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Date : 20230613


Dossier : IMM-3818-22

Référence : 2023 CF 837

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 13 juin 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MIKE OSHEKU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 mars 2022 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur, un citoyen du Nigéria, est banquier et compte plus de 20 ans d’expérience dans le domaine.

[4] Il craint de retourner au Nigéria en raison de ses activités de dénonciation dans le secteur bancaire en avril 2018. Il affirme avoir révélé des activités de corruption et de blanchiment d’argent à l’agence nigériane de lutte contre la corruption, soit la Commission des crimes économiques et financiers du Nigéria.

[5] Pour cette raison, il dit avoir reçu plusieurs menaces de mort, ce qui l’a amené à craindre pour sa sécurité et pour celle de sa famille.

[6] Le demandeur a fui le Nigéria le 27 juin 2018 et a demandé l’asile à son arrivée au Canada.

[7] La SPR a jugé que le demandeur n’était pas un témoin crédible en ce qui concerne ses allégations selon lesquelles il avait dénoncé des activités de corruption et de blanchiment d’argent dans un compte bancaire de la First City Monument Bank au Nigéria. La SPR a relevé plusieurs autres incohérences dans le témoignage et les éléments de preuve du demandeur.

[8] Le demandeur a interjeté appel de la décision auprès de la SAR au motif que la SPR aurait commis des erreurs dans l’évaluation de sa crédibilité.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[9] Le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable et a soumis sept questions à l’examen de la Cour. À mon avis, il convient de les reformuler ainsi :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur?

  2. L’évaluation de la SAR quant à la crédibilité du demandeur est‑elle raisonnable?

  3. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas parvenu à démontrer qu’il avait une crainte subjective de persécution?

[10] Les parties conviennent, et je souscris à leur position, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[11] Lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner les motifs de la décision pour déterminer s’ils sont fondés sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et s’ils sont justifiés au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

IV. Analyse

A. Nouveaux éléments de preuve

[12] Devant la SAR, le demandeur a voulu présenter cinq documents en tant que nouveaux éléments de preuve :

  1. une copie de l’affidavit de l’avocat du demandeur, M. Promise Mbani, souscrit le 29 décembre 2021;

  2. une copie de l’affidavit de l’ami du demandeur, M. Chris Akede, souscrit le 30 décembre 2021;

  3. une copie de l’affidavit de M. Abdulkadir Idris Danesi, souscrit le 29 décembre 2021, dans lequel ce dernier prétend avoir travaillé sous la supervision de M. Adewale Aderounmu à la Fortis Bank;

  4. une copie de la lettre que la Fortis Bank a adressée au demandeur le 3 février 2015;

  5. une copie de la lettre que l’avocat du demandeur, M. Ibrahim Idaiye, a adressée à ce dernier le 6 janvier 2022.

[13] Le demandeur a fait valoir auprès de la SAR qu’il n’aurait pas normalement présenté ces documents plus tôt, car il ne pouvait prévoir les conclusions qu’allait tirer la SPR quant à sa crédibilité.

[14] La SAR n’a pas retenu l’explication du demandeur et a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve qu’il avait présentés.

[15] La SAR a expliqué que le demandeur avait été informé au début de la première audience devant la SPR, tenue en janvier 2021, que la question déterminante relativement à sa demande d’asile était la crédibilité. La SAR a aussi fait remarquer que le demandeur avait été représenté lors des deux audiences devant la SPR et que c’était à lui qu’incombait le fardeau de démontrer le bien‑fondé de sa demande d’asile.

[16] La SAR a conclu que le demandeur avait tenté de compléter une preuve déficiente et d’étayer son dossier d’appel au moyen de la présentation de nouveaux éléments de preuve.

[17] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur reprend essentiellement les mêmes arguments que ceux qu’il a fait valoir en appel devant la SAR. Il soutient que la SAR aurait dû admettre en preuve les nouveaux documents qu’il a présentés, car il ne pouvait savoir ce que la SPR allait tenir pour avéré et il était [traduction] « impossible » pour lui de prévoir chaque conclusion qu’allait tirer la SPR quant à sa crédibilité.

[18] Les observations du demandeur ne me convainquent pas.

[19] Pour être admissibles en preuve, les nouveaux éléments doivent remplir l’une des trois conditions prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR : i) ils sont survenus depuis le rejet de la demande d’asile par la SPR; ii) ils n’étaient pas normalement accessibles; ou iii) ils étaient normalement accessibles, mais la personne ne les aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] au para 34.

[20] Le rôle de la Cour est non pas de réévaluer si les nouveaux éléments de preuve auraient dû être admis, mais plutôt de déterminer s’il était raisonnable pour la SAR de conclure que ces nouveaux éléments ne remplissaient pas les conditions énoncées dans les arrêts Singh et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385.

[21] Comme l’a fait observer le défendeur, la SPR a tenu deux audiences, une en janvier 2021 et l’autre en février 2021, mais n’a rendu sa décision que neuf mois plus tard, soit en novembre 2021.

[22] Au vu du dossier, la SAR a fourni des motifs détaillés qui montrent qu’elle a analysé les conditions prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR ainsi que la jurisprudence applicable. Elle a examiné les cinq nouveaux documents et a expliqué en détail pourquoi chacun d’eux n’était pas admis en preuve. Compte tenu de l’analyse de la SAR et des documents qu’elle avait à sa disposition, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR de refuser d’admettre les nouveaux éléments de preuve était entachée d’une erreur susceptible de contrôle.

B. Caractère raisonnable de l’évaluation de la crédibilité par la SAR

[23] Le demandeur fait valoir que toutes les conclusions de la SAR quant à sa crédibilité sont déraisonnables et montrent [traduction] « le zèle dont elle a fait preuve pour le discréditer ».

[24] Je ne peux souscrire à l’observation du demandeur quant à la décision de la SAR.

[25] Contrairement à ce que le demandeur fait valoir, la SAR a procédé à une évaluation indépendante du dossier et, à plusieurs reprises, s’est dite en désaccord avec les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Par exemple, en ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle les messages textes de menaces que le demandeur a présentés en preuve auraient pu avoir été écrits par n’importe qui, la SAR a mentionné ce qui suit :

Bien que je ne sois pas d’accord avec l’appelant pour dire que la SPR n’avait pas de raison valable, en général, pour réfuter la véracité du témoignage de l’appelant, et je mentionnerai dans ma décision à quels endroits c’est le cas, j’estime que la SPR s’est livrée à des suppositions lorsqu’elle a conclu que n’importe qui aurait pu envoyer le message à l’appelant, y compris l’appelant lui‑même, au moyen d’un autre téléphone, ou toute autre personne à qui il aurait demandé de le faire, et qu’elle a en conséquence accordé peu de poids aux messages. De façon plus générale, je ne vois pas ce qu’un demandeur d’asile devrait faire pour démontrer que le message texte, envoyé à partir d’un numéro inconnu, a bel et bien été envoyé par le présumé agent du préjudice. Le raisonnement de la SPR, selon lequel le message aurait pu être envoyé par n’importe qui, porterait le fardeau de la preuve à un niveau impossible.

[26] Cette déclaration, qui met explicitement en doute le raisonnement de la SPR, mine de manière importante l’observation du demandeur selon laquelle la SAR aurait fait preuve de [traduction] « zèle » pour le discréditer. À mon avis, dans sa décision, la SAR a fourni une analyse considérablement nuancée et rationnelle du dossier dont elle était saisie.

[27] La SAR a reconnu que le demandeur avait reçu un message texte de menaces, mais a conclu qu’il n’avait pas démontré que ces menaces découlaient de son rôle dans le signalement d’activités bancaires frauduleuses alléguées. La SAR a justifié cette conclusion en exposant en détail plusieurs incohérences, contradictions et omissions dans les témoignages de vive voix et écrit du demandeur, ainsi que des divergences entre son témoignage et les éléments de preuve personnels qu’il avait présentés pour étayer les principales allégations de sa demande d’asile.

[28] Comme l’a récemment mentionné la juge Rochester au paragraphe 26 de la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1207 :

Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35 [Tran]; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les conclusions que tire la SPR quant à la crédibilité requièrent un degré élevé de retenue judiciaire et il n’y a lieu de les infirmer que « dans les cas les plus évidents » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12 [Liang]). Les décisions quant à la crédibilité ont été décrites comme constituant « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, […] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Fageir, au para 29; Tran, au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22, citant Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[29] Dans ses observations orales devant la Cour, le demandeur a fait valoir que la SAR avait mal interprété la preuve relativement au nombre de messages de menaces qu’il avait reçus. S’il semble en effet que la décision de la SAR révèle une certaine ambiguïté sur ce point, je ne suis pas convaincue que cette erreur mine l’évaluation du risque dans son ensemble, comme le prétend le demandeur. Au bout du compte, ce n’est pas l’ambiguïté quant au nombre de messages reçus par le demandeur qui est à l’origine des doutes soulevés par la SAR quant à la crédibilité de ce dernier, mais les raisons qu’il avait fournies pour expliquer pourquoi il avait conservé certains messages et pas les autres.

[30] Après avoir examiné les conclusions de la SAR sur la crédibilité du demandeur et les renseignements au dossier sur lesquels elles étaient fondées, je ne suis pas convaincue que la décision est déraisonnable. À cet égard, la Cour doit faire preuve d’une déférence considérable envers la SAR.

[31] De plus, je conclus que le raisonnement de la SAR satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence énoncées dans l’arrêt Vavilov.

C. Crainte subjective

[32] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas démontré l’existence d’une crainte subjective de persécution, puisqu’il avait fourni des explications raisonnables aux réserves formulées par la SPR à ce sujet.

[33] Les réserves formulées dans le cadre de l’analyse de la crainte subjective de persécution étaient les suivantes : a) le demandeur a décidé de publier son identité et l’endroit où il habitait sur LinkedIn alors qu’il avait déclaré que de nombreux Nigérians aux États‑Unis et au Canada pouvaient [traduction] « le retrouver »; b) il a donné les clés de sa maison au Nigéria à son cousin; c) son épouse et ses enfants sont restés au Nigéria même s’ils détenaient un visa américain; d) le demandeur a décidé de ne pas s’enfuir aux États‑Unis avec toute sa famille, même s’ils détenaient tous un visa valide pour ce pays, en raison de préoccupations liées à la violence armée.

[34] La SAR s’est dite en désaccord avec la SPR sur certains motifs que cette dernière a formulés dans son analyse de la crainte subjective de persécution du demandeur, mais elle a finalement conclu que ce dernier n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté.

[35] Le demandeur a essentiellement formulé les mêmes observations que celles qu’il avait présentées en appel devant la SAR, à savoir qu’il avait fourni des explications raisonnables aux réserves mentionnées précédemment, explications que la SAR aurait dû retenir.

[36] Dans ses observations, le demandeur demande en réalité à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui est irrecevable. Je refuse de le faire.

V. Conclusion

[37] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[38] Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3818-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3818-22

 

INTITULÉ :

MIKE OSHEKU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Alison Pridham

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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