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Date : 20230727


Dossier : IMM-10086-22

Référence : 2023 CF 1025

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2023

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

BANGUIAN, SALAMATOU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Salamatou Banguian, citoyenne du Burkina Faso, est couturière, styliste-modéliste, et propriétaire de l’entreprise de vêtements Hampanie Design SARL, une société à responsabilité limitée au Burkina Faso. Elle commercialise également des vêtements ainsi que du matériel et du mobilier de bureau commercial et résidentiel importés de la Turquie. Mme Banguian demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des visas datée du 26 août 2022. L’agent a rejeté la demande de visa de visiteur de la demanderesse, n’étant pas convaincu que Mme Banguian quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour.

[2] Mme Banguian désire visiter comme touriste le Canada, notamment les villes de Montréal, de Québec et de Niagara Falls. Son mari et ses deux filles mineures résident au Burkina Faso. Mme Banguian possède des biens mobiliers et immobiliers, notamment sa résidence familiale et une voiture de marque Range Rover Velar 2018; elle a produit ses relevés bancaires qui présentent des soldes disponibles cumulés de 29 234 560 FCFA, soit plus de 58 000 $ selon la demanderesse. De plus, Mme Banguian a payé son billet d’avion aller-retour et a fait sa réservation d’hôtel à Montréal pour 14 nuitées. Elle a déjà voyagé dans plusieurs pays européens ainsi qu’aux États-Unis, a toujours quitté ces pays à la fin de son séjour autorisé et s’est toujours conformée aux lois et règlements des pays qu’elle a eu l’occasion de visiter. Elle s’engage à retourner au Burkina Faso à la fin de son séjour, auprès de sa famille et pour s’occuper de ses activités commerciales.

[3] La lettre de décision indique que l’agent n’était pas persuadé que Mme Banguian quitterait le Canada à la fin de son séjour, en raison des facteurs suivants :

Vos biens et votre situation financière ne suffisent pas pour subvenir au motif de votre voyage (et pour ceux des membres de la famille qui vous accompagnent, le cas échéant).

La raison de votre visite au Canada n’est pas compatible avec un séjour temporaire compte tenu des informations que vous avez fournies dans votre demande.

[Je souligne.]

[4] Les notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] se lisent comme suit :

[traduction]

J’ai examiné la demande et, pour prendre ma décision, j’ai tenu compte des facteurs qui suivent. Les biens et la situation financière de la demandeure ne suffisent pas pour soutenir le but déclaré de son voyage (et des membres de la famille qui l’accompagnent, le cas échéant). L’objet de la visite de la demandeure au Canada n’est pas compatible avec un séjour temporaire, selon les détails fournis dans la demande. Compte tenu de tous ces facteurs, je ne suis pas convaincu que la demandeure quittera le Canada à la fin du séjour autorisé. Pour toutes ces raisons, je refuse la demande.

[5] La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question du caractère raisonnable de la décision. La norme de la décision raisonnable s’applique au bien-fondé de la décision de l’agent des visas (Musasiwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 617 au para 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 23).

[6] Mme Banguian soutient que l’agent a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits qui a entraîné une conclusion de fait erronée (Vavilov au para 104), car l’agent n’a pas pris compte de ses liens familiaux au Burkina Faso, ni des autres facteurs qui militent en faveur de son retour au Burkina Faso à la fin de son séjour (Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1493 au para 18; Zuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 88 au para 31; Vavilov au para 126).

[7] Le défendeur admet que la décision de l’agent est brève et tente de fouiller dans le Dossier certifié du tribunal pour la justifier. Mais ce n’est pas à l’avocat de faire ce travail. Comme nous l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov : « il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (Vavilov au para 86).

[8] Le silence de l’agent quant aux faits pertinents en faveur de Mme Banguian constitue un motif d’annulation de la décision (Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 aux para 25-26; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) aux para 16-17; Oloruntoba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1414 au para 8). De ce que je peux voir, la décision de l’agent des visas est manifestement déraisonnable. Ici, les conclusions de l’agent ne sont pas justifiées selon la preuve et les observations versées au dossier, ni même en soi. En fait, je dois avouer qu’il est curieux que le montant disponible de 58 000 $ ne soit pas suffisamment élevé pour couvrir les dépenses raisonnables de Mme Banguian durant ses deux semaines de séjour au Canada alors qu’elle avait déjà payé son billet d’avion aller-retour et que les frais d’hôtel étaient estimés à 5 314,54 $ pour 14 nuits. En effet, les motifs dans le SMGC n’ajoutent rien aux conclusions contenues dans la lettre de décision.

[9] La décision de l’agent n’est ni transparente, ni intelligible, ni justifiée. La Cour n’est pas en mesure de suivre le raisonnement de l’agent (Vavilov au para 102); la décision n’est pas basée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti (Vavilov au para 85). En fait, je doute que l’agent ait même examiné les documents dans le dossier, étant donné qu’il a fait référence à « des membres de la famille qui vous accompagnent, le cas échéant », dans un cas où la demande de visa ne concernait que Mme Banguian.


JUGEMENT au dossier IMM-10086-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’agent est annulée.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10086-22

 

INTITULÉ :

SALAMATOU BANGUIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 Juillet 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 juillet 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Olivier Badolo

Pour la demanderesse

Me Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olivier Badolo, avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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