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Date : 20230721


Dossier : IMM-7896-22

Référence : 2023 CF 1006

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

JUN LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET
DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la mesure d’exclusion prise par le délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le délégué du ministre] datée du 26 juillet 2022 [la mesure d’exclusion].

[2] Le demandeur est un citoyen de la Chine âgé de 40 ans qui est entré au Canada muni d’un visa d’étudiant en août 2001. Son visa d’étudiant a expiré en novembre 2002, mais le demandeur est resté au Canada de façon continue depuis ce temps sans statut.

[3] Le demandeur a épousé une résidente permanente du Canada et le couple a deux enfants canadiens. Une demande de parrainage conjugal à partir du Canada a été présentée pour le demandeur en juillet 2021.

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[4] Le demandeur a été interviewé par un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs le 30 mai 2022. Pendant cette entrevue, le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas travaillé depuis l’expiration de son visa d’étudiant en 2002 et qu’il n’avait pas demandé la prolongation de son statut.

[5] Après cette entrevue, un rapport au titre du paragraphe 44(1) a été établi, qui recommandait la prise d’une mesure d’exclusion contre le demandeur, aux termes de l’alinéa 41a) et du paragraphe 29(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il était souligné dans ce rapport que le demandeur n’avait pas obtenu de prolongation de son statut depuis l’expiration de celui-ci en 2002.

[6] Le demandeur a été interviewé par le délégué du ministre le 26 juillet 2022. Lorsque le délégué du ministre lui a demandé s’il avait demandé une prolongation pour rester plus longtemps au Canada, le demandeur a répondu par la négative.

[7] Le délégué du ministre a conclu qu’il y avait, aux termes de l’alinéa 41a) de la LIPR, des motifs de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était interdit de territoire pour avoir omis de se conformer au paragraphe 29(2) de la LIPR, qui exige que les résidents temporaires quittent le Canada à la fin de leur période de séjour autorisée.

II. Dispositions législatives pertinentes

[8] L’article 41 de la LIPR est ainsi libellé :

S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act.

 

[9] Le paragraphe 29(2) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

 

A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.

 

III. Question en litige et norme de contrôle

[10] Le demandeur soulève des questions relatives au caractère raisonnable et à l’équité procédurale dans la présente demande. Puisque le demandeur n’a formulé aucune observation de fond quant à l’équité procédurale, je n’examinerai que le caractère raisonnable de la décision.

[11] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

IV. Analyse

[12] Le demandeur soutient qu’en prenant la mesure d’exclusion, le délégué du ministre a omis de prendre en compte sa situation personnelle. Plus particulièrement, il prétend que le délégué du ministre était tenu de prendre en compte des facteurs d’ordre humanitaire, dont l’intérêt supérieur de ses enfants.

[13] Cette observation présente deux problèmes.

[14] En premier lieu, il n’y a pas de preuve que le demandeur a soulevé des considérations d’ordre humanitaire ou liées à l’intérêt supérieur des enfants pendant l’une ou l’autre des deux entrevues avec l’Agence des services frontaliers du Canada. Il n’y a pas non plus de preuve qu’il a demandé que ces facteurs soient pris en compte de quelque façon que ce soit. Ces facteurs semblent avoir été soulevés pour la première fois en contrôle judiciaire. Dans les circonstances, le délégué du ministre ne saurait être blâmé pour ne pas avoir pris en compte un argument qui n’a pas été soulevé.

[15] En second lieu, il ressort clairement de la jurisprudence que le délégué du ministre n’est pas tenu de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire dans le contexte d’une mesure d’exclusion. Dans l’arrêt Bermudez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 131, la Cour d’appel fédérale a établi que les « non-citoyens, qu’ils soient étrangers ou résidents permanents, n’ont pas le droit de voir ajoutés par interprétation des motifs d’ordre humanitaire à chaque disposition de la LIPR, dont l’application pourrait mettre en péril leur statut » au para 38).

[16] Plus particulièrement dans le contexte des mesures d’exclusion, la Cour fédérale a statué à maintes reprises que le délégué du ministre n’avait pas l’obligation de tenir compte de facteurs d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant concerné, lorsqu’il prend une mesure d’exclusion au titre de l’article 44 (voir la décision Eberhardt c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 1077 aux para 58 et 59; Rosenberry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 882 au para 36 [Rosenberry]; et Lasin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1356).

[17] Dans la décision Rosenberry, la Cour a statué :

[36] Le fond de la décision n’obligeait pas la déléguée du ministre à tenir compte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ni, d’ailleurs, d’aucun facteur d’ordre humanitaire. Lorsqu’ils appliquent l’article 44, les agents d’immigration ne font que rechercher les faits. Ils sont tenus de prendre des mesures quand les faits indiquent qu’un étranger est interdit de territoire. Il n’appartient pas à ces agents d’examiner des considérations d’ordre humanitaire ni des facteurs de risque qui seraient pris en compte dans l’examen des risques avant renvoi. Ce principe a récemment été confirmé dans Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409, aux paragraphes 35 et 37.

[18] Pour cette raison, les observations formulées par le demandeur selon lesquelles le délégué du ministre était tenu de prendre en compte des facteurs d’ordre humanitaire ne sont pas fondées.

[19] De plus, le demandeur se fonde sur la décision Ouedraogo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 810 [Ouedraogo] dans laquelle la juge McVeigh a statué que le terme « peut » au paragraphe 44(2) de la LIPR et au sous-alinéa 228(1)c)(iv) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 conférait au délégué du ministre un pouvoir discrétionnaire limité quant à la prise d’une mesure d’exclusion. Dans la décision Ouedraogo, le demandeur était encore dans la période de 90 jours pour le rétablissement de son statut au Canada et la juge McVeigh a statué que « [l]’exercice du pouvoir discrétionnaire se limit[ait] à examiner si le demandeur qui est resté au Canada plus longtemps qu’il lui était permis a[vait] déposé une demande de rétablissement, ou si l’on p[ouvai]t supposer qu’il aurait présenté une demande dans la période de 90 jours, avant que sa situation ne soit portée à l’attention des fonctionnaires de l’immigration » (au para 24). La juge McVeigh a conclu que la déléguée du ministre n’avait pas entravé son pouvoir discrétionnaire limité dans les circonstances, compte tenu de la politique reflétant les objectifs concurrents de la LIPR (au para 33).

[20] Les circonstances dans la décision Ouedraogo sont très différentes de celles de l’espèce. En l’espèce, le demandeur n’a pas demandé le rétablissement de son statut dans les 90 jours et, est, en fait, resté au Canada sans statut pendant plus de 20 ans. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre, celui-ci a été décrit comme étant « limit[é], sinon inexistan[t] » dans le contexte de la prise d’une mesure d’exclusion (Diakité c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1268 au para 13).

[21] En l’espèce, le délégué du ministre n’était pas tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire limité pour prendre en compte de quelconques facteurs d’ordre humanitaire, particulièrement parce qu’il n’y a aucune preuve que le demandeur avait soulevé d’arguments en ce sens.

[22] En somme, le demandeur n’a pas démontré que la décision du délégué du ministre n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme il est statué dans l’arrêt Vavilov. Par conséquent, la décision du délégué du ministre est raisonnable

V. Conclusion

[23] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et il n’y a pas de question à certifier.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-7896-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier, conformément à l’article 74 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

« Ann Marie McDonald »

 

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-7896-22

INTITULÉ :

LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Harsher Singh Sidhu

POUR LE DEMANDEUR

Kevin Doyle

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

My Visa Source

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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