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Date : 20230606

Dossier : IMM-8295-21

Référence : 2023 CF 799

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE:

VICTOR NKEMJIKA NATHANIEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Le demandeur, Victor Nkemjika Nathaniel (« M. Nathaniel »), affirme être exposé à des risques au Nigeria en raison de menaces proférées par des membres de la confrérie Eiye, groupe qui, selon lui, serait une secte active dans ce pays. Dans le cadre de sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] (l’agent) a évalué les risques auxquels était exposé M. Nathaniel. Estimant que ce dernier pouvait se prévaloir de la protection de l’État au Nigeria, l’agent a rejeté sa demande d’ERAR.

[2] M. Nathaniel conteste la décision de l’agent en contrôle judiciaire. Il soutient en particulier que l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve contradictoires et pertinents lorsqu’il a tiré sa conclusion principale portant que l’État était en mesure d’offrir une protection contre les membres de la confrérie Eiye.

[3] Je suis d’accord avec M. Nathaniel. L’analyse relative à la protection de l’État réalisée par l’agent était limitée et n’était pas adaptée aux circonstances particulières de M. Nathaniel ni à la preuve présentée à l’appui. Par conséquent, j’estime que la décision à l’égard de M. Nathaniel n’est ni transparente ni justifiée, et que l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[5] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’analyse de l’agent en ce qui concerne la protection de l’État était raisonnable. Essentiellement, il s’agit de savoir si l’agent a fait abstraction d’importants éléments de preuve contradictoires pour en arriver à sa conclusion quant à la protection de l’État (Cepeda‑Guiterrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) au para 17); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 126).

[6] M. Nathaniel soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve volumineuse concernant la corruption au sein des forces policières et divers problèmes connexes, dont celui des policiers qui défendent les intérêts de sectes comme la confrérie Eiye. Le défendeur fait valoir que l’agent est présumé avoir pris en compte l’ensemble de la preuve. Il a pris acte de la preuve concernant la corruption policière, mais il a souligné que certains membres de la confrérie Eiye avaient été [traduction] « arrêtés et accusés ».

[7] Je suis d’accord avec M. Nathaniel pour dire que l’appréciation de la preuve relative à la protection de l’État réalisée par l’agent était limitée et dépourvue de nuances. L’agent a reconnu que la corruption au sein des forces policières est un problème au Nigeria et que la protection offerte contre les sectes est [traduction] « loin d’être parfaite ». Il s’était appuyé sur une source selon laquelle la police avait arrêté et accusé des personnes au motif de leur appartenance alléguée à la confrérie Eiye pour conclure que les autorités nigérianes prenaient des mesures contre la secte et que la protection de l’État peut être obtenue.

[8] D’abord, comme notre Cour l’a rappelé à plusieurs reprises, le fait que des policiers ont pris certaines mesures dans un cas particulier ne prouve pas que la protection de l’État est adéquate sur le plan fonctionnel pour un demandeur d’asile donné (AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237 au para 19; Zatreanu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 332 au para 53; Mekhashishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 65 au para 30).

[9] Ensuite, l’agent a passé sous silence les éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions. Le reste de l’article qu’il a mentionné révèle que la police abandonne parfois ses démarches visant une secte en raison de [traduction] « la corruption, l’intimidation de témoins et l’absence de preuve ». On lit par ailleurs dans cet article que les politiciens engagent parfois les membres d’une fraternité comme hommes de main ou pour truquer les élections, puis protègent les adeptes de la secte concernée contre les poursuites pénales. Selon la preuve, la corruption policière et les vaines tentatives de protection ont renforcé le pouvoir des sectes au Nigeria. Je suis d’avis que l’analyse réalisée par l’agent était déraisonnable, puisque ce dernier a omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents qui contredisaient sa conclusion selon laquelle la police prenait des mesures contre les membres des sectes. Il ne s’est pas attaqué à la preuve concernant la question fondamentale en l’espèce, soit celle de savoir si une personne comme M. Nathaniel, qui s’était plaint de menaces proférées par la confrérie Eiye, pourrait se prévaloir de la protection de l’État sur le plan fonctionnel.

[10] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la décision n’est pas raisonnable et que l’affaire doit être renvoyée à un autre agent chargé de l’ERAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[11] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision du 15 septembre 2021 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

En blanc

« Lobat Sadrehashemi »

En blanc

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8295-21

 

INTITULÉ :

VICTOR NKEMJIKA NATHANIEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 6 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Joycna Kang

Annie O’Dell

Pour le demandeur

Nicholas Dodokin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Annie O’Dell

Avocate

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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