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Date : 20230602


Dossier : IMM-4592-22

Référence : 2023 CF 753

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

ALI YAHIA CHERIF

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, M. Ali Yahia Cherif, citoyen de l’Algérie, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] ayant confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] et rejeté la demande d’asile qu’il a présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi sur l’immigration].

[2] M. Cherif soumet à la Cour que la SAR a rendu une décision déraisonnable en concluant que l’incompétence des conseillers qui l’ont assisté devant la SPR n’était pas démontrée, en rejetant les nouvelles preuves qu’il a déposées avec son dossier d’appel et en confirmant les conclusions de la SPR quant à sa crédibilité. Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[3] Le 24 avril 2019, M. Cherif arrive au Canada muni d’un visa de visiteur et le 9 septembre 2019, il demande l’asile. Dans le formulaire de Fondement de la Demande d’Asile et le narratif qu’il signe le 9 septembre 2019 [FDA 2019], M. Cherif allègue craindre d’être tué par le président ou l’adjoint du président d’une association caritative [l’Association] située à Sétif. À titre de bénévole et membre actif de l’Association, M. Cherif les aurait dénoncés à la gendarmerie pour détournement de dons caritatifs.

[4] Essentiellement, dans son FDA 2019, M. Cherif indique que :

  • En avril 2016, il débute son bénévolat au sein de l’Association et remarque des irrégularités dans le financement de l’Association;

  • Du 21 octobre 2017 au 21 février 2018, il vient au Canada pour rendre visite à sa sœur. À son retour en Algérie, il mène une enquête interne et découvre comment deux dirigeants de l’Association détournent une grande part des dons vers leurs comptes bancaires personnels;

  • En juillet 2018, le président indique à M. Cherif qu’il n’est plus le bienvenu à l’Association. Dès lors, M. Cherif commence à recevoir des appels anonymes de menaces, promettant qu’il paiera pour avoir mis son nez dans les affaires qui ne le concernent pas et pour avoir terni la réputation des deux dirigeants;

· En juin 2018, M. Cherif confronte le président de l’Association avec les relevés bancaires et ce dernier nie toutes les accusations. M. Cherif dépose alors une plainte auprès de la gendarmerie contre les dirigeants et, trois jours plus tard, la gendarmerie lance une enquête officielle contre ceux-ci. Le président contacte alors M. Cherif pour lui demander si c’est bien lui qui a déposé une plainte contre eux, ce que M. Cherif nie;

· En septembre 2018, le parebrise de la voiture de M. Cherif est vandalisé. En octobre 2018, il va vivre chez son oncle à Alger jusqu’à son départ du pays à la fin avril 2019.

[5] Dans le formulaire IMM5669 qu’il signe aussi le 9 septembre 2019, M. Cherif indique plutôt, en réponse à la question 7, avoir été membre de l’Association d’avril 2015 à septembre 2017 ainsi que de février 2018 à mars 2019, en tant qu’agent de bureau. En réponse à la question 10, M. Cherif omet de consigner l’adresse pour la période d’octobre 2018 à avril 2019 pendant laquelle il allègue avoir vécu caché à Alger.

[6] Le 23 avril 2021, M. Cherif signe un FDA modifié et y attache un nouveau narratif plus détaillé [FDA 2021]. Il indique alors notamment que :

  • En juin 2016, il débute son implication au sein de l’Association;

  • Il travaille comme plombier au sein d’une entreprise dirigée par son frère;

  • Il aurait été assisté dans son enquête interne par le secrétaire de la trésorerie de l’Association, M. Mihoubi;

  • En juin 2018, M. Cherif ainsi que trois autres bénévoles sont congédiés;

  • M. Cherif et M. Mihoubi auraient tous les deux confronté les deux dirigeants avant de déposer une plainte à la gendarmerie ensemble;

  • M. Mihoubi aurait été hospitalisé à la suite d’un accident de circulation prémédité en aout 2018 et M. Cherif aurait failli être happé intentionnellement par une voiture;

· Il aurait perdu contact avec M. Mihoubi après son déménagement à Alger, car ce dernier aurait aussi déménagé ailleurs en Algérie pour se cacher.

[7] Le 26 octobre 2021, la SPR entend la demande d’asile de M. Cherif et ce dernier témoigne. Lors de son témoignage, M. Cherif affirme notamment que (1) son bénévolat a commencé en juin 2016 et a cessé contre son gré en juin 2018 après le dépôt de sa plainte auprès de la gendarmerie contre les deux dirigeants de l’Association; (2) il a commencé à avoir des doutes sur l’intégrité des deux dirigeants après le versement d’un don important par un ami de son frère en août 2017; (3) la gendarmerie aurait gelé les activités de l’Association à partir de juillet 2018 afin de mener leur enquête; et (4) il a déménagé en octobre 2018 chez son oncle à Alger pour fuir ses agents de risque.

[8] Le 17 novembre 2021, la SPR conclut que M. Cherif n’a pas la qualité de réfugié au sens de l’article 96, ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration. Dans sa décision, la SPR tire des inférences défavorables sur la crédibilité de M. Cherif en raison de nombreuses contradictions, incohérences et omissions entre le FDA 2019, le formulaire IMM5669, le FDA 2121 et le témoignage de M. Cherif à l’audience au sujet de (1) l’implication de M. Cherif avec l’Association et de la fermeture de celle-ci à la suite du dépôt d’une plainte à la gendarmerie par M. Cherif; (2) le détournement de dons caritatifs dans l’Association et le dépôt d’une plainte à la gendarmerie contre les deux dirigeants; et (3) le fait qu’il se serait caché chez son oncle à Alger d’octobre 2018 à avril 2019. Pour parvenir à cette conclusion, la SPR tient aussi compte de l’absence de preuve documentaire corroborant la plainte de M. Cherif à la gendarmerie et les résultats de son enquête et l’absence d’explications satisfaisantes de M. Cherif en réponse aux problèmes que la SPR soulève.

[9] Le 3 décembre 2021, M. Cherif interjette l’appel de la décision de la SPR devant la SAR. Il soumet alors que la représentation négligente ou incompétente de ses anciens conseillers a eu un impact sur l’analyse de la SPR en lui niant la possibilité de présenter de la preuve pertinente à son dossier.

[10] À cet égard, M. Cherif dépose en preuve devant la SAR la correspondance entre son avocate devant la SAR, et ses anciens conseillers. Son avocate devant la SAR y demande aux anciens conseillers les raisons pour lesquelles aucune pièce n’a été déposée en preuve et le rôle respectif qu’ils ont joué dans la préparation du dossier. Elle signale aussi que M. Cherif lui a remis plusieurs documents qui auraient certainement aidé à corroborer sa crainte de persécution, bien qu’elle ne détaille pas ces documents. L’un des deux anciens conseillers répond qu’elle n’était pas responsable de la préparation du dossier, que son rôle était limité à l’audience et que, à sa connaissance, l’autre ancien conseiller a préparé le dossier avec M. Cherif pendant plusieurs heures précédant l’audience. Elle indique également que l’autre conseiller lui avait expliqué que les documents remis par M. Cherif lors de ses rencontres - plus précisément, une attestation d’affiliation dans une association et un diplôme en plomberie - n’étaient pas pertinents au dossier et/ou n’apportaient pas un ajout positif à l’histoire. L’autre ancien conseiller de M. Cherif ne répond pas, quant à lui, aux courriels de l’avocate.

[11] M. Cherif affirme par ailleurs, dans son affidavit du 1er février 2022, que son ancien conseiller ne lui a jamais indiqué les documents qu’il pourrait obtenir pour corroborer les faits exposés dans son dossier. M. Cherif y affirme aussi avoir montré son diplôme et sa fiche d’adhésion à l’Association à un de ses anciens conseillers mais que celui-ci n’a pas souhaité les déposer pour une raison que M. Cherif ignore.

[12] Devant la SAR, M. Cherif ajoute que la SPR a commis des erreurs en accordant une importance démesurée à son FDA 2019, en ne tenant pas compte qu’il a corrigé son FDA en début d’audience et en ne considérant pas ses explications à l’audience. M. Cherif soumet aussi à la SAR ne pas avoir rendu de témoignage confus quant aux différents événements, ni quant à leur séquence, mais seulement quant à certaines dates, ce qui ne peut justifier une conclusion de non-crédibilité.

[13] Devant la SAR, M. Cherif dépose de nouveaux éléments de preuve visant à corroborer son témoignage concernant sa situation en Algérie, son implication dans l’Association et les problèmes qu’il a vécus. Il dépose donc devant la SAR les documents suivants : (1) une attestation de travail non datée, émise par son frère et qui certifie que M. Cherif est employé dans l’établissement dudit frère à Sétif depuis le 1er janvier 2019 en qualité de conducteur de travaux; (2) une attestation provisoire de succès en menuiserie; (3) une fiche d’adhésion à l’Association comme membre établie le 27 avril 2017; (4) une déclaration non datée de son frère; et (5) une déclaration non datée de son oncle. M. Cherif dépose alors aussi son propre affidavit dans lequel il affirme qu’il avait ces documents ou il était en mesure de se les procurer, mais que son ancien conseiller devant la SPR n’a pas cru pertinent de les déposer.

[14] Le 21 avril 2022, la SAR rejette l’appel de M. Cherif et confirme la décision de la SPR.

III. La décision de la SAR

[15] Dans sa décision, la SAR indique avoir procédé à sa propre analyse du dossier, en appliquant la norme de la décision correcte, et elle rejette l’appel de M. Cherif. La SAR note que les questions déterminantes sont l’équité procédurale et la crédibilité de M. Cherif.

[16] En bref, la SAR (1) détermine que M. Cherif n’a pas établi l’incompétence des conseillers qui l’ont assisté devant la SPR; (2) rejette les nouveaux éléments de preuve que M. Cherif soumet devant elle; (3) n’accorde pas la demande d’audience qu’il sollicite; (4) conclut que la décision de la SPR est correcte; et (5) conclut que M. Cherif n’a pas établi qu’il ferait face à une possibilité sérieuse de persécution et que, selon la prépondérance des probabilités, il ne ferait pas face à une menace à sa vie, ou à la torture ou au risque de peines cruelles et inusitées s’il devait retourner en Algérie.

[17] Quant au fondement de la demande de M. Cherif, la SAR conclut que ce dernier (1) n’a pas établi son implication avec l’Association; (2) n’a pas établi avoir dénoncé une fraude à la gendarmerie; et (3) l’omission de son refuge temporaire à Alger nuit à sa crédibilité.

[18] La SAR détermine d’abord que M. Cherif n’a pas établi que ses anciens conseillers ont fait preuve d’incompétence en ne déposant aucune pièce et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. La SAR note que M. Cherif reproche à ses anciens conseillers de ne pas avoir discuté des pièces avec lui avant l’audience et qu’à l’appui de ses allégations, M. Cherif n’a pas déposé d’avis de pratique, mais a soumis un échange de correspondance par courriel entre son avocate devant la SAR et l’une de ses anciens conseillers qui l’a représenté à l’audience devant la SPR, dans lequel celle-ci confirme qu’elle n’a pas présenté la fiche d’adhésion et le diplôme devant la SPR car ces documents ne sont pas pertinents au dossier de M. Cherif. La SAR indique que l’échange de courriel ne me permet pas de savoir si l’autre ancien conseiller a été avisé des allégations d’incompétence.

[19] La SAR évalue chaque nouvel élément de preuve.

[20] Quant à l’attestation de travail et aux diplômes de M. Cherif, la SAR estime qu’ils ne sont pas pertinents à la demande d’asile de M. Cherif et leur présentation à l’audience n’aurait eu aucune incidence sur l’issue de la décision de la SPR qui ne conteste pas l’emploi de M. Cherif. La SAR détermine ainsi que les anciens conseillers n’ont pas fait preuve d’incompétence en choisissant de ne pas les déposer.

[21] Quant à la fiche d’adhésion, bien qu’elle soit pertinente, la SAR note d’abord les nombreuses contradictions soulevées par la SPR et conclut qu’elle ne permet pas de répondre à celles-ci et ne suffit pas à compenser les problèmes de crédibilité de M. Cherif sur son appartenance à l’Association. Ainsi, la SAR est d’avis qu’il n’existe pas une possibilité raisonnable que la SPR soit parvenue à une conclusion différente si les anciens conseillers avaient fait preuve de compétence (Tapia Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 889).

[22] Enfin, quant aux déclarations du frère et de l’oncle de M. Cherif, la SAR note la déclaration de M. Cherif que son ancien conseiller ne les lui a pas demandées, mais qu’il pouvait les avoir. La SAR note aussi que l’avocate de M. Cherif devant la SAR ne demande jamais aux anciens conseils s’ils ont proposé à M. Cherif d’obtenir des preuves corroborantes, celle-ci n’en parle pas et les affidavits de l’oncle et du frère ne sont jamais évoqués. Cette dernière considère donc que l’ancien conseiller n’a pas eu l’opportunité de répondre aux allégations de M. Cherif. La SAR conclut donc qu’un avis raisonnable n’a pas été donné à l’un des anciens conseillers et qu’à tout évènement, M. Cherif n’a pas établi qu’il y a une possibilité raisonnable que cela ait eu une incidence sur l’issue de sa demande d’asile devant la SPR.

[23] La SAR examine finalement le reste du travail des anciens conseillers devant la SPR au regard de l’ensemble de la preuve, dont le FDA 2019, le FDA 2021, la preuve documentaire et le témoignage de M. Cherif à l’audience, et la SAR conclut que la preuve au dossier montre que M. Cherif a bien préparé l’audience avec son ancien conseiller avant l’audience. La SAR note particulièrement que la SPR a spécifiquement demandé à M. Cherif s’il possédait des preuves corroborant sa plainte auprès de la gendarmerie en lien avec la fraude, et que ce dernier a confirmé qu’il n’avait pas emporté cette preuve, l’ayant perdue – et non qu’il ne savait pas qu’il pouvait déposer des preuves pour corroborer ses allégations. Ultimement, la SAR conclut que la preuve montre que M. Cherif a préparé l’audience avec son ancien conseiller avant l’audience et que M. Cherif n’a pas établi l’incompétence de celui-ci.

[24] La SAR examine donc les nouveaux éléments de preuve déposés par M. Cherif et n’est pas satisfaite qu’ils respectent les conditions d’admissibilité fixées par le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration. La SAR estime que cette preuve était normalement accessible à M. Cherif avant la date de la décision de la SPR, que M. Cherif n’a présenté aucune raison qui l’aurait empêché d’obtenir les documents, et que rien n’apparaît au dossier à cet effet. La SAR note que, dans son affidavit, M. Cherif n’allègue que l’incompétence de ses anciens conseillers pour ce défaut de déposer les pièces, argument que la SAR n’a pas retenu.

[25] Quant au mérite, la SAR décide que la SPR ne s’est pas trompée dans son appréciation de la preuve devant elle, concluant que cette preuve contient des contradictions importantes minant la crédibilité de M. Cherif. La SAR examine l’implication de M. Cherif avec l’Association, la dénonciation de la fraude à la gendarmerie, notant que la conclusion de la SPR n’était pas contestée devant elle, et l’omission de consigner le refuge temporaire à Alger. La SAR détermine ainsi que M. Cherif n’a pas établi qu’il était membre de l’Association ni qu’il a déposé une plainte à la gendarmerie en lien avec une fraude, deux éléments au cœur de sa demande d’asile. La SAR ajoute que le fait que M. Cherif n’ait déposé aucune preuve corroborant la plainte et provenant des autorités judiciaires est un élément important dans sa décision.

[26] La SAR confirme la décision de la SPR et conclut que M. Cherif n’a pas établi qu’il ferait face à une possibilité sérieuse de persécution et, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ferait face à une menace à sa vie, ou à la torture ou au risque de peines cruels et inusités s’il devait retourner en Algérie.

IV. Les questions soumises à la Cour et la norme de contrôle applicable

[27] Devant la Cour, M. Cherif conteste les conclusions de la SAR en lien avec l’incompétence alléguée, l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve et l’évaluation de la crédibilité. M. Cherif demande à la Cour d’accueillir sa demande de contrôle judiciaire, d’annuler la décision de la SAR et de renvoyer la cause devant un tribunal différemment constitué pour une audition de novo.

[28] La Cour doit donc confirmer la norme de contrôle applicable et, à la lumière des arguments soulevés, déterminer si la SAR a erré en concluant que l’incompétence n’a pas été démontrée, en rejetant les nouvelles preuves au dossier et en confirmant les conclusions de la SPR.

[29] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]), notamment en ce qui a trait à l’incompétence de ses anciens conseillers et à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR aux termes du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration.

[30] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle de la Cour est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour doit considérer le « résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La Cour doit en outre examiner « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).

[31] En ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité par la SAR, je note les propos du juge Gascon dans sa décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au paragraphe 15 :

Cette approche empreinte de retenue est particulièrement nécessaire lorsque, comme en l’espèce, les conclusions contestées se rapportent à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile. Il est bien établi que les conclusions de la SPR à cet égard exigent un degré élevé de retenue de la part des juges lors du contrôle judiciaire, compte tenu du rôle du juge des faits attribués au tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], aux para 59 et 89; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155, au para 9). Les conclusions sur la crédibilité vont au cœur même de l'expertise de la SPR et ont d'ailleurs été décrites comme « l’essentiel » de la compétence de la SPR » (Siad c Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 CF 608 (CAF), au para 24; Gomez Florez, au para 19; Soorasingam, au para 16; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116 [Lubana], aux para 7 et 8). La SPR est mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile puisque les membres du tribunal voient le témoin à l’audience, observent son comportement et entendent son témoignage. Les membres du tribunal ont donc la possibilité et la capacité d’évaluer le témoin, sur le plan de la franchise, de la spontanéité avec laquelle il a répondu, de la cohérence et de l’uniformité de son témoignage devant eux (Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 856, au para 23). De plus, la SPR a l’avantage de profiter des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve liée aux faits qui relèvent de leur domaine d’expertise (El-Khatib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 471, au para 6).

[32] C’est dans cette perspective que la Cour doit contrôler la décision de la SAR.

V. Les positions des parties et l’analyse

A. L’incompétence des anciens conseillers et les nouveaux éléments de preuve

(1) Position des parties

[33] M. Cherif ne conteste pas la conclusion de la SAR au sujet du refus d’accepter en preuve l’attestation de travail et l’attestation provisoire de succès en menuiserie. Il allègue cependant que la SAR a erré en rejetant ses allégations quant à la mauvaise représentation de ses anciens conseillers et, qu’en conséquence, la fiche d’adhésion et les déclarations du frère et de l’oncle produits devant la SAR sont admissibles en vertu de l’article 110(4) de la Loi sur l’immigration.

[34] D’abord, il soumet que, contrairement aux conclusions de la SAR, la preuve au dossier démontre que l’ancien conseiller a eu l’opportunité de répondre aux allégations, mais a choisi de ne pas le faire. En effet, tel que prévu dans l’avis de pratique, les deux anciens conseillers ont reçu une copie du dossier de l’appelant à deux reprises (courriels aux pages 81-85 au Dossier du demandeur). Il ajoute qu’il s’agissait de preuves pertinentes et crédibles dans le dossier. Enfin, considérant que le manque de documents a clairement joué dans l’évaluation de la crédibilité de M. Cherif par la SPR et qu’il s’agissait là d’un des motifs principaux du rejet de la demande, il soumet que la SAR a erré et qu’il y a une possibilité raisonnable que cela ait eu une incidence sur l’issue de sa demande d’asile devant la SPR.

[35] Le défendeur répond que M. Cherif n’a pas satisfait au lourd fardeau qui lui incombait de démontrer l’incompétence de ses anciens conseillers. Le défendeur indique que, même s’il était vrai que l’ancien conseiller a eu l’opportunité de répondre aux allégations, M. Cherif n’a pas démontré qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente si les preuves avaient été présentées devant la SPR. Ainsi, le défendeur soumet que la SAR pouvait valablement refuser d’admettre les documents soumis par M. Cherif car ils ne satisfont pas les critères du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et les principes établis par la jurisprudence.

(2) Analyse

[36] La Cour a déclaré que dans le cadre des demandes présentées en vertu de la Loi sur l’immigration, l’incompétence d’un conseiller ne constituera une atteinte à la justice naturelle que dans des « circonstances extraordinaires » (Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196 au para 36 [Memari]). Pour démontrer que cette incompétence a entraîné une atteinte à l’équité procédurale, le demandeur doit établir chacun des trois volets du critère, à savoir que : i) les omissions ou les actes de l’ancien conseiller constituaient de l’incompétence; ii) il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent; et iii) le conseiller a bénéficié d’une possibilité raisonnable de répondre aux allégations (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 11; Rendon Segovia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 99).

[37] Ainsi, l’incompétence du conseiller, ou avocat, ne constituera une violation des principes de justice naturelle que dans des circonstances extraordinaires; son incompétence ou sa négligence doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise et nécessite un seuil de preuve élevé (Memari au para 3).

[38] Il incombait à M. Cherif de prouver chacun des éléments du critère de représentation incompétente ou négligente de ses anciens conseillers devant la SAR. Le critère permettant d’établir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence d’un conseiller est très rigoureux (Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 83) et, pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Cherif n’a pas démontré qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait.

[39] Ainsi, ultimement, et peu importe les conclusions sur les autres éléments du test, M. Cherif n’a pas démontré que la SAR a erré lorsqu’elle a conclu que, selon une possibilité raisonnable, les documents n’auraient pas une incidence sur l’issue de sa demande d’asile.

[40] En effet, d’abord, la SAR a raisonnablement conclu que la fiche d’adhésion ne suffisait pas à compenser les problèmes de crédibilité concernant l’implication de M. Cherif au sein de l’Association. En effet, les contradictions relevées par la SPR portaient entre autres sur les dates de début et de fin de l’implication de M. Cherif, sur son niveau d’implication et sur la fermeture alléguée de l’Association à la suite du dépôt d’une plainte à la gendarmerie par M. Cherif. Or, la fiche d’adhésion n’indique que la date à laquelle elle est émise et le fait que M. Cherif serait membre. Il est raisonnable pour la SAR de conclure que ces quelques informations sur la fiche d’adhésion ne surmontent pas les nombreuses contradictions qu’elle a notées. De surcroît, M. Cherif n’indique d’ailleurs pas non plus à la Cour comment cette nouvelle preuve pourrait remédier auxdites conclusions de crédibilité, centrales à sa demande.

[41] Ensuite, M. Cherif ne démontre pas non plus que la SAR s’est trompée en concluant qu’il n’a pas établi qu’il y a une possibilité raisonnable que les déclarations de son frère et de son oncle auraient eu une incidence sur l’issue de sa demande d’asile. Encore une fois, M. Cherif n’explique pas comment les déclarations remédient aux contradictions et omissions identifiées par la SPR pour conclure qu’il n’était pas crédible. Qui plus est, M. Cherif ne démontre pas en quoi ces déclarations constituent des éléments de preuve objectifs qui peuvent être considérés comme une preuve indépendante de son récit pour compenser les conclusions négatives de la SPR sur sa crédibilité (Devundarage c Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 245 aux para 12-13).

[42] Compte tenu des éléments du dossier, la SAR a raisonnablement conclu que M. Cherif n’a pas établi qu’il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent.

[43] Enfin, le refus de la SAR d’admettre les documents soumis par M. Cherif car ils ne rencontrent pas les critères du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration, et ceux établis dans les arrêts Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 de la Cour d’appel fédérale est aussi raisonnable.

B. Crédibilité

(1) Position des parties

[44] M. Cherif soumet que la SAR a ignoré son témoignage sur ses activités dans l’Association et son implication. Il soumet que la SAR ne pouvait rejeter toute cette partie du témoignage et conclure à la non-crédibilité de son implication sur une seule question de dates. En effet, il indique qu’il est bien reconnu que le témoignage d’un demandeur d’asile ne doit pas être un test de mémoire (Sivaraja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 732) et qu’il faut tenir de tous les facteurs pertinents dans l’évaluation de la crédibilité (Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 au para 19).

[45] De la même façon, M. Cherif soulève que la SAR lui reproche de ne pas avoir indiqué, dans ses formulaires de point d’entrée, la date à partir de laquelle il s’est caché chez son oncle. Or, comme il l’a indiqué dans ses soumissions devant la SAR, M. Cherif soumet de nouveau qu’il s’agit d’une erreur assez fréquente pour les demandeurs d’indiquer seulement leurs adresses permanentes. De plus, M. Cherif souligne que ce séjour était confirmé par l’attestation de l’oncle qui a été soumise dans le dossier d’appel à la SAR, mais dont le dépôt a été rejeté par celle-ci.

[46] Quant à sa dénonciation de la fraude, M. Cherif note que la SAR considère qu’il n’avait pas fait de soumissions sur les conclusions de la SPR. Or, M. Cherif soutient que, dans le dossier de l’appelant, il avait soumis qu’il n’a pas rendu de témoignage confus quant aux différents événements et la séquence, mais seulement quant à certaines dates, ce qui ne pouvait justifier une conclusion de non-crédibilité.

[47] Le défendeur répond que la SAR pouvait valablement conclure que M. Cherif n’était pas crédible vu l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions concernant des éléments cruciaux de sa demande, et que la SAR pouvait aussi confirmer la décision de la SPR selon laquelle il n’avait pas établi les éléments essentiels de sa demande.

(2) Analyse

[48] La conclusion de la SAR quant à la crédibilité de M. Cherif est raisonnable et justifiée compte tenu des éléments du dossier.

[49] Je note que M. Cherif plaide devant la Cour les mêmes arguments que ceux qu’il a plaidés devant la SAR en lien avec cet élément. Il ne démontre pas en quoi la conclusion de la SAR quant à sa crédibilité est déraisonnable. Or, un contrôle judiciaire n’est pas un procès de novo.

[50] La SAR a pris en considération les arguments soulevés devant elle. Cependant, elle note les contradictions, incohérences et omissions cumulatives entre le FDA 2019, le formulaire IMM5669, le FDA 2021 et le témoignage livré à l’audience lesquelles sont étayées dans le dossier et portent sur des éléments au cœur de la demande d’asile de M. Cherif. De fait, sa participation en tant que membre de l’Association et sa plainte à la gendarmerie en lien avec la fraude constituent le fondement de sa demande d’asile.

[51] Au surplus, et contrairement aux allégations de M. Cherif, rien n’indique que la SAR aurait omis de prendre en considération un élément de preuve pertinent, incluant son FDA 2021, son témoignage sur ses activités dans l’Association et son implication.

[52] La SAR a fourni des motifs détaillés et réfléchis et elle a expliqué pourquoi M. Cherif n’a pas été jugé crédible. Tel qu’exposé dans la section précédente, la Cour doit faire preuve de déférence en ce qui a trait à la crédibilité. De fait, « [i]l est bien établi que la Cour doit faire preuve d’une déférence importante à l’égard de l’appréciation que font la SPR et la SAR de la crédibilité d’un demandeur d’asile, car les questions de crédibilité sont au cœur même de leur compétence » (Khelili c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 188 au para 25). La Cour ne peut apprécier de nouveau la preuve et substituer sa décision à celle de la SAR à moins qu’elle ne relève des erreurs qui l’amèneraient à conclure que la conclusion sur la crédibilité était déraisonnable (Jules c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 882 au para 79). Or, M. Cherif n’a pu identifier de telles erreurs.

[53] M. Cherif n’a pas rempli son fardeau de démontrer que la SAR a erré et que la décision de cette dernière est déraisonnable.

VI. Conclusion

[54] Ainsi, pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4592-22

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

3. Aucun dépens n’est octroyé.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4592-22

INTITULÉ :

ALI YAHIA CHERIF c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 mai 2023

JUGEMENT ET motifs:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 2 juin 2023

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

Pour le demandeur

Me Thi My Dung Tran

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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