Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221214


Dossier : T-1188-21

Référence : 2022 CF 1736

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Edmonton (Alberta), le 14 décembre 2022

En présence de madame la juge adjointe Catherine A. Coughlan

ACTION RÉELLE CONTRE LE BÂTIMENT « K » ET LE BÂTIMENT « P » ET ACTION PERSONNELLE

ENTRE :

TRUE NORTH SERVICES LLC

demanderesse

et

0969582 B.C. LTD, LE BÂTIMENT « K » ET LE BÂTIMENT « P »

défendeurs

ET ENTRE :

0969582 B.C. LTD

demanderesse reconventionnelle

et

TRUE NORTH SERVICES LLC

défenderesse reconventionnelle


ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente requête a été entendue le 6 décembre 2022 lors d’une séance générale tenue par visioconférence à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Dans sa requête, la défenderesse et demanderesse reconventionnelle 0969582 B.C. Ltd (la société 0969) sollicite une ordonnance visant à obtenir l’approbation d’une forme proposée de cautionnement bancaire qu’elle doit fournir à titre de garantie pour la mainlevée de la saisie du bâtiment « K » et du bâtiment « P ». La forme proposée de cautionnement est jointe à l’annexe A de l’avis de requête. La société 0969 sollicite également une ordonnance visant à établir le montant de la garantie d’exécution à fournir sous forme de cautionnement bancaire.

[2] La demanderesse et défenderesse reconventionnelle, True North Services LLC (True North), s’oppose à la réparation demandée. True North affirme que, bien que la société 0969 ait le droit de fournir une garantie d’exécution pour la mainlevée des bâtiments, la forme de garantie proposée est inhabituelle et donne lieu à un écart inutile par rapport à la convention établie et au libellé normalisé de la formule de la Cour que l’on retrouve dans la formule 486A des Règles des Cours fédérales (les Règles). Ainsi, True North est d’avis que, si la Cour approuvait cette forme de garantie, la société serait exposée à un plus grand risque que si la saisie des bâtiments était maintenue.

[3] Une autre complication se présente. En effet, les parties ne s’entendent pas sur le caractère approprié du montant du cautionnement. La société 0969 reconnaît que les dépenses raisonnables que True North a dû engager, et dont elle a elle-même tiré profit, devraient faire l’objet d’une garantie, mais elle affirme néanmoins que bon nombre des dépenses que True North a déclarées sont excessives et sans fondement juridique.

[4] Concernant la requête, les deux parties ont présenté des dossiers de requête qui comprenaient une preuve par affidavit; aucune des parties n’a procédé à un contre‑interrogatoire au sujet des affidavits. Les documents révèlent certains faits inhabituels auxquels il convient de s’attarder, particulièrement au vu des divergences quant à la forme de garantie et au montant du cautionnement.

II. Faits

[5] Les bâtiments « K » et « P » sont deux pontons en béton qui ont été construits en 1963 pour former une partie d’un pont flottant sur le lac Washington, dans l’État de Washington. Le pont était composé de 26 pontons, et les bâtiments « K » et « P » étaient les plus petits. Le pont a été mis hors service en 2016 après la construction d’un nouveau pont. True North semble être la propriétaire de l’ensemble des 26 pontons. Nul ne conteste le fait que, le 31 mai 2018, la société 0969 a conclu une entente avec True North concernant l’achat des bâtiments « K » et « P » au prix de 200 000 $ US assorti d’une somme supplémentaire de 75 000 $ US pour le transport des bâtiments vers une installation d’entreposage située sur la rivière Pitt à Coquitlam, en Colombie‑Britannique.

[6] Le 1er juin 2018, la société 0969 a versé 275 000 $ US à True North. Le 15 juillet 2018, les bâtiments « K » et « P » ont été livrés à l’installation d’entreposage de Harken Towing sur la rivière Pitt, où ils se trouvent encore aujourd’hui. Les parties reconnaissent qu’il n’y a eu aucune communication entre True North et la société 0969 après la livraison des bâtiments, et ce, jusqu’au 13 mai 2021, soit presque trois ans plus tard. Elles reconnaissent également que la société 0969 n’a pas pris livraison des bâtiments, même si elle avait payé la totalité du prix d’achat et des frais de transport, et que True North en est demeurée la propriétaire enregistrée.

[7] En mai 2021, la société 0969 a voulu déplacer les bâtiments « K » et « P » à un autre emplacement, mais True North a refusé de les libérer tant qu’elle n’aurait pas été indemnisée pour les dépenses qu’elle avait engagées pour les bâtiments pendant les trois années précédentes. Selon la preuve déposée en lien avec la requête, les parties ont discuté des conditions à respecter pour que les bâtiments soient libérés, mais elles n’ont trouvé aucun terrain d’entente.

[8] Le 26 juillet 2021, la société 0969 a intenté une action devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique contre Harken Towing afin d’obtenir une ordonnance visant la remise de la possession des bâtiments à la société 0969. Le lendemain, True North a introduit la présente action et a obtenu un mandat autorisant la saisie des bâtiments. Les bâtiments sont sous saisie depuis plus de 480 jours.

[9] Il est également établi qu’entre le 10 mars 2022 et la date d’audience de la présente requête, les avocats des parties ont discuté de différentes formes de garantie d’exécution qui pourraient être acceptables en vue de la mainlevée de la saisie des bâtiments. Malheureusement, les parties n’ont pu s’entendre sur la forme de la garantie d’exécution ou le montant du cautionnement. Il s’agit des deux questions dont la Cour est saisie.

i. Forme de la garantie d’exécution

[10] Comme je le mentionne plus haut, True North reconnaît que, selon ce que prévoit l’alinéa 486(1)b) des Règles, la société 0969 a le droit de fournir une garantie d’exécution sous la forme d’un cautionnement bancaire afin d’obtenir la mainlevée de la saisie des bâtiments. Toutefois, True North soutient que le cautionnement bancaire proposé à l’annexe A de l’avis de requête n’est pas une forme de garantie d’exécution suffisamment exempte de risque qui saurait se substituer aux bâtiments saisis, et que sa situation se dégraderait si le cautionnement était accepté : Beaudette v S.S. Ethel Q. (The), 1916 CarswellNat 61, 16 Ex CR 280 (Cour de l’Échiquier du Canada) au para 5. En effet, citant l’affaire Excel Metal Fab Ltd. v “Ogopogo I” (The), 1987 CarswellNat 247, 5 ACWS (3d) 155, True North soutient que les objectifs de l’approbation d’une [traduction] « garantie d’exécution sont doubles : (1) s’assurer que la garantie qui remplace la chose visée par la compétence n’entraîne pas la dégradation de la situation de la demanderesse et (2) s’assurer que le propriétaire de la chose peut mettre en œuvre les dispositions relatives à la mainlevée à des conditions raisonnables ». En ce qui concerne ces objectifs, True North soutient que le cautionnement bancaire est déraisonnable pour un certain nombre de raisons, notamment les suivantes :

  1. il s’écarte du libellé normalisé de l’article 486 des Règles;

  2. il désigne le greffe de la Cour fédérale du Canada, et non True North, en tant que bénéficiaire, et exige du greffe qu’il prenne des mesures onéreuses, et ce, sans que l’on ait la garantie que le greffe a l’autorité ou la compétence pour prendre ces mesures;

  3. il cherche à ajouter de nombreuses conditions qui ne sont pas justifiées et il s’écarte d’une pratique de longue date;

  4. il prévoit une date d’expiration qui est inacceptable;

  5. il contient des erreurs de rédaction de base.

III. Analyse

[11] Pour pouvoir statuer sur la présente requête, je n’ai à examiner que les préoccupations exprimées aux points 1 et 2 ci‑dessus.

[12] Dans la décision Richardson International Ltd c Mys Chikhacheva (Le), 2002 CFPI 482, (Richardson), le protonotaire Hargrave énonce clairement la raison d’être d’une garantie d’exécution fournie pour obtenir la mainlevée de la saisie d’un bâtiment. Au paragraphe 10 de sa décision, le protonotaire souligne que la garantie d’exécution, « qu’il s’agisse d’une lettre d’un club de protection et d’indemnisation, ou qu’il s’agisse d’une garantie, comme c’est le cas en l’espèce, devrait être aussi substantielle, aussi exempte de risque et aussi accessible que le navire saisi amarré au quai et prêt pour une procédure d’exécution, ou qu’un cautionnement ». Autrement dit, rien ne justifie que le bénéficiaire de la garantie accepte une garantie qui lui procure moins de protection que celle dont il bénéficierait si la saisie des bâtiments était maintenue.

[13] En examinant le cautionnement bancaire proposé fourni à l’annexe A de l’avis de requête, on constate que le libellé ne correspond pas au libellé habituel relatif au cautionnement prévu à l’article 486 des Règles. Bien que les Règles ne prévoient pas de formule de garantie pour la Cour, je souscris à l’argument de True North selon lequel notre Cour a reconnu comme acceptable ou « habituel » le libellé d’une garantie d’exécution qui correspond essentiellement à la formule 486A (Cautionnement maritime) : Richardson, au para 2.

[14] Loin du libellé simple de deux paragraphes de la formule 486A, le cautionnement bancaire proposé fait trois pages, auxquelles sont jointes à titre de référence 18 pages tirées des Règles uniformes de la Chambre de commerce internationale relatives aux garanties sur demande, publication no 758 de la Chambre de commerce internationale. True North soutient que les conditions énoncées dans le cautionnement bancaire proposé sont exhaustives et [traduction] « regorgent, pour le garant (une banque), d’invitations et de possibilités quant à l’adoption d’une attitude formaliste ou au refus de payer toute réclamation à l’égard du cautionnement ».

[15] Après avoir examiné le cautionnement bancaire, je souscris à l’observation de True North selon laquelle la forme actuelle de la garantie proposée s’écarte considérablement du libellé habituel accepté par la Cour et qu’elle suscite pour True North un risque qu’elle ne devrait pas susciter.

[16] Même si je n’avais pas tiré cette conclusion, j’aurais néanmoins rejeté le cautionnement bancaire proposé parce que les conditions qui y sont énoncées visent à faire du greffier de la Cour fédérale un participant à la garantie. Plutôt que de désigner True North, le cautionnement bancaire désigne le greffier de la Cour fédérale du Canada à titre de partie bénéficiaire de la garantie.

[17] Notre Cour s’est penchée sur la même question dans l’affaire Richardson. Dans cette affaire, le traitement que la Banque avait réservé à la demande de paiement de la demanderesse a suscité l’ire de la Cour. La Banque Royale, le garant, avait initialement refusé la demande de paiement de la demanderesse au titre du cautionnement parce que la Cour fédérale du Canada était la bénéficiaire désignée. L’affaire s’est réglée avant l’audition de la requête, mais le protonotaire Hargrave, préoccupé par la conduite de la Banque, a jugé à propos de rédiger de brefs motifs « pour que ce genre de problème […] ne se répète jamais » : Richardson, au para 1. Dans sa réprimande à l’endroit de la Banque, il a fait remarquer qu’il « aurait dû être évident pour la Banque, d’une part, que la garantie devait protéger, non pas la Cour fédérale du Canada, mais la demanderesse, qui avait abandonné sa sûreté réelle de qualité, et d’autre part, qu’elle aurait dû réagir de bonne grâce et avec empressement pour donner effet à sa garantie ». Il est surprenant de constater, 20 ans après la décision Richardson, que la même Banque insiste, tout comme elle l’a fait dans l’affaire Richardson, pour dire que le greffier est le bénéficiaire compétent.

[18] En outre, selon les conditions prévues dans le cautionnement bancaire proposé, le greffier doit prendre un certain nombre de mesures concrètes en prévision de l’éventuelle réclamation du cautionnement, à savoir les mesures suivantes :

[traduction]

Le montant du présent cautionnement peut être versé au greffier à tout moment après réception par la Banque, à l’adresse indiquée ci‑dessus, des documents suivants :

1- La demande écrite datée et signée du greffier, adressée à la Banque et énonçant ce qui suit :

a) le fait que le jugement rendu dans l’instance visant les bâtiments « P » et « K » et à la suite duquel la Cour fédérale a délivré, le 27 juillet 2021, le mandat dans le dossier no T‑188‑2 pour la saisie des bâtiments « P » et « K » n’a pas été exécuté et il n’y a pas été sursis;

b) le montant du jugement ainsi que le fait que le jugement est maintenant définitif, que le délai d’appel est expiré et qu’aucun appel ni aucune demande d’autorisation d’appel n’a été déposé;

c) le demandeur n’a pas payé le jugement;

Par conséquent, le greffier, Cour fédérale du Canada, bureau local de Vancouver, demande par la présente le paiement de la somme de --- $ CA (________ dollars canadiens) au titre du cautionnement irrévocable sur demande no OGU7069600V de la Banque Royale du Canada.

2- Une copie certifiée du jugement définitif dans l’action, lequel exige le paiement de toute somme garantie par le présent cautionnement sur demande.

3- L’original du présent cautionnement sur demande pour que nous puissions approuver le paiement.

[19] Lors des plaidoiries, j’ai questionné l’avocat de la société 0969 au sujet de ces conditions. Celui‑ci n’a pas été en mesure d’appuyer, à l’aide de la jurisprudence ou d’un précédent, la prétention selon laquelle le greffier a le pouvoir ou la compétence d’exécuter les obligations décrites dans le cautionnement bancaire. L’avocat a reconnu que les conditions font du greffier un « participant » à la garantie d’exécution, mais il a soutenu que les conditions ne sont pas indûment contraignantes et que le greffier ne devrait pas s’en préoccuper.

[20] Les arguments de la société 0969 ne sont pas convaincants. Comme l’a clairement indiqué la Cour dans la décision Richardson, le bénéficiaire de la garantie est la partie qui a renoncé au bien réel en échange de la garantie. Dans ces circonstances, il est difficile de concevoir le rôle que pourrait jouer la Cour fédérale. La Cour ne devrait jouer aucun rôle dans l’obtention d’une garantie pour une partie, et elle ne devrait assurément pas se voir imposer l’obligation de prendre les mesures énumérées dans le cautionnement si celui‑ci est réclamé. À mon avis, il n’appartient pas à la Cour d’aider une partie à obtenir une garantie ni d’être partie ou participante à une telle garantie.

[21] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas disposée à approuver la forme de garantie proposée, et la requête doit être rejetée.

i. Montant du cautionnement

[22] Lors de l’audition de la présente requête, j’ai demandé aux avocats si je devais examiner la question du montant du cautionnement si je jugeais que la forme de la garantie n’était pas acceptable pour la Cour. L’avocat de True North a déclaré, tant dans ses observations écrites que dans ses observations orales, que je ne devais pas examiner cette question. Cela dit, l’avocat a convenu que la Cour pourrait vouloir examiner la question si une autre forme de garantie était proposée. L’avocat de la société 0969 n’était pas du même avis et a affirmé que la Cour devait trancher la question du montant du cautionnement en tout état de cause.

[23] Comme j’ai entendu de nombreux arguments sur cette question, je vais examiner la question du montant du cautionnement.

[24] Selon la règle générale qui régit la fixation du cautionnement, un demandeur a droit à une somme suffisante pour l’assurer de la meilleure indemnité raisonnablement possible qu’il puisse espérer, y compris les intérêts courus jusqu’à la date probable du jugement et les dépens de l’instance, ou à une somme qui correspond à la valeur du bâtiment saisi, selon la somme la moins élevée des deux. Ce plafond s’applique même si la réclamation, les dépens et les intérêts peuvent dépasser la valeur du bâtiment saisi : Westshore Terminal Limited c Leo Ocean S.A., 2014 CF 136 au para 52, conf par Westshore Terminals Limited Partnership c Leo Ocean S.A., 2014 CAF 231, [2015] 3 RCF 712 au para 39. En outre, et comme l’a noté le protonotaire Hargrave au paragraphe 8 de la décision Norcan Electrical Systems Inc c Feeding Systems A/S, 2003 CFPI 702, [2003] 4 CF 938 [Norcan], « [l]e cautionnement n’est pas une indication de ce que la demanderesse obtiendra dans les faits, mais plutôt une mesure approximative de ce que la demanderesse pourrait recouvrer à titre de meilleure indemnisation raisonnablement possible ».

[25] À différentes occasions, notre Cour a mis en garde les tribunaux qui fixent le montant d’un cautionnement, précisant qu’il est contre-indiqué d’entreprendre un examen approfondi du bien-fondé de la réclamation du demandeur : Norcan, au para 11; Atlantic Shipping (London) Ltd c Captain Forever (Le), [1995] ACF no 903 (QL); Amican Navigation Inc c Densan Shipping Co, 1997 CarswellNat 4599, [1997] ACF no 1366.

[26] Comme le juge Barnes l’a fait observer au paragraphe 7 de la décision Canadian Sub Sea Hydraulics Limited c Les propriétaires, 2006 CF 1051, « la valeur la plus raisonnable de la cause du demandeur correspondra souvent au montant qu’il affirme lui être dû dans sa déclaration ». Toutefois, la Cour peut être appelée à procéder à une évaluation « expéditive », si cela s’avère nécessaire.

[27] S’agissant de la présente requête, True North estime qu’elle a droit à la meilleure indemnité qu’elle puisse raisonnablement espérer puisque la société 0969 n’a présenté aucune preuve relativement à la valeur estimative des bâtiments.

[28] Pour sa part, la société 0969 n’est pas de cet avis et fait valoir que la Cour devrait considérer le prix d’achat des bâtiments payé à True North en 2018 comme la valeur estimative des bâtiments. Selon elle, ce prix d’achat devrait constituer le plafond de la valeur des bâtiments aux fins de la fixation du cautionnement. La société 0969 fait en outre valoir qu’elle n’a pas obtenu une estimation récente des bâtiments parce qu’il n’existe pas de marché à partir duquel une estimation pourrait être effectuée. Pour étayer cette thèse, elle a présenté l’affidavit du 27 septembre 2022 de M. Keith Leach, directeur de la société 0969, dans lequel ce dernier affirme qu’il ne sait pas si la valeur actuelle des pontons diffère de ce qu’elle était au moment de l’achat. À l’audience, l’avocat de la société 0969 a avancé que True North est la mieux placée pour fournir la valeur estimative actuelle des bâtiments puisqu’elle possède 24 autres pontons.

[29] Les arguments de la société 0969 ne sont pas convaincants. Rien ne prouve qu’une quelconque évaluation a été effectuée en 2018 au moment de la vente des pontons à la société 0969. En outre, la Cour ne dispose d’aucune preuve relativement à la valeur actuelle des bâtiments. En fait, la Cour ne dispose tout simplement d’aucune preuve quant à la valeur estimative des bâtiments. Je ne suis pas disposée à faire une déduction quant à la valeur estimative des bâtiments à partir du prix d’achat payé il y a environ quatre ans. Je ne saurais également pas m’attendre à ce que True North fournisse une estimation. Il ne fait aucun doute qu’il incombe à la société 0969 d’établir la valeur des bâtiments si elle veut que le plafond soit imposé.

[30] Comme aucune preuve de la valeur estimative n’a été produite, le montant du cautionnement correspondra à la meilleure indemnité raisonnablement possible que True North puisse espérer.

[31] Aux fins de la fixation du cautionnement, True North a limité sa réclamation à trois dépenses qu’elle a engagées, ainsi qu’aux intérêts au taux applicable en matière d’amirauté et aux frais, pour un total de 606 196,51 $. Un tableau présentant les détails de la réclamation se trouve à l’annexe A des présents motifs.

[32] Les trois dépenses sont celles associées à l’amarrage, à l’assurance et à l’entretien que True North aurait payées depuis juillet 2018. Lors de l’audition de la requête, l’avocat de la société 0969 a indiqué que sa cliente ne conteste pas les frais d’amarrage. La société 0969 ne conteste pas le montant des frais d’assurance réclamé, mais affirme que, comme elle n’est pas la bénéficiaire de l’assurance, elle n’en a tiré aucun avantage et elle ne devrait pas avoir à payer les primes. Par ailleurs, la société 0969 fait valoir que True North a engagé les dépenses associées à l’entretien pour son seul avantage, c’est‑à‑dire pour montrer les pontons à vendre ou pour faire réparer ses pontons. De plus, la société 0969 affirme qu’elle a effectué ses propres inspections et travaux d’entretien des bâtiments « K » et « P » et qu’elle ne savait pas que True North procédait à de telles inspections. La société 0969 ne conteste pas les frais et les intérêts au taux applicable en matière d’amirauté.

[33] Comme la société 0969 ne conteste pas certaines dépenses, les seules dépenses que notre Cour doit examiner sont celles associées à l’assurance et à l’entretien des bâtiments.

[34] S’agissant des dépenses associées à l’assurance, je suis persuadée qu’elles doivent être prises en compte dans le calcul de la meilleure indemnité raisonnablement possible que True North puisse espérer. La preuve de Mme Jessica Gugay, assistante juridique, est accompagnée, en tant que pièce « A », de la copie d’un courriel que Mme Amanda Sprang de True North a envoyé le 31 mai 2018 à M. Sean Carroll, avec une copie à M. Keith Leach. On peut notamment y lire :

[traduction]

Comme nous en avons discuté au téléphone, nous entreprendrons le dédouanement ainsi que le transfert de l’assurance et du contrat d’amarrage à votre société la semaine prochaine. Les pontons resteront couverts par notre police d’assurance jusqu’à ce que vous obteniez votre certificat d’assurance. Ils demeureront amarrés au titre de notre accord avec Harken jusqu’à ce que vous ayez conclu votre propre accord avec Harken la semaine prochaine.

Le prix que nous payons actuellement à Harken pour l’amarrage des bâtiments « K » et « P » est de 1 800 $ CA par mois, par ponton.

[Non souligné dans l’original.]

[35] Après la vente, True North a conservé, pour les bâtiments, le contrat d’assurance visant la responsabilité civile et les dommages à la coque. Jamais, au cours des trois années qui ont précédé le mois de mai 2021, la société 0969 n’a obtenu un certificat d’assurance pour les bâtiments. Il est indiqué très clairement dans le courriel que True North allait conserver la police d’assurance jusqu’à ce que la société 0969 fournisse son propre certificat d’assurance. La preuve montre clairement que True North a continué à engager cette dépense. Rien ne me permet de conclure que True North devrait être privée du droit de réclamer cette dépense aux fins de la fixation du cautionnement.

[36] Quant aux dépenses que True North a engagées pour l’entretien, il s’agit de dépenses associées à l’entretien de tous les pontons, y compris les bâtiments « K » et « P ». Selon la preuve de Mme Gugay, True North a embauché M. Mark Weir précisément pour assurer l’entretien des 26 pontons et d’un navire de relève. La société alloue 95 % du salaire de M. Weir pour l’entretien des pontons, et cette proportion est répartie également entre les 26 pontons. La pièce « B » de l’affidavit de Mme Gugay présente la répartition détaillée du salaire de M. Weir au cours de la période en question. Au paragraphe 13 de son affidavit, Mme Gugay décrit les travaux que M. Weir a effectués, notamment des inspections trimestrielles détaillées comprenant la vérification de 28 compartiments internes ainsi que le pompage de l’eau du bâtiment « K » qui a été nécessaire en 2019.

[37] Dans l’affidavit no 2 de M. Keith Leach, ce dernier affirme qu’à partir du 15 juillet 2018, il a inspecté les bâtiments toutes les six à huit semaines, selon les conditions météorologiques. Il allègue qu’il se rendait en bateau depuis Ladner jusqu’au nord du pont de Port Mann pour aller inspecter les bâtiments. Il souligne que la portée de ses inspections variait de l’inspection visuelle à l’inspection plus détaillée lors de laquelle il montait sur les pontons et inspectait les ponts et les cales. Il affirme également qu’il ne savait pas qu’une autre partie inspectait les pontons et que, s’il l’avait su, il lui aurait demandé de ne pas inspecter les bâtiments « K » et « P ».

[38] La preuve des parties n’est pas incohérente; il est évident que les deux parties ont effectué des inspections. Il convient de rappeler qu’il n’y a eu aucune discussion entre les parties pendant les trois années qui ont suivi l’achat des bâtiments. Il n’est pas inconcevable de supposer que des inspections se sont chevauchées. Néanmoins, il est également évident que True North a engagé des dépenses quant à cette activité. Ces dépenses ne semblent pas exorbitantes et sont bien consignées dans la preuve. Compte tenu du caractère expéditif de mon évaluation, je suis disposée à inclure ces dépenses dans le calcul de la meilleure indemnité raisonnablement possible que True North puisse espérer.

[39] Ainsi, et parce que nous ne disposons d’aucune estimation de la valeur des bâtiments, la meilleure indemnité raisonnablement possible que True North puisse espérer aux fins de la fixation du cautionnement est de 606 196,51 $. Le cautionnement sera donc fixé à cette somme et la société 0969 aura la possibilité de présenter, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, une requête en réexamen du cautionnement au vu de la preuve de la valeur marchande des bâtiments.

 


ORDONNANCE dans le dossier T‑1188‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en approbation de la forme de cautionnement bancaire proposée à titre de garantie pour la mainlevée de la saisie des bâtiments « K » et « P » est rejetée.

  2. Le cautionnement est de 606 196,51 $.

  3. Il est loisible à la société 0969 de présenter, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, une requête en réexamen du cautionnement.

« Catherine A. Coughlan »

Juge adjointe


Annexe A

 

[traduction]

 

Amarrage

 

Assurance

Entretien

Valeur nominale $ US

154 950 $

93 446 $

55 495 $

Valeur nominale $ CA

($ US x 1,34)

207 634 $

125 217 $

74 363 $

Intérêts au taux de 5 % composé annuellement, jusqu’au 30 nov. 2020 ($ US)

18 025 $

10 039 $

4 481 $

Intérêts au taux de 5 % composé annuellement, jusqu’au 30 nov. 2020 ($ CA)

24 154 $

13 453 $

6 005 $

Sous-total

231 788 $

138 670 $

80 368 $

Intérêt au taux de 8 % composé annuellement, du 1er déc. 2022 au 1er déc. 2025 (x 1,2507)

291 983,34 $

174 682,60 $

101 239,57 $

Sous-total

567 905,51 $

Honoraires et frais

38 291 $

Total

606 196,51 $

LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS à la Ville de Vancouver, province de la Colombie‑Britannique, en ce 2e jour de décembre 2022.

________________________

Andrew Stainer

Avocat pour True North Services LLC

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1188-21

 

INTITULÉ :

TRUE NORTH SERVICES LLC c 0969582 B.C. LTD, LE BÂTIMENT « K » ET LE BÂTIMENT « P »

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIsiOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 décembre 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE ADJOINTE COUGHLAN

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 14 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Andrew Stainer

POUR LA DEMANDERESSE

 

Guy Holeksa

Pour la défenderesse

0969582 B.C. LTD

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jenkins Marzban Logan LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

0969582 B.C. LTD

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.