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     T-550-90

E n t r e :

     WALTER KUHN,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

     Je requiers que la transcription révisée ci-jointe des motifs de l'ordonnance que j'ai prononcés oralement à l'audience à Edmonton (Alberta) le 4 juin 1997 soit déposée pour satisfaire aux exigences de l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

     Douglas R. Campbell

     Juge

VANCOUVER

Le 21 juillet 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL.L.

     T-550-90

E n t r e :

     WALTER KUHN,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

     Au cours des années soixante-dix et quatre-vingts, M. Walter Kuhn possédait et gérait un conglomérat formé d'une entreprise d'équipement lourd, d'un terrain de golf, d'une entreprise de construction de maisons modulaires et d'une entreprise d'élevage de bétail. Ces entreprises purement commerciales étaient détenues soit par la Northlands, une société qui appartenait en propriété exclusive à M. Kuhn, soit par M. Kuhn, de son propre chef.

     Le conglomérat était géré comme une seule entité sur le plan pratique et sur le plan fiscal : les revenus et les pertes étaient partagés pendant toute cette période entre les entreprises et leurs propriétaires légaux.

     La preuve ne permet absolument pas de douter de la justesse de la gestion financière des entreprises ou de leur comptabilité. La preuve administrée en l'espèce ne soulève pas non plus de préoccupation en ce qui concerne l'évitement fiscal ou l'évasion fiscale.

     Sur le fondement des témoignages que j'ai entendus, je conclus que M. Kuhn était un homme d'affaires prudent, expérimenté et prospère. Avec l'aide de son fils Dwight Kuhn, qui est expert-comptable, les membres de la famille exploitaient une entreprise commerciale qui était bien financée, dont ils s'occupaient bien et qu'ils géraient habilement.

     Rien ne permet de penser que quelque aspect que ce soit des entreprises ait servi à des fins personnelles. Je conclus que M. Kuhn ou sa société, la Northlands, exploitaient les entreprises exclusivement dans le but de réaliser des profits grâce à des activités purement commerciales.

     La seule question qui se pose dans ce contexte est celle de la déductibilité des intérêts payés sur certains emprunts contractés pour l'entreprise d'élevage de bétail.

     En 1979, M. Kuhn a acheté des terres connues sous le nom de terres Neerlandia et, comme, pour citer ses propres paroles : [TRADUCTION] " c'était une bonne occasion de lancer une entreprise d'élevage de bétail ", il a poursuivi cet objectif commercial subjectif avec intensité.

     Grâce à de l'équipement provenant de l'entreprise d'équipement, M. Kuhn a fait défricher et drainer en partie le terrain et y a fait paître du bétail. Mais cette entreprise commerciale légitime a, avec les autres entreprises du conglomérat, été entraînée dans la récession économique de 1981.

     La récession a obligé M. Kuhn à vendre les actifs de l'entreprise d'équipement, à refinancer des prêts non remboursés en contractant des emprunts auprès de créanciers légitimes, dont des banques et des amis personnels, et à concentrer ses énergies sur les aspects les plus lucratifs du conglomérat, compte tenu de la conjoncture économique.

     Ainsi, M. Kuhn a concentré son énergie et ses activités principalement sur le terrain de golf et sur l'entreprise de construction domiciliaire et a accordé une priorité moins grande à son entreprise d'élevage de bétail.

     En ce qui concerne toutefois l'entreprise d'élevage de bétail, M. Kuhn a continué à nourrir l'espoir qu'il était sur le point de réaliser le profit intégral pour lequel il avait acquis le terrain. Il n'a donc pas offert de louer le terrain à long terme. Je conclus donc que, pendant toute la période au cours de laquelle M. Kuhn a détenu le terrain, il l'a utilisé dans le cadre d'une entreprise.

     Il est important de constater que tous les éléments d'actif du conglomérat ont été mis en vente dès le début de la récession, en 1981. Le terrain a finalement été vendu en 1989.

     La preuve ne permet pas de penser que M. Kuhn ait fait preuve de mauvaise volonté en ce qui concerne la vente du terrain. Je conclus qu'il a tout fait en son pouvoir pour diminuer ses obligations, ses dépenses et ses pertes, tant en ce qui concerne cette entreprise qu'en ce qui a trait aux autres entreprises.

     La déduction qui est contestée en l'espèce porte sur la déduction du revenu personnel de M. Kuhn pour les années 1985 et 1986 des intérêts sur deux emprunts personnels qu'il a contractés auprès de particuliers. Ces prêts ont été consentis tous les deux en 1982 au montant de 100 000 $ chacun et portaient tous les deux initialement intérêt au taux de 20 pour 100 l'an, ce qui n'était pas inusité à l'époque.

     L'authenticité de ces prêts n'est pas mise en doute, ni le fait que les intérêts ont été payés comme convenu. D'ailleurs, les emprunts ont été remboursés intégralement avec intérêts en 1989 lors de la vente du terrain de golf.

     La seule question en litige en l'espèce est la capacité de M. Kuhn de déduire les intérêts de son revenu personnel pour les années 1985 et 1986. Il ne fait pas de doute qu'il s'agissait de prêts commerciaux. L'argent qu'a reçu M. Kuhn a servi à renflouer les entreprises dont il était propriétaire personnellement ou par l'entremise de la Northlands.

     Suivant le témoignage de M. Dwight Kuhn, les déductions d'intérêts ont été réclamées par la Northlands jusqu'en 1985, mais, pour les années 1985 et 1986, les années d'imposition en cause, c'est M. Kuhn qui a personnellement et sciemment réclamé les déductions en question.

     C'est M. Dwight Kuhn, qui est expert-comptable, qui a recommandé cette façon de procéder parce que chaque année, M. Kuhn disposait de suffisamment de revenus desquels il pouvait déduire ces intérêts. Rien ne me permet de conclure qu'il y a quoi que ce soit d'irrégulier dans cette façon de procéder. L'intérêt était régulièrement dû et exigible et il a été payé.

     Par conséquent, je conclus que la seule question qui se pose est celle de savoir si la loi autorise la déduction aux conditions précisées par le ministre dans sa notification de confirmation, c'est-à-dire s'il a été démontré que les déductions ont été faites ou engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

     Les règles de droit applicables sont bien citées dans l'arrêt de principe Town c. La Reine, 96 DTC 6001 (C.A.F.). Je conclus que cet arrêt constitue en la matière une décision de principe par laquelle je suis lié. Dans cet arrêt, la Cour explique que la Loi de l'impôt sur le revenu et la common law prévoient deux critères qui doivent être respectés dans un cas comme celui qui nous occupe.

     Le juge Linden expose ces deux critères de façon succincte à la page 6008 :

     Le critère de l'arrêt Moldowan est plus strict que les critères de la fin commerciale prévus au paragraphe 9(1) et à l'alinéa 18(1)a). Tel qu'il est mentionné ci-dessus, ces critères exigent que le contribuable ait formé l'intention subjective de réaliser un bénéfice lorsqu'il engage une dépense. Cependant, selon le critère de l'arrêt Moldowan, cette intention doit également être raisonnable sur le plan objectif.         

     Vu les faits, je conclus qu'il ne fait aucun doute que M. Kuhn avait l'intention subjective de réaliser un bénéfice lorsqu'il a acheté le terrain en question. Il répond donc au critère subjectif.

     Pour ce qui est du critère objectif, celui qui exige que l'intention soit raisonnable sur le plan objectif, rien ne me permet de conclure que son intention n'était pas objectivement raisonnable.

     Le juge Linden souligne que, pour appliquer le critère objectif, il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances. En pareil cas, certains facteurs permettent de douter de l'objectivité de l'intention, notamment lorsque la jouissance personnelle est la principale motivation, lorsque le contribuable a des intentions irréalistes ou lorsqu'on constate l'existence d'activités suspectes. Rien ne permet de conclure en l'espèce à l'existence de l'un ou l'autre de ces facteurs.

     Ainsi que le juge Linden le déclare dans l'arrêt Town à la page 6012 :

         L'application du critère de l'arrêt Moldowan principalement comme critère objectif vise donc à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables.         
         Un avertissement doit être formulé dans les cas où le critère est appliqué aux activités commerciales. Sauf s'il en est prévu autrement dans la Loi, les erreurs de jugement n'empêchent pas un contribuable de réclamer les déductions des pertes qui en découlent.         

     J'ai déjà conclu et souligné que les activités de M. Kuhn étaient des activités exclusivement commerciales.

     Je conclus donc que les déductions d'intérêts réclamées étaient entièrement légitimes, tant sur le plan des faits que sur celui du droit, et j'accueille par conséquent l'appel et modifie les nouvelles cotisations pour qu'elles tiennent compte de la présente conclusion.

     Je condamne la défenderesse aux dépens.

     Douglas R. Campbell

     Juge

VANCOUVER

Le 21 juillet 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-550-90
INTITULÉ DE LA CAUSE :      WALTER KUHN c. LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE :          EDMONTON (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE :      4 JUIN 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL

                     EN DATE DU 21 JUILLET 1997

ONT COMPARU :

     Me MARVIN TOY                      POUR LE DEMANDEUR
     Me DOUGLAS TITOSKY                  POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     FELESKY FLYNN                      POUR LE DEMANDEUR
     EDMONTON (ALBERTA)
     Me GEORGE THOMSON                  POUR LA DÉFENDERESSE
     SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
     OTTAWA (ONTARIO)
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