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Date : 20230602


Dossier : IMM-8287-22

Référence : 2023 CF 775

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 juin 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

FARSHID SAFARIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Safarian s’est vu refuser un permis d’études pour faire une maîtrise en administration des affaires à l’Université Canada West. Âgé de 32 ans, il est célibataire et citoyen de l’Iran et travaille comme ingénieur industriel depuis 2015. L’agent des visas n’était pas convaincu que le projet d’études de M. Safarian était raisonnable, parce que ses études antérieures étaient dans un tout autre domaine et que la lettre de son employeur disait qu’il obtiendrait une promotion, mais ne mentionnait pas d’augmentation de salaire. Il a aussi conclu que M. Safarian n’avait pas démontré qu’il avait des fonds suffisants pour payer le coût de son séjour. De plus, il a fait observer que M. Safarian est [traduction] « célibataire, mobile, peu établi et sans personne à charge » et qu’il [traduction] « n’a pas démontré de liens suffisamment forts le rattachant à son pays de résidence ».

[2] Le demandeur sollicite maintenant un contrôle judiciaire. Le cadre général pour le contrôle judiciaire du refus d’un permis d’études a été résumé dans la décision Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 568, aux paragraphes 5 à 9, que je reproduis sans les renvois à la jurisprudence ou à la loi :

[traduction]

  • Une décision raisonnable doit expliquer le résultat obtenu, à la lumière du droit et des principaux faits.

  • L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une « culture de la justification » selon laquelle les décideurs doivent expliquer logiquement le résultat obtenu et tenir compte des observations des parties, mais il faut aussi que le contexte du processus décisionnel soit pris en considération.

  • Les agents des visas reçoivent une avalanche de demandes, et leurs motifs n’ont pas besoin d’être longs ou détaillés. Cependant, les motifs doivent exposer les principaux éléments de l’analyse de l’agent et tenir compte de l’essentiel des observations du demandeur sur les points les plus pertinents.

  • Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences de la loi qui s’appliquent à l’examen des demandes de visa d’étudiant, y compris l’exigence de quitter le pays à la fin du séjour autorisé.

  • Les agents des visas doivent prendre en considération les facteurs « d’incitation au départ » et « d’attirance » qui pourraient soit amener un demandeur à prolonger son séjour au-delà de la période de validité de son visa et à rester au Canada, soit l’encourager à retourner dans son pays d’origine.

[3] Dans la présente affaire, les notes de l’agent contiennent surtout des phrases toutes faites qui apparaissent souvent dans les décisions relatives aux demandes de permis d’études et qui semblent produites par le logiciel Chinook. Comme je l’ai expliqué dans la décision Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4, au paragraphe 9, l’utilisation de phrases toutes faites n’est pas répréhensible en soi, mais la cour de révision doit être convaincue que le décideur s’est penché sur les faits de l’affaire. Le fait que l’utilisation d’une phrase ait été jugée raisonnable dans une affaire donnée ne soustrait pas la phrase en question à un examen dans d’autres affaires. De même, une phrase jugée déraisonnable dans un contexte donné ne le sera pas nécessairement dans un autre contexte. En fin de compte, la cour doit être en mesure de comprendre pourquoi le décideur a tiré la conclusion qu’il a tirée.

[4] Au-delà des phrases toutes faites, si l’agent a rejeté la demande de permis d’études de M. Safarian, c’est principalement en raison du caractère insuffisant du projet d’études. Trois préoccupations précises sont signalées : les études antérieures de M. Safarian et celles qu’il se propose de faire ne sont pas dans le même domaine; il occupe le même poste depuis sept ans, et la lettre de son employeur ne dit pas que son salaire augmentera lorsqu’il obtiendra son diplôme.

[5] Avec égards, ces motifs sont illogiques. Il est courant de faire une maîtrise en administration des affaires après avoir obtenu un baccalauréat dans une autre discipline et avoir acquis de l’expérience de travail : Ahadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 25 au paragraphe 15. Selon la lettre de son employeur, M. Safarian se verra offrir un poste supérieur lorsqu’il aura obtenu son diplôme. Il est déraisonnable d’écarter cette lettre simplement parce qu’elle ne mentionne pas expressément qu’il y aura une augmentation de salaire. Le fait que M. Safarian occupe le même poste depuis sept ans ne semble avoir aucun lien logique avec l’authenticité de son projet d’études. Cela revient à dire « pourquoi retourner aux études si vous avez déjà un emploi? » La principale conclusion de l’agent est donc déraisonnable.

[6] À l’audience, l’avocate du ministre a attiré mon attention sur le fait que la description des fonctions actuelles de M. Safarian dans son curriculum vitæ est reproduite presque mot pour mot dans la lettre de son employeur, sous la rubrique [traduction] « fonctions du poste mentionné ». Elle fait valoir qu’il pourrait s’agir là du motif de la conclusion de l’agent selon laquelle M. Safarian ne tirerait aucun avantage de son projet d’études, car son emploi resterait essentiellement le même. Cependant, il est difficile de dire si le [traduction] « poste mentionné » est le poste actuel de M. Safarian ou le poste qui lui sera offert à son retour. Quoi qu’il en soit, cela n’était pas mentionné dans les notes de l’agent ni d’ailleurs dans les observations écrites du ministre. Par conséquent, il n’est pas possible de savoir si l’agent a fondé ses conclusions sur cette comparaison. Il est inadmissible d’étayer ainsi la décision de l’agent, d’autant plus qu’il existe deux interprétations possibles de la lettre d’emploi.

[7] Bien que l’agent ait également noté que la preuve était insuffisante pour établir la disponibilité des fonds, le ministre ne défend pas cette conclusion, mais soutient plutôt que l’agent voulait en réalité dire que le projet d’études n’en valait pas le coût. Toutefois, une simple déclaration selon laquelle l’agent n’est [traduction] « pas convaincu que le projet d’études constituerait une dépense raisonnable » peut être raisonnable ou non, selon les circonstances. Dans la présente affaire, on pourrait croire qu’une maîtrise en administration des affaires d’une université dans un pays occidental présenterait des avantages évidents pour M. Safarian. L’agent n’a pas donné de motifs précis pour justifier sa conclusion contraire. Il s’agit d’un motif additionnel pour lequel le refus du permis d’études était déraisonnable.

[8] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8287-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision refusant un permis d’études au demandeur est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

  4. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8287-22

 

INTITULÉ :

FARSHID SAFARIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VISIOCONFÉRENCE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

 

POUR LE DEMANDEUR

Yan Wang

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

North Vancouver

(Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

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