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Date : 20230721


Dossier : T-1777-22

Référence : 2023 CF 997

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2023

En présence de madame la juge Tsimberis

ENTRE :

RACHEL-NOÉMI LEVESQUE

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le programme de la Prestation canadienne de relance économique pour proches aidants [la PCREPA] a été établi par le législateur en application de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la Loi] en réponse à la pandémie de COVID-19. Il fournissait une aide financière aux salariés et aux travailleurs indépendants qui étaient incapables de travailler parce qu’ils devaient s’occuper de leur enfant de moins de 12 ans ou d’un membre de leur famille qui avait besoin de soins supervisés. Le programme s’appliquait si l’école ou autre installation que l’enfant ou le membre de la famille fréquentait était fermée ou que ses activités étaient suspendues pour des raisons liées à la COVID-19 ou si l’enfant ou le membre de la famille qui nécessitait des soins supervisés était malade, en isolement ou à risque de graves complications de santé en raison de la COVID-19. Dans le cadre du programme de la PCREPA, une personne admissible pouvait recevoir 500 $ CA pour toute semaine comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 7 mai 2022. Le nombre maximal de semaines à l’égard desquelles la PCREPA pouvait être versée aux personnes résidant à la même adresse était de 44 semaines. L’Agence du revenu du Canada [l’ARC], qui était responsable de l’administration de la PCREPA, versait les prestations parfois avant et d’autres fois après l’étude de la demande.

[2] La demanderesse, Mme Rachel-Noémi Levesque, qui n’était pas représentée par un avocat dans la présente affaire, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 août 2022 par un agent chargé de la conformité des prestations [l’agent] de l’ARC [la décision]. À la suite de l’examen de troisième niveau de l’admissibilité de la demanderesse à la PCREPA, l’agent a déterminé qu’elle n’était pas admissible à la PCREPA et qu’elle devait rembourser la somme reçue alors qu’elle était inadmissible. Après que l’agent eut rendu sa décision, la demanderesse a reçu un avis de nouvelle détermination et a été avisée qu’elle devait rembourser 2 500 $ CA, soit la somme qu’elle a reçue pour les périodes allant du 28 mars 2021 au 1er mai 2021 (périodes 27 à 31). La demanderesse demande à la Cour de déclarer qu’elle a droit aux versements de la PCREPA pour les périodes allant du 2 mai 2021 au 21 août 2021 (périodes 32 à 47) et qu’elle n’est pas tenue de rembourser la somme de 2 500 $ CA reçue pour les périodes 27 à 31 susmentionnées.

[3] Pour les motifs qui suivent, et conformément au rôle que joue la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire, je conclus que la décision de l’agent n’est pas déraisonnable.

II. Le contexte

A. Les faits

[4] La demanderesse a commencé son congé de maternité le 2 septembre 2020 et elle a reçu des prestations de maternité, qui sont des prestations non partageables au titre du Régime québécois d’assurance parentale (le RQAP), du 25 octobre 2020 au 27 février 2021. Elle a reçu des prestations parentales pendant 3 semaines, soit du 28 février 2021 au 20 mars 2021.

[5] La demanderesse a ensuite décidé de transférer à son mari toutes les autres semaines de prestations parentales partageables et a demandé la PCREPA le 28 mars 2021, soit seulement 8 jours après la date à laquelle a pris fin son admissibilité au RQAP. La demanderesse a reçu des versements de la PCREPA qui totalisaient 2 500 $ CA pour les périodes commençant le 28 mars 2021 et se terminant le 1er mai 2021 (périodes 27 à 31). Les paiements au titre de la PCREPA ont été versés initialement sans examen de la demande.

[6] La demanderesse a également demandé des prestations pour les périodes 32 à 47, soit du 2 mai 2021 au 21 août 2021. Lorsque le dossier de la demanderesse a été choisi pour examen afin de déterminer son admissibilité à la PCREPA, les paiements ont été suspendus pour les périodes 32 à 47. Le dossier a été assigné à un agent chargé de l’examen de premier niveau.

[7] Pendant toutes les périodes pour lesquelles la demanderesse a demandé la PCREPA (périodes 27 à 47), le mari de la demanderesse recevait des prestations du RQAP et était à la maison à temps plein avec leur enfant.

[8] Dans sa décision datée du 3 décembre 2021, l’agent chargé de l’examen de premier niveau a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la PCREPA pour les deux motifs suivants :

[traduction]

  • « Votre semaine de travail prévue n’a pas été réduite d’au moins 50% parce que vous vous occupiez d’un membre de votre famille pour des raisons liées à COVID-19. »

  • « Vous avez reçu des prestations du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) pour la même période. »

[9] Le 7 décembre 2021, la demanderesse a demandé un examen de deuxième niveau de son admissibilité à la PCREPA, et son dossier a été assigné à un agent chargé de l’examen de deuxième niveau. Dans sa décision datée du 6 mai 2022, l’agent chargé de l’examen de deuxième niveau a conclu que la demanderesse [TRADUCTION] « a[vait] reçu des prestations d’assurance-emploi (AE) pour la même période » et qu’elle n’était donc pas admissible à la PCREPA.

[10] La demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire de la deuxième décision (dossier no T-1165-22 de la Cour fédérale). Ce dossier a été réglé à la suite du dépôt d’un avis de désistement, après que la demanderesse ait accepté la proposition du défendeur de renvoyer la demande de PCREPA à un agent pour un examen de troisième niveau.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] La décision rendue le 2 août 2022 par l’agent Jonathan Cousineau à l’issue de l’examen de troisième niveau est la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Selon l’agent, la demanderesse n’était pas admissible à la PCREPA pour les périodes 27 à 47 pour les motifs suivants :

[traduction]

  • « Votre semaine de travail prévue n’a pas été réduite d’au moins 50% parce que vous vous occupiez d’un membre de votre famille pour des raisons liées à COVID-19 ».

  • « Vous ne vous occupiez pas de votre enfant de moins de 12 ans ou d’un membre de la famille parce qu’il ne pouvait pas fréquenter son école, sa garderie ou son établissement de soins pour des raisons liées à la COVID-19 ou parce que la personne qui s’en occupait habituellement n’était pas disponible pour des raisons liées à COVID-19 ».

[12] Les notes de l’agent reproduites ci-dessous font partie des motifs de la décision de l’agent (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au paragraphe 22) de refuser la PCREPA, et elles indiquent pourquoi l’agent a conclu que la demanderesse ne remplissait pas les conditions prévues par la Loi :

[traduction]

[1] La condition du 50% : En 2020, la contribuable a travaillé toute l’année jusqu’au 2 septembre, date à laquelle elle a commencé son congé de maternité. La contribuable a reçu des prestations du RQAP du 25 octobre 2020 au 20 mars 2021. Les prestations parentales ont ensuite été transférées à son mari, et la contribuable a présenté une demande de PCREPA. Comme il est indiqué dans la lettre datée du 2020-11-19 rédigée par le Centre de services scolaire Marguerite-Bourgoys et comme il a ensuite été confirmé au cours de la conversation téléphonique qui a eu lieu pendant l’examen de deuxième niveau, la contribuable ne devait retourner au travail que le 23 août 2021. Cependant, la contribuable a demandé la PCREPA dès qu’elle a cessé de recevoir les prestations du RQAP, en mars 2021. La contribuable n’avait pas d’heures de travail prévues pendant toutes les périodes pour lesquelles elle a fait une demande de PCREPA, et n’avait donc pas perdu au moins 50% de ses heures de travail pour être considérée comme une proche aidante pour des raisons liées à la COVID-19.

[2] La contribuable n’était pas une proche aidante pour des raisons liées à la COVID-19 : Après son départ en congé de maternité en septembre 2020, la contribuable, une enseignante, a reçu des prestations du RQAP d’octobre 2020 à mars 2021. La contribuable aurait pu continuer de recevoir les prestations du RQAP, mais a décidé de transférer les prestations parentales à son mari en avril 2021, ce qui confirme que le mari de la contribuable était à la maison et qu’il ne travaillait pas pendant les périodes pour lesquelles la contribuable a demandé la PCREPA. La contribuable a déclaré qu’elle devait également rester à la maison parce qu’elle allaitait et parce que son mari a des problèmes de santé et ne peut pas soulever de lourdes charges. Cependant, la contribuable a fait le choix de transférer les prestations du RQAP à son mari car elle aurait pu continuer à recevoir les prestations. En tant que fonctionnaire au gouvernement fédéral, son mari aurait pu présenter une demande de congé de maladie prolongé s’il éprouvait des problèmes de santé. Le fait que la contribuable a décidé de ne pas continuer de recevoir les prestations du RQAP et qu’elle a au lieu demandé la PCREPA ne veut pas dire que la contribuable était une proche aidante pour des raisons liées à la COVID-19. La pandémie n’est pas la raison pour laquelle la contribuable était une proche aidante d’un bébé étant donné que son congé de maternité a été approuvé jusqu’au 23 août 2021.

III. Les questions en litige

[13] La principale question en litige consiste à savoir si la décision est raisonnable.

[14] La demanderesse se plaint également de la façon dont sa demande de PCREPA a été traitée. Cette question est analysée dans la partie portant sur l’équité procédurale ci-après.

[15] Enfin, la demanderesse a soumis à la Cour de nouveaux éléments de preuve et de nouveaux arguments dont le décideur n’était pas saisi. Cette question préliminaire est également traitée de façon distincte ci-après.

IV. La norme de contrôle

[16] La Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’une cour effectue le contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, hormis un examen se rapportant à un manquement à la justice naturelle et/ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions n’est applicable en l’espèce.

[17] Une cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème : Vavilov, au para 83.

[18] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

[19] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[20] Une allégation concernant l’équité procédurale est jugée sur une base qui se rapproche du contrôle selon la norme de la décision correcte. En fin de compte, la question consiste à savoir si la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56.

V. L’équité procédurale

[21] La demanderesse n’était pas satisfaite de la façon dont sa demande de PCREPA a été traitée.

[22] La demanderesse allègue que l’agent n’a pas cité correctement les conditions d’admissibilité prévues par la loi et a fait abstraction des éléments clés des conditions d’admissibilité qui étaient pertinentes dans son cas. Ces éléments seront examinés dans la section VII ci-après. L’examen de ces éléments pourrait expliquer pourquoi certains points n’étaient pas inclus dans la décision de l’agent et pourquoi d’autres l’étaient.

[23] Toutefois, de toute évidence, la demanderesse a été informée des conditions à remplir puisque, le 27 juillet 2022, elle a eu une conversation téléphonique avec l’agent pendant laquelle elle a répondu aux questions de l’agent avant qu’il rende sa décision, et la demanderesse aurait pu fournir d’autres documents pour répondre aux questions soulevées par l’agent avant qu’il rende sa décision le 2 août 2022. L’exigence relative à l’équité procédurale est donc respectée.

[24] La demanderesse allègue que, une fois la décision rendue, elle a appelé l’ARC à la fin août 2022 et a parlé à un agent. L’agent a tenté de lui expliquer pourquoi elle n’était pas admissible à la PCREPA et la demanderesse a indiqué qu’elle souhaitait parler à un gestionnaire. Plusieurs jours plus tard, un autre agent a appelé la demanderesse pendant qu’elle travaillait et elle n’a pas pu répondre au téléphone. Selon la demanderesse, elle a rappelé trois fois, à des jours différents. Elle a laissé des messages, et personne ne l’a rappelée.

[25] Il était évident, au cours de l’instruction du contrôle judiciaire, que la demanderesse aurait aimé qu’un agent l’aide ou la conseille sur la façon de satisfaire aux conditions d’admissibilité à la PCREPA. Le rôle de l’agent consiste à déterminer si une personne qui présente une demande respecte les conditions d’admissibilité relatives à la PCREPA en se fondant sur les faits et la preuve documentaire présentés et non à fournir des conseils juridiques sur la façon de satisfaire aux conditions. Une fois la décision rendue, le fait que la demanderesse a eu l’occasion de parler à un agent à la fin août 2022 pour obtenir des explications sur la décision rendue démontre davantage que la procédure était ouverte et transparente. Le fait qu’elle n’a pu joindre un gestionnaire est malheureux, mais ne rend pas la procédure inéquitable pour autant. La demanderesse n’a fourni aucune preuve d’iniquité procédurale.

VI. Les nouveaux éléments de preuve et arguments

[26] Avant d’examiner la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, je vais me pencher sur la question préliminaire de savoir si la Cour peut examiner de nouveaux éléments de preuve et de nouveaux arguments présentés par la demanderesse dont le décideur n’était pas saisi.

[27] La demanderesse a déposé un affidavit et les documents suivants [les nouveaux éléments de preuve] auprès de la Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Comme ceux-ci n’ont pas été préalablement fournis à l’ARC au cours des examens de premier, deuxième ou troisième niveau, le décideur n’en a pas été saisi:

  • Les conditions d’admissibilité à la Prestation canadienne de relance économique pour proches aidants (PCREPA), pages du site Web de l’ARC, imprimées le 18 septembre 2022, signifiées en tant qu’annexe A;

  • Certaines parties de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, signifiées en tant qu’annexe D;

  • Le Guide de la Charte des droits du contribuable : Pour comprendre vos droits en tant que contribuable, pages du site Web de l’ARC, signifiées en tant qu’annexe E.

[28] Je suis d’accord avec le défendeur qu’en principe seuls les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif sont admissibles devant la cour saisie du contrôle, de sorte que les documents qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 42 citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19; Sigh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11 aux para 27-29).

[29] Comme l’a soutenu le défendeur, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux paragraphes 97 et 98, a rappelé qu’il y a trois exceptions reconnues à la règle énoncée précédemment : i) lorsqu’un nouvel élément de preuve est nécessaire pour fournir des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire, ii) pour signaler les manquements à l’équité procédurale, et iii) pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une certaine conclusion.

[30] En l’espèce, les nouveaux éléments de preuve ne relèvent d’aucune de ces exceptions reconnues (ou d’autres semblables) qui permettraient à la Cour de les admettre en preuve.

[31] Toutefois, et comme il a été mentionné à l’audience, la Cour ne souscrit pas à l’argument du défendeur selon lequel elle ne peut prendre en considération les extraits de la Loi déposés par la demanderesse (annexe D des nouveaux éléments de preuve) parce qu’il s’agit de faits et qu’ils ne sont pas pertinents. Les extraits de la Loi ne sont pas des faits qui doivent être prouvés, mais plutôt des dispositions législatives dont la Cour peut prendre connaissance d’office (articles 2806 et 2807 du Code civil du Québec et article 18 de la Loi sur la preuve au Canada). La Loi est pertinente en l’espèce et la Cour en prendra connaissance.

VII. La décision n’est pas déraisonnable

[32] L’alinéa 17(1)f) de la Loi énonce les conditions d’admissibilité cumulatives de la PCREPA. Aux fins de la présente demande, les conditions d’admissibilité suivantes sont pertinentes et les passages soulignés sont au cœur du débat entre les parties respectives :

Au cours de la semaine visée, un employé a été dans l’incapacité de travailler au moins 50% du temps durant lequel il aurait par ailleurs travaillé pour l’une des raisons suivantes : b) il s’occupait d’un enfant de moins de 12 ans le premier jour de la semaine visée parce que l’enfant ne pouvait fréquenter l’école, la garderie ou un autre établissement, car il était en isolement sur l’avis d’un organisme de santé publique pour des raisons liées à la COVID-19, ou il s’occupait d’un enfant de moins de 12 ans le premier jour de la semaine visée, car la personne qui s’en occupait habituellement n’était pas disponible pour des raisons liées à la COVID-19.

[33] Les arguments de la demanderesse concernant les motifs pour lesquels la décision n’était pas raisonnable portent sur chacune des deux conclusions tirées par l’agent. Les arguments sont exposés ci-après et sont suivis de mon analyse.

1) « Votre semaine de travail prévue n’a pas été réduite d’au moins 50% »

[34] Essentiellement, dans ses observations, la demanderesse soutient que la façon dont le décideur a formulé le motif du refus dans sa lettre (c.-à-d. [TRADUCTION] « [v]otre semaine de travail prévue n’a pas été réduite d’au moins 50% ») est différente du libellé de la loi (c.-à-d. « au cours de la semaine visée, elle a été incapable d’exercer son emploi pendant au moins 50% du temps qu’elle aurait par ailleurs travaillé »). Elle soutient que le premier critère invoqué pour rejeter sa demande qui renvoie à la « semaine de travail prévue » n’apparaît pas dans la législation ni sur la page Web de l’ARC qui énumère les conditions d’admissibilité de la PCREPA.

[35] La demanderesse a raison de dire que l’agent a utilisé le mot [traduction] « prévue » dans sa décision et que ce mot n’apparaît pas dans le libellé de l’alinéa 17(1)f) de la Loi. Dans son affidavit, l’agent confirme qu’il n’a pas consulté la Loi lorsqu’il a rendu sa décision :

« 17 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique pour les proches aidants, à l’égard de toute semaine comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 7 mai 2022, la personne qui remplit les conditions suivantes :

[…]

f) au cours de la semaine visée, elle a été incapable d’exercer son emploi pendant au moins cinquante pour cent du temps durant lequel elle aurait par ailleurs travaillé — ou a réduit d’au moins cinquante pour cent le temps qu’elle aurait par ailleurs consacré au travail qu’elle exécute pour son compte [...] ».

[36] Les mots clés à cet alinéa sont « aurait par ailleurs travaillé ». Le dictionnaire Larousse en ligne définit les mots « être prévu », utilisés par l’agent, comme quelque chose qui va « être envisagé » ou même « prendre des dispositions en vue de son éventualité », en d’autres mots, c’est « un futur très probable » : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/pr%C3%A9voir/63883

[37] Le libellé pertinent de la Loi et les mots utilisés par l’agent ont un sens similaire. Pour qu’une personne ait par ailleurs travaillé, elle doit nécessairement avoir prévu de travailler ou sa semaine de travail devait être prévue.

[38] Pour décider si la décision de l’agent était raisonnable, nous devons examiner les éléments de preuve dont disposait l’agent pour déterminer si la demanderesse « aurait par ailleurs travaillé » conformément à la Loi ou si elle avait une [traduction] « semaine de travail prévue » selon la formulation utilisée dans la décision.

[39] La décision de l’agent selon laquelle [TRADUCTION] « [la] semaine de travail prévue [de la demanderesse] n’a[vait] pas été réduite d’au moins 50% » découle, entre autres, des éléments de preuve suivants :

  • Le 27 juillet 2022, au cours d’une conversation téléphonique entre la demanderesse et le décideur, la demanderesse a confirmé qu’elle avait arrêté de travailler le 2 septembre 2020, date à laquelle a commencé son congé de maternité, et qu’elle ne devait pas retourner au travail avant le 23 août 2021;

  • La demanderesse a présenté une lettre d’emploi du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgoys datée du 19 novembre 2020, qui porte la mention « Maternité avec traitement » et qui indique que la demanderesse « saura [sic] de retour au travail le 23 août 2021 ».

Pour ces raisons, l’agent a conclu que la demanderesse devait seulement retourner au travail le 23 août 2021.

[40] La Cour convient avec le défendeur qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que la semaine de travail prévue de la demanderesse n’avait pas été réduite d’au moins 50%, car la preuve démontre que son retour au travail n’était pas prévu avant le 23 août 2021, qui est une date ultérieure à toutes les périodes mentionnées précédemment pour lesquelles la demanderesse a présenté une demande de prestations. Autrement dit, pour reprendre le libellé de la Loi, la demanderesse n’était pas « au cours de la semaine visée, incapable d’exercer son emploi pendant au moins 50% du temps », car les éléments de preuve montrent qu’elle avait, à tous les moments importants, seulement prévu retourner au travail le 23 août 2021. La décision de l’agent selon laquelle [traduction] « [la] semaine de travail prévue [de la demanderesse] n’a[vait] pas été réduite d’au moins 50% » découle d’un processus de réflexion cohérent et logique : [TRADUCTION] « Comme il est indiqué dans la lettre datée du 2020-11-19 rédigée par le Centre de services scolaire Marguerite-Bourgoys, et comme il a ensuite été confirmé au cours de la conversation téléphonique qui a eu lieu pendant l’examen de deuxième niveau, la contribuable ne devait retourner au travail que le 23 août 2021. Cependant, la contribuable a demandé la PCREPA dès qu’elle a cessé de recevoir les prestations du RQAP, en mars 2021. »

[41] Si la demanderesse était retournée au travail pendant une certaine période après avoir cessé de recevoir les prestations du RQAP (pendant que son mari recevait les prestations du RQAP) puis qu’elle avait, après quelques semaines de travail, présenté une demande de PCREPA, peut-être que l’agent n’aurait pas conclu que la [TRADUCTION] « semaine de travail prévue [de la demanderesse] n’a[vait] pas été réduite d’au moins 50% ». Or, tel n’est pas le cas et il n’y a aucune preuve dans le dossier qui montre que la demanderesse soit retournée au travail avant le 23 août 2021.

[42] Pour les motifs énoncés précédemment, je ne suis pas convaincue que la conclusion de l’agent était déraisonnable. En effet, la semaine de travail prévue de la demanderesse n’a pas été réduite d’au moins 50% (ou, selon le libellé de la Loi, la demanderesse n’a pas été incapable d’exercer son emploi pendant au moins 50% du temps durant lequel elle aurait par ailleurs travaillé). La conclusion de l’agent n’était donc pas déraisonnable.

[43] Ce motif suffit à lui seul pour rejeter la demande puisque, pour être admissible à la PCREPA, la demanderesse doit remplir chacune des conditions énoncées à l’alinéa 17(1)f) de la Loi. Toutefois, puisque la demanderesse agit pour son propre compte, je vais très brièvement examiner la deuxième conclusion de l’agent, c’est-à-dire que la demanderesse n’était pas une proche aidante et qu’elle ne s’occupait pas de son enfant et l’absence de lien avec la COVID-19.

2) « La contribuable n’était pas une proche aidante pour des raisons liées à la COVID-19 »

[44] La preuve démontre clairement (et les notes de l’agent citées précédemment l’indiquent) que la demanderesse ne s’occupait pas de l’enfant puisque son mari recevait des prestations du RQAP pour s’occuper de l’enfant au cours de toutes les périodes 27 à 47 visées par la demande. Lorsque la demanderesse a transféré les prestations du RQAP à son mari, c’est son mari (et non elle) qui était réputé être la personne qui s’occupait de l’enfant.

[45] La preuve montre également que la COVID-19 n’était pas la raison pour laquelle la demanderesse s’occupait de son bébé puisqu’elle devait recevoir des prestations pour un congé de maternité/congé parental qui était approuvé jusqu’au 23 août 2021. Selon les notes de l’agent, [traduction] « [l]a pandémie n’est pas la raison pour laquelle la contribuable était une proche aidante d’un bébé étant donné que son congé de maternité a été approuvé jusqu’au 23 août 2021 ».

[46] La décision de l’agent selon laquelle la demanderesse n’était pas une proche aidante et qu’elle ne s’occupait pas de son enfant pour des raisons liées à la COVID-19 était logique, cohérente et intelligible et justifiée eu égard aux éléments de preuve dont il était saisi.

[47] Bien que l’agent n’ait pas mentionné l’Agence de la santé publique du Canada (l’ASPC) dans sa décision ni dans ses notes comme l’aurait souhaité la demanderesse, il a expressément mentionné dans ses notes les « Lignes directrices concernant la COVID-19 à l’intention des mères » et la « [l]ettre de la contribuable dans laquelle il est indiqué que les lignes directrices pour les mères pendant la pandémie avaient changé » dans la « liste des documents fournis ». De plus, l’agent a confirmé dans son affidavit daté du 9 novembre 2022 que ces documents étaient dans le dossier de la demanderesse (pièce G) lorsqu’il a rendu sa décision. Par conséquent, l’agent disposait de ces documents et il a décidé, pour d’autres raisons, que la demanderesse n’était pas admissible.

[48] L’agent n’a pas mentionné ces documents dans ses motifs parce qu’il a peut-être décidé que le document de l’ASPC ne contenait que des lignes directrices et/ou ne constituait pas un avis d’un organisme de santé publique conformément à l’alinéa 17(1)f) de la Loi. Le document de l’ASPC intitulé « Maladie à coronavirus (COVID-19) : grossesse, accouchement et soins des nouveau-nés : conseils à l’intention des mères » indiquait, notamment, ce qui suit : « Si possible, vous et votre bébé ne devriez pas sortir de la maison sauf pour des raisons médicales [...] Nous recommandons l’allaitement dans la mesure du possible. L’allaitement offre de nombreux bienfaits pour la santé et réduit le risque d’infection et de maladie durant la petite enfance et l’enfance ». Les expressions « [s]i possible » et « dans la mesure du possible » sont utilisées pour demander quelque chose dans une situation où cette chose est possible. En d’autres termes, elles indiquent que la demande est tributaire de la possibilité ou de la faisabilité de celle-ci.

[49] La demanderesse soutient que, si elle n’avait pas accouché pendant la pandémie de COVID-19 et si un avis d’un organisme de santé publique n’avait pas été publié, elle serait retournée au travail et son mari se serait occupé de sa fille. Je continue de douter de cette affirmation compte tenu de la lettre d’emploi du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgoys datée du 19 novembre 2020, qui porte la mention « Maternité avec traitement » et qui indique le 23 août 2021 comme date prévue de retour au travail pour la demanderesse. Cette lettre rédigée pendant la pandémie de COVID-19, et dont disposait l’agent, était au cœur du raisonnement de ce dernier, à savoir que la demanderesse n’était pas une proche aidante de son enfant pour des raisons liées à la COVID-19 puisqu’elle était en congé parental approuvé jusqu’au 23 août 2021.

[50] Si la Cour donnait raison à la demanderesse, il serait possible pour deux parents de recevoir les prestations du RQAP et la PCREPA pour le même enfant.

[51] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a relevé aucune lacune grave dans la décision et qu’elle fait tout simplement valoir que, sans la pandémie de COVID-19, elle aurait pu travailler pendant son congé parental. De plus, il affirme que la demanderesse n’a pas démontré que la décision était déraisonnable. Je suis d’accord.

[52] Il incombe à la demanderesse de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100). La Cour suprême a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Vavilov :

[…] « Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable. »

[53] Bien que la demanderesse n’ait pas obtenu gain de cause, je tiens à souligner la pondération et le professionnalisme dont elle a fait preuve en tant que plaidante non représentée par un avocat.

VIII. Conclusion

[54] Après avoir examiné la Loi sous-jacente et les documents du dossier sous-jacent, et après avoir pris en considération les arguments des parties, je conclus, pour tous les motifs qui précèdent, que la décision de l’agent n’était pas déraisonnable. Elle satisfait aux critères énoncés puisqu’elle est intrinsèquement cohérente en plus d’être transparente, justifiée et intelligible. Elle ne démontre aucun raisonnement tautologique et ne contient aucune faille décisive.

[55] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

IX. Les dépens

[56] Dans ses observations orales, le défendeur a demandé à la Cour d’adjuger des dépens de 500 $ CA en l’espèce en citant une autre décision rendue en application de la Loi (Lussier c Canada (PG), 2022 CF 935 au para 25).

[57] En vertu de mon pouvoir discrétionnaire, et compte tenu de l’historique procédural d’examens de trois niveaux assortis de différents motifs justifiant le rejet de la demande de PCREPA de la demanderesse et de deux contrôles judiciaires, j’estime qu’il ne convient pas en l’espèce d’adjuger des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1777-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée et la demanderesse est condamnée à rembourser la somme de 2 500 $ CA (périodes 27 à 31), qui est la somme qu’elle a reçue alors qu’elle n’était pas admissible à la PCREPA.

  2. Aucun dépens n’est adjugé.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1777-22

 

INTITULÉ :

RACHEL-NOÉMI LEVESQUE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS :

21 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Mme Rachel-Noémi Levesque

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Felix Desbiens Gravel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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