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Date : 20230616


Dossier : T‑938‑22

Référence : 2023 CF 849

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario) le 16 juin 2023

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

LA FONDATION SIERRA CLUB CANADA, ÉQUITERRE ET MI’GMAWE’L TPLU’TAQNN INC

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

EQUINOR CANADA LTÉE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1] La décision du ministre de l’Environnement et du Changement climatique [le ministre] d’approuver le rapport d’évaluation environnementale [le rapport] du projet de mise en valeur de Bay du Nord [le projet] de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada [l’Agence] conformément aux exigences de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52 [la LCEE ou la Loi] fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Le ministre, après examen du rapport et de la mise en œuvre des mesures d’atténuation jugées adéquates, a déterminé que le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants au sens du paragraphe 5(2) de la LCEE [la décision]. Le ministre a publié la décision et le rapport le 6 avril 2022.

[2] Le principal argument des demandeurs est que la décision est déraisonnable parce qu’elle est fondée sur le rapport qui ne tient pas compte des impacts des émissions de gaz à effet de serre [GES] en aval et du transport maritime du pétrole extrait dans le cadre du projet. En outre, ils soutiennent que la décision est invalide parce qu’aucune consultation appropriée n’a été menée auprès des membres de Mi’gmawe’l Tplu’taqnn Incorporated [MTI] sur le transport maritime et qu’aucune mesure d’adaptation appropriée n’a été prise à leur égard.

[3] Il n’appartient pas à la Cour d’évaluer si, compte tenu de la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre dans le monde, la décision du ministre était avisée ou conforme aux objectifs de la politique canadienne. Notre rôle est d’examiner si la décision satisfait au critère de la norme de la décision raisonnable, et non de déterminer s’il s’agit de la bonne décision.

[4] Dans la décision Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 541, au paragraphe 24, le juge Brown a résumé la position de la Cour suprême du Canada concernant le rôle de notre Cour dans l’application de la norme de la décision raisonnable :

[traduction]

La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, rendu en même temps que l’arrêt Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la majorité, sous la plume du juge Rowe, explique les exigences d’une décision raisonnable et ce qui est attendu d’un tribunal procédant à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « […] ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Soulignement ajouté par le juge Brown]

Les parties

[5] La Fondation Sierra Club Canada [Sierra Club] et Équiterre sont des organismes environnementaux sans but lucratif qui se consacrent à la sensibilisation du public et à la défense des intérêts en ce qui concerne les questions liées à la mise en valeur du pétrole et du gaz et au changement climatique. MTI est un organisme sans but lucratif qui représente huit collectivités Micmaq du Nouveau‑Brunswick.

[6] Le ministre est chargé de l’application de la LCEE et a pris la décision visée par le contrôle judiciaire. Le procureur général du Canada est chargé de la réglementation et de la conduite de tous les litiges engagés pour ou contre la Couronne ou tout ministère, sur tout sujet relevant de l’autorité ou de la compétence du Canada. À titre subsidiaire, il est désigné comme défendeur conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[7] Equinor est une société canadienne et une filiale indirecte d’Equinor ASA, détenue à 67 % par l’État norvégien. Equinor détient une participation de 65 % dans le projet et son partenaire, BP Canada Energy Group ULC, détient la participation restante.

Le projet

[8] Le projet consiste à exploiter deux licences de découverte importante délivrées par l’Office Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, dans le cadre d’un projet de production pétrolière extracôtier situé dans le bassin du Flemish Pass, dans le nord‑ouest de l’océan Atlantique. Les deux licences de découverte importante (Bay du Nord et Baccalieu) comprennent la zone principale de mise en valeur de Bay du Nord, située à environ 500 kilomètres à l’est de St. John’s, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

[9] Le projet consiste à extraire, à produire et à transporter les ressources pétrolières et gazières extracôtières sur le marché. La zone du projet comprend deux composantes temporelles de mise en valeur : 40 puits répartis sur cinq sites dans la zone principale de mise en valeur de Bay du Nord, et jusqu’à 20 puits futurs sur des sites non définis en dehors de la zone principale. Equinor estime que le projet est susceptible de permettre l’extraction de 300 millions de barils de pétrole brut et que sa durée de vie opérationnelle est d’environ 30 ans.

[10] Seront érigées des infrastructures sous‑marines, notamment un ancrage funiculaire sur le fond marin, une installation flottante de production, de stockage et de déchargement, et jusqu’à deux installations de forage destinées à être exploitées toute l’année en eaux profondes. Des navires de soutien, des navires d’approvisionnement et des hélicoptères circuleront entre les zones de forage et les installations terrestres existantes à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Le pétrole extrait sera transporté et déchargé par des pétroliers-navettes vers une installation de transbordement existante à Whiffen Head, sur l’île de Terre‑Neuve, ou directement vers les marchés internationaux.

Processus d’évaluation environnementale

[11] Le 13 juin 2018, Equinor a fourni à l’Agence une description du projet. L’Agence a ensuite affiché un avis dans son registre pour indiquer qu’elle examinait la nécessité de procéder à une évaluation environnementale du projet. Elle a affiché un résumé de la description du projet fournie par Equinor et un avis annonçant une période de commentaires publics de 20 jours sur le projet et le risque qu’il entraîne des effets négatifs sur l’environnement.

[12] En ce qui concerne les questions à analyser, la description du projet fournie par Equinor et mise à la disposition du public en vue de recueillir des commentaires ne mentionne pas les émissions de GES en aval. Elle mentionne le transport maritime, indiquant que le pétrole brut sera expédié du site du projet par des pétroliers‑navettes vers une installation de transbordement existante (au port de Whiffen Head, à Terre‑Neuve) ou directement vers les marchés en empruntant les voies de navigation internationales. Cependant, Equinor n’a pas intégré le transbordement du pétrole brut dans la portée du projet.

Le projet comprend le déchargement de pétrole brut dans des pétroliers-navettes ainsi que le déplacement, le raccordement et la déconnexion de ces navires à l’intérieur de la zone de sécurité du projet. Le transbordement de pétrole brut n’est pas compris dans la portée du projet. Equinor Canada reconnaît que, si une ÉE est requise en vertu de la LCEE 2012, la portée du projet sera établie par l’ACEE.

La « zone de sécurité du projet » est la zone située à moins de 500 mètres du rebord extérieur de l’unité flottante de production pour le stockage et le dispositif d’ancrage pour le déchargement extracôtier.

[13] Ni Sierra Club ni Équiterre n’ont commenté la description du projet.

[14] Outre la publication de la description du projet sur le site Web et l’appel aux commentaires du public, l’Agence et Equinor ont contacté des groupes autochtones pour leur demander de formuler des commentaires sur la description du projet.

[15] MTI a répondu le 13 juillet 2018, soulevant des préoccupations concernant les impacts potentiels sur les droits de pêche et de récolte traditionnels et sur les pêcheries commerciales :

[traduction]

Un certain nombre d’espèces ayant une importance culturelle, notamment le saumon de l’Atlantique, la baleine franche d’Amérique du Nord et le thon rouge de l’Atlantique, que nous pêchons à des fins commerciales ou dont nous dépendons pour notre alimentation ou à d’autres fins, migrent à travers notre territoire et fréquentent les eaux littorales de Terre-Neuve, et sont potentiellement affectées par ce projet.

[16] Equinor a fait remarquer que MTI [traduction] « n’a exprimé aucune préoccupation concernant les émissions de GES en aval ou le transbordement maritime ». En vérité, ses brefs commentaires portaient essentiellement sur le fait que l’Agence devrait exiger une évaluation environnementale du projet désigné [et] que la Couronne [traduction] « exige d’Equinor Canada qu’elle tienne compte des impacts du projet sur les droits ancestraux et issus de traités, y compris le savoir autochtone des Micmacs, lors de l’élaboration de l’évaluation environnementale de ce projet ».

[17] Le 9 août 2018, l’Agence a déterminé qu’il convenait de procéder à une évaluation environnementale conformément à la LCEE et a publié un avis de lancement de l’évaluation environnementale du projet et une ébauche des lignes directrices relatives à l’étude d’impact environnemental [EIE] [ébauche des lignes directrices relatives à l’EIE] sur son site Web afin de recueillir des commentaires. L’ébauche des lignes directrices relatives à l’EIE définit la portée du projet et les exigences minimales en matière de renseignements à fournir dans le cadre de l’EIE d’Equinor.

[18] Voici la description de la portée du projet dans l’ébauche des lignes directrices relatives à l’EIE :

Le 13 juin 2018, Equinor Canada Ltée, promoteur du projet de mise en valeur de Bay du Nord, a fourni une description du projet à l’Agence. D’après cette description, l’éventualité que des effets environnementaux négatifs découlent du projet et les commentaires reçus du public, l’Agence a déterminé qu’une évaluation environnementale est requise en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), et comprendra les activités des composantes suivantes du projet :

la construction, l’aménagement, le raccordement, la mise en service, l’exploitation et l’entretien en zone extracôtière d’une installation flottante de production et de l’infrastructure sous‑marine connexe pour la production, le stockage et l’exportation de pétrole brut ainsi que la gestion du gaz, l’injection d’eau et la gestion de l’eau de forage et des autres déchets et émissions;

le forage de 10 à 30 puits de production et d’injection, qui fera appel à un châssis d’ancrage (plusieurs puits forés en un emplacement unique) ou portera sur des puits individuels. Le forage des puits pourrait faire appel à une ou plusieurs unités mobiles de forage en mer à positionnement dynamique pouvant être exploitées simultanément, qui conviennent aux forages pendant toute l’année et aux conditions environnementales observées dans la zone du projet;

le transport du pétrole brut, y compris le déplacement, le branchement et le débranchement ainsi que le déchargement du pétrole brut sur les pétroliers-navettes dans le périmètre de sécurité du projet;

le soutien des activités d’étude propres au projet de production envisagé;

le chargement, le ravitaillement et l’exploitation des navires de soutien en mer (destinés au réapprovisionnement et au transfert de matériaux, de carburant et d’équipement, à la sécurité sur place pendant toute la durée de vie du projet et au transport entre la base de ravitaillement et la zone du projet), ainsi que le soutien par hélicoptère (pour le transport du personnel et la livraison de fournitures et d’équipement légers), y compris le transport jusqu’à la zone du projet;

la désaffectation, y compris celle des puits, qui inclut l’obturation et le scellement des puits ainsi que l’enlèvement des éléments d’infrastructure;

  • les possibilités de mise en valeur future propres au projet de production envisagé, y compris l’aménagement d’autres châssis d’ancrage et de conduites d’écoulement aménagées sur le fond marin.

[19] MTI a présenté à l’Agence des observations sur l’ébauche des lignes directrices relatives à l’EIE. MTI a demandé des modifications ou des clarifications concernant : la section 2.3 (Mobilisation des groupes autochtones), la section 3.2 (Éléments à examiner), la section 4.2.2 (Connaissances des collectivités et connaissances autochtones), la partie 5 (Mobilisation des groupes autochtones et préoccupations soulevées) et la section 7.1.8 (Peuples autochtones).

[20] Le 26 septembre 2018, l’Agence a publié la version définitive des « Lignes directrices pour la préparation d’une étude d’impact environnemental à l’intention du promoteur » [version définitive des lignes directrices relatives à l’EIE]. La portée du projet présentée dans la version définitive des lignes directrices relatives à l’EIE correspond exactement à celle présentée dans l’ébauche des lignes directrices relatives à l’EIE. Les émissions de gaz à effet de serre en aval ou le transport maritime de pétrole brut en dehors de la zone de sécurité du projet n’étaient pas visés par la portée du projet.

[21] Sierra Club s’est contentée de présenter une réponse à l’ébauche des lignes directrices relatives à l’EIE, sous la forme d’une lettre datée du 13 septembre 2020. Dans sa lettre d’accompagnement, Gretchen Fitzgerald explique que ses [traduction] « commentaires portent essentiellement sur les émissions de GES associées au projet et sur la capacité d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures ». Plus précisément, elle déclare que ses commentaires [traduction] « amélioreraient l’EIE et le document de synthèse en permettant de tenir véritablement compte des risques pour le climat et l’environnement, en mettant l’accent sur :

  • la méthode adoptée par le promoteur pour évaluer les impacts;

  • l’évaluation précise et adéquate des émissions de gaz à effet de serre associées au projet;

  • les marchés potentiels pour les produits pétroliers;

  • la préparation aux déversements de pétrole et la réponse proposée ».

[22] Il y est également question des émissions de gaz à effet de serre en aval :

[traduction]

Le projet de Bay du Nord maintiendrait la production de combustibles fossiles pendant trois décennies. Le Canada s’est engagé à atteindre et à dépasser ses objectifs en matière d’émissions de GES pour 2030 et à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Approuver l’expansion de l’industrie pétrolière et gazière creusera l’écart de production au niveau mondial et réduira notre capacité à respecter les engagements provinciaux et fédéraux en matière de climat.

[23] Le 12 août 2020, l’Agence a organisé une séance d’information et de mobilisation avec des groupes autochtones. Au cours de cette séance, des questions ont été soulevées au sujet du transport du pétrole brut issu du projet. Le compte-rendu de la réunion indique qu’Equinor a répondu :

[traduction]

Deux options sont possibles : le transport jusqu’à l’installation de transbordement (pas pour le traitement) ou le transport directement vers le marché. Quel que soit l’endroit où le pétrole est expédié, le transport du pétrole n’entre pas dans le cadre du projet.

[24] Le résumé de cette réunion indique que MTI a posé la question suivante : [traduction] « L’EIE contient-elle des renseignements sur le transport du pétrole et sur les déversements potentiels qui pourraient se produire pendant le transport? »

[25] La réponse d’Equinor a été la suivante :

[traduction]

Il a été tenu compte de l’hypothèse d’une collision entre navires lors de l’évaluation des accidents et des défaillances possibles. Il n’a pas été tenu compte des déversements provenant de navires situés en dehors de la zone de sécurité du projet. Le gouvernement fédéral a effectué une évaluation des risques associés au transport du pétrole et des produits pétroliers il y a plusieurs années et le rapport est mentionné dans l’EIE.

Transports Canada a répondu : [traduction] « À l’intérieur de la zone économique exclusive (ZEE), tous les transports maritimes sont couverts par le régime de sûreté et de sécurité du Canada et une intervention en cas de déversement est nécessaire. » Transports Canada a renvoyé à son Projet d’évaluation des risques de déversement d’hydrocarbures – Terre-Neuve, dont l’objectif était « d’évaluer et de quantifier le risque que fait courir à la côte sud de Terre-Neuve, pendant les 10 prochaines années, le transport d’hydrocarbures et de produits d’hydrocarbures, soit comme cargaison ou soit comme carburant, par des navires commerciaux ».

[26] Le 17 septembre 2020, MTI a fourni à l’Agence un examen technique et une évaluation de l’EIE, soulevant une préoccupation au sujet du transport du pétrole brut :

[traduction]

Commentaire 11 : Article 16.4.3 Résultats du modèle d’éruption souterraine – Il semble que, bien que l’EIE comprenne une évaluation de la circulation des bateaux en vue des activités générales du projet, elle ne tienne pas compte du transport maritime d’hydrocarbures par pétroliers dans les eaux canadiennes. Elle n’inclut pas non plus de modélisation des trajectoires potentielles de déversement si un pétrolier venait à déverser des hydrocarbures le long de l’un de ses itinéraires dans les eaux canadiennes. MTI demeure très préoccupée par le transport maritime de pétrole et le risque de déversement accidentel dans l’environnement aquatique, qui pourrait avoir des conséquences pour les poissons et leur habitat.

Recommandation 11 : Une évaluation approfondie du transport maritime par pétroliers depuis le site du projet jusqu’aux installations à terre doit figurer dans l’EIE. La modélisation de divers sites de déversement potentiels le long de ces itinéraires de navigation permettrait de mieux comprendre la zone potentielle susceptible d’être affectée si un navire venait à déverser accidentellement des hydrocarbures sur le trajet entre le site d’extraction et les installations côtières et infracôtières.

[27] Le 26 octobre 2020, l’Agence a envoyé des demandes de renseignements complémentaires à Equinor, en partie à la suite des commentaires de MTI. Equinor a répondu aux demandes le 9 décembre 2020. La réponse a été publiée afin que les groupes autochtones et le public puissent l’examiner. Dans aucune de ces demandes, il n’a été question du transport de pétrole brut, sans doute parce que cela n’entrait pas dans la portée du projet.

[28] Le 9 août 2021, l’Agence a publié son ébauche de rapport et de conditions potentielles, en invitant les parties intéressées à faire part de leurs commentaires. Le 14 septembre 2021, MTI a répondu que les délais et le financement fixés en vue de l’examen de l’ébauche du rapport et de la formulation de commentaires à son égard étaient insuffisants.

[29] Le 1er avril 2022, l’Agence a présenté son rapport définitif au ministre pour décision, laquelle a été rendue publique le 6 avril 2022.

Questions en litige

[30] Les demandeurs soulèvent les deux questions suivantes :

  1. La décision du ministre est-elle déraisonnable dans la mesure où elle s’appuie sur un rapport d’évaluation environnementale qui présente des lacunes importantes, en ce sens qu’il n’y est pas tenu compte, sans justification, de l’impact des émissions de gaz à effet de serre en aval et de la navigation maritime?

  2. La décision du ministre est-elle invalide parce qu’il n’a pas convenablement consulté les collectivités membres de MTI et ne leur a pas accordé les mesures d’adaptation nécessaires au regard du projet, étant donné que la Couronne :

 

  1. a exclu à tort la navigation maritime de la portée de la consultation avec MTI;

  2. a commis une erreur de droit en déterminant que le contenu de l’obligation de consulter MTI était faible;

  3. a omis de façon déraisonnable de consulter MTI de façon sérieuse et adéquate et de prendre des mesures d’adaptation à son égard, compte tenu des répercussions sur les droits des collectivités Micmacs du Nouveau-Brunswick.

[31] La Cour va d’abord se prononcer sur ces deux questions en litige soulevées par les défendeurs. Premièrement, le ministre s’oppose à certains des documents que les demandeurs ont intégrés dans le dossier. Deuxièmement, Equinor soutient que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée en raison du retard des demandeurs à soulever les questions relatives aux émissions de gaz à effet de serre en aval et à la navigation maritime.

La preuve des demandeurs

[32] Le ministre affirme que les demandeurs invoquent à tort des éléments de preuve [traduction] « qui n’ont pas été présentés à l’Agence ou au ministre et qui sont inadmissibles en tant qu’éléments de preuve extrinsèques, ou qui constituent des opinions ou des arguments ». Selon lui, les éléments suivants sont inadmissibles : les pièces GF‑21 à GF‑26 de l’affidavit de Gretchen Fitzgerald, et les pièces MAV-11 à MAV-19 de l’affidavit de Marc-André Viau.

[33] Les pièces GF‑21 et GF‑22 sont des pages du site Web de Sierra Club destinées aux membres et au public, les incitant à contacter le ministre et d’autres personnes pour exprimer leur opposition au projet. Les pièces GF‑23 et GF‑24 traitent d’une campagne de relations publiques menée par Sierra Club appelée Phone Zap, encourageant les appels aux politiciens pour exprimer leur opposition au projet. Les pièces GF‑25 et GF‑26 proviennent du site Web de Sierra Club et reproduisent des courriels adressés au premier ministre et au ministre décrivant les appels reçus par leurs bureaux et réitérant la position de Sierra Club selon laquelle le projet ne devrait pas être approuvé. Je partage l’avis du défendeur selon lequel aucun de ces documents n’a été présenté au ministre ou, s’ils l’ont été, ils expriment des opinions sur le projet dans son ensemble et n’ont aucune pertinence pour les questions dont la Cour est saisie.

[34] Les pièces MAV-11 et MAV-12 sont des pages du site Web d’Équiterre dans lesquelles l’organisme exprime son opposition au projet. La pièce MAV-13 reproduit une page du site Web d’Équiterre qui contient un courriel envoyé au ministre l’invitant à ne pas approuver le projet. La pièce MAV-15 est tirée du site Web d’Équiterre et est une reproduction d’un courriel envoyé au Cabinet exprimant son opposition au projet. La pièce MAV-16 est tirée du site Web d’Équiterre et encourage le public à communiquer avec le ministre et d’autres personnes pour exprimer leur opposition au projet. Les pièces MAV-17 à MAV-19 sont des copies d’articles de presse concernant le projet. Je partage l’avis du défendeur selon lequel aucun de ces documents n’a été présenté au ministre ou, s’ils l’ont été, ils expriment des opinions sur le projet dans son ensemble et n’ont aucune pertinence pour les questions dont la Cour est saisie.

[35] Toutes les pièces qui font l’objet d’une objection sont rayées du dossier parce qu’elles ne sont pas utiles.

Rejet pour cause de retard

[36] Dans la demande de contrôle judiciaire déposée le 6 mai 2022, les demandeurs affirment que la décision du ministre est déraisonnable parce qu’elle s’appuie sur un rapport lacunaire dont la portée n’inclut pas le transport maritime et l’impact des émissions de GES en aval.

[37] Equinor affirme que les demandeurs soulèvent ces questions pour la première fois dans la présente demande et qu’ils ne les ont pas soulevées au cours du long processus qui a mené à la publication du rapport par l’Agence :

[traduction]

Les demandeurs soutiennent que l’évaluation environnementale comportait des lacunes parce qu’elle ne contenait aucun élément concernant : i) les émissions de GES en aval; ii) le transbordement maritime. Cependant, lorsque les demandeurs ont eu la possibilité de soulever ces questions au cours des périodes de commentaires sur la description du projet et l’ébauche des lignes directrices relatives à l’EIE, aucun ne l’a fait. En réalité, les demandeurs n’ont soulevé ces questions que plus de deux ans après le début de l’évaluation environnementale, après qu’Equinor a déposé son EIE (conformément aux lignes directrices relatives à l’EIE). Les demandeurs ont tardé à présenter leurs questions, sans fournir de justification, ce qui est inexplicable et préjudiciable à l’achèvement en temps voulu de l’évaluation environnementale, une question qui revêt un grand intérêt pour le public. La demande doit être rejetée pour ce motif.

[38] La question de la navigation maritime a été soulevée par MTI. Lors de la discussion animée du 12 août 2020, la question suivante a été posée : [traduction] « L’EIE contient-elle des renseignements sur le transport du pétrole et sur les déversements potentiels qui pourraient se produire pendant le transport? » La réponse d’Equinor a été la suivante :

[traduction]

Il a été tenu compte de l’hypothèse d’une collision entre navires lors de l’évaluation des accidents et des défaillances possibles. Il n’a pas été tenu compte des déversements provenant de navires situés en dehors de la zone de sécurité du projet. Le gouvernement fédéral a effectué une évaluation des risques associés au transport du pétrole et des produits pétroliers il y a plusieurs années et le rapport est mentionné dans l’EIE.

[39] Cet échange est intervenu avant la publication par l’Agence de la version définitive des lignes directrices relatives à l’EIE, le 26 septembre 2018, qui fixe sa position définitive concernant la portée du projet.

[40] De même, Sierra Club, peu avant la publication de la version définitive des lignes directrices relatives à l’EIE, a expliqué que ses [traduction] « commentaires portent essentiellement sur les émissions de GES associées au projet et sur la capacité d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures ».

[41] Ces préoccupations auraient sans doute pu être soulevées plus tôt, mais il est établi dans le dossier qu’elles l’ont été avant que l’Agence ne fixe la portée définitive du projet.

[42] Equinor invoque l’arrêt Conseil des innus de Ekuanitshit c Canada (Procureur général), 2013 CF 418 rendu par le juge Scott et confirmé par 2014 CAF 189 [Ekuanitshit], à l’appui de ses arguments selon lesquels [traduction] « un délai déraisonnable est préjudiciable aux promoteurs et au public qui tireront profit des projets approuvés » et dans lesquels elle ajoute que, [traduction] « lorsque la délimitation de la portée d’un projet n’est pas contestée immédiatement, le processus d’EE progresse et donne lieu à la réalisation d’études, à la tenue de réunions et à la réalisation d’investissements sérieux [et le fait de] demander la préparation d’une nouvelle EIE, la réalisation d’autres études, la mobilisation à nouveau des parties intéressées et le retour en arrière dans le processus d’EE entraînera “des coûts, des inconvénients et des retards considérables” ».

[43] J’estime qu’il ne convient pas d’invoquer l’arrêt Ekuanitshit pour traiter de la question soulevée en l’espèce. Dans l’arrêt Ekuanitshit, la décision relative à la délimitation de la portée a été prise par le ministre en application de l’article 15 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37, le 8 janvier 2009. La décision examinée a été prise le 16 mars 2012 et la demande de contrôle judiciaire a été déposée dans le délai de 30 jours fixé par la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Le juge Scott a statué que la décision du ministre sur la portée était une décision susceptible de faire l’objet d’un contrôle et que les demandeurs auraient dû présenter leur demande dans le délai prescrit, car leur contestation dans l’affaire dont il était saisi visait effectivement la décision sur la portée.

[44] En l’espèce, contrairement aux faits dans l’arrêt Ekuanitshit, la décision relative à la portée du projet a été prise par l’Agence et on peut soutenir que le ministre avait la possibilité de rejeter le rapport, y compris la portée du projet, s’il estimait qu’elle était incorrecte ou trop circonscrite. Equinor semble reconnaître que la décision de l’Agence sur la portée du projet n’ouvre pas droit à une action en justice, car elle [traduction] « ne sert qu’à aider le décideur (en l’occurrence, le ministre) » : voir Gitxaala Nation c Canada, 2016 CAF 187 au para 125; Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 319 aux para 36, 43; Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153 aux para 180, 202 [Tsleil‑Waututh].

[45] Equinor n’a pas fait valoir que le délai spécifié dans la Loi sur les Cours fédérales n’a pas été respecté; elle affirme plutôt que la Cour devrait rejeter la demande parce que les demandeurs se sont rendus coupables d’un retard [traduction] « injustifié » en soulevant les préoccupations actuelles : Voir Donald J M Brown & John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Thompson Reuters Canada, 2023) (feuillets mobiles mis à jour en avril 2023) à la section 3.41. Compte tenu de la complexité du projet et des diverses périodes de consultation, et du fait que la délimitation de la portée du projet a été arrêtée par le ministre dans sa décision, je ne suis pas en mesure de conclure que tout retard de la part des demandeurs est [traduction] « injustifié », comme l’exige le critère à appliquer.

[46] La présente demande est présentée dans les délais et sera examinée au fond.

Caractère raisonnable de la décision du ministre

[47] Les demandeurs affirment que la décision du ministre est déraisonnable, car elle s’appuie sur un rapport qui présente des lacunes importantes dans la mesure où il n’y a pas été tenu compte, sans justification, de l’impact des émissions de gaz à effet de serre en aval et de la navigation maritime.

Émissions de GES en aval

[48] C’est la création d’émissions de GES en aval du projet, générées par le pétrole brut extrait dans le cadre du projet, qui est au centre de la question; ce ne sont pas les émissions de GES produites par le projet lui-même. Les demandeurs reconnaissent que le rapport [traduction] « a évalué les émissions directes de gaz à effet de serre propres au projet » [Souligné dans l’original].

[49] Ils soutiennent que le rapport n’a pas [traduction] « tenu compte des effets environnementaux des émissions de gaz à effet de serre beaucoup plus importantes en aval du projet, ni des effets cumulatifs de ces émissions, et n’a pas évalué l’importance de ces effets, contrairement aux exigences de la Loi énoncées aux paragraphes 5(1), 5(2), et aux alinéas 19(1)a) et 19(1)b) » [Souligné dans l’original].

[50] Le libellé des passages appropriés de ces dispositions de la LCEE est le suivant :

5 (1) Pour l’application de la présente loi, les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une mesure, d’une activité concrète, d’un projet désigné ou d’un projet sont les suivants :

5 (1) For the purposes of this Act, the environmental effects that are to be taken into account in relation to an act or thing, a physical activity, a designated project or a project are

a) les changements qui risquent d’être causés aux composantes ci-après de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement :

(a) a change that may be caused to the following components of the environment that are within the legislative authority of Parliament:

(i) les poissons et leur habitat, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les pêches,

(i) fish and fish habitat as defined in subsection 2(1) of the Fisheries Act,

(ii) les espèces aquatiques au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les espèces en péril,

(ii) aquatic species as defined in subsection 2(1) of the Species at Risk Act,

(iii) les oiseaux migrateurs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs,

(iii) migratory birds as defined in subsection 2(1) of the Migratory Birds Convention Act, 1994, and

(iv) toute autre composante de l’environnement mentionnée à l’annexe 2;

(iv) any other component of the environment that is set out in Schedule 2;

b) les changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(b) a change that may be caused to the environment that would occur

(i) sur le territoire domanial,

(i) on federal lands,

(ii) dans une province autre que celle dans laquelle la mesure est prise, l’activité est exercée ou le projet désigné ou le projet est réalisé,

(ii) in a province other than the one in which the act or thing is done or where the physical activity, the designated project or the project is being carried out, or

(iii) à l’étranger;

(iii) outside Canada; and

c) s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :

(c) with respect to aboriginal peoples, an effect occurring in Canada of any change that may be caused to the environment on

(i) en matière sanitaire et socio-économique,

(i) health and socio-economic conditions,

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

(ii) physical and cultural heritage,

(iii) sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles,

(iii) the current use of lands and resources for traditional purposes, or

(iv) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

(iv) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance.

(2) Toutefois, si l’exercice de l’activité ou la réalisation du projet désigné ou du projet exige l’exercice, par une autorité fédérale, d’attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale autre que la présente loi, les effets environnementaux comprennent en outre :

(2) However, if the carrying out of the physical activity, the designated project or the project requires a federal authority to exercise a power or perform a duty or function conferred on it under any Act of Parliament other than this Act, the following environmental effects are also to be taken into account:

a) les changements — autres que ceux visés aux alinéas (1)a) et b) — qui risquent d’être causés à l’environnement et qui sont directement liés ou nécessairement accessoires aux attributions que l’autorité fédérale doit exercer pour permettre l’exercice en tout ou en partie de l’activité ou la réalisation en tout ou en partie du projet désigné ou du projet;

(a) a change, other than those referred to in paragraphs (1)(a) and (b), that may be caused to the environment and that is directly linked or necessarily incidental to a federal authority’s exercise of a power or performance of a duty or function that would permit the carrying out, in whole or in part, of the physical activity, the designated project or the project; and

b) les répercussions — autres que celles visées à l’alinéa (1)c) — des changements visés à l’alinéa a), selon le cas :

(b) an effect, other than those referred to in paragraph (1)(c), of any change referred to in paragraph (a) on

(i) sur les plans sanitaire et socio-économique,

(i) health and socio-economic conditions,

(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,

(ii) physical and cultural heritage, or

(iii) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.

(iii) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance.

[…]

19 (1) L’évaluation environnementale d’un projet désigné prend en compte les éléments suivants :

19 (1) The environmental assessment of a designated project must take into account the following factors:

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à celle d’autres activités concrètes, passées ou futures, est susceptible de causer à l’environnement;

(a) the environmental effects of the designated project, including the environmental effects of malfunctions or accidents that may occur in connection with the designated project and any cumulative environmental effects that are likely to result from the designated project in combination with other physical activities that have been or will be carried out;

b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);

(b) the significance of the effects referred to in paragraph (a);

[…]

[51] Dans le rapport, il est affirmé que l’Agence s’est conformée à l’article 5 de la LCEE :

Conformément à l’article 5 de la LCEE 2012, l’Agence a évalué les effets environnementaux potentiels dans les domaines de compétence fédérale (paragraphe 5(1)) ainsi que les effets attribuables aux changements dans l’environnement qui sont directement liés ou nécessairement accessoires aux décisions fédérales qui peuvent être requises pour le projet (paragraphe 5(2)).

[52] Les demandeurs affirment qu’une interprétation déraisonnable de ces dispositions législatives a été faite dans le rapport parce que [traduction] « [l]es émissions en aval, tout comme les émissions directes, ont de graves répercussions locales, à l’extérieur des provinces et dans le monde entier et auraient dû être prises en compte dans l’évaluation des effets environnementaux au titre du paragraphe 5(1) ».

[53] Ils rappellent les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, au paragraphe 187, selon lesquels il est « incontesté » que les effets des émissions de GES sur le changement climatique et les conséquences environnementales et sociales correspondantes se font « ressentir à l’extérieur de la province, partout au Canada et dans le monde entier ».

[54] Ils affirment également qu’en ne tenant pas compte des émissions de GES en aval, l’Agence s’est écartée des [traduction] « évaluations antérieures » effectuées au titre de la LCEE. Ils mentionnent l’évaluation environnementale du projet de GNL d’Énergie Saguenay, au sujet de laquelle ils affirment ce qui suit :

[traduction]

[…] l’Agence a tenu compte des émissions en aval en plus des émissions directes lors de l’évaluation des effets à l’extérieur de la province et à l’étranger conformément aux sous-alinéas 5(1)b)ii) et iii). En ce qui concerne les émissions en aval, l’Agence a conclu que le promoteur n’avait pas démontré que le projet remplacerait des sources d’émissions plus élevées et a fait référence à la conclusion de l’AIE en 2021 selon laquelle « les pays doivent désormais renoncer à autoriser l’exploitation de nouveaux sites pétroliers et gaziers […] pour parvenir à des émissions nettes nulles d’ici 2050 et limiter le réchauffement de la planète à + 1,5 degré Celsius ». Le gouverneur en conseil a fini par rejeter le projet d’Énergie Saguenay.

[55] Je partage l’avis d’Equinor selon lequel il s’agit d’une décision réglementaire isolée dont on peut difficilement dire qu’elle est représentative des [traduction] « évaluations antérieures » effectuées par l’Agence. Je conviens également que la discussion sur les émissions de GES dans le rapport du projet de GNL d’Énergie Saguenay est brève et qu’elle visait les observations du promoteur et particulièrement son affirmation selon laquelle le projet permettrait de substituer le gaz naturel à un combustible fossile plus polluant.

[56] Les demandeurs soutiennent également que les émissions de GES en aval sont visées par le paragraphe 5(2), car elles entraînent des changements causés à l’environnement et qui sont « directement liés ou nécessairement accessoires » à la délivrance des licences fédérales et à l’autorisation du projet.

[57] Ils renvoient également à l’évaluation environnementale du projet de mine d’or et de cuivre New Prosperity, dans laquelle la Commission d’examen a interprété l’expression « directement liés » comme signifiant les effets qui « sont le résultat direct et immédiat d’une décision d’une autorité fédérale » et l’expression « nécessairement accessoires » comme signifiant « les autres effets qui sont essentiellement liés à une décision d’une autorité fédérale, bien qu’ils puissent être secondaires ou indirects » : Voir le Rapport de la Commission d’examen fédérale – Projet de mine d’or et de cuivre New Prosperity, (Ottawa : ACEE, octobre 2013) à la page 23.

[58] Les demandeurs invoquent également l’arrêt Sumas Energy 2 Inc. c Canada (Office national de l’énergie), 2005 CAF 377, au paragraphe 18, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a interprété l’expression « directement liés » lors de l’examen de l’approbation d’une ligne internationale de transport d’électricité [LITE] entre le Canada et les États-Unis et a approuvé l’interprétation de cette expression par l’Office national de l’énergie :

L’Office juge que la centrale électrique et la LIT ont des liens réciproques. La LIT ne serait pas nécessaire s’il n’y avait pas de centrale électrique. Inversement, si la LIT n’était pas construite, il se pourrait que la centrale électrique ne voie pas le jour. La LIT aurait pour toute fonction de transmettre toute l’électricité produite par la centrale. Ces deux entreprises seraient, en fait, des composantes d’une même entreprise.

[59] Les demandeurs affirment que les émissions de GES en aval sont « directement liées » aux décisions fédérales d’accorder des autorisations ou des licences pour le projet, car elles sont les résultats directs et immédiats de ces décisions. Ils expliquent que [traduction] « sans une autorisation de travail délivrée par l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures en vertu de l’Accord atlantique, Equinor ne pourrait pas produire de pétrole brut dans le cadre du projet. »

[60] En outre, ils affirment que les émissions de GES en aval sont nécessairement accessoires, car la combustion du pétrole brut est un résultat nécessaire de la production de pétrole dans le cadre du projet. Ils invoquent deux affaires de droit international qui ont établi que les émissions de GES en aval devaient être évaluées comme étant « directement liées ou nécessairement accessoires » à l’autorisation d’extraction de combustibles fossiles : Gray v The Minister for Planning and Ors, [2006] NSWLEC 720 aux para 97 et 100 et Sierra Club v Federal Energy Regulatory Commission, 867 F (3d) 1357 (DC Cir 2017) aux para 1371-1372, 1374 (DC Cir 2017)).

[61] Je ne saurais accepter cette thèse. Je suis d’accord avec Equinor pour dire que les organismes de réglementation canadiens ont conclu à plusieurs reprises qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte des émissions de GES en aval dans les évaluations environnementales et que ces décisions ont été confirmées en appel ou lors d’un contrôle.

[62] Dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, l’Office national de l’énergie a décidé qu’il ne tiendrait pas compte des effets environnementaux et socio-économiques associés aux activités en amont, à l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta et à l’utilisation en aval du pétrole transporté par l’oléoduc. Cette décision va à l’encontre d’une disposition législative qui exige de l’Office qu’il tienne compte de « de tous les facteurs qu’il estime directement liés au pipeline et pertinents », Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC, 1985, c. N-7, paragraphe 52(2). Au paragraphe 69, la Cour d’appel fédérale a jugé la décision raisonnable pour de nombreuses raisons, dont trois sont utiles pour la présente affaire.

[63] Premièrement, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que, tout comme la LCEE, « [l]a Loi ne comporte aucune disposition exigeant expressément que l’Office examine des questions générales comme les changements climatiques ».

[64] Deuxièmement, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que c’est à l’Office de déterminer les facteurs qui sont « directement liés » au projet :

Le paragraphe 52(2) de la Loi habilite l’Office à tenir compte de facteurs « qu’il estime » être « directement liés » au pipeline et être « pertinents ». Les mots « qu’il estime », le sens imprécis des mots « directement », « liés » et « pertinent », la clause privative à l’article 23 de la Loi, et la nature hautement factuelle et stratégique des décisions concernant la pertinence, pris ensemble, font en sorte que la Cour devrait laisser à l’Office une grande marge d’appréciation lorsque celui‑ci statue sur la pertinence : arrêt Farwaha, précité, aux paragraphes 91 à 95.

[65] Bien que le libellé du paragraphe 5(2) de la LCEE soit différent, il exige, comme condition préalable à l’examen des effets environnementaux, que les changements causés à l’environnement soient liés aux attributions que l’autorité fédérale, autre que l’Agence, doit exercer pour permettre l’exercice de l’activité. Par conséquent, l’effet nécessaire ne doit pas être lié au projet en tant que tel, mais aux attributions que l’autorité fédérale doit exercer. L’Agence doit déterminer s’il existe une telle condition préalable et une grande marge d’appréciation doit lui être accordée pour prendre cette décision.

[66] Troisièmement, la Cour d’appel fédérale a fait observer ceci :

[L]orsqu’il a appliqué le paragraphe 52(2) de la Loi, l’Office pouvait raisonnablement adopter comme position que les questions générales comme les changements climatiques sont plus vraisemblablement « directement liées » aux effets environnementaux d’établissements et d’activités en amont et en aval du pipeline, et non au pipeline lui‑même.

[67] C’est tout à fait le cas en l’espèce. Je partage l’avis d’Equinor selon lequel, étant donné que les lieux et les utilisations en aval du pétrole du projet sont inconnus, il serait impossible de déterminer si les émissions de gaz à effet de serre générées par ces utilisations relèvent de la compétence législative du Parlement. Le pétrole du projet peut être utilisé dans le monde entier et à de nombreuses fins. Chacune de ces utilisations peut donner lieu à des émissions de GES différentes. Il n’est pas possible de déterminer quelle part de l’utilisation en aval, s’il y en a une, se fera au Canada. L’Agence ne fera que formuler des hypothèses lorsqu’elle examinera les effets environnementaux des émissions de GES en aval. Par conséquent, il est raisonnable pour l’Agence d’exclure les émissions de GES en aval dans le cadre de l’évaluation du projet.

[68] Ayant conclu que la décision n’était pas déraisonnable à la suite d’une analyse fondée sur l’article 5 de la LCEE, l’article 19, qui repose sur une telle conclusion, ne s’applique pas.

[69] En conclusion, je considère que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir que la décision visée par le contrôle judiciaire était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte des émissions de gaz à effet de serre en aval.

Transport maritime

[70] Les demandeurs prétendent que le fait que l’Agence n’a pas inclus le transport maritime dans la portée du projet et qu’elle ne l’a pas évalué comme le prévoit la LCEE équivaut à la situation dans l’affaire Tsleil-Waututh, où la Cour d’appel fédérale a annulé l’approbation d’un projet parce que l’évaluation environnementale avait omis de considérer le transport maritime comme une activité accessoire.

[71] Dans l’arrêt Tsleil-Waututh, l’Office national de l’énergie (ONÉ) a exclu la navigation maritime de la portée de l’évaluation environnementale du projet d’agrandissement du pipeline Trans Mountain (Trans Mountain). L’ONÉ a fait valoir qu’il ne pouvait pas évaluer les effets du trafic maritime au titre de la Loi parce qu’il n’exerçait pas de contrôle réglementaire sur ce type de trafic. La Cour d’appel fédérale a conclu que le transport maritime était à tout le moins un élément qui accompagne le projet et que, par conséquent, l’ONÉ était tenu d’expliquer sa décision relative à la portée du projet et d’examiner les critères applicables : voir Tsleil‑Waututh aux para 396-402.

[72] Les demandeurs soutiennent que le même raisonnement s’applique en l’espèce. Ils soutiennent qu’il est évident, d’après la description du projet, que la navigation maritime est un élément du projet et que, malgré cela, l’Agence n’a pas expliqué sa décision d’exclure la navigation maritime de la portée du projet.

[73] Dans l’arrêt Tsleil-Waututh, au paragraphe 403, la Cour d’appel fédérale s’est appuyée sur le « Guide de préparation d’une description de projet désigné en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) » de l’Agence, qui fournit un ensemble de critères applicables à la question de savoir si certaines activités devraient être considérées comme « accessoires » à un projet. Ces critères sont les suivants :

  1. la nature des activités proposées et si ces activités sont subordonnées ou complémentaires au projet désigné;

  2. est-ce une activité qui incombe au promoteur;

  3. si l’activité doit être réalisée par un tiers, la nature de la relation entre le promoteur et le tiers; le promoteur peut-il diriger la réalisation de l’activité ou exercer une influence sur celle-ci;

  4. l’activité est-elle pour le bénéfice exclusif du promoteur ou bien d’autres promoteurs peuvent-ils également en bénéficier;

  5. les exigences fédérales et/ou provinciales en matière de réglementation en ce qui concerne l’activité.

[74] Les demandeurs soutiennent que, en l’espèce, l’Agence n’a pas tenu compte de ces critères et qu’aucune raison n’a été avancée pour justifier la décision relative à la délimitation de la portée du projet avant le rapport définitif. Dans ce rapport, l’Agence a écrit :

Pendant la période de consultation publique sur l’EIE, l’Agence a organisé une séance d’information et de discussion facilitée exclusivement pour les groupes autochtones. Au cours de cette séance, le promoteur a expliqué que l’expédition et le transport d’hydrocarbures ou d’autres produits n’entrai[en]t pas dans le cadre du projet. Transports Canada est le principal organisme de réglementation qui gère et régit le Régime de préparation et d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures en milieu marin du Canada, en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC, 2001), qui s’applique à tous les navires se trouvant dans les eaux canadiennes.

[75] Les demandeurs soutiennent que le transport maritime est essentiel au projet. Le pétrole produit doit être transporté hors de l’installation à l’aide de navires. Deuxièmement, à l’instar des faits de l’arrêt Tsleil-Waututh, Equinor a la capacité de diriger ou d’influencer la réalisation du transport maritime au moyen d’accords contractuels avec des compagnies pétrolières tierces : voir Tsleil-Waututh aux para 405-407. Ils affirment que ces facteurs sont suffisants pour conclure que le transport maritime était accessoire et aurait donc dû être inclus dans la portée du projet.

[76] Je partage l’avis des défendeurs selon lequel il était raisonnable de ne pas inclure la navigation maritime ni dans le rapport ni dans la décision, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs.

[77] Tout d’abord, l’évaluation mentionne l’activité maritime : « Le projet comprend le déchargement de pétrole brut dans des pétroliers-navettes ainsi que le déplacement, le raccordement et la déconnexion de ces navires à l’intérieur de la zone de sécurité du projet. » : voir l’étude d’impact environnemental du Projet de mise en valeur de Bay du Nord, page 2-1. Je partage l’avis des défendeurs selon lequel, contrairement à l’arrêt Tsleil-Waututh, la navigation maritime est quelque peu mentionnée dans cette évaluation, bien qu’elle soit limitée à la zone de sécurité du projet.

[78] Deuxièmement, en l’espèce, l’exclusion de la navigation maritime ne suffit pas à qualifier la décision de déraisonnable. Dans la description du projet, Equinor a fourni des renseignements concernant les changements « nécessairement accessoires ». L’Agence a accepté la description du projet et a exclu le transport maritime de l’évaluation. Le fait de ne pas inclure le transport maritime dans l’évaluation ne signifie pas que l’Agence n’en a pas tenu compte. La fourniture de renseignements par Equinor concernant le critère des changements « nécessairement accessoires » fait apparaître de manière évidente qu’il a été tenu compte du transport maritime et que l’Agence a décidé qu’il ne devait pas être inclus dans l’évaluation.

[79] En l’occurrence, il incombe aux demandeurs d’expliquer pourquoi, après avoir examiné le transport maritime dans la zone de sécurité du projet, le fait de le rejeter à l’extérieur de la zone de sécurité est déraisonnable. Les demandeurs invoquent l’arrêt Tsleil-Waututh pour démontrer que le transport maritime est accessoire. Cependant, la zone maximale d’expédition maritime qui a été évaluée par l’ONÉ à la suite de l’arrêt Tsleil-Waututh était la mer territoriale des 12 milles marins : voir Office national de l’énergie, [traduction] « Motifs de la décision datée du 12 octobre 2018 » [Réexamen de la portée]. Dans le réexamen de la portée, l’ONÉ a estimé qu’aucune évaluation antérieure n’a tenu compte de la navigation maritime associée au projet en dehors de la mer territoriale, qu’il n’est pas pratique ou faisable d’évaluer la navigation maritime dans la zone économique exclusive qui se trouve à un maximum de 200 milles marins de la ligne de base et que la compétence du Parlement est réduite au-delà de la mer territoriale : voir le réexamen de la portée aux pages 8, 15 et 18. La Cour d’appel fédérale a refusé d’autoriser les contestations du réexamen de la portée par l’ONÉ : voir Raincoast Conversation Foundation c Canada (Procureur général), 2019 CAF 224 aux para 43 et 45.

[80] À la lumière du réexamen de la portée susmentionné et de la différence entre les faits de la présente affaire et ceux de l’affaire Tsleil-Waututh, où, au para 758, la Couronne a reconnu qu’elle devait procéder à une consultation plus approfondie en raison du risque élevé d’effets négatifs du projet sur les droits ancestraux et issus de traités, je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs selon lesquels il était déraisonnable pour l’Agence de ne pas tenir compte de la navigation maritime. Le projet est situé à 500 kilomètres de la côte canadienne, bien au-delà de la compétence législative du Parlement, et la destination du pétrole provenant du site du projet est indéterminée. Cette incertitude concernant la destination rend impossible l’évaluation du transport maritime.

[81] Les demandeurs affirment en outre que l’Agence n’a pas le pouvoir discrétionnaire de réduire la portée des évaluations environnementales en deçà de ce qui est prévu dans la description du projet et qu’elle est tenue d’évaluer le projet tel qu’il est proposé : voir MiningWatch Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2 aux para 39-42. Étant donné que la proposition d’Equinor comprenait et exigeait des activités de transport maritime, les demandeurs soutiennent que l’Agence était tenue d’inclure le transport maritime dans le projet. Ils soutiennent qu’en excluant la navigation maritime de l’évaluation, l’Agence a ignoré le mandat que lui confie la loi et a produit une évaluation lacunaire qui n’est pas conforme à la Loi.

[82] Les activités de transport maritime abordées dans la description du projet d’Equinor l’ont été dans le cadre de la délimitation de la portée du projet. Par conséquent, la portée de l’évaluation n’a pas été restreinte; l’évaluation a été effectuée conformément à la proposition faite.

[83] Pour ces motifs, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir que la décision relative à la délimitation de la portée du projet et à la navigation maritime était déraisonnable.

Consultation des groupes autochtones

[84] Il est admis que la Couronne était tenue de consulter MTI en vertu du principe de l’honneur de la Couronne et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 : voir Clyde River (Hamlet) c Petroleum Geo-Services Inc, 2017 CSC 40 [Clyde River] au para 19. L’obligation de consultation de la Couronne exige qu’un processus de consultation sérieux soit mené de bonne foi. Le contenu de la consultation s’inscrit dans un continuum qui va de la consultation limitée à la consultation approfondie, selon la solidité de la revendication autochtone et la gravité de l’impact potentiel sur le droit concerné : voir Clyde River au para 20.

[85] L’Agence a joué le rôle de coordinatrice des consultations de la Couronne dans ce qui se voulait être une approche [traduction] « pangouvernementale ».

[86] La question de savoir si l’Agence a correctement établi l’existence et la portée de l’obligation de la Couronne de consulter MTI est une question de droit qui peut être examinée selon la norme de la décision correcte : voir Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 42 [Haida]. Toutefois, les conclusions de fait sur lesquelles repose cette décision sont examinées selon la norme de la décision raisonnable : voir Haida au para 62.

[87] Les demandeurs prétendent qu’ils devaient être consultés de manière approfondie parce qu’une solide preuve à première vue avait été établie, que le droit et l’atteinte potentielle étaient d’une haute importance et que le risque de préjudice n’ouvrant pas droit à une indemnisation était élevé : voir Haida, au para 44. Pour étayer leur argumentation, ils font valoir que les collectivités représentées par MTI ont reconnu et confirmé judiciairement leurs droits ancestraux et n’ont pas cédé leurs titres ancestraux à la Couronne dans le cadre des traités de paix et d’amitié. Les droits autochtones comprennent le droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles et le droit de pêcher pour assurer une subsistance convenable en vertu des traités de paix et d’amitié. Ils entretiennent également un lien culturel et spirituel important avec le saumon de l’Atlantique. Les défendeurs ont fait état des mêmes droits ancestraux et issus de traités lorsqu’ils ont examiné l’ampleur de la consultation requise.

[88] Les défendeurs soutiennent qu’ils ont considéré que [traduction] « les seuls effets potentiels du projet sur les droits seraient ceux causés aux espèces migratrices qui traversent la zone du projet et qui sont ensuite récoltées ou pêchées dans le territoire traditionnel de MTI ». L’Office a conclu que, pour les activités courantes du projet, il était peu probable qu’il y ait des effets environnementaux négatifs importants sur le poisson et son habitat et que, par conséquent, les effets sur les droits de MTI seraient minimes. L’Office a estimé que la probabilité d’un accident dans le pire des scénarios était faible. Les défendeurs soutiennent qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait de l’Office : voir Haida au para 61.

[89] Les défendeurs soutiennent que [traduction] « compte tenu du faible niveau des effets potentiels et de l’improbabilité de ces effets sur les droits détenus par les groupes représentés par MTI, l’Agence a déterminé que la consultation ne devait pas être trop approfondie ».

[90] Les arrêts Clyde River et Tsleil-Waututh se distinguent de la présente affaire parce que la trame factuelle de ces deux affaires est différente en ce qui concerne le niveau de consultation requis. Dans les deux affaires, la Couronne a reconnu qu’elle était tenue à un niveau de consultation plus approfondi en raison du risque élevé d’effets négatifs du projet sur les droits ancestraux et issus de traités : voir Clyde River, aux para 43-44; Tsleil-Wautuh au para 758.

[91] Compte tenu du fait qu’il n’existe pas de droits issus de traités dans la zone du projet, que celle-ci est éloignée du territoire traditionnel de tout groupe appartenant à MTI et que l’impact prévu sur le saumon de l’Atlantique est minime, j’estime que l’Agence a raisonnablement délimité l’étendue de son obligation de consulter MTI.

[92] La question de savoir si le processus de consultation suffit pour que la Couronne s’acquitte de son obligation de consulter est examinée selon la norme de la décision raisonnable : voir Coldwater First Nation c Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 aux para 41 et 58. L’accent est mis sur le caractère suffisant de la consultation et des mesures d’adaptation : voir Haida aux para 62 et 63.

[93] Les demandeurs soutiennent que [traduction] « en délimitant incorrectement la portée de l’évaluation afin d’exclure l’impact du transport maritime de pétrole sur les droits des Micmacs, la Couronne n’a pas respecté la norme de la décision raisonnable concernant l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation ». Les demandeurs allèguent qu’à toutes les étapes du processus d’évaluation environnementale, ils ont fait part de leurs préoccupations concernant l’impact du transport maritime sur le saumon de l’Atlantique. Cependant, l’Agence n’a pas tenu compte de ces préoccupations. En outre, MTI n’a pas reçu l’ébauche d’EIE d’Equinor et n’a pas été en mesure de formuler des observations à ce sujet.

[94] L’Agence a proposé : 1) quatre périodes de commentaires officiels à MTI pour lui permettre de faire part de ses préoccupations; 2) un financement à MTI pour l’aider à participer au processus de consultation de l’évaluation; 3) des séances d’information et de mobilisation réunissant MTI et Equinor pour discuter du projet et de ses impacts potentiels. En outre, l’Agence a tenu compte d’une étude de 2018 sur les connaissances autochtones fournie par MTI.

[95] Je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs selon lesquels, en excluant la navigation maritime de la portée de l’évaluation, l’Agence et le ministre n’ont pas respecté la norme de la décision raisonnable concernant l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation. MTI a eu de nombreuses occasions de faire part de ses préoccupations concernant la navigation maritime. Il en a été tenu compte dans les réponses de l’Agence aux différentes étapes du processus d’évaluation environnementale et dans le rapport final, y compris en ce qui concerne la navigation maritime. En outre, l’évaluation fixe des conditions et mesures d’adaptation ainsi que des mesures d’atténuation pour limiter les impacts potentiels sur les droits ancestraux ou issus de traités.

[96] Dans leurs observations, les demandeurs s’efforcent de réévaluer la prise en compte par l’Agence des commentaires formulés par MTI. Ce n’est pas l’objet du contrôle judiciaire concernant l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation selon la norme de la décision raisonnable. L’Agence n’est pas tenue de parvenir à un accord ou à la situation parfaite : voir Haida aux para 10 et 62; Coldwater aux para 54, 77 et 189. Les demandeurs ont eu de nombreuses occasions de faire part de leurs préoccupations et de leurs commentaires, ce qu’ils ont fait. Toutefois, ni le ministre ni l’Agence n’étaient tenus de faire droit aux préoccupations soulevées par les demandeurs. Leur obligation était d’évaluer les préoccupations soulevées, ce qu’ils ont fait. Par conséquent, il était raisonnable pour le ministre d’évaluer ces préoccupations et de les rejeter.

[97] Par conséquent, je ne considère pas que la Couronne a manqué à son obligation de consultation avant de prendre la décision visée par le contrôle judiciaire.

Dépens

[98] Les parties défenderesses ont toutes deux demandé le remboursement de leurs frais en cas de rejet de la demande. Les demandeurs ont proposé que chaque partie assume ses propres frais. J’estime qu’un groupe d’intérêt public ne devrait pas être à l’abri d’une adjudication des dépens lorsqu’une demande telle que celle-ci est rejetée. Les parties défenderesses ont dû engager des dépenses importantes et consacrer beaucoup de temps à la collecte de preuves et à la présentation d’arguments détaillés. Les dépens leur sont accordés à la valeur médiane du tarif B.


JUGEMENT dans le dossier T-938-22

LA COUR ORDONNE le rejet de la présente demande et accorde à chacune des parties défenderesses le remboursement de ses frais par les demandeurs selon la valeur médiane du tarif B.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑938‑22

 

INTITULÉ :

FONDATION SIERRA CLUB CANADA, ÉQUITERRE ET MI’GMAWE’L TPLU’TAQNN INC c LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET EQUINOR CANADA LTÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 1ER ET 2 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

James Gunvaldsen Klaassen

Joshua Ginsberg

Anna McIntosh

Ian Miron

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Mark Freeman

Dayna Anderson

Shauna Hall‑Coates

 

POUR LES DÉFENDEURS,

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Sean Sutherland

John McCammon

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

EQUINOR CANADA LTÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ecojustice

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LES DÉFENDEURS,

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

EQUINOR CANADA LTÉE

 

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