appui de la demande. En conséquence, la décision sera annulée et la demande sera renvoyée au ministre pour nouvel examen.

II. Contexte

[5] M. Elliott est un citoyen canadien qui réside dans le sud de l’Ontario, où il a vécu la majeure partie de sa vie. Entre 2004 et 2009, il a partagé son temps entre le Canada et la République dominicaine, où sa famille exploite un centre de villégiature depuis les années 1980. Il est devenu président de ce centre en 2003, la même année où il est entré en contact avec une personne nommée James Catledge, qui dirigeait une société de services financiers qui vendait de l’hébergement en temps partagé.

[6] À l’insu de M. Elliott, la société de M. Catledge vendait en fait des produits financiers dans un système de commercialisation à paliers multiples de style pyramidal.

[7] M. Elliott et M. Catledge ont tous deux été accusés de fraude postale aux États‑Unis, relativement à leur participation dans le stratagème au cours d’une période qui a pris fin en 2007, et ils ont été condamnés pour cette fraude. En août 2012, M. Elliott a conclu un accord de coopération avec la Securities and Exchange Commission (la « SEC ») des États‑Unis et a fourni une aide précieuse à l’enquête de la SEC sur M. Catledge. Il a également contribué au recouvrement des actifs des investisseurs. Après avoir été mis en accusation au criminel en septembre 2012, M. Elliott a commencé à coopérer avec le Federal Bureau of Investigation et l’Attorney’s Office des États‑Unis. Tout au long de cette coopération, M. Elliott s’est volontairement rendu aux États‑Unis à plusieurs reprises pour participer à de longues séances de débreffage dans le cadre de l’enquête et des poursuites contre M. Catledge.

[8] En 2019, M. Elliott a plaidé coupable à un chef d’accusation de complot en vue de commettre une fraude postale.

[9] En raison de sa grande coopération, la partie poursuivante a recommandé une peine de trois ans de probation, dont six mois de détention à domicile, un dédommagement tel que précisé dans un document déposé subséquemment et une cotisation spéciale de 100 $. À l’appui de cette recommandation, la partie poursuivante a souligné que la participation de M. Elliott au stratagème de fraude était mineure par rapport à celle de M. Catledge. Elle a également indiqué que M. Elliott et ses associés ont vendu une quantité négligeable de produits par rapport aux ventes effectuées par l’opération de M. Catledge. Elle a en outre observé que la coopération de M. Elliott [traduction] « a rendu justice à des milliers de victimes qui, autrement, auraient pu en être privées » : United States’ Sentencing Memorandum and Motion for Downward Departure Pursuant to U.S.S.G. § 5K1.1, dossier du demandeur, p 64.

[10] Malgré ce qui précède, M. Elliott a finalement été condamné en novembre 2019 à deux ans d’emprisonnement plus trois ans de liberté surveillée. M. Catledge a été condamné à 60 mois d’emprisonnement et a finalement été libéré après avoir purgé environ 13 mois de cette peine.

[11] Malheureusement pour M. Elliott, il n’est pas admissible à purger sa peine dans un établissement à sécurité minimale aux États‑Unis parce qu’il n’est pas citoyen américain. Par conséquent, le North Lake Correctional Institute a été désigné pour qu’il purge sa peine. Cet institut est décrit par l’avocat américain de M. Elliott, Brett Parkinson, comme une [traduction] « prison criminelle pour étrangers qui est très différente du camp de détention à sécurité minimale sans violence où M. Catledge a été condamné » : dossier du demandeur, p 29. M. Parkinson ajoute que ces prisons ont [traduction] « des soins de santé exceptionnellement médiocres; une surpopulation; des taux plus élevés d’isolement cellulaire, de confinement et de décès en détention que les établissements comparables du BOP; et qu’elles manquent de programmes de réadaptation tels que le traitement de la toxicomanie et les cours d’éducation, qui sont offerts dans d’autres prisons fédérales », citant Emma Kaufman, Segregation by Citizenship, 132 Harv. L. Rev. 1379, 1409 (2019) : dossier du demandeur, p 29.

[12] En raison du statut de non‑citoyen de M. Elliott aux États‑Unis, M. Parkinson indique qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une libération anticipée de sa peine d’emprisonnement de deux ans. De plus, après avoir purgé cette peine, M. Elliott serait probablement transféré en détention aux fins de l’immigration pour une période indéterminée en attendant son renvoi des États‑Unis.

[13] À la lumière de tout ce qui précède, et compte tenu de la longue distance entre sa famille et l’établissement carcéral mentionné ci‑dessus, M. Elliott a immédiatement pris contact avec l’Unité des transfèrements internationaux du Service correctionnel du Canada (le « SCC »), en vue de faire transférer sa peine au Canada. Sa demande formelle a été faite le 15 janvier 2020. Cette demande a été suivie de nombreux échanges de courriels entre son avocat et des représentants du SCC au cours de l’année 2020, ainsi que de plusieurs lettres au ministre pendant l’année 2021 et le 13 janvier 2022.

[14] Dans ses communications avec le SCC, M. Elliott a demandé à plusieurs reprises des précisions sur le fondement de la position inébranlable du SCC selon laquelle sa demande ne pouvait pas être traitée avant qu’il ne se soit rendu sous la garde physique du Bureau of Prisons (le « BOP ») des États‑Unis. M. Elliott a également répondu à d’autres préoccupations en évolution cernées par le SCC. Ce faisant, il a fourni des documents importants de sa procédure aux États‑Unis, qu’il a également fournis au ministre. De plus, il a présenté des observations détaillées sur des questions juridiques, liées aux politiques et autres.

[15] À l’appui des efforts de M. Elliott à cet égard, le procureur adjoint des États‑Unis, M. Robert David Rees, a confirmé la [traduction] « coopération importante et substantielle » qui a été fournie par M. Elliott. M. Rees a également déclaré qu’il ne s’oppose pas à la demande de M. Elliott et ne connaît aucun motif de s’y opposer : dossier du demandeur, p 698.

[16] M. Elliott n’a pas été immédiatement placé en détention. Au lieu de cela, il a été libéré avec une caution non garantie de 100 000 $ et autorisé à retourner au Canada, sur son propre engagement, sous réserve de l’obligation de se rendre aux États‑Unis à une date fixée. La date à laquelle M. Elliott devait retourner aux États‑Unis a initialement été fixée au 19 février 2020, mais elle a été reportée à plusieurs reprises par la Cour de district des États‑Unis pour le district nord‑est de Californie (la « Cour américaine »), plus récemment, au 13 novembre 2023.

III. La décision

[17] La décision consiste en deux lettres envoyées en réponse à la demande de M. Elliott. La première, datée du 22 mars 2022, était adressée à M. Elliott et contient le seul paragraphe de fond suivant :

[traduction]
J’ai le regret de vous informer que votre demande de transfèrement n’est pas acceptée pour traitement, puisque vous ne remplissez pas les exigences prévues par la loi pour être transféré conformément à la Loi sur le transfèrement international des délinquants. Plus précisément, vous ne répondez pas à la définition de « délinquant canadien », puisque vous n’êtes ni détenu ni sous surveillance d’une entité étrangère.

[Non souligné dans l’original.]

[18] La deuxième lettre, datée du 5 avril 2022, était adressée au conseiller juridique de M. Elliott. Voici le seul extrait de fond de ce document :

[traduction]
Je peux confirmer que M. Elliott a été condamné aux États‑Unis en novembre 2019. Il devait se rendre pour purger sa peine, mais ne l’a pas fait. En avril 2020, il a déposé une requête en modification de la peine d’emprisonnement imposée. Elle a été rejetée en novembre 2020. Depuis, il ne s’est pas encore rendu pour purger sa peine de 24 mois.

La demande de M. Elliott n’est pas acceptée pour traitement, puisqu’il ne satisfait pas aux exigences prévues par la loi pour être transféré conformément à la Loi sur le transfèrement international des délinquants. Plus précisément, M. Elliott ne répond pas à la définition de « délinquant canadien », puisqu’il n’est ni détenu ni sous la surveillance d’une entité étrangère.

[Non souligné dans l’original.]

IV. Question préliminaire

[19] Le ministre soutient que la décision n’est pas une « décision » typique prévue par la LTID, puisqu’elle ne concerne pas le bien‑fondé de la demande par M. Elliott de transférer sa peine d’emprisonnement des États‑Unis au Canada. Au cours de l’audience, le ministre a plutôt affirmé que les deux lettres constituant la décision étaient simplement des [traduction] « lettres de courtoisie » concernant une « question de procédure » préliminaire.

[20] Interrogé sur ce point au cours de l’audience, le ministre a concédé que les lettres qui composent la décision représentent une forme de mesure administrative discrétionnaire qui est assujettie à un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7. En effet, ces lettres ont porté atteinte aux droits juridiques de M. Elliott ou ont entraîné des effets préjudiciables : Air Canada c Administration Portuaire De Toronto, 2011 CAF 347 aux para 24‑29, 32 et 42 : Zaghbib c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182 au para 30; Première Nation de Key c Lavallee, 2021 CAF 123 au para 34.

V. Dispositions législatives applicables

[21] La définition de « délinquant canadien » figure à l’article 2 de la LTID. En voici le texte :

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

délinquant canadien Citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté qui a été reconnu coupable d’une infraction et qui, en application d’une décision qui ne peut plus faire l’objet d’un appel, est soit détenu, soit sous surveillance en raison d’une ordonnance de probation ou d’une mise en liberté sous condition, soit assujetti à une autre forme de liberté surveillée, dans une entité étrangère.

[Non souligné dans l’original.]

Definitions

2 The following definitions apply in this Act.

Canadian offender means a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act who has been found guilty of an offence — and is detained, subject to supervision by reason of conditional release or probation or subject to any other form of supervision in a foreign entity — and whose verdict and sentence may no longer be appealed.

[Emphasis added.]

VI. Questions en litige

[22] Essentiellement, la présente demande soulève les quatre questions suivantes :

  1. L’interprétation de l’article 2 de la LTID par le ministre est‑elle déraisonnable?

  2. La décision est‑elle déraisonnable au motif qu’elle n’est pas adéquatement justifiée?

  3. La décision est‑elle déraisonnable au motif que le ministre a mal interprété la situation de M. Elliott?

  4. Quelle est la réparation appropriée?

VII. Norme de contrôle

[23] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux trois premières questions indiquées ci‑dessus est celle du caractère raisonnable.

[24] Au moment d’apprécier le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit se demander si la décision est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Pour satisfaire à ces exigences, la décision doit refléter « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et permettre à la Cour de comprendre la base de la décision et de déterminer « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85‑86, 97 et 99 [Vavilov]. En prenant cette décision, la Cour doit interpréter la décision « de façon globale et contextuelle » : Vavilov, au para 97.

[25] Les aspects importants du contexte comprendront les éléments de preuve dont était saisi le décideur, les observations de la personne visée et l’impact potentiel sur cette personne : Vavilov, aux para 106, 126. Bien qu’un décideur administratif ne soit pas tenu de « répondre à tous les arguments ou modes possibles d’analyse », le fait de ne pas « s’attaquer de manière significative aux questions clés ou aux arguments principaux soulevés par les parties » peut remettre en question le caractère raisonnable de la décision : Vavilov, au para 128.

[26] Lorsqu’elle étudie le bien‑fondé d’une décision, la Cour doit également tenir compte des conséquences de la décision pour l’individu, en particulier celles qui menacent la vie ou la liberté d’un individu. En bref, « le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné » : Vavilov, au para 133.

VIII. Analyse

A. L’interprétation de l’article 2 de la LTID par le ministre est‑elle déraisonnable?

(1) Introduction

[27] En ce qui concerne l’interprétation législative, les décideurs administratifs jouissent « [d’un privilège] en matière d’interprétation » : Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 40. En bref, les tribunaux doivent « déférer à toute interprétation raisonnable du décideur administratif, même lorsque d’autres interprétations raisonnables sont possibles » : McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au para 40 [en italique dans l’original].

[28] Lorsqu’elle examine le caractère raisonnable de l’interprétation d’une loi par un décideur, la Cour doit faire attention de ne pas procéder « à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande “ce qu’aurait été la décision correcte” » : Vavilov, au para 116. Au lieu de cela, une cour de révision est chargée d’examiner si « l’interprétation de [la disposition législative] par le décideur administratif [est] conforme à son texte, à son contexte et à son objet » : Vavilov, au para 120. Une interprétation qui n’est pas « suffisamment conscient[e] du texte, du contexte et de l’objet de la loi » peut être déraisonnable : Le‑Vel Brands, LLC c Canada (Procureur général), 2023 CAF 66 au para 16, citant l’arrêt Vavilov, aux para 115‑124.

[29] M. Elliott soutient que lorsque les principes directeurs de l’interprétation des lois sont pris en considération, toute définition raisonnable du terme « délinquant canadien », tel qu’il est utilisé dans la LTID, doit inclure les personnes dans sa situation.

[30] Je ne suis pas de cet avis. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la conclusion du ministre selon laquelle M. Elliott ne tombe pas dans le champ d’application de ce terme n’était pas déraisonnable.

[31] Pour plus de commodité, la définition de « délinquant canadien » est reproduite ci‑dessous :

délinquant canadien Citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté qui a été reconnu coupable d’une infraction et qui, en application d’une décision qui ne peut plus faire l’objet d’un appel, est soit détenu, soit sous surveillance en raison d’une ordonnance de probation ou d’une mise en liberté sous condition, soit assujetti à une autre forme de liberté surveillée, dans une entité étrangère.

[Non souligné dans l’original.]

Canadian offender means a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act who has been found guilty of an offence — and is detained, subject to supervision by reason of conditional release or probation or subject to any other form of supervision in a foreign entity — and whose verdict and sentence may no longer be appealed.

[Emphasis added.]

[32] M. Elliott soutient que les mots « soit assujetti à une autre forme de liberté surveillée, dans une entité étrangère » doivent être interprétés au sens large, en raison de la nature réparatrice de la LTID : Loi d’interprétation, LRC (1985), c I‑21, art 12.

[33] Il est bien établi en droit qu’« il faut lire les termes d’une loi “dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur” » : Vavilov, précité, au para 117, citant l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21 [Rizzo]; Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983) à la p 87.

(2) Le sens ordinaire de la définition de « délinquant canadien »

[34] Au moment de mener l’exercice contextuel décrit ci‑dessus, il convient d’accorder beaucoup de poids aux mots qui sont « précis et non équivoque[s] » : Vavilov, au para 120. En effet, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que le sens ordinaire des mots d’une loi jouera « un rôle primordial dans le processus d’interprétation » : Canada (Procureur général) c Hull, 2022 CAF 82 au para 49. Elle a ajouté que « [l]orsque les mots employés sont précis et sans équivoque, leur sens ordinaire sera normalement déterminant » : Première nation Peters c Engstrom, 2021 CAF 243 au para 15.

[35] À mon avis, les mots « assujetti à une autre forme de liberté surveillée, dans une entité étrangère » sont précis et non équivoques. Ils signifient qu’une personne doit être soumise à une forme de supervision au sein d’une entité à l’extérieur du Canada.

[36] Le ministre déclare que M. Elliott ne tombe pas dans le champ d’application du libellé cité ci‑dessus pour deux motifs. Premièrement, le ministre soutient que M. Elliott n’est assujetti à aucune forme de surveillance « d’une » entité étrangère. C’est le langage utilisé dans la décision. Deuxièmement, au cours de l’audience, le ministre a déclaré que M. Elliott n’est assujetti à aucune forme de surveillance « dans » une entité étrangère, comme le prévoit la définition de « délinquant canadien » à l’article 2 de la LTID.

[37] M. Elliott affirme qu’il est assujetti à une forme de surveillance « d’une » entité étrangère parce qu’il est assujetti à une ordonnance de la Cour américaine qui l’oblige à se rendre à son établissement désigné le 13 novembre 2023. Il ajoute qu’un rapport d’enquête préalable à la peine, daté du 31 juillet 2019, indique qu’il a été [traduction] « [v]erbalisé et libéré le 27 août 2014 sur une caution non garantie de 100 000 $ sous la supervision des Services d’intervention préalable au procès américains » (non mis en évidence dans l’original). Cependant, ce dernier document n’a été divulgué à l’avocat du ministre que trois jours avant l’audience de la présente instance. Le ministre n’y avait pas accès lorsqu’il a pris la décision. Par conséquent, en l’absence d’une exception, ce document n’est pas admissible dans la présente demande de contrôle judiciaire : Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 42; Canadian Hardwood Plywood and Veneer Association v Canada (Attorney General), 2023 FCA 74 au para 72. Il est entendu qu’aucune des exceptions limitées ne s’applique : Association des employeurs maritimes c Syndicat des débardeurs (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 375), 2023 CAF 93 au para 78. M. Elliott ne le nie pas.

[38] Même si j’accepte que l’ordonnance de la Cour américaine obligeant M. Elliott à se rendre à son établissement désigné le 13 novembre 2023 est une forme de « surveillance » envisagée par l’article 2 de la LTID, la conclusion contraire du ministre n’était pas déraisonnable. Pour commencer, dans sa demande de transfèrement, M. Elliott lui‑même a déclaré qu’il était [traduction] « en liberté sans surveillance et sans garantie » des États‑Unis depuis son plaidoyer de culpabilité : dossier du demandeur, p 41. De plus, la décision rendue par la Cour américaine le 20 novembre 2019 énonce ce qui suit sous la rubrique [traduction] « LIBERTÉ SURVEILLÉE » : « Une fois libéré, le défendeur sera en liberté surveillée pour une période de trois ans. » Dossier du demandeur, p 54 [mis en évidence dans l’original]. Ce jugement comprend également des conditions standard de surveillance qui ne s’appliqueront qu’après la libération de prison de M. Elliott. Il n’était pas déraisonnable que le ministre interprète ces passages de la décision comme indication que la Cour américaine ne considère pas que M. Elliott se trouve actuellement sous sa surveillance, en particulier compte tenu de la déclaration de M. Elliott selon laquelle il était en liberté sans surveillance.

[39] Je vais maintenant examiner les mots « dans une entité étrangère », de la définition de « délinquant canadien ». M. Smith reconnaît qu’ils pourraient être compris comme signification qu’une personne doit être physiquement présente dans une prison étrangère ou une autre entité pour entrer dans la portée du terme « délinquant canadien ». Cependant, il soutient que lorsque les facteurs contextuels pertinents sont pris en compte, la seule interprétation raisonnable des mots « dans une entité étrangère » est qu’ils signifient [traduction] « d’une entité étrangère ». M. Elliott affirme que de tels facteurs contextuels comprennent l’objet de la LTID, le libellé du Traité entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique sur l’exécution des peines imposées aux termes du droit criminel, 2 mars 1977, RTC 1978 No 12 (le « Traité ») et les dures conséquences graves d’une lecture littérale des mots « dans une entité étrangère ». M. Elliott ajoute que le ministre a adopté les mots [traduction] « d’une entité étrangère » dans les deux lettres qui constituent la décision, lorsqu’il a déclaré que M. Elliott ne répond pas à la définition de « délinquant canadien » parce qu’il n’est « ni détenu ni sous la surveillance d’une entité étrangère » (non mis en évidence dans l’original).

(3) L’objet de la LTID

[40] En ce qui concerne l’objet de la LTID, l’article 3 de la loi prévoit ce qui suit :

Objet

3 La présente loi a pour objet de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux‑ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux.

Purpose

3 The purpose of this Act is to contribute to the administration of justice and the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community by enabling offenders to serve their sentences in the country of which they are citizens or nationals.

[41] Les mots « la réinsertion sociale des délinquants » prévoient que la personne en question n’est pas actuellement dans la communauté. Cette interprétation semble également envisagée par les mots anglais « reintegration into the community ». Cette interprétation de l’article 3 appuierait le point de vue du ministre selon lequel la LTID ne devait pas s’appliquer à une personne dans la situation de M. Elliott, parce qu’il vit actuellement dans sa communauté au Canada. En effet, il a vécu au Canada toute sa vie, sauf lorsqu’il a volontairement voyagé à l’étranger.

[42] Cependant, les mots « de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux » ne sont pas qualifiés du tout. Si le législateur avait voulu que la LTID ne permette de purger qu’une « partie » de la peine d’un délinquant au Canada, il aurait facilement pu le dire. L’absence de tels mots qualificatifs appuie le point de vue de M. Elliott selon lequel la LTID était destinée à permettre aux délinquants de purger la totalité de leur peine au Canada.

[43] Compte tenu de ce qui précède, le libellé de l’article 3, pris dans son ensemble, est ambigu. Il peut être lu d’une manière qui appuie dans une certaine mesure la position du ministre et celle de M. Elliott. Par conséquent, je ne considère pas que l’objet déclaré de la LTID remplace une lecture simple de la définition de « délinquant canadien » prévue à l’article 2 de cette loi, telle qu’elle est énoncée au paragraphe 35 ci‑dessus.

(4) Le Traité

[44] S’appuyant sur l’arrêt National Corn Growers Assn c Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 RCS 1324 à la p 1371, M. Elliott affirme que la LTID doit être interprétée d’une manière compatible avec le Traité. Cependant, ce principe général, qui est maintenant établi comme la présomption de conformité, peut être réfuté lorsque les dispositions de la loi en question sont sans ambiguïté : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30 au para 48 [SOCAN]; Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56 au para 35; Tapambwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34 au para 44. Tel qu’il est indiqué au paragraphe 35 ci‑dessus, les mots « dans une entité étrangère » sont précis et non ambigus.

[45] Néanmoins, le libellé d’un traité ou celui d’une convention « s’avèrent utiles pour déterminer si une décision participe d’un exercice raisonnable du pouvoir administratif » : Vavilov, au para 114.

[46] Aux fins des présentes, les dispositions pertinentes du Traité sont son unique énonciation, l’article Ic., et l’article III7.b. En voici le texte :

DÉSIREUX de permettre aux délinquants, avec leur consentement, de purger leur peine d’emprisonnement ou de bénéficier d’une libération conditionnelle ou d’être soumis à une surveillance dans le pays dont ils sont citoyens, favorisant ainsi leur réinsertion sociale;

[Non souligné dans l’original.]

DESIRING to enable Offenders, with their consent, to serve sentences of imprisonment or parole or supervision in the country of which they are citizens, thereby facilitating their successful reintegration into society;

[Emphasis added.]

[47] Pour sensiblement les mêmes motifs que ceux énoncés ci‑dessus aux paragraphes 40 à 43 qui précèdent en ce qui concerne la clause d’objet de la LTID, cette énonciation peut être interprétée comme une qui appuie les positions de M. Elliott et du ministre.

[48] En ce qui concerne l’article Ic. du Traité, le terme « délinquant » y est défini en ces termes :

« Délinquant » désigne une personne qui, dans le territoire de l’une ou l’autre Partie, a été déclarée coupable d’une infraction et condamnée soit à l’emprisonnement, soit à une période de probation, de libération conditionnelle, de libération sous condition ou à toute autre forme de liberté sous surveillance. Le terme englobe les personnes condamnées à l’emprisonnement, tenues sous garde ou soumises à une surveillance en vertu des lois du Pays d’origine concernant les délinquants juvéniles;

[Non souligné dans l’original.]

“Offender” means a person who, in the territory of either Party, has been convicted of a crime and sentenced either to imprisonment or to a term of probation, parole, conditional release or other form of supervision without confinement. The term shall include persons subject to confinement, custody or supervision under the laws of the Sending State respecting juvenile offenders;

[Emphasis added.]

[49] Une simple lecture des mots « dans le territoire de l’une ou l’autre Partie » est conforme à la position de M. Elliott selon laquelle il n’a pas besoin d’être « dans » une entité étrangère. Tant qu’un délinquant est soumis à une surveillance quelconque « d’une » entité étrangère, cette personne semble être visée par l’article Ic.

[50] Cependant, l’article III7. prévoit qu’aucun délinquant ne peut être transféré à moins de remplir certaines conditions. Aux fins des présentes, la condition pertinente est que la « peine qu’il subit expire à une date définie ou que les autorités habilitées à fixer cette date aient agi en ce sens » : Article III7.b. (non souligné dans l’original). Le passage correspondant dans la version anglaise de l’article III7.b. énonce ceci : « sentence which he is serving states a definite termination date, or the authorities authorized to fix such a date have so acted ». (non souligné dans l’original). Le texte mis en évidence dans les versions anglaise et française de cette disposition citée ci‑dessus appuie la position du ministre selon laquelle une personne doit s’être rendue à une autorité étrangère et subir actuellement sa peine. Ce point de vue du Traité a également été entériné dans la jurisprudence, où on a fait remarquer que l’objet du Traité est de permettre aux délinquants « de purger le reste [de leur peine] dans leur pays d’origine » (non souligné dans l’original) : Divito c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47 au para 42.

[51] Compte tenu de ce qui précède, je ne considère pas qu’une lecture du Traité dans son ensemble pèse de manière importante en faveur de M. Elliott, dans l’évaluation contextuelle globale. En bref, les modalités du Traité peuvent être lues de manière cohérente avec les positions de M. Elliott et du ministre.

[52] Par souci d’exhaustivité, je reconnais en passant que lorsque la loi « met en œuvre un traité sans réserve, l’interprétation de la loi doit se concilier en tout point avec les obligations que ce traité impose au Canada » : SOCAN, précité, au para 46. Cependant, je conclus que la LTID ne met pas en œuvre le Traité sans réserve. Elle a plutôt été adoptée pour assurer la mise en œuvre du Traité, d’un traité semblable avec le Mexique et d’autres traités qui pourraient éventuellement être signés : Divito c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 39 au para 22. Pour ce faire, le préambule de la LTID énonce qu’il s’agit d’une « [l]oi de mise en œuvre des traités ou des ententes administratives sur le transfèrement international des personnes reconnues coupables d’infractions criminelles ». Il est entendu que la LTID ne mentionne pas précisément le Traité. Une autre indication que le législateur n’avait pas l’intention de mettre en œuvre le Traité « sans réserve » est que la définition de « délinquant canadien » dans la LTID diffère à bien des égards de la définition de « délinquant » dans le Traité. En d’autres termes, la différence entre ces deux définitions ne se limite pas à l’utilisation des mots « dans une entité étrangère » dans la LTID par rapport aux mots « dans le territoire de l’une ou l’autre Partie » dans le Traité.

(5) Les conséquences pour M. Elliott de l’interprétation du ministre

[53] M. Elliott affirme que les conséquences des interprétations opposées de « délinquant canadien » appuient fortement une interprétation qui inclut des personnes comme lui au sens de ce terme. Cependant, M. Elliott n’invoque aucun texte pour soutenir cette observation. Le « principe moderne » d’interprétation des lois ne semble pas appuyer un rôle pour la prise en compte des conséquences pour un individu dans l’interprétation d’une loi, à moins que de telles conséquences n’impliquent une autre règle d’interprétation des lois, comme celle qui vise à éviter des résultats absurdes : voir l’arrêt Vavilov, au para 117; l’arrêt Rizzo, aux para 21 et 27.

[54] Je reconnais que les conséquences pour M. Elliott de l’interprétation de la LTID par le ministre peuvent être graves. Ces conséquences comprennent le fait qu’il devrait commencer à purger sa peine dans un établissement à sécurité non minimale, où il ne sera pas admissible à une libération anticipée et où il pourrait être exposé à un risque de violence plus grand que s’il était en mesure de purger toute sa peine au Canada. Je reviendrai sur ces conséquences dans la partie suivante ci‑dessous, où j’examinerai les motifs fournis dans la décision. Aux fins des présentes, l’importance, le cas échéant, de ces conséquences pour l’interprétation de la LTID n’est pas de nature à déplacer le poids considérable à accorder au sens ordinaire des mots « dans une entité étrangère », dans la définition de « délinquant canadien ».

(6) La politique du SCC et la Directive du commissaire

[55] Le ministre affirme que, lorsqu’il a reçu la demande de M. Elliott, le personnel du SCC avait agi conformément à la politique et à la Directive numéro 704 du commissaire du SCC, intitulée Transfèrements internationaux. Entre autres choses, ces documents exigent que l’Unité des transfèrements internationaux du SCC vérifie l’admissibilité du délinquant demandeur et s’assure de la qualité et de l’exhaustivité de la demande et des documents justificatifs. Cette documentation comprend des données personnelles (telles qu’une photographie, des empreintes digitales ainsi que la date et le lieu de naissance), des renseignements sur les antécédents de l’affaire et des données relatives à la peine du délinquant. Le ministre a expliqué que le SCC compte sur l’aide du BOP pour recueillir et partager ces renseignements, afin d’en assurer l’exactitude et l’exhaustivité. Le ministre a également affirmé que le personnel du SCC ne peut pas commencer à assurer la liaison avec le BOP tant qu’une personne qui présente une demande conformément à la LTID ne s’est pas rendue au BOP pour commencer sa peine.

[56] À mon avis, et de façon générale, il n’y a rien de déraisonnable dans le processus décrit ci‑dessus. Cependant, je ferai remarquer en passant qu’il n’est pas immédiatement manifeste de comprendre pourquoi le SCC ne peut pas s’écarter de sa propre politique dans des circonstances exceptionnelles, comme celles présentées par M. Elliott. En d’autres termes, dans des circonstances où le BOP peut ne pas disposer des renseignements requis concernant un demandeur et où les intérêts de la justice et les considérations d’équité peuvent justifier une dérogation à la pratique habituelle, il n’est pas manifeste que le SCC ne puisse pas obtenir les renseignements décrits dans la Directive du commissaire auprès d’une autre source officielle aux États‑Unis. À cet égard, je constate qu’un spécialiste des agents de probation des États‑Unis a déposé un rapport très détaillé et complet auprès de la Cour américaine, daté du 31 juillet 2019, qui semble contenir une grande partie des renseignements prévus par la Directive du commissaire. Je me demande pourquoi une telle personne n’a pas pu obtenir tous les renseignements dont le SCC pourrait avoir besoin pour traiter la demande de M. Elliott.

(7) Sommaire

[57] Pour tous les motifs énoncés ci‑dessus, je conclus que l’interprétation du ministre de la portée du terme « délinquant canadien » n’était pas déraisonnable. C’est‑à‑dire qu’il n’était pas déraisonnable de conclure que M. Elliott n’est pas sous la surveillance « d’une » entité étrangère. Même si le ministre pouvait raisonnablement conclure que M. Elliott est actuellement sous la surveillance de la Cour américaine, sa conclusion opposée n’était pas déraisonnable : McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 aux para 40‑41. La conclusion du ministre selon laquelle la définition de « délinquant canadien » dans la LTID ne s’applique pas actuellement à M. Elliott est également corroborée par le sens ordinaire du libellé de cette définition, en particulier les mots « dans une entité étrangère » (non souligné dans l’original).

B. La décision est‑elle déraisonnable au motif qu’elle n’est pas adéquatement justifiée?

[58] M. Elliott soutient que les deux lettres constituant la décision ne justifient pas adéquatement la décision.

[59] Je suis du même avis. Le seul paragraphe de fond de la lettre du ministre à M. Elliott et l’explication également très brève fournie à son avocat (voir les paragraphes 17 et 18 ci‑dessus) sont bien en deçà de ce qui était requis.

[60] M. Elliott a présenté des observations détaillées au ministre et au SCC concernant son interprétation de la LTID, l’application de la définition de « délinquant canadien » à sa situation particulière et les effets défavorables de la position du SCC sur son droit à la liberté. Ces effets défavorables se produiraient s’il devait attendre qu’il se rende au BOP avant que sa demande ne soit examinée. Il s’agit notamment de la durée accrue de la période pendant laquelle il subira des conditions d’emprisonnement plus sévères parce qu’il n’est pas un citoyen américain et du fait que les retards de traitement peuvent entraîner l’exécution complète de sa peine de deux ans avant qu’une décision finale ne soit prise sur sa demande. Au cours de l’audience, l’avocat a expliqué que M. Elliott est légitimement préoccupé par les retards parce que la décision a été rendue plus de deux ans après qu’il a présenté sa demande. L’avocat a ajouté que le Traité prévoit une condition selon laquelle la peine restante d’un délinquant doit être d’au moins six mois. Cela donne à penser que si le retard de traitement du SCC est supérieur à 18 mois après que M. Elliott s’est rendu au BOP, il pourrait bien ne pas être admissible au transfèrement en vertu du Traité.

[61] En plus de ce qui précède, M. Elliott a également souligné qu’à sa libération de prison à la fin de sa peine de deux ans, il serait probablement maintenu en détention aux fins de l’immigration pour une période indéterminée, en attendant son transfèrement au Canada.

[62] La décision aurait dû refléter les conséquences susmentionnées sur les droits à la liberté de M. Elliott : Vavilov, au para 133. Elle aurait également dû s’attaquer aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par M. Elliott : Vavilov, au para 128. L’échec complet de la décision de suivre ces étapes la rend insuffisamment justifiée et donc déraisonnable.

C. La décision est‑elle déraisonnable au motif que le ministre a mal interprété la situation de M. Elliott?

[63] M. Elliott souligne que la décision résumait ainsi sa situation :

[traduction]
[…] M. Elliott a été condamné aux États‑Unis en novembre 2019. Il devait se rendre pour purger sa peine, mais ne l’a pas fait. En avril 2020, il a déposé une requête en modification de la peine d’emprisonnement imposée. Elle a été rejetée en novembre 2020. Depuis, il ne s’est pas encore rendu pour purger sa peine de 24 mois.

[Non souligné dans l’original.]

[64] M. Elliott soutient que le libellé souligné dans le passage susmentionné laisse entendre que le ministre croyait qu’il ne s’était pas rendu en détention, malgré l’obligation de le faire. M. Elliott souligne qu’il a expliqué à plusieurs reprises au SCC et au ministre qu’il continuait de s’en remettre à la compétence de la Cour américaine et qu’il avait obtenu une série d’ordonnances judiciaires reportant la date à laquelle il devait se présenter avec le consentement de la partie poursuivante.

[65] Compte tenu de ma conclusion au paragraphe 62 ci‑dessus, il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion définitive quant à savoir si le ministre a mal interprété la situation de M. Elliott, comme l’a allégué M. Elliott. Cependant, je remarque que le texte souligné dans le passage cité au paragraphe 63 ci‑dessus soulève une véritable question à savoir si le ministre a mal interprété les circonstances dans lesquelles M. Elliott se trouve actuellement au Canada.

[66] Par souci de précision, j’ajouterai que cette possible méprise est aggravée par le fait que la décision faisait référence à la correspondance adressée au ministre par deux des avocats de M. Elliott (M. Hasan et Mme Rakic), mais pas aux observations détaillées supplémentaires présentées par l’autre avocat de M. Elliott (M. Gold). Cela soulève la question de savoir si les observations de M. Gold ont été prises en compte. Malheureusement, aucune des observations de l’avocat de M. Elliott ne semble avoir été incluse dans le dossier certifié qui a été présenté au ministre.

D. Quelle est la réparation appropriée?

[67] M. Elliott soutient que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la réparation appropriée consiste à annuler la décision et à ordonner que le SCC accepte sa demande de transfèrement. Il affirme que l’ensemble des circonstances plaide en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de ne pas renvoyer la présente affaire, mais plutôt d’ordonner au ministre d’accepter sa demande de traitement. Il affirme que ces circonstances comprennent l’urgence de la situation, les retards qu’il a subis à ce jour, les considérations d’équité et le fait que le ministre a eu amplement l’occasion de répondre à ses observations.

[68] Pour les motifs exposés dans la partie VIII.B ci‑dessus, je conviens que la décision doit être annulée.

[69] Cependant, je ne souscris pas à la thèse de M. Elliott selon laquelle la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour ordonner au SCC d’accepter sa demande de traitement.

[70] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 aux paragraphes 79, 82‑86 et 90 [Tennant], la Cour d’appel fédérale a souligné que ce type de réparation n’est accordé que dans des circonstances exceptionnelles. Dans ces circonstances, « il n’y a qu’une seule issue raisonnable, de sorte que le renvoi de l’affaire au décideur administratif serait futile » : Tennant, au para 82.

[71] Compte tenu des motifs exposés dans la partie VIII.A ci‑dessus, de telles circonstances exceptionnelles n’existent pas en l’espèce.

[72] Par conséquent, la réparation appropriée dans la présente demande de contrôle judiciaire est d’annuler la décision et de la renvoyer au ministre pour nouvel examen.

IX. Conclusion

[73] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande est accueillie en partie. La décision sera annulée et renvoyée au ministre pour nouvel examen.

X. Dépens

[74] Dans son avis de demande, M. Elliott a sollicité les dépens de sa demande.

[75] Dans une directive datée du 26 juillet 2023, j’ai ordonné aux parties de se consulter en vue de présenter à la Cour de brèves observations conjointes concernant un montant forfaitaire des dépens à payer à la partie ayant gain de cause au cas où l’une des parties aurait entièrement obtenu gain de cause dans la présente instance. J’ai en outre ordonné aux parties de s’efforcer de parvenir à un accord concernant un montant forfaitaire pour les dépens, le cas échéant, à payer si ma décision était partagée. Au cas où les parties ne parviendraient pas à s’entendre sur les dépens à payer dans ces deux cas de figure, je leur ai demandé de déposer chacune des observations ne dépassant pas 3 pages avant la fermeture des bureaux le vendredi 28 juillet 2023.

[76] En réponse à ma directive, l’avocat de M. Elliott a informé la Cour par écrit que les parties avaient convenu qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés à l’une ou l’autre des parties si la décision pour la présente demande était partagée.

[77] Étant donné que ma décision sur la demande a effectivement entraîné une situation de décision partagée, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La demande par M. Elliott que sa demande en vertu de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, LC 2004, c 21, soit traitée est renvoyée au ministre pour nouvel examen.

  2. Aucuns dépens ne seront adjugés pour la présente demande.

« Paul S. Crampton »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er août 2023

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑889‑22

 

INTITULÉ :

DEREK ELLIOTT c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 juillet 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

paul crampton

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 1er août 2023

COMPARUTIONS :

Alan D Gold

Nader R Hasan

Ellen C. Williams

Daniel Goudge

Pour le demandeur

Jacob Blackwell

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alan D Gold Professional Corporation

Toronto (Ontario)

Stockwoods LLP

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Le ministre de la Sécurité publique

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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