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Date : 20230725


Dossier : IMM-699-22

Référence : 2023 CF 1016

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

Kikelomo Isiwat OGEDENGBE

Mahdiya Ojuolape OGEDENGBE

Abdul Majid Akolade OGEDENGBE

Marthin Iredele OGEDENGBE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont une mère, Kikelomo Isiwat Ogedengbe, et ses enfants qui sont citoyens du Nigéria, à l’exception de son plus jeune enfant, qui est citoyen des États-Unis. Kikelomo Isiwat Ogedengbe, la demanderesse principale [la DP], et son époux ont divorcé pendant qu’ils séjournaient aux États-Unis, avant d’entrer au Canada, mais ils se sont réconciliés et résident ensemble ici avec leurs enfants.

[2] Avec l’époux de la DP, les demandeurs ont demandé l’asile au Canada en alléguant une crainte de la belle-famille de la DP qui appartient à un clan traditionnel au Nigéria, ainsi qu’une crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle de l’époux de la DP.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a rejeté la demande d’asile de la famille après avoir conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[4] En appel, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a accordé l’asile à l’époux de la DP au motif de son orientation sexuelle, mais elle a conclu que les autres membres de la famille ne seraient pas exposés à la persécution s’ils retournaient au Nigéria sans lui et a rejeté leurs demandes d’asile [la décision]. De plus, la SAR a conclu que le plus jeune enfant [le demandeur mineur] n’avait pas établi qu’il serait exposé à des préjudices aux États-Unis.

[5] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision. Je ne suis pas convaincue que la décision est déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural, contrairement à ce que prétendent les demandeurs.

[6] Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs exposés ci-après.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[7] Après avoir pris en compte les observations écrites et de vive voix des parties, la preuve figurant au dossier et la jurisprudence applicable, je conclus que la présente affaire soulève les questions qui suivent :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte fondée de persécution au Nigéria?

  2. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en omettant de donner aux demandeurs la possibilité d’aborder une nouvelle question?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur en omettant de présenter des motifs quant à ses conclusions relatives au demandeur mineur?

[8] Une décision raisonnable est une décision qui possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et qui est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]. Il incombe à la partie qui conteste une décision administrative d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[9] Les questions relatives à l’équité procédurale commandent l’application d’une norme de contrôle qui s’apparente à celle de la décision correcte : Benchery c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 217 aux paras 8 et 9; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Vavilov, au para 77. La cour de révision doit se demander si le processus était équitable dans les circonstances : Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 520 au para 24.

III. Analyse

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas de crainte fondée de persécution au Nigéria?

[10] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision est fondée sur une chaîne d’analyse illogique ou irrationnelle ou qu’il y avait une faille décisive dans la logique globale de la SAR : Vavilov, aux para 85 et 102.

[11] Je suis convaincue, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, que la SAR a conclu de façon raisonnable que les demandeurs n’avaient pas établi de crainte fondée de persécution en raison de l’orientation sexuelle de l’époux de la DP ou des menaces en lien avec le clan.

[12] En ce qui concerne l’affirmation relative à l’orientation sexuelle, la SAR a expliqué que la preuve documentaire objective n’établissait pas l’allégation des demandeurs selon laquelle ils seraient exposés à un risque prospectif au Nigéria en tant que membres de la famille immédiate d’un homme bisexuel lorsque celui-ci n’était pas lui-même au Nigéria. À la lumière des éléments de preuve dont disposait la SAR, j’estime que les conclusions tirées par celle-ci étaient raisonnables.

[13] De plus, la SAR est réputée avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle était saisie et elle n’est pas tenue de renvoyer à chaque élément de preuve : Kandha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 430 au para 16. Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la SAR a écarté un quelconque élément de preuve crucial ou contradictoire, et il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve dont disposait la SAR : Vavilov, au para 125.

[14] En ce qui concerne les menaces en lien avec le clan, j’estime que la SAR a expliqué de façon raisonnable les raisons pour lesquelles elle n’avait pas examiné cette affirmation. La SAR a expliqué que les demandeurs avaient affirmé qu’ils avaient appris à vivre avec les enjeux associés au clan familial, et qu’ils n’avaient pas fait valoir cet élément devant la SPR, en dépit du fait que la possibilité leur avait été offerte lorsque leur avocat les a interrogés pendant l’audience devant la SPR.

[15] Par exemple, lorsque le commissaire de la SPR lui a demandé ce qu’il voulait dire quand il avait affirmé qu’il ne pourrait pas avoir une belle vie au Nigéria, l’époux de la DP a répondu qu’il ne pourrait pas vivre en tant que personne bisexuelle parce qu’il devrait se cacher. Lorsque le commissaire lui a demandé s’il craignait d’autres préjudices pour lui-même et pour sa famille, l’époux de la DP a répondu : [traduction] « C’est terminé maintenant. ». En dépit du fait que l’époux de la DP a précisé que leur crainte avait pris naissance avec les enjeux en lien avec le clan familial, son orientation sexuelle et le fait d’avoir été surpris en train d’embrasser un ami l’ont amené à craindre pour sa vie et pour la sécurité de sa famille, ainsi qu’à quitter le Nigéria.

[16] Après avoir examiné globalement le témoignage de la DP et de son époux devant la SPR, je conviens avec le défendeur que la SAR a conclu de façon raisonnable qu’il n’y avait pas assez de preuve établissant la crainte objective des demandeurs, pour les deux affirmations : Fodor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 218 au para 18; Doka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 449 au para 38.

[17] En outre, je souligne que les demandeurs allèguent devant la Cour que le père de la DP a été pris pour cible et a subi des blessures en raison de l’orientation sexuelle de l’époux de la DP, et que la SAR avait omis de prendre en compte cette preuve concernant une personne dans la même situation au Nigéria. Les demandeurs ont toutefois soutenu devant la SAR que le père de la DP avait été pris pour cible par le clan, et non pas en raison de l’orientation sexuelle de l’époux. Là encore, il était loisible aux demandeurs de clarifier et de faire valoir cet aspect de leurs demandes d’asile devant la SPR lorsqu’ils en ont eu la possibilité.

B. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en omettant de donner aux demandeurs la possibilité d’aborder une nouvelle question?

[18] Comme je l’explique ci-après, je ne suis pas convaincue que la SAR a soulevé une nouvelle question sans donner aux demandeurs la possibilité d’y répondre.

[19] Lorsque la SAR confirme une décision de la SPR « pour un motif qui ne peut raisonnablement être considéré comme découlant des questions en litige formulées par les parties, la SAR doit aviser les parties concernées et leur permettre de présenter des observations » : Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 639 au para 33.

[20] Je conviens avec le défendeur qu’en concluant que le demandeur mineur n’avait pas établi qu’il était exposé à la persécution ou à des préjudices aux États-Unis, la SAR n’a fait que confirmer que c’était bien le cas; les demandeurs n’ont présenté aucune preuve qui permette de fonder une allégation de persécution à l’encontre des États-Unis. Après un examen minutieux, il est évident que la décision ne repose pas sur cette conclusion et que cette dernière n’est pas au cœur des conclusions globales tirées par la SAR. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la SAR a soulevé une nouvelle question ni qu’elle était tenue de donner aux demandeurs un avis à cet égard.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur en omettant de présenter des motifs quant à ses conclusions relatives au demandeur mineur?

[21] En outre, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en n’appréciant pas plus en profondeur la question de savoir si le demandeur mineur était exposé à des risques aux États-Unis.

[22] Le fardeau de la preuve revient aux demandeurs d’asile, et ceux-ci sont censés présenter le meilleur dossier possible : Abdullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 14.

[23] Le dossier confirme que la demande d’asile du demandeur ne repose pas sur une crainte concernant les États-Unis. Les demandeurs ne peuvent pas blâmer la SAR pour ne pas avoir apprécié la question de savoir si le demandeur mineur est exposé à un risque de préjudice ou de persécution aux États-Unis alors qu’ils n’ont pas fait valoir ce risque devant le tribunal précédent : Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363 au para 8; Bin Jamil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1791 au para 63.

[24] J’estime que les demandeurs émettent ici l’hypothèse que la famille sera séparée et que le demandeur mineur sera remis au réseau de familles d’accueil aux États-Unis. Il n’y a aucune preuve au dossier pour étayer cet argument. L’essentiel, c’est que les demandeurs n’ont pas soulevé la question devant le tribunal précédent, et que la question, pour cette raison, n’est pas soumise en bonne et due forme à la Cour.

IV. Conclusion

[25] Pour les motifs exposés précédemment, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

[26] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et les circonstances n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-699-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-699-22

 

INTITULÉ :

KIKELOMO ISIWAT OGEDENGBE, MAHDIYA OJUOLAPE OGEDENGBE, ABDUL MAJID AKOLADE OGEDENGBE, MARTHIN IREDELE OGEDENGBE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Gökhan Toy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gökhan Toy

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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