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Date : 20230531


Dossier : T-354-21

Référence : 2023 CF 761

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 31 mai 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ROGER BENNETT

demandeur

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Bennett a introduit la présente requête en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], en vue d’interjeter appel de l’ordonnance du 21 février 2023 [l’ordonnance] par laquelle la juge adjointe Coughlan, responsable de la gestion de l’instance, a rejeté son action pour cause de retard et de non‑respect des ordonnances et directives de la Cour. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la requête est rejetée.

I. Contexte

[2] M. Bennett a engagé la présente action il y a plus de deux ans, soit le 22 février 2021, en déposant une déclaration auprès de la Cour fédérale. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a déposé une défense le 8 avril 2021, après que les deux parties eurent consenti, en vertu de l’article 7 des Règles, à une prorogation du délai prévu pour ce faire.

[3] Une fois la défense du ministre déposée, l’instance a piétiné. Pendant une partie du litige, M. Bennett n’était plus représenté. Entre juin 2021 et mai 2022, il a tenté à plusieurs reprises de retenir les services d’un avocat et, le 20 avril 2022, il a déposé un avis d’intention d’agir en son propre nom.

[4] Le 19 avril 2022, soit plus d’un an après le dépôt de la déclaration, le juge en chef Crampton a ordonné que l’instance fasse l’objet d’une gestion spéciale et a demandé que M. Bennett dépose, dans les 20 jours de la date de l’ordonnance, un projet d’échéancier indiquant les mesures nécessaires pour faire avancer l’instance de façon expéditive.

[5] Le 2 mai 2022, le ministre a déposé une copie de l’échéancier avec le consentement du demandeur. Le 16 mai 2022, la juge responsable de la gestion de l’instance a rendu une ordonnance dans laquelle elle fixait le calendrier des étapes subséquentes [l’ordonnance du 16 mai 2022]. Le même jour, Me Daniel Hildebrand a communiqué avec l’avocat du ministre pour l’aviser que le demandeur avait retenu ses services en vertu d’un mandat à portée limitée afin de l’aider à respecter l’échéancier sur lequel les parties s’étaient entendues.

[6] Le 27 juin 2022, la juge responsable de la gestion de l’instance a tenu une conférence de gestion de l’instance par Zoom, à laquelle M. Bennett et l’avocat du ministre ont assisté. M. Bennett a alors avisé la Cour de son intention de modifier sa déclaration afin d’y ajouter des allégations d’atteinte à ses droits garantis par la Charte.

[7] Le non‑respect à deux reprises de l’échéancier dont les parties avaient convenu a incité le ministre à demander la tenue d’une autre conférence de gestion de l’instance, qui a eu lieu le 4 novembre 2022. La juge responsable de la gestion de l’instance a alors rendu une ordonnance portant que M. Bennett avait jusqu’au 25 novembre pour présenter une requête en vue d’obtenir l’autorisation de modifier sa déclaration.

[8] Le 29 novembre 2022, voyant que la requête en autorisation de modifier la déclaration n’avait pas été déposée, le greffe de la Cour a communiqué avec les parties pour connaître les intentions de M. Bennett à ce propos. Le même jour, M. Bennett a répondu que, à moins de pouvoir obtenir une prorogation de délai, il ne déposerait pas de requête en modification de sa déclaration parce que l’échéance était passée. Le 1er décembre 2022, le greffe de la Cour a informé M. Bennett qu’il devait présenter une requête afin de pouvoir obtenir une prorogation de délai. M. Bennett n’a pas répondu au courriel du greffe du 1er décembre 2022 et n’a pas déposé de requête en prorogation de délai.

[9] Le 7 décembre 2022, à la suite du défaut de M. Bennett de respecter l’ordonnance du 4 novembre 2022, la juge responsable de la gestion de l’instance a rendu une directive dans laquelle elle demandait à M. Bennett de lui fournir au plus tard le 19 décembre 2022 un calendrier des étapes préalables à la demande de conférence préparatoire, à défaut de quoi elle procéderait à un examen de l’état de l’instance en vue de rejeter l’action. M. Bennett n’a pas répondu à la directive du 7 décembre 2022 et n’a pas déposé le calendrier exigé par la directive.

[10] Le 5 janvier 2023, la juge responsable de la gestion de l’instance a rendu une ordonnance de justification dans laquelle elle exigeait i) que M. Bennett présente des observations écrites, à être signifiées et déposées au plus tard le 30 janvier 2023, exposant les raisons pour lesquelles l’action ne devrait pas être rejetée pour cause de non‑respect de la directive de la Cour du 7 décembre 2022; ii) que le ministre signifie et dépose ses observations écrites dans les 10 jours suivant la signification des observations de M. Bennett; et iii) que M. Bennett signifie et dépose des observations écrites en réplique, le cas échéant, dans les 4 jours suivant la signification des observations du ministre.

[11] Le 30 janvier 2023, l’avocat de M. Bennett a déposé des observations écrites en réponse à l’ordonnance de justification. Le 9 février 2023, le ministre a déposé des observations, ainsi que l’affidavit de Mme Anita Koop, une adjointe juridique au ministère de la Justice du Canada [l’affidavit de Mme Koop].

[12] Le 10 février 2023, le ministre a déposé à la Cour des observations écrites supplémentaires relatives à l’affidavit de Mme Koop et en a envoyé une copie à l’avocat du demandeur. Le même jour, la Cour a donné la directive d’accepter l’affidavit de Mme Koop pour dépôt. Le greffe a inscrit la note suivante au dossier : [traduction] « [l]’affidavit de Mme Anite [sic] Koop, souscrit le 7 février 2023, est accepté pour dépôt selon les directives de la Cour versées au dossier ».

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[13] La juge responsable de la gestion de l’instance a fait remarquer que, lors d’un examen de l’état de l’instance, le fardeau de la preuve repose sur la partie en défaut. Elle a toutefois souligné qu’une instance ne doit être rejetée lors de l’examen de son état que dans des circonstances exceptionnelles et lorsqu’aucune autre mesure ne suffirait à la faire progresser. Elle a conclu que les raisons avancées par M. Bennett pour justifier son défaut de faire progresser l’instance n’étaient [traduction] « absolument pas convaincantes », que ses explications « manquaient tout simplement de substance », et que les raisons qu’il avait fournies n’étaient « tout simplement pas étayées par la preuve au dossier », mais étaient plutôt « contredites en grande partie par le dossier ».

[14] La juge responsable de la gestion de l’instance a ensuite souligné que l’affidavit de Mme Koop témoignait des [traduction] « manquements multiples et répétés du demandeur à respecter les délais initialement acceptés par les parties et fixés par les ordonnances de la Cour ». Elle a fourni des exemples précis pour démontrer le manque d'effort à faire progresser l’instance, dont le défaut de présenter la requête en modification de sa déclaration, ce qui a causé [traduction] « un retard inutile et injustifié ».

[15] En outre, la juge responsable de la gestion de l’instance n’a pas accepté que les retards et le défaut de se conformer aux ordonnances et aux directives de la Cour découlaient de l’absence d’un conseiller juridique, dans la mesure où M. Bennett a consulté un avocat pendant une grande partie de l’instance. Même si ce n’était pas le cas, M. Bennett avait l’obligation positive de se familiariser avec les Règles et de faire progresser son dossier, ce qu’il n’a pas fait. Elle a souligné que, bien que le ministre eut contribué à faire avancer l’instance, c’était au demandeur de le faire.

[16] La juge responsable de la gestion de l’instance a ensuite examiné la deuxième question faisant partie de l’examen de l’état de l’instance, soit celle des mesures proposées par M. Bennett pour faire progresser l’instance. Elle a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le demandeur propose un échéancier qui, selon lui, établit « des jalons clairs et réalisables ». En fait, le nouvel échéancier proposé allonge le calendrier prévu dans mon ordonnance du 16 mai 2022 de plusieurs mois. L’échéancier proposé ne comprend pas les étapes au-delà de l’interrogatoire préalable.

[17] Elle a qualifié cette proposition de [traduction] « terriblement inefficace », soulignant qu’il « ne s’agissait rien de moins que d’une tentative à peine voilée d’obtenir une prorogation des délais déjà fixés sans avoir à présenter de requête dûment étayée par la preuve ou à obtenir le consentement de la partie défenderesse ».

[18] La juge responsable de la gestion de l’instance a conclu qu’elle n’était pas convaincue que, au vu de l’échéancier proposé par M. Bennett, celui-ci reconnaissait son obligation envers la Cour d’agir avec diligence pour le reste de l’instance et qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice de permettre à l’action de suivre son cours. Elle a rejeté l’action pour cause de retard et de non‑respect des ordonnances et directives de la Cour.

III. La question préliminaire

[19] Le ministre soutient que l’affidavit souscrit par M. Roger Bennett le 4 mai 2023 et versé au dossier de requête de ce dernier [l’affidavit de M. Bennett] constitue un nouvel élément de preuve. Il s’appuie sur le paragraphe 17 de la décision Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 379 [Suzuki] pour faire valoir que l’affidavit ne devrait pas être admis par la Cour puisque la juge adjointe Coughlan ne disposait pas de cet élément de preuve lors de l’examen de l’état de l’instance. En général, seule la preuve présentée à la juge adjointe devrait être examinée en appel.

[20] Cependant, l’article 351 des Règles prévoit que, dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à toute partie de présenter des éléments de preuve sur une question de fait. Aux paragraphes 15 à 19 de la décision Suzuki, la Cour a mentionné qu’il était possible d’admettre de nouvelles preuves dans les cas où elles n’auraient pas pu être disponibles auparavant, où elles serviraient les intérêts de la justice, où elles aideraient la Cour et où elles ne porteraient pas gravement atteinte à l’autre partie, citant Carten c Canada, 2010 CF 857 au para 23 et Mazhero c Canada (Conseil canadien des relations industrielles), 2022 CAF 295 au para 5.

[21] En l’espèce, comme M. Bennett allègue qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, je conclus que l’examen de l’affidavit de M. Bennett servira les intérêts de la justice, aidera la Cour et ne portera pas gravement atteinte au ministre.

[22] J’examinerai l’affidavit de M. Bennett, mais je ne lui accorderai que peu de poids puisque, comme l’a fait remarquer le ministre, il reprend en grande partie, en les exposant plus en détail, les faits déjà établis par l’affidavit de Mme Koop. Par ailleurs, il contient aussi des renseignements qui, dans plusieurs cas, sont contredits par les pièces qui y sont jointes, ainsi que par d’autres documents au dossier, y compris l’affidavit de Mme Koop et l’ordonnance. Au paragraphe 36 de son mémoire, le ministre en donne trois bons exemples :

[traduction]

  • Au paragraphe 32 de son affidavit, M. Bennett affirme que le ministre a envoyé son affidavit de documents à un avocat qui ne le représentait plus. Cette affirmation est contredite par la pièce « D » de l’affidavit de M. Bennett, qui consiste en des communications par courriel entre M. Bennett et l’avocat du ministre dans lesquels ce dernier explique à M. Bennett qu’une copie de l’affidavit de documents qu’il a souscrit a été envoyée à son ancien avocat le 31 mai 2021, et qu’une copie de son affidavit supplémentaire lui a été fournie le 14 juin 2021;
  • Au paragraphe 38 de son affidavit, M. Bennett prétend qu’il a retenu les services de Me Hildebrand, son ancien avocat, en vertu d’un mandat à portée limitée uniquement afin de l’aider à préparer son affidavit de documents et à « compléter sa divulgation au besoin ». Cette affirmation est contredite par la pièce « F » de l’affidavit de M. Bennett, soit un courriel daté du 16 mai 2022 entre Me Hildebrand et l’avocat du ministre dans lequel Me Hildebrand explique que « [M. Bennett] a retenu ses services afin de l’aider à respecter l’échéancier exposé dans le courriel que [l’avocat du ministre] lui a envoyé le 22 avril 2022 et a modifié le 29 avril 2022 ». Ainsi, Me Hildebrand n’aidait pas seulement à la production de documents;
  • Au paragraphe 62 de son affidavit, M. Bennett affirme que dans sa décision, la juge adjointe Coughlan a rejeté l’action et adjugé des « dépens plus élevés » au ministre, alors que dans son ordonnance, elle a écrit qu’elle n’était « pas disposée à adjuger des dépens plus élevés » et a accordé une somme globale de 2 000 $, taxes et débours compris.

[23] Enfin, je remarque que l’affidavit de M. Bennett présente de nouveaux éléments de preuve relatifs à la diminution des capacités cognitives de M. Bennett en raison de problèmes cardiovasculaires, ce qui aurait pu – et aurait dû – être soulevé avant, et non pour la première fois dans le cadre du présent appel.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[24] M. Bennett soutient que la Cour devrait accorder la présente requête et rejeter l’ordonnance de la juge adjointe Coughlan parce que la décision d’admettre l’affidavit de Mme Koop constitue un manquement à l’équité procédurale.

[25] M. Bennett fait également valoir que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur manifeste et déterminante en rejetant son action pour cause de retard et de non‑respect des ordonnances et directives de la Cour alors que i) le retard était raisonnable, et qu’il ii) a fourni une explication raisonnable justifiant le non‑respect, à savoir qu’il n’était pas représenté par un avocat jusqu’en février 2023 et qu’il souffrait d’une diminution de ses capacités cognitives en raison de problèmes cardiovasculaires.

[26] Lorsqu’elle est appelée à examiner des questions relatives à l’équité procédurale, la Cour doit se demander si la procédure qui a conduit à la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54‑55).

[27] La Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une décision discrétionnaire rendue par un juge adjoint à l’issue d’un examen de l’état de l’instance (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 au para 103 [Hospira]). Elle ne peut intervenir que si le juge adjoint a commis une erreur de droit, ou une erreur manifeste et déterminante à l’égard d’une question de fait ou d’une question mixte de droit et de fait (Hospira, para 66‑69, citant Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235 aux para 19-37). En effet, la norme de l’erreur manifeste et déterminante est une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue (voir par exemple Lessard‑Gauvin c Canada (Procureur général), 2020 CF 730 au para 43, citant de nombreuses décisions de la Cour d’appel fédérale).

V. Analyse

[28] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je ne suis pas d’accord avec M. Bennett pour dire qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et je conclus que la juge adjointe Coughlan n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante qui justifierait l’intervention de la Cour.

A. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale

[29] M. Bennett soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lorsque la Cour a admis l’affidavit de Mme Koop. Il se fonde sur l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 pour faire valoir que le caractère définitif de cette décision, qui est déterminante quant à sa capacité à faire valoir ses droits, lui vaut un degré plus élevé d’équité procédurale. Il soutient que compte tenu de ce degré plus élevé d’équité procédurale, la Cour aurait dû l’informer qu’elle allait tenir compte de l’affidavit de Mme Koop pour rendre son ordonnance.

[30] Je ne suis pas d’accord. La Cour n’avait aucune obligation positive d’informer M. Bennett de sa décision d’admettre l’affidavit de Mme Koop en raison d’un degré plus élevé d’équité procédurale. Je souligne que M. Bennett ne cite aucune source, autre que les principes énoncés dans l’arrêt Baker, à l’appui de cette allégation. M. Bennett savait que le ministre avait demandé l’avis de la Cour concernant l’admission de l’affidavit de Mme Koop puisque l’avocat du demandeur avait reçu une copie des observations supplémentaires du ministre datées du 10 février 2023.

[31] À ce moment‑là, M. Bennett aurait pu déposer une réponse en vue de contester l’affidavit de Mme Koop ou présenter son propre affidavit. Il n’a pris aucune de ces mesures. Comme l’a expliqué la juge adjointe Coughlan dans son ordonnance, [traduction] « [b]ien qu’il ne soit généralement pas nécessaire de présenter un affidavit à l’appui des observations formulées dans le cadre d’un examen de l’état de l’instance, il reste qu’il est préférable d’en déposer un si le dossier factuel laisse voir une divergence ».

[32] Lorsque la Cour a accepté l’affidavit de Mme Koop pour dépôt, le greffe a inscrit la note suivante au dossier public : [traduction] « [l]’affidavit de Mme Anite [sic] Koop, souscrit le 7 février 2023, est accepté pour dépôt selon les directives de la Cour versées au dossier ». Cet avis était approprié et suffisait à informer M. Bennett que l’affidavit de Mme Koop avait été accepté pour dépôt. Il n’y a donc eu aucun manquement à l’équité procédurale. Je souligne que M. Bennett était représenté lors de l’examen de l’état de l’instance, y compris lorsque l’affidavit de Mme Koop a été déposé et accepté pour dépôt par la Cour.

B. La juge responsable de la gestion de l’instance n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante

[33] M. Bennett soutient également que la juge adjointe Coughlan a commis une erreur manifeste et déterminante lorsqu’elle a rejeté son action pour cause de retard et de non‑respect des ordonnances et des directives de la Cour, parce que le retard était raisonnable compte tenu du fait i) qu’il n’était pas représenté par un avocat jusqu’en février 2023, et ii) qu’il souffrait d’une diminution de ses capacités cognitives en raison de problèmes cardiovasculaires.

[34] M. Bennett se fonde sur les décisions Baroud c Canada, 1998 CanLII 8819 (CF) [Baroud] et Multibond Inc. c Duracoat Powder Manufacturing Inc., 1999 CanLII 8948 (CF) [Duracoat]. Dans les deux cas, la Cour a rejeté l’action pour cause de retard. M. Bennett soutient que, contrairement aux demandeurs dans les décisions Baroud et Duracoat, il a fait des efforts pour faire progresser le dossier et a fourni une explication raisonnable pour justifier le retard.

[35] Cette allégation n’est pas appuyée par la preuve au dossier, qui montre que M. Bennett a à maintes reprises omis de respecter les ordonnances et les directives de la Cour, notamment en ne présentant pas de plan d’échéancier et en ne respectant pas les délais prévus à l’échéancier auquel il avait consenti. Comme l’a souligné la juge adjointe Coughlan dans son ordonnance, M. Bennett n’a pas démontré qu’il [traduction] « reconnaissait qu’il avait envers la Cour l’obligation d’agir avec diligence pour le reste de l’instance ».

[36] En outre, je ne suis pas convaincu par l’argument de M. Bennett selon lequel les retards et le non‑respect des ordonnances et directives de la Cour tenaient aux deux raisons qu’il a avancées, soit a) l’absence d’un conseiller juridique et sa qualité de partie agissant seule, et b) la diminution de ses capacités cognitives en raison de ses problèmes cardiovasculaires.

[37] En ce qui concerne sa représentation, bien que M. Bennett ait déposé un avis d’intention d’agir en son propre nom en avril 2022, il a retenu les services de Me Hildebrand en vertu d’un mandat à portée limitée, de mai 2022 à septembre 2022. M. Bennett a reçu les conseils juridiques de son avocat actuel, Me McDonald, dont il avait aussi retenu les services en vertu d’un mandat à portée limité, de septembre 2022 à février 2023. Il a ensuite retenu les services de Me McDonald pour le représenter sur une base régulière, après avoir déposé un avis de nomination d’un avocat, le 2 février 2023.

[38] Eu égard à l’ensemble des circonstances, je conclus que la juge adjointe Coughlan n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu qu’[traduction] « il est évident que, de mai 2022 à aujourd’hui, le [demandeur] a consulté un avocat ». Bien que M. Bennett ait parfois bénéficié des services d’un avocat en vertu d’un mandat à portée limitée, il était représenté pendant la majeure partie de l’instance, y compris dès le début, lorsqu’il a déposé sa déclaration, et à l’examen sur l’état de l’instance dont il est question en l’espèce.

[39] La juge responsable de l’état de l’instance a conclu que, bien qu’il ait agi seul et sans l’aide d’un avocat pendant une certaine période (soit de mai 2022 à septembre 2023), M. Bennett avait une obligation positive de se familiariser avec les Règles pour faire progresser l’affaire. En concluant qu’il avait manqué à cette obligation, elle n’a commis aucune erreur de fait ou de droit. Comme il a été souligné au paragraphe 45 de la décision Johnson c Canadian Tennis Association, 2022 CF 776, même si la Cour peut, au nom de l’accès à la justice, faire preuve de souplesse à l’égard d’une partie qui agit seule, cela n’équivaut pas à l’exempter d’avoir à se conformer aux Règles (voir aussi Brauer c Canada, 2021 CAF 198 au para 8; Fitzpatrick c District 12 du service régional de la GRC de Codiac, 2019 CF 1040 au para 19).

[40] Enfin, en ce qui concerne l’allégation de M. Bennett selon laquelle il souffrait d’une diminution de ses capacités cognitives en raison de problèmes cardiovasculaires, comme je l’ai mentionné plus haut, j’accorde très peu de valeur à l’affidavit de M. Bennett. Ce dernier y soulève ses problèmes cognitifs pour la première fois alors qu’il a eu maintes occasions d’en parler en cours d’instance, notamment lors des différentes conférences de gestion de l’instance et, finalement, à l’examen de l’état de l’instance.

[41] Je conclus donc qu’il est trop tard pour avancer de nouveaux arguments médicaux, d’autant plus que M. Bennett a reçu les conseils de différents avocats au cours de l’instance. Durant les deux ans qu’a duré le litige, ni M. Bennett, lorsqu’il a présenté des observations et participé à l’instance, ni aucun des avocats qui l’ont conseillé n’a soulevé la question de son état de santé. Cela étant, M. Bennett ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de présenter la meilleure cause possible lors de l’examen de l’état de l’instance et des étapes précédentes.

[42] Enfin, les juges adjoints jouissent d’une grande latitude dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de gestion de l’instance (J2 Global Communications Inc. c Protus IP Solutions Inc., 2009 CAF 41 au para 16). Ils disposent notamment d'un pouvoir discrétionnaire leur permettant de rejeter une action après avoir ordonné que soit tenu un examen de l’état de l’instance en vertu du paragraphe 385(2) des Règles (Dhillon c Bernier, 2019 CF 1194 aux para 23-24).

VI. Dépens

[43] Le ministre demande que les dépens lui soient accordés. Compte tenu de la situation financière de M. Bennett et des autres circonstances qu’il a exposées durant le présent appel, j’exerce le pouvoir discrétionnaire que me confèrent les paragraphes 400(1) et 400(3) des Règles et je n’accorde aucuns dépens.

VII. Conclusion

[44] La juge responsable de la gestion de l’instance est la mieux placée pour décider, à l’issue d’un examen de l’état de l’instance, s’il est dans l’intérêt de la justice que l’instance se poursuive. En l’espèce, elle n’a commis aucune erreur en rejetant l’action pour cause de retard et de non‑respect des ordonnances et directives de la Cour. La présente requête est donc rejetée et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-354-21

LA COUR STATUE :

  1. La requête est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑354‑21

 

INTITULÉ :

ROGER BENNETT c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 16 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge DINER

 

DATE DES MOTIFS :

le 31 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Andrew N McDonald

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Samantha Gergely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wolseley Law LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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