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Date : 20230718

Dossier : IMM-3872-21

Référence : 2023 CF 979

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

BELAY DERZA GAGA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Section de l’immigration a conclu que le demandeur, Belay Derza Gaga, était interdit de territoire au Canada du fait de son appartenance à une organisation à l’origine d’actes visant au renversement du gouvernement éthiopien par la force. M. Gaga ne conteste pas la conclusion de la Section de l’immigration selon laquelle il était membre de l’organisation en question, le Front de libération oromo (le FLO), ni la conclusion selon laquelle le FLO était l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement éthiopien par la force. Le seul motif que le demandeur invoque dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire est l’allégation d’incompétence de ses deux anciens conseils.

[2] Il soutient que son premier conseil ne l’a pas pleinement informé des conséquences du fait d’admettre son appartenance au FLO dans sa demande d’asile, et que sa seconde conseil, qui l’a représenté devant la Section de l’immigration, n’a pas soulevé l’incompétence du premier conseil à l’audience. M. Gaga fait valoir que, s’il avait été pleinement informé des conséquences du fait d’admettre son appartenance au FLO dans sa demande d’asile, d’autres options se seraient présentées à lui, y compris celle de ne pas aller de l’avant avec la demande.

[3] Ma décision repose sur les allégations de M. Gaga concernant l’incompétence de sa seconde conseil. M. Gaga était tenu de soulever la question de l’incompétence de son premier conseil à la première occasion, en l’espèce, devant la Section de l’immigration. Il soutient qu’il n’a pas pu soulever la question de l’incompétence du premier conseil en raison de l’incompétence de sa seconde conseil. Je juge que les allégations d’incompétence qu’avance M. Gaga à l’encontre de sa seconde conseil sont infondées, et que la présente demande doit donc être rejetée.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Historique procédural

[5] M. Gaga est un citoyen éthiopien. Il est arrivé au Canada en tant que visiteur en juin 2018. Le mois suivant, il a fait appel à un premier conseil et a présenté une demande d’asile. Dans sa demande, il a affirmé qu’il craignait d’être persécuté par le gouvernement éthiopien, qui le considère comme un opposant politique. Dans l’exposé circonstancié accompagnant sa demande d’asile, le demandeur a mentionné son appartenance au FLO, et, dans les formulaires de demande d’asile, il a indiqué le FLO en réponse à une question relative à l’appartenance à des organisations.

[6] Deux mois environ après avoir présenté sa demande d’asile, M. Gaga a été contacté par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] qui l’a convié à une entrevue avec l’un de ses agents. L’agent a posé des questions à M. Gaga au sujet de sa demande d’asile et de son éventuelle interdiction de territoire en raison de son appartenance au FLO. Le premier conseil de M. Gaga était présent lors de cette entrevue.

[7] Une année environ après l’entrevue avec l’ASFC, en octobre 2019, M. Gaga a été informé par l’ASFC que sa demande d’asile était suspendue et que, en raison de son appartenance au FLO, elle renvoyait son dossier à la Section de l’immigration pour enquête.

[8] Deux mois environ avant son audience, M. Gaga a été informé que son premier conseil ne pourrait plus le représenter parce que ce dernier était visé par de graves allégations criminelles relatives à de la fraude dans l’exercice du droit des réfugiés. M. Gaga a alors retenu les services de sa seconde conseil.

[9] La Section de l’immigration a procédé à une enquête sur M. Gaga en janvier 2021. Au cours de celle-ci, M. Gaga a témoigné et sa conseil a affirmé que ce dernier avait été contraint d’adhérer au FLO. La Section de l’immigration a rejeté cet argument et a conclu que M. Gaga était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés du fait de son appartenance au FLO, organisation dont la Section de l’immigration a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force.

[10] Dans un premier temps, M. Gaga a soulevé des allégations d’incompétence à l’encontre de ses deux anciens conseils dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Il a avisé ses deux anciens conseils, conformément au protocole de la Cour intitulé Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger. Les deux conseils ont présenté une réponse aux allégations d’incompétence.

[11] Je fais remarquer que la Cour a reçu l’affidavit de la seconde conseil de M. Gaga, en réponse aux allégations, juste avant l’audience du présent contrôle judiciaire, et a accepté son dépôt sur consentement des deux parties. La conseil de M. Gaga n’a pas demandé l’ajournement de l’audience afin de déposer d’autres observations.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[12] La question centrale du présent contrôle judiciaire est de savoir si le maintien de la décision de la Section de l’immigration constituerait un déni de justice compte tenu des allégations d’incompétence à l’encontre des conseils. Il s’agit d’une question d’équité procédurale. Les deux parties conviennent que la présomption générale d’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable ne s’applique pas aux questions qui ont trait à l’équité procédurale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77). La cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

[13] Pour prouver que l’incompétence d’un conseil constitue un manquement à l’équité procédurale, le demandeur doit démontrer que i) les actes ou les omissions de l’ancien conseil relevaient de l’incompétence; ii) n’eût été l’incompétence alléguée du conseil, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent; et iii) l’ancien conseil a bénéficié d’une possibilité raisonnable de répondre (R c GDB, 2000 CSC 22 au para 26).

[14] Les parties ont traité en profondeur d’un certain nombre de sous-questions complexes qu’il n’est pas nécessaire de trancher, notamment la question de savoir si M. Gaga a démontré que son premier conseil était incompétent, et s’il existe une probabilité raisonnable que, n’eût été l’incompétence de ses conseils, l’issue de l’audience ait été différente (soit le volet portant sur le préjudice du critère relatif à l’assistance inefficace du conseil). Ma décision repose sur la question de savoir si M. Gaga a démontré que les actes ou les omissions de sa seconde conseil relevaient de l’incompétence.

[15] M. Gaga était tenu de faire part à la Section de l’immigration de ses préoccupations en matière d’équité procédurale au sujet de l’incompétence de son premier conseil (Hennessey c Canada, 2016 CAF 180 au para 20). Comme je l’explique ci-après, je rejette l’argument selon lequel M. Gaga a omis de le faire à cause de l’incompétence de sa seconde conseil. Étant donné que M. Gaga n’a pas fourni de motif adéquat pour justifier le fait de ne pas avoir informé la Section de l’immigration de ses préoccupations concernant l’incompétence de son premier conseil, il lui est interdit de les soulever lors du contrôle judiciaire. Dans mes motifs, j’examinerai donc seulement la question de savoir si M. Gaga a démontré que sa seconde conseil était incompétente.

IV. Allégations d’incompétence à l’encontre de la seconde conseil

[16] M. Gaga ne m’a pas convaincue que la représentation assurée par sa seconde conseil ne se situait pas à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable ni qu’elle relevait de l’incompétence. M. Gaga soutient que sa seconde conseil était incompétente parce qu’elle n’a pas soulevé la question de l’incompétence du premier conseil devant la Section de l’immigration et qu’elle n’a pas tenté de modifier l’exposé circonstancié accompagnant sa demande d’asile. Le témoignage de M. Gaga sur ses échanges avec sa seconde conseil est vague; il n’a pas contesté le souvenir que sa seconde conseil en gardait, ce qui ne me permet pas de conclure à son incompétence.

[17] Dans le cadre du contrôle judiciaire, M. Gaga a présenté un affidavit dans lequel il décrit sa plainte concernant la conduite de sa seconde conseil. Il y affirme qu’il [traduction] « espérait qu’elle soulèverait les problèmes concernant la représentation inadéquate [de son premier conseil] et modifierait [sa] demande d’asile. Cependant [la seconde conseil] a maintenu la demande en l’état et a présenté des documents sur la situation dans le pays eu égard au FLO, sans mentionner [le premier conseil] ».

[18] M. Gaga n’explique pas quels problèmes il « espérait » que sa seconde conseil soulève. Il ne décrit pas les « problèmes » dont il espérait qu’elle traite devant la Section de l’immigration; si ce n’est qu’elle aurait dû mentionner de manière générale que le premier conseil était incompétent. Les éléments de preuve fournis par M. Gaga manquent de détails sur ces questions clés. À titre d’exemple, les éléments de preuve n’expliquent pas les points suivants : i) si M. Gaga a dit à sa seconde conseil qu’il n’avait pas été pleinement informé des conséquences du fait d’admettre son appartenance au FLO; ii) s’il l’a informée qu’il souhaitait soulever l’incompétence de son premier conseil; iii) s’il a exprimé le désir de modifier quelconque élément dans l’exposé circonstancié accompagnant sa demande d’asile; iv) si cet exposé circonstancié ou le rapport de l’entrevue avec l’ASFC comportaient des déclarations inexactes qu’il souhaitait corriger; et iv) s’il a exprimé le souhait de retirer sa demande d’asile. M. Gaga ne fournit aucun élément de preuve à l’appui de ces questions clés qui constituent le fondement de ses allégations d’incompétence. Je note également qu’il n’a pas expliqué le type de modifications qu’il aurait souhaité que sa seconde conseil apporte dans ces circonstances. Il n’a pas fait valoir qu’il avait fourni des renseignements inexacts sur les recommandations de son premier conseil dans l’exposé circonstancié accompagnant sa demande d’asile ni lors de son entrevue avec l’ASFC.

[19] M. Gaga n’a pas fourni d’éléments de preuve contestant le souvenir que sa seconde conseil avait gardé de leurs échanges, et son affidavit ne contredit pas les éléments de preuve fournis par cette dernière. La seconde conseil de M. Gaga explique dans son affidavit qu’elle lui a d’emblée demandé s’il avait des préoccupations quant à la représentation de son premier conseil. Elle se souvient du fait qu’il a déclaré qu’il n’en avait aucune et qu’il serait resté avec son premier conseil si celui-ci avait continué à pratiquer le droit. Elle a également fait remarquer que, comme elle était au fait des allégations de M. Gaga à l’encontre de son premier conseil, elle avait interrogé M. Gaga sur les renseignements contenus dans ses formulaires de demande d’asile et dans son exposé circonstancié, et était convaincue de la cohérence de ses réponses. Elle n’avait pas de doutes quant à une éventuelle fabrication de preuve ou fausse déclaration.

[20] Il incombe à M. Gaga de démontrer que la conduite de sa conseil ne se situait pas à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable et il existe « une forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable » (GDB, au para 27). Au vu de la preuve dans le présent contrôle judiciaire, je juge que M. Gaga n’a pas démontré que la conduite de sa seconde conseil relevait de l’incompétence.

V. Décision

[21] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Lobat Sadrehashemi »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3872-21

INTITULÉ :

BELAY DERZA GAGA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

DATE DES MOTIFS :

LE 18 juIlLET 2023

COMPARUTIONS :

Teklemichael Ab Sahlemariam

POUR LE DEMANDEUR

Philippe Alma

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Teklemichael Ab Sahlemariam

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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