Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230704


Dossier : T-222-22

Référence : 2023 CF 924

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ANDREW CLARKE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Clarke, a présenté une demande de prestation canadienne de relance économique (la PCRE). Par la décision rendue le 12 janvier 2022, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), responsable de l’administration de la PCRE, a conclu que le demandeur n’y était pas admissible, parce qu’il avait quitté son emploi volontairement [la décision].

[2] Le défendeur admet que le demandeur n’avait pas eu l’occasion de présenter des observations quant à savoir s’il était raisonnable de sa part d’avoir quitté son emploi et si la décision avait été rendue de manière inéquitable sur le plan procédural. Le défendeur demande que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur de l’ARC, afin qu’il rende une nouvelle décision.

[3] Le demandeur a demandé à la Cour de renvoyer l’affaire à l’ARC et de donner à celle-ci une directive précisant qu’il était admissible à la PCRE. Il a également demandé que les dépens soient adjugés contre l’ARC. De plus, le demandeur a présenté un avis de question constitutionnelle, par lequel il contestait la validité constitutionnelle de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique LC 2020, c 12, art 2 (la LPCRE).

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai en partie la présente demande de contrôle judiciaire.

II. La question préliminaire : les documents qui n’ont pas été présentés au responsable de la deuxième révision

[5] Le défendeur soutient que le dossier du demandeur contient des documents qui n’ont pas été dûment présentés à la Cour.

[6] Premièrement, le défendeur soutient que le dossier du demandeur contient des documents protégés au titre du privilège relatif aux règlements, à savoir les offres de règlement faites par le demandeur les 5 août et 30 septembre 2022.

[7] Deuxièmement, le défendeur affirme que plusieurs pièces jointes à l’affidavit souscrit par le demandeur le 17 juin 2022 ne devraient pas être prises en compte, parce qu’elles n’avaient pas été présentées au responsable de la deuxième révision. Le défendeur s’appuie sur le principe énoncé au paragraphe 19 de l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright], selon lequel le dossier de la preuve soumis à une cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite aux documents dont disposait le tribunal qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle. Comme il est mentionné au paragraphe 20 de l’arrêt Access Copyright, ce principe général souffre quelques exceptions reconnues, notamment les informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire. Cependant, il n’existe aucune de ces exceptions en l’espèce.

III. Le contexte

[8] Le demandeur a présenté une demande de PCRE pour vingt-sept périodes de deux semaines, comprises entre le 11 octobre 2020 et le 23 octobre 2021.

[9] Le 20 juillet 2021, le demandeur a communiqué avec l’ARC par téléphone dans le but de vérifier l’état de sa demande de PCRE.

[10] Les 17 août, 19 août et 21 août 2021, l’ARC a tenté, sans succès, de joindre le demandeur par téléphone.

[11] Par la suite, l’ARC a vérifié l’admissibilité du demandeur en se fondant sur les renseignements dont elle disposait et a conclu qu’il n’avait pas droit à la PCRE, car il n’avait pas gagné des revenus bruts provenant d’un emploi ou des revenus nets tirés d’un travail exécuté pour son compte, en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande d’au moins 5 000 $ (la première décision).

[12] L’ARC a informé le demandeur de la première décision, dans une lettre du 4 octobre 2021.

[13] Dans cette lettre, l’ARC a également informé le demandeur qu’il pouvait demander la révision de la décision. Cette révision administrative, appelée [traduction] « deuxième révision », serait effectuée par un agent de l’ARC qui n’avait pas contribué à la première décision.

[14] Le 15 octobre 2021, le demandeur a sollicité une deuxième révision de la première décision en soumettant une demande, accompagnée de pièces téléversées, à l’aide du portail en ligne Mon dossier de l’ARC.

[15] Dans le cadre de la deuxième révision, le responsable de la révision a examiné divers documents, notamment :

  • a)les inscriptions pertinentes au bloc-notes;

  • b)les notes consignées par des agents de l’ARC concernant leurs échanges avec le demandeur;

  • c)les copies de documents téléversées par le demandeur le 10 janvier 2021, notamment d’un chèque de 200 $ de Golf Tournaments Inc., d’un historique des demandes de prestations, ainsi que d’un relevé d’emploi et d’un feuillet T4 d’Acid League;

  • d)une copie de la capture d’écran des dépôts bancaires montrant les fonds transférés par Abletribe Inc., téléversée par le demandeur le 15 octobre 2021;

  • e)une copie des relevés bancaires du demandeur à la Banque CIBC, pour la période comprise entre le 1er octobre 2019 et le 31 octobre 2020, téléversée par le demandeur le 6 janvier 2022;

  • f)le revenu du demandeur et les déductions qui s’y rapportent pour les années d’imposition 2018 à 2020, selon ce qui est inscrit dans le système informatique de l’ARC.

[16] Le 12 janvier 2022, le responsable de la deuxième révision a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE.

[17] Selon le rapport sur la deuxième révision et la lettre de décision du 12 janvier 2022, la décision était motivée par le fait que le demandeur avait quitté son emploi volontairement en novembre 2020.

[18] Comme la question liée à la première demande portait sur l’exigence de gagner un revenu d’au moins 5 000 $ pour être admissible, le demandeur ignorait que le responsable de la deuxième révision examinait la façon dont son emploi avait pris fin. De plus, dans le cadre de la deuxième révision, le demandeur n’a pas eu l’occasion de présenter des observations quant à savoir s’il était raisonnable de sa part d’avoir quitté son emploi.

IV. Les questions en litige

[19] Comme le défendeur a reconnu que la décision était inéquitable sur le plan procédural, les principales questions en litige portent sur la nature de la réparation que la Cour peut ordonner et la demande de dépens du demandeur.

[20] Le demandeur demande également à la Cour de renvoyer l’affaire à l’ARC et de donner à celle-ci une directive précisant qu’il est admissible à la PCRE. Le défendeur demande que l’affaire soit renvoyée à un autre responsable de la révision, sans que la Cour donne de directives sur l’admissibilité.

V. Analyse

A. Les documents présentés à la Cour

[21] Comme je l’ai déjà mentionné, le dossier du demandeur comprend des documents qui n’avaient pas été présentés à l’agent; par conséquent, ils ne sont pas dûment présentés à la Cour, comme il est énoncé au paragraphe 19 de l’arrêt Access Copyright. La Cour n’a pas pris en compte ces documents.

B. Les réparations

[22] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il ne convient pas en l’espèce que la Cour ordonne à l’ARC de conclure que le demandeur n’avait pas quitté son emploi volontairement et qu’il était donc admissible à la PCRE.

[23] Le pouvoir de substitution indirecte de la Cour est exceptionnel et n’est exercé que lorsqu’il serait futile de renvoyer l’affaire afin qu’une nouvelle décision soit rendue, ou lorsqu’il n’y a qu’une seule issue possible : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 aux para 79-82; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 142.

[24] Aucune des circonstances mentionnées précédemment n’existe en l’espèce.

[25] Par conséquent, j’annulerai la décision et je renverrai l’affaire à un autre agent, afin qu’il rende une nouvelle décision.

[26] Ce faisant, j’invite le ministre à offrir au demandeur l’occasion de présenter des observations et des documents supplémentaires concernant les circonstances entourant la cessation de son emploi.

C. La question constitutionnelle

[27] Comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné au paragraphe 20 de l’arrêt Kimoto c Canada (Procureur général), 2011 CAF 291, un avis de question constitutionnelle doit exposer clairement les motifs permettant de conclure qu’une disposition législative est inconstitutionnelle. De plus, selon la formule 69, le contenu de l’avis doit exposer le fondement juridique de chaque question constitutionnelle et préciser la nature des principes constitutionnels devant être débattus.

[28] Même si le demandeur a respecté les exigences techniques relatives à l’avis, la question qu’il propose n’explique pas comment la LPCRE porte atteinte aux droits garantis par la Charte ou toute autre disposition constitutionnelle. L’ambiguïté des allégations formulées par le demandeur dans l’avis et le défaut de préciser le fondement juridique de la question constitutionnelle soulèvent également des questions sur la suffisance et l’efficacité de l’avis.

[29] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une question constitutionnelle valide en l’espèce. Par conséquent, je refuse d’examiner la question.

D. Les dépens

[30] Le demandeur réclame la somme de 3 652,89 $ au titre des dépens.

[31] Le défendeur demande qu’aucuns dépens ne soient adjugés.

[32] L’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, confère à la Cour un pouvoir discrétionnaire sur les dépens.

[33] En tenant compte de tous les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) quant à l’attribution des dépens, je conclus qu’il y a lieu d’adjuger des dépens en l’espèce. Le défendeur doit immédiatement payer au demandeur les débours réels que celui-ci a engagés dans le cadre de la présente affaire.

VI. Conclusion

[34] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

[35] Le demandeur aura l’occasion de présenter des observations et des documents supplémentaires en vue de la nouvelle décision.

[36] L’officier taxateur statuera sur toute réclamation du demandeur relative aux dépens autres que les débours engagés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-222-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision;

  2. Le demandeur aura l’occasion de présenter des observations et des documents supplémentaires en vue de la nouvelle décision;

  3. L’officier taxateur statuera sur toute réclamation du demandeur relative aux dépens autres que les débours engagés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Lyne Paquette, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-222-22

 

INTITULÉ :

ANDREW CLARKE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :


LE 4 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Andrew Clarke

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Grigor Grigorian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.