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Date : 20230721


Dossier : IMM-5633-22

Référence : 2023 CF 1005

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

JOSEPH ONYIBOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 8 juin 2022 [la décision] par laquelle un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente que le demandeur a présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. L’agent n’était pas convaincu que la relation du demandeur était authentique. Pour les motifs qui suivent, le présent contrôle judiciaire est accueilli parce que la décision de l’agent n’est pas raisonnable.

I. Contexte

[2] Le demandeur est un citoyen du Nigéria âgé de 58 ans. Son épouse (la répondante) est une Canadienne âgée de 63 ans. Le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa de résident temporaire en mars 2020. Il a rencontré la répondante peu après son arrivée au Canada, et ils se sont mariés en avril 2021. Une demande de parrainage conjugal a été présentée en juillet 2021.

[3] L’agent a interviewé le couple séparément le 11 mai 2022.

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[4] L’agent n’était pas convaincu que le mariage était authentique au sens du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[5] Dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, l’agent relève des incohérences dans les réponses du demandeur et celles de sa répondante pendant leurs entrevues. Les contradictions comprenaient les surnoms que le couple se donne, la question de savoir s’ils se sont rendus à l’entrevue ensemble, et le contexte, le moment et le lieu de leur première rencontre. De plus, l’agent a conclu que les réponses données par les conjoints portaient à croire que le couple ne vivait pas ensemble.

II. Question en litige et norme de contrôle

[6] Le demandeur soutient que la décision n’était pas équitable sur le plan procédural et est déraisonnable. Puisque la question du caractère raisonnable est déterminante quant au contrôle judiciaire, je m’abstiens d’examiner les questions d’équité procédurale.

[7] La norme de contrôle qui s’applique à la décision elle-même est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

III. Analyse

[8] Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent voulant qu’il y ait eu suffisamment de réponses incohérentes pour justifier une conclusion globale selon laquelle le mariage n’était pas authentique n’est pas raisonnable. Il prétend qu’il n’y a pas de véritables incohérences si les questions posées et les réponses données à l’entrevue sont prises dans leur contexte proprement dit. De plus, il affirme que les incohérences, s’il y a lieu, sont microscopiques et ne suffisent pas pour étayer une conclusion selon laquelle le mariage n’était pas authentique.

[9] L’une des incohérences relevées par l’agent est l’emplacement du magasin Costco où le couple s’est rencontré pour la première fois. Le demandeur et la répondante ont tous les deux répondu qu’ils s’étaient rencontrés à un magasin Costco à Vaughan. La répondante a toutefois renvoyé à une rue transversale qui n’était pas la bonne adresse du magasin Costco de Vaughan. L’agent a conclu que ce nom de rue inexact était une incohérence dans les documents relatifs au parrainage. J’estime toutefois qu’une erreur dans le nom d’une rue constitue une divergence sans importance puisque les deux parties s’entendaient pour dire qu’elles s’étaient rencontrées au magasin Costco à Vaughan.

[10] Une autre incohérence sur laquelle l’agent s’est appuyé concernait les réponses du couple à la question de savoir s’ils avaient des surnoms l’un pour l’autre. La répondante a fait savoir que le couple utilisait des diminutifs de leur prénom, soit Joe et Ophi, tandis que le demandeur a répondu qu’ils utilisaient des mots comme [traduction] « chéri(e) » et [traduction] « Minou ». Aucune des parties n’a désigné d’expression ou de mot précis utilisé par le couple. Il m’apparaît que la question de l’agent était vague, ce qui fait que celui-ci a eu tort de juger que leurs réponses étaient incohérentes.

[11] L’agent a aussi mis en doute la cohabitation des parties parce que la répondante n’avait pas nommé son époux lorsqu’il lui a demandé avec qui elle résidait. La répondante a donné cette réponse après avoir répondu juste avant que le demandeur et elle vivaient ensemble. La répondante aurait pu interpréter la question complémentaire de l’agent [traduction] « [a]vec qui vivez-vous? » comme signifiant « avec qui votre époux et vous vivez-vous? » étant donné qu’elle venait tout juste de dire qu’ils vivaient ensemble. Sa réponse à la question qui a suivi, « [c]ombien de personnes en tout? », concorde aussi avec le fait que son époux vivait avec elle puisqu’elle a répondu [traduction] « six personnes » et qu’elle a mentionné sa fille et son époux, un petit-fils, et son fils. Les deux autres personnes seraient alors son époux et elle. J’estime que l’agent a eu tort de conclure à une incohérence au sujet de cet élément compte tenu de l’ordre dans lequel les questions ont été posées.

[12] De plus, l’agent a posé une question au demandeur au sujet du moment où son [traduction] « épouse » était arrivée au Canada pour la première fois. Le demandeur a répondu en demandant à l’agent s’il parlait de sa première épouse ou de son épouse actuelle. L’agent a conclu qu’une personne dans une relation authentique ne se demanderait pas de quelle épouse il était question quand une question lui est posée au sujet de son épouse.

[13] Cependant, le demandeur affirme que la confusion au sujet de l’épouse dont l’agent parlait découlait directement du contexte dans lequel les questions étaient posées. Plus précisément, la question précédente concernait le moment où son fils était arrivé pour la première fois au Canada. Puis la question suivante portait sur le moment où son [traduction] « épouse » était arrivée pour la première fois au Canada. Le demandeur affirme qu’il a pensé que l’agent lui posait une question complémentaire sur l’arrivée de son fils au Canada et, en fait, son fils était accompagné par sa première épouse lorsqu’il est arrivé au Canada. J’estime qu’il n’était ni déraisonnable ni incohérent que le demandeur demande une précision quant à la question posée par l’agent compte tenu de l’ordre dans lequel les questions ont été posées.

[14] De plus, en dépit du fait que l’agent se fonde sur des réponses incohérentes quant à la façon dont le couple s’est rendu à l’entrevue, le dossier ne révèle aucune incohérence de ce genre dans leurs réponses des conjoints. Le dossier montre plutôt que c’est l’agent qui a mal compris leurs réponses.

[15] Je conviens que le demandeur a donné des réponses vagues à des questions quant à l’horaire de travail de sa répondante et quant à savoir si elle a possédé une voiture pendant leur relation, mais j’estime que ces réponses ne sont pas suffisantes pour étayer la conclusion de l’agent. J’en arrive à cette conclusion parce que l’agent a tiré une conclusion « cumulative » de réponses incohérentes. À mon avis, ces réponses ambiguës ne suffisent pas pour étayer la conclusion générale de l’agent selon laquelle le mariage n’était pas authentique.

[16] Je reconnais que l’agent n’était pas tenu de demander au demandeur des précisions ou des documents pour clarifier ses réponses; il était toutefois tenu de prendre en compte de façon raisonnable les réponses données par le couple en fonction des questions qu’il leur a posées. À cet égard, le contexte dans lequel l’agent a posé les questions est pertinent. Après avoir examiné les transcriptions qui font état des questions et des réponses, j’estime que les conclusions tirées par l’agent ne sont pas raisonnables lorsqu’elles sont examinées en fonction des réponses données par le demandeur et son épouse.

IV. Conclusion

[17] La décision de l’agent reposait sur une conclusion selon laquelle le demandeur et sa répondante ont donné une série de réponses incohérentes. Comme il est mentionné précédemment, un certain nombre des [traduction] « incohérences » relevées par l’agent n’en sont pas du tout. De plus, les incohérences, s’il y a lieu, dans les réponses étaient microscopiques ou ne concernaient pas la question de savoir si la relation était authentique. J’estime que l’agent s’est livré à une appréciation trop zélée des incohérences alléguées. Enfin, parce qu’il n’est pas établi laquelle de ces incohérences, s’il y a lieu, était déterminante aux yeux de l’agent, la décision dans son ensemble est déraisonnable.

JUGEMENT dans le dossier IMM-5633-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-5633-22

INTITULÉ :

ONYIBOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

POUR LE DEMANDEUR

Aida Kalaj

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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