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Date : 20230118


Dossier : IMM-951-21

Référence : 2023 CF 74

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

KHISHIGJARGAL NIKOLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Le demandeur, Khishigjargal Nikolai, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 5 janvier 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle il n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau, qui consistait à démontrer que la SAR a commis une erreur en rendant sa décision. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera rejetée.

II. Le contexte

[3] Le demandeur est un citoyen de la Mongolie âgé de 40 ans qui affirme avoir été persécuté par des criminels et des policiers corrompus en Mongolie.

[4] En mai 2017, à la suite d’une première visite de la part d’hommes intéressés par son entreprise, qui venait d’ouvrir ses portes, le demandeur a été ciblé par plusieurs extorqueurs qui lui ont réclamé des paiements de 500 $ US par mois. Le demandeur s’est rendu au poste de police et a fourni à un policier les noms et numéros de téléphone des extorqueurs.

[5] Le lendemain, en guise de représailles suivant la plainte présentée à la police, les extorqueurs ont battu le demandeur à l’extérieur de son appartement à Oulan-Bator et ont annoncé leur intention de revenir le jour suivant pour percevoir le paiement. Le demandeur a été conduit à l’hôpital par son épouse pour recevoir des soins médicaux. Il n’a pas signalé cet incident à la police, car il soupçonnait que des policiers avaient informé les extorqueurs de sa plainte. Il a versé l’argent demandé.

[6] La semaine suivante, le demandeur a été convoqué au poste de police, où un policier a exigé qu’il lui verse 1 000 $ US. Le demandeur n’avait pas les moyens de payer cette somme, ce qui l’a obligé à déménager avec sa famille dans un appartement loué dans un autre quartier d’Oulan-Bator. Il a embauché un employé pour diriger son entreprise.

[7] Trois semaines plus tard, les extorqueurs ont retrouvé le demandeur et l’ont battu. Le demandeur s’est rendu à l’hôpital, où le médecin a appelé la police, mais il n’a pas déposé de plainte ce jour-là. Il a plutôt porté plainte contre la police au bureau du procureur. Il a commencé à recevoir des menaces de la part de la police en raison de cette plainte.

[8] Le demandeur et sa famille se sont réinstallés à Gachuurt, où ils sont restés cachés durant le traitement de leur demande de visa canadien. Pendant ce temps, le demandeur a appris que son entreprise avait été vandalisée et que son employé avait démissionné après avoir été battu au travail.

[9] En février 2018, le demandeur est arrivé au Canada.

[10] Le 10 juillet 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle a évalué la demande présentée au titre de l’article 97 de la LIPR après avoir conclu à l’absence de lien avec un motif prévu à la Convention. La crédibilité était la question déterminante devant la SPR.

III. La décision contestée

[11] La SAR a rejeté l’appel du demandeur en se fondant sur la question déterminante, la crédibilité. Elle a conclu que les allégations du demandeur étaient minées par une série de contradictions et d’omissions dans les éléments de preuve qu’il a présentés et pour lesquelles il n’a pas fourni d’explication suffisante.

[12] À titre préliminaire, le demandeur a sollicité l’autorisation de présenter les nouveaux éléments de preuve suivants :

  • (a)une lettre de son épouse;

  • (b)une inscription de vente relative à son appartement à Oulan-Bator et un certificat de vente pour ce même appartement, tous deux datés du 22 décembre 2017 [l’inscription et le certificat de vente];

  • (c)une nouvelle traduction de la lettre de son épouse qui avait été portée à la connaissance de la SPR;

  • (d)une lettre de l’interprète qui a participé à la traduction du Fondement de la demande d’asile [le formulaire Fondement de la demande d’asile] et des formulaires liés à la demande d’asile du demandeur;

  • (e)une lettre d’un psychologue;

  • (f)une transcription annotée de l’audience de la SPR comportant des corrections et des observations au sujet de la justesse de l’interprétation à l’audience.

[13] La SAR a accepté la lettre de l’épouse du demandeur, la lettre de l’interprète et la transcription annotée de l’audience, car elles satisfaisaient aux conditions d’admissibilité énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR et aux critères de crédibilité, de pertinence et de nouveauté (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 au para 38, citant Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza] aux para 13–15). Elle a refusé les autres éléments de preuve.

[14] La SAR a conclu qu’il était erroné de la part de la SPR de mettre en doute la crédibilité du demandeur en raison des incohérences ou invraisemblances suivantes : l’incapacité du demandeur de se souvenir de son ancien numéro d’appartement; l’omission, dans son formulaire Annexe A, de plusieurs adresses d’endroits où il se serait réinstallé et le fait que sa famille n’aurait pas été retrouvée à l’endroit où elle s’est cachée pendant un an alors qu’elle avait été retrouvée ailleurs après trois semaines.

[15] Cependant, la SAR a conclu que la SPR a vu juste en concluant que le demandeur avait fourni un témoignage incohérent en ce qui concerne la période pendant laquelle il s’est caché à Gachuurt. En effet, bien que le demandeur ait déclaré dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’il était resté un mois à Gachuurt, il a affirmé plus tard qu’il s’y était caché pendant un an. Il n’a pas expliqué adéquatement cette incohérence.

[16] La SAR a également conclu que la SPR avait eu raison de souligner le manque de cohérence entre le rapport de police et le récit circonstancié du formulaire FDA du demandeur pour ce qui est de savoir si les extorqueurs étaient venus le voir un ou deux jours après la visite initiale des hommes qui s’étaient renseignés sur son entreprise. La SAR a reconnu qu’il pouvait s’agir d’une erreur de bonne foi, mais elle n’a pas accepté l’explication du demandeur. Elle a jugé que l’incohérence réduisait la fiabilité du rapport de police et de l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur. Toutefois, étant donné son caractère relativement négligeable, elle ne constituait qu’une infime partie de la conclusion de la SAR au sujet de la crédibilité dans son ensemble.

[17] En ce qui concerne la lettre de l’épouse du demandeur, la SAR a conclu que la SPR a eu raison de mettre en doute la crédibilité du demandeur en raison de l’incohérence relative à l’adresse précisée par l’épouse du demandeur. La SAR a rejeté l’explication donnée par ce dernier afin d’expliquer pourquoi son épouse avait inscrit dans sa lettre l’adresse de la famille à Oulan-Bator figurant sur sa carte d’identité nationale, même si elle n’y habitait plus. Aucun élément de preuve autre que les affirmations du demandeur n’a établi que, selon la norme culturelle mongole, une personne doit inscrire une adresse enregistrée auprès du gouvernement. La SAR a également souligné que le contrat de vente de l’appartement du demandeur n’était qu’un simple document dactylographié non signé et ne comportant aucune caractéristique de sécurité. Par conséquent, elle était d’avis que l’incohérence dans la lettre de l’épouse du demandeur rendait moins fiable l’allégation de ce dernier, quant au fait qu’il avait vendu son appartement à Oulan-Bator et sa famille vivait toujours cachée en Mongolie.

[18] Quatrièmement, la SAR a conclu que les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement aux menaces qui continuent de peser contre lui et sa famille étaient vagues et incohérents. Les quatre lettres de l’épouse du demandeur n’offraient aucun détail précis concernant ces menaces. De plus, il y avait des divergences entre le témoignage du demandeur et le récit de l’épouse du demandeur.

[19] En dernier lieu, la SAR a conclu que les autres documents du demandeur ne l’emportaient pas sur les préoccupations qu’elle avait à l’égard de la crédibilité. Même si le contrat de location corroborait l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur, où ce dernier affirmait avoir loué un chalet à Gachuurt pour un mois, il n’a pas permis de confirmer que le demandeur y était resté pendant un an, comme il l’a déclaré dans son témoignage. La SAR a également constaté que les lettres d’appui au demandeur ne reflétaient pas une connaissance de première main des incidents et que ces lettres de même que les documents médicaux ne comportaient aucune caractéristique de sécurité. En dernier lieu, la SAR a déclaré que la preuve de corruption politique tirée de la documentation sur les conditions dans le pays n’était pas pertinente relativement à la demande d’asile du demandeur.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[20] Après avoir pris connaissance des observations des avocats, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’évaluation des nouveaux documents faite par la SAR était-elle inéquitable et/ou déraisonnable sur le plan procédural?

  2. L’évaluation de la crédibilité du demandeur faite par la SAR était-elle déraisonnable?

[21] La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 au para 39; Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 12). Cette norme ne commande aucune déférence envers le décideur de l’instance inférieure (Del Vecchio c Canada (Procureur général), 2018 CAF 168 au para 4).

[22] La décision contestée est susceptible de contrôle sur le fond selon la norme de la décision raisonnable. Aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (aux para 16–17) ne s’applique en l’espèce. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte du résultat de la décision et du raisonnement sous-jacent afin d’évaluer « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, aux para 87, 99). Lorsque les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables, la décision sera raisonnable (Vavilov, aux para 85–86).

V. Analyse

A. L’évaluation des nouveaux documents faite par la SAR était-elle inéquitable et/ou déraisonnable sur le plan procédural?

(1) La position du demandeur

[23] La SAR a commis une erreur en refusant d’admettre l’inscription et le certificat de vente parce que ces documents auraient pu être obtenus avant que la SPR rende sa décision. Ils étaient importants uniquement pour établir que le demandeur avait quitté son appartement. Par conséquent, il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur les présente à la SPR pour dissiper les doutes qu’elle avait sur sa crédibilité. De plus, la SAR a conclu que ces éléments de preuve soulevaient d’autres problèmes de crédibilité, car ils indiquaient que la vente de l’appartement avait eu lieu bien après que le demandeur soit parti se cacher à la campagne. Le demandeur craignait les policiers corrompus, non pas le bureau d’enregistrement immobilier, et les documents ne précisaient pas l’endroit où il se cachait. Ils portaient sur des questions cruciales soulevées dans l’appel du demandeur, et la SAR ne serait pas parvenue à la même conclusion s’ils avaient été admis.

[24] La SAR a aussi manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant d’admettre la traduction corrigée de la lettre de l’épouse du demandeur (Mah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 853 [Mah]).

(2) La position du défendeur

[25] L’argument du demandeur selon lequel l’enregistrement de la vente de son appartement n’aurait pas attiré l’attention de ses présumés persécuteurs est directement contredit par son témoignage. En effet, le demandeur a déclaré à l’audience qu’il ne voulait même pas utiliser les services bancaires lorsqu’il se cachait à la campagne, de peur d’être suivi par des agents du gouvernement. De plus, comme l’a souligné la SAR, il aurait été raisonnable pour le demandeur de fournir l’inscription et le certificat de vente à la SPR.

[26] Il était raisonnable pour la SAR de rejeter la nouvelle traduction de la lettre de l’épouse du demandeur. Le demandeur n’a invoqué aucune jurisprudence permettant de soutenir que les corrections apportées à un document déjà traduit l’emportent sur les critères établis dans l’arrêt Raza.

(3) Conclusion

[27] La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre l’inscription et le certificat de vente ou la lettre traduite de l’épouse du demandeur au motif qu’ils ne satisfaisaient pas aux conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR et aux critères établis dans l’arrêt Raza.

[28] Je me range à l’argument du défendeur, selon lequel il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur aurait pu fournir ces documents à la SPR. La Cour a souligné que « [d]ans la LIPR, le processus de demande d’asile exige des demandeurs qu’ils déposent toute la preuve pertinente devant la SPR » (Karim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 566 au para 17). Le demandeur soutient que la vente de son appartement n’était pas un élément crucial de sa demande d’asile, mais je ne suis pas d’accord. Les documents à ce sujet corroboraient le fait que le demandeur avait quitté son appartement à Oulan-Bator, élément qui réside au cœur de sa demande d’asile devant la SPR. Le demandeur aurait pu raisonnablement fournir ces documents à la SPR.

[29] De plus, je suis d’avis, à l’instar du défendeur, qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que l’inscription et le certificat de vente soulevaient d’autres problèmes de crédibilité, étant donné que la vente s’est produite après que le demandeur se serait caché. Même s’il est vrai qu’il ne craignait pas les autorités de l’État en général, le demandeur a déclaré qu’il était resté caché à cette époque et qu’il avait peur d’utiliser les services bancaires parce qu’il croyait qu’il serait suivi par ses persécuteurs. Le fait que le demandeur ait inscrit la vente de son appartement pendant cette période contredit ses propos à cet égard.

[30] Je ne suis pas non plus d’accord avec le demandeur pour dire que la SAR a manqué à l’équité procédurale en refusant d’admettre la traduction corrigée de la lettre de l’épouse du demandeur. À mon avis, il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale. De plus, il n’est pas justifié pour le demandeur de se reporter à la décision Mah, où il était question de traductions inexactes lors de l’audience de la SPR, ce qui jetait un doute sur l’équité procédurale de l’audience elle-même (au para 9). En l’espèce, la traduction corrigée du demandeur visait à combler des lacunes dans la preuve qu’il a présentée lui-même. Il incombe au demandeur de s’assurer que la traduction anglaise de ses documents est exacte (Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 543 au para 29). Comme le souligne le défendeur, le demandeur n’a mis de l’avant aucune jurisprudence qui appuie son affirmation selon laquelle les corrections visant des documents déjà traduits l’emportent sur les critères d’admissibilité établis dans Raza.

B. L’évaluation de la crédibilité du demandeur faite par la SAR était-elle déraisonnable?

(1) La position du demandeur

[31] L’incohérence relevée par la SAR concernant la durée du séjour du demandeur à Gachuurt ne tenait pas compte de l’ensemble de la preuve. Le demandeur a déclaré dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’il était resté à Gachuurt pendant un mois, mais il n’a pas expliqué où il s’est installé par la suite. En conséquence, il est possible d’en déduire que le demandeur est resté à Gachuurt jusqu’à ce qu’il s’enfuie de la Mongolie.

[32] De plus, la SAR aurait mal interprété la preuve en tirant une conclusion défavorable à partir de la lettre de l’épouse du demandeur, qui mentionnait leur adresse initiale à Oulan-Bator. Bien que la SAR ait désigné le nouveau document de l’épouse comme étant une « lettre », il s’agissait en fait d’une déclaration sous serment. La SAR n’a pas dûment apprécié ce fait. L’épouse et les enfants du demandeur restent cachés; on s’attendrait donc à ce qu’ils n’aient pas enregistré leur nouvelle adresse.

[33] La conclusion de la SAR selon laquelle les lettres de l’épouse du demandeur étaient vagues et incohérentes était aussi déraisonnable, car elle ne tenait pas compte du fait que chacune des lettres avait été écrite à des fins différentes et dans des contextes différents. La SAR s’est attardée à des incohérences et à des omissions mineures dans les lettres.

[34] En dernier lieu, la SAR a traité de façon déraisonnable les autres éléments de preuve présentés par le demandeur, dont les lettres d’appui, les documents médicaux et les rapports de police. Plus précisément, elle a accordé peu de poids aux lettres d’appui, ce qui était déraisonnable, au motif qu’elles ne comportaient pas de caractéristiques de sécurité, alors qu’elles étaient pourtant toutes signées et accompagnées d’une copie de la carte d’identité de l’auteur.

[35] Étant donné que la SAR a conclu qu’aucune des questions soulevées n’était déterminante à elle seule, mais que, prises ensemble, ces questions compromettaient énormément la crédibilité des allégations du demandeur, la décision doit être annulée si la Cour juge que même certaines des conclusions de la SAR sont déraisonnables.

(2) La position du défendeur

[36] Il était raisonnable pour la SAR de conclure que les propos du demandeur concernant l’endroit où il se trouvait et la période pendant laquelle il s’était caché à Gachuurt n’étaient pas cohérents. Dans ses observations, le demandeur ne fait que réitérer son argumentation examinée et rejetée par la SAR.

[37] La SAR a conclu de façon raisonnable que la lettre de l’épouse du demandeur rendait moins fiable l’allégation de ce dernier quant au fait qu’il avait vendu son appartement à Oulan-Bator et que sa famille vivait toujours cachée. Les arguments du demandeur ne portent pas sur les questions de preuve dont il a été question à l’audience devant la SAR.

[38] De plus, le demandeur ne répond pas aux principales questions que la SAR a soulevées à propos des lettres de son épouse, à savoir que ces dernières n’offraient aucun détail précis quant aux dates, aux périodes, à la description des personnes concernées, à la façon dont son épouse a appris que la famille était recherchée et comment elle a pu éviter d’être retrouvée. Les arguments du demandeur sur ce point ne servent qu’à bonifier les éléments de preuve présentés.

[39] La SAR a mené un examen raisonnable des autres éléments de preuve présentés par le demandeur. Même si celui-ci a centré ses arguments sur la conclusion de la SAR relative à l’absence de caractéristique de sécurité dans les lettres d’appui, la SAR a également conclu qu’aucun des auteurs n’avait une connaissance de première main des incidents. Dans ses plaidoiries, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. De même, la SAR a raisonnablement conclu que les documents médicaux n’étaient que de simples formulaires dénués de caractéristiques de sécurité et qu’ils ne comportaient pas non plus d’en-tête et ne précisaient pas les coordonnées de la clinique. Le demandeur n’a relevé aucun problème particulier concernant l’évaluation de cette preuve par la SAR.

(3) Conclusion

[40] À mon avis, le demandeur cherche au fond à obtenir de la Cour qu’elle apprécie à nouveau la preuve. Je suis d’accord avec le défendeur qu’il était raisonnable pour la SAR de tirer une inférence défavorable concernant la crédibilité sur la base des incohérences qui existaient entre l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur et le témoignage de ce dernier au sujet de la période pendant laquelle il s’était caché à Gachuurt. Je ne discerne aucun bien-fondé dans l’argument du demandeur selon lequel le fait qu’il n’ait pas, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, précisé l’endroit où il s’est installé après avoir fui de Gachuurt signifiait qu’il était demeuré dans ce village. Le demandeur a bien affirmé qu’il avait habité à Gachuurt pendant un mois, mais qu’il n’était plus envisageable pour lui et sa famille d’y rester.

[41] Je suis d’accord aussi pour dire, comme le défendeur, qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que la lettre de l’épouse du demandeur indiquant leur première adresse minait la fiabilité des allégations de ce dernier au sujet de la vente de son appartement à Oulan-Bator et du fait que sa famille vivait cachée. L’argument suivant lequel la nouvelle adresse n’a pas été enregistrée parce que l’épouse et les enfants du demandeur continuaient de se cacher n’est pas pertinent au regard de la conclusion de la SAR, qui a estimé que l’utilisation de la première adresse de la famille dans la lettre soulevait des doutes sur la vente de la résidence. Même si le demandeur a expliqué qu’il était de pratique courante dans la culture mongole que les gens indiquent leur ancienne adresse enregistrée auprès du gouvernement, il était loisible à la SAR de juger que cette explication était insuffisante en l’absence de toute autre forme de corroboration.

[42] En ce qui concerne son troisième argument, le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte des différents objectifs visés par les lettres de son épouse et du contexte dans lequel chacune a été écrite avant de conclure qu’elles étaient vagues et incohérentes. Les principales interrogations de la SAR à l’égard des lettres concernaient le manque de détails et les incohérences dans la description que l’épouse a faite des événements et des menaces persistantes. Je ne vois aucune erreur qu’aurait commise la SAR en tirant cette conclusion.

[43] En dernier lieu, j’estime, tout comme le demandeur, qu’il était déraisonnable de la part de la SAR d’accorder moins de poids aux lettres d’appui présentées par le demandeur parce qu’elles ne comportaient pas de caractéristiques de sécurité. Cependant, comme le fait remarquer le défendeur, la SAR a aussi conclu que les lettres d’appui ne reflétaient pas une connaissance de première main des incidents. Un examen de la décision m’amène à croire que la SAR s’est penchée sur le fond des lettres et qu’elle n’a pas commis d’erreur en leur accordant une faible importance.

[44] Compte tenu des nombreux doutes sur la crédibilité exprimés par la SAR, doutes qui sont justifiés à la lecture du dossier, j’estime que la décision de la SAR est raisonnable. Le demandeur n’a relevé aucune erreur dans la conclusion de la SAR concernant l’existence d’incohérences et d’omissions dans la preuve.

VI. Conclusion

[45] La demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera rejetée. Le demandeur n’a pas établi que la SAR a violé son droit à l’équité procédurale ou que la décision était déraisonnable.

[46] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-951-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-951-21

INTITULÉ :

KHISHIGJARGAL NIKOLAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUIN 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 JANVIER 2023

COMPARUTIONS :

James Lawson

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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