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Date : 20230607


Dossier : IMM-8498-22

Référence : 2023 CF 805

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 juin 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

KIMIA KHOSRAVI ET

BABAK GHADERI YAZDI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Khosravi, citoyenne iranienne, s’est vu refuser un permis d’études pour obtenir un diplôme universitaire supérieur d’un an en gestion hôtelière et touristique au Niagara College de Toronto. Son époux, M. Ghaderi Yazdi, s’est également vu refuser un permis de travail. L’agent des visas a conclu que Mme Khosravi avait déjà fait des études à un niveau universitaire supérieur, que le programme semblait redondant compte tenu de ses études et de son emploi antérieurs et que cela n’était pas raisonnable compte tenu de son coût.

[2] Mme Khosravi présente maintenant une demande de contrôle judiciaire. Le cadre général du contrôle judiciaire des refus de permis d’études a été résumé dans Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 568, aux paragraphes 5 à 9, que je reproduis sans les références à la jurisprudence ou à la loi :

[traduction]

  • Une décision raisonnable doit expliquer le résultat, compte tenu du droit et des faits essentiels.

  • L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une « culture de la justification » exigeant que le décideur fournisse une explication logique du résultat et qu’il soit attentif aux observations des parties, mais il exige également que le contexte de la prise de décision soit pris en compte.

  • Les agents des visas font face à un déluge de demandes, et leurs motifs n’ont pas besoin d’être longs ou détaillés. Toutefois, leurs motifs doivent exposer les éléments clés de leur analyse et répondre à l’essentiel des observations du demandeur sur les points les plus pertinents.

  • Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences de la loi qui s’applique à l’examen des visas d’étudiant, y compris le fait qu’il quittera le pays à la fin de son séjour autorisé.

  • Les agents des visas doivent prendre en compte les facteurs d’incitation et d’attraction qui pourraient amener un demandeur à dépasser la durée de validité de son visa et à rester au Canada, ou qui l’encourageraient à retourner dans son pays d’origine.

[3] Bien que Mme Khosravi ait invoqué un certain nombre de motifs pour contester la décision, la question déterminante est la manière dont l’agent a analysé son plan d’études.

[4] Dans son plan d’études, Mme Khosravi explique qu’elle a d’abord étudié en génie et travaillé dans l’industrie pétrolière et gazière, et qu’elle a également obtenu une maîtrise en administration des affaires [MBA]. Cependant, elle a développé un intérêt pour le tourisme, a commencé à travailler à temps partiel comme guide touristique et a finalement abandonné sa carrière d’ingénieure pour se consacrer entièrement à des emplois liés au tourisme.

[5] Elle a également expliqué qu’elle avait l’intention de construire et d’exploiter un hôtel de villégiature sur une propriété familiale dans le nord de l’Iran et que les études proposées lui permettraient d’acquérir les connaissances nécessaires à la réussite de ce projet.

[6] Comme je l’ai expliqué plus haut, il n’est pas nécessaire que la décision de l’agent des visas soit longue ou exhaustive, mais elle doit répondre aux principales observations du demandeur.

[7] La décision dans la présente affaire ne montre pas que l’agent a dûment tenu compte des observations de Mme Khosravi, en particulier de son plan d’études. Les motifs de l’agent à cet égard consistent en trois phrases toutes faites qui reviennent souvent dans des décisions semblables. Comme je l’ai mentionné dans Safarian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 775, au paragraphe 3, [TRADUCTION] « le recours à une formule toute faite n’est pas en soi condamnable, mais la cour qui effectue le contrôle judiciaire doit être convaincue que le décideur s’est concentré sur les faits de l’espèce ».

[8] Le fait que les études proposées soient d’un niveau universitaire inférieur à celui des études précédentes peut être une raison valable de douter du bien-fondé d’un plan d’études, mais peut également s’expliquer par le changement de carrière de la personne, comme dans le cas de Mme Khosravi. En ayant recours à une phrase toute faite, l’agent ne démontre pas qu’il a compris cela.

[9] Le fait que les études proposées semblent redondantes par rapport aux études ou à l’emploi antérieurs peut être un élément pertinent pour trancher une demande de permis d’études. En effet, il est peu probable que l’on entreprenne un programme d’études qui ne procure aucun bénéfice. Toutefois, ce genre d’affirmation doit cadrer avec la preuve. Dans la présente affaire, les études précédentes portaient sur un autre domaine. Mme Khosravi travaille actuellement comme guide touristique ou organisatrice de voyages. L’exploitation d’un hôtel est une occupation différente, et les études proposées portent plus particulièrement sur la gestion hôtelière. Compte tenu de ces faits, l’agent devait expliquer, peut-être en une phrase, pourquoi il pensait que les études proposées étaient redondantes. L’omission de fournir une telle explication m’amène à penser que l’agent n’a tout simplement pas tenu compte des faits.

[10] L’affirmation de l’agent selon laquelle les études proposées ne sont pas raisonnables compte tenu de leur coût élevé semble être inextricablement liée aux deux phrases précédentes que j’ai examinées plus haut. Elle n’apporte pas grand-chose à l’analyse. Si les bénéfices des études proposées n’ont pas été établis, il s’ensuit logiquement que le programme n’est pas justifié compte tenu de son coût. En revanche, lorsque la demanderesse a apporté la preuve de ces bénéfices, le prix que l’on est disposé à payer pour s’inscrire au programme relève essentiellement du choix individuel.

[11] En fin de compte, tout indique que l’agent des visas n’a pas compris la raison principale pour laquelle Mme Khosravi entreprend les études proposées, à savoir faciliter le démarrage de sa propre entreprise d’hôtellerie ou de centre de villégiature. Cette erreur est très semblable à celle qu’un autre agent a commise dans l’affaire Nourani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 732. Les notes de l’agent portent plutôt à croire qu’il n’a tenu compte que de quelques faits choisis, et qu’il a ensuite exposé des motifs passe-partout en cochant les cases correspondant à ces faits. Dans ce processus, cependant, on a perdu de vue l’essentiel de la demande de Mme Khosravi.

[12] Je constate que la demande de Mme Khosravi a été [traduction] « traitée à l’aide de Chinook 3+ ». J’ignore si les erreurs relevées plus haut résultent de l’utilisation de cet outil. Je dirai simplement que l’utilisation d’outils d’aide à la décision ne dispense pas les agents de l’obligation d’examiner l’ensemble d’une demande, en particulier le plan d’études. Si l’utilisation d’un tel outil donne à l’agent une vision tronquée de la demande, la décision qui en résultera risque d’être déraisonnable.

[13] C’est pourquoi la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8498-22

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. Les décisions rendues à l’égard des demandeurs sont annulées.

3. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas.

4. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-8498-22

 

INTITULÉ :

KIMIA KHOSRAVI ET BABAK GHADERI YAZDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE par viSIoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 juin 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 7 juin 2023

COMPARUTIONS :

Ramanjit Sohi

Pour les demandeurs

Ezra Park

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raman Sohi Law Corporation

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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