Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230601

Dossier : IMM-4140-22

Référence : 2023 CF 758

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er juin 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

AGNES GUMTANG

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, une citoyenne des Philippines, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 19 avril 2022 par laquelle un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente qu’elle avait présentée dans le cadre du Programme des gardiens d’enfants en milieu familial [le Programme]. La demande a été rejetée au motif que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’études du Programme.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demanderesse n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable ni qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte

[3] Le 18 juin 2019, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a publié des instructions ministérielles en vue de créer deux nouvelles catégories de résidents permanents – la catégorie des gardiens d’enfants en milieu familial et la catégorie des aides familiaux à domicile – au titre de l’article 14.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR]. L’article 14.1 permet au ministre d’établir des catégories de résidents permanents au sein de la catégorie « immigration économique » en fonction de la capacité des membres de ces catégories à s’établir économiquement au Canada. Le Programme est considéré comme faisant partie de la catégorie de l’immigration économique visée à l’alinéa 70(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le RIPR]. Ces deux catégories ont été conçues pour offrir une voie d’accès à la résidence permanente aux étrangers qui sont résidents temporaires et qui exercent une profession admissible liée à la fourniture de soins à domicile.

[4] Entre autres exigences, les demandeurs qui présentent une demande dans le cadre du Programme doivent détenir l’un ou l’autre des titres de compétence suivants :

  1. un diplôme d’études postsecondaires (ou d’un niveau supérieur) obtenu au Canada à la suite d’au moins un an d’études;

  2. un diplôme, un certificat ou une attestation obtenu à l’étranger et une attestation d’équivalence – délivrée dans les cinq ans précédant la date du dépôt de la demande – indiquant que le diplôme, le certificat ou l’attestation obtenu à l’étranger équivaut à un diplôme d’études postsecondaires obtenu au Canada à la suite d’au moins un an d’études.

[5] Le document « Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial et Programme pilote des aides familiaux à domicile : Évaluation d’une demande en fonction des critères de sélection », publié par le gouvernement du Canada, énonce la politique, les procédures et les lignes directrices utilisées par les agents pour évaluer les demandes. En ce qui concerne l’exigence relative aux études, il prévoit ce qui suit, et les mots en caractères gras le sont aussi sur le site Web :

Diplômes canadiens

Est considéré un « diplôme d’études postsecondaire canadien » tout diplôme, certificat ou attestation d’études postsecondaires obtenu après avoir terminé avec succès un programme canadien d’études ou un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités provinciales chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements. Ainsi, un demandeur qui a commencé un programme collégial ou universitaire et qui a obtenu les crédits d’une année de ce programme, mais qui ne l’a pas encore terminé, ne répondrait pas à cette exigence.

Titres de compétence étrangers

Pour les demandeurs possédant des titres de compétence étrangers, le rapport d’EDE doit satisfaire aux exigences suivantes :

indiquer que le titre de compétence est équivalent à un titre de compétence d’études postsecondaires (ou de niveau supérieur) obtenu au Canada à la suite d’au moins 1 an d’études

avoir été délivré moins de 5 ans avant la date de réception de la demande

avoir été délivré après la date où l’organisme responsable de l’EDE a été désigné par IRCC

Les évaluations d’équivalence doivent inclure une évaluation, par l’organisme désigné, de l’authenticité du diplôme que le demandeur a obtenu à l’étranger.

[6] Cette description est conforme au paragraphe 73(1) du RIPR, qui définit « diplôme canadien » et « attestation d’équivalence » ainsi :

diplôme canadien Tout diplôme d’études secondaires ou tout diplôme, certificat ou attestation postsecondaires obtenu pour avoir réussi un programme canadien d’études ou un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités provinciales chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements.

attestation d’équivalence S’entend d’une évaluation faite par une institution ou organisation désignée en vertu du paragraphe 75(4), à l’égard d’un diplôme, certificat ou attestation étranger, attestant son équivalence avec un diplôme canadien et se prononçant sur son authenticité.

Canadian educational credential means any secondary school diploma or any post-secondary diploma, certificate or credential that is issued on the completion of a Canadian program of study or training at an educational or training institution that is recognized by the provincial authorities responsible for registering, accrediting, supervising and regulating such institutions. 

 

equivalency assessment means a determination, issued by an organization or institution designated under subsection 75(4), that a foreign diploma, certificate or credential is equivalent to a Canadian educational credential and an assessment, by the organization or institution, of the authenticity of the foreign diploma, certificate or credential.

[7] Afin de faciliter le processus d’attestation d’équivalence pour les demandeurs titulaires de titres de compétence étrangers, un organisme désigné par IRCC produit un rapport d’évaluation des diplômes d’études [le rapport d’EDE] à des fins d’immigration.

[8] En l’espèce, comme la demanderesse n’a aucun diplôme canadien, elle a obtenu un rapport d’EDE d’une institution désignée, la World Education Services [WES]. Elle a pris des dispositions pour que les établissements scolaires des Philippines envoient ses certificats d’études étrangers directement à la WES afin que celle-ci puisse évaluer leur authenticité et faire un résumé des diplômes canadiens auxquels ils équivalent. Le rapport d’EDE de la demanderesse indique que deux titres de compétence ont été évalués. Premièrement, son diplôme d’études secondaires a été évalué et il a été jugé équivaloir à une 10e année au Canada. Deuxièmement, le relevé de notes des études de la demanderesse à l’Université de l’Est, à Caloocan, a été évalué et le rapport indique que ces études équivalent à [traduction] « un diplôme d’études secondaires et deux années d’études postsecondaires ».

[9] Le 19 avril 2022, la demanderesse a reçu une lettre l’informant que l’agent avait rejeté sa demande, car il n’était pas convaincu qu’elle satisfaisait aux exigences relatives aux études. Les notes consignées dans le SMGC, qui font partie des motifs de la décision contestée, sont ainsi rédigées :

[traduction]
La demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des gardiens d’enfants en milieu familial – CNP 4411.

L’une des conditions d’admissibilité pour les demandeurs titulaires d’un titre de compétence étranger est que le rapport d’EDE doit :

  • indiquer que le titre de compétence équivaut à un diplôme d’études postsecondaires (ou de niveau supérieur) obtenu au Canada à la suite d’au moins d’un an d’études;

  • avoir été délivré moins de cinq ans avant la date de réception de la demande;

  • avoir été délivré à la date ou après la date où l’organisme responsable de l’EDE a été désigné par IRCC.

Le résultat de l’évaluation énoncé dans le rapport d’EDE est une preuve concluante que les titres de compétence étrangers de la demanderesse équivalent à un diplôme d’études postsecondaires obtenu au Canada à la suite d’au moins un an d’études.

Selon le rapport d’EDE de WES soumis par la demanderesse principale, celle-ci détient l’équivalent d’un « diplôme d’études secondaires » au Canada. La demanderesse principale ne satisfait pas aux exigences en matière d’études. Par conséquent, elle ne satisfait pas aux exigences et ne peut présenter une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des gardiens d’enfants à domicile.

Demande rejetée et lettre envoyée à la demanderesse principale.

[Non souligné dans l’original.]

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[10] La présente demande soulève les questions suivantes : (i) la décision de l’agent était‑elle raisonnable? et (ii) y a-t-il eu violation des droits de la demanderesse à l’équité procédurale?

[11] La première question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment au regard du raisonnement suivi et du résultat obtenu. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[12] En ce qui a trait à la deuxième question, les manquements à l’équité procédurale dans le contexte administratif sont considérés comme étant susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou assujettis à un « exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte. Elle doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker [voir Vavilov, précité, au para 77]. La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, précité, au para 54].

III. Analyse

A. La décision de l’agent était raisonnable

[13] La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’études du Programme. Elle affirme que la WES a évalué que ses études à l’Université de l’Est équivalaient à un diplôme d’études secondaires canadien et à deux ans d’études postsecondaires, ce qui est suffisant pour satisfaire à l’exigence suivante : un diplôme, un certificat ou une attestation obtenu à l’étranger et une attestation d’équivalence indiquant que le diplôme, le certificat ou l’attestation obtenu à l’étranger équivaut à un diplôme d’études postsecondaires obtenu au Canada à la suite d’au moins un an d’études. Selon elle, ses deux années d’études postsecondaires complètes (qui équivalent à un diplôme partiellement obtenu) sont suffisantes pour satisfaire aux exigences du Programme. Elle affirme donc que l’agent a écarté ou mal interprété les éléments de preuve dont il disposait.

[14] Je rejette cette affirmation et je souscris à l’argument du défendeur selon lequel l’affirmation de la demanderesse repose sur une mauvaise compréhension des exigences en matière d’études. Bien que le rapport d’EDE indique que la demanderesse avait terminé l’équivalent de deux années d’études postsecondaires, rien ne prouve qu’elle a obtenu un titre de compétence qui équivaudrait à un diplôme canadien (en particulier un diplôme, un certificat ou une attestation obtenu à l’étranger qui équivaut à un diplôme d’études postsecondaires obtenu au Canada à la suite d’au moins un an d’études). Il ne suffit pas d’étudier pendant quelques années sans obtenir de titre de compétence pour satisfaire aux exigences en matière d’études du Programme, comme l’indique clairement le document « Programme pilote des gardiens d’enfants en milieu familial et Programme pilote des aides familiaux à domicile : Évaluation d’une demande en fonction des critères de sélection » cité plus haut. La demanderesse doit avoir obtenu un titre de compétence, comme un diplôme ou un certificat. Comme rien ne prouve qu’elle détient un titre de compétence, l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas satisfait à la condition d’admissibilité relative aux études.

[15] La demanderesse affirme en outre que l’agent n’a peut-être pas correctement examiné le rapport d’EDE, car les notes du SMGC ne font aucune mention de ses deux années d’études postsecondaires, ce qui remet en question le caractère raisonnable de la décision. Je rejette également cette affirmation. L’agent est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve au moment de prendre sa décision et, en l’espèce, il a expressément fait référence au rapport d’EDE. De plus, dans ses notes, l’agent a mentionné les titres de compétence que la demanderesse détenait (plutôt que toutes les études qu’elle avait faites). Étant donné que la condition d’admissibilité relative aux études est axée sur les titres de compétence, cette mention dans les notes que l’agent a versées dans le SMGC était suffisante pour établir le caractère raisonnable de la décision.

B. Le droit à l’équité procédurale de la demanderesse n’a pas été enfreint

[16] La demanderesse affirme également que l’agent a enfreint ses droits à l’équité procédurale en ne la convoquant pas à une entrevue ou en ne lui envoyant pas de lettre d’équité procédurale pour lui donner l’occasion de répondre à ses préoccupations.

[17] La Cour a récemment confirmé les exigences d’équité procédurale dans le contexte des demandes de résidence permanente présentées au titre de la catégorie de l’expérience canadienne [CEC] et, à mon avis, ces exigences s’appliquent également aux demandes de résidence permanente présentées au titre de la catégorie des gardiens d’enfants en milieu familial. Il s’agit plus précisément des suivantes :

  1. il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisants pour justifier une décision favorable;

  2. le degré d’équité procédurale auquel un demandeur a droit dans le programme de la CEC se situe à l’extrémité inférieure du registre;

  3. le décideur n’est pas tenu d’informer le demandeur des lacunes relevées dans la demande ou les documents à l’appui;

  4. le décideur n’est pas tenu de donner à un demandeur l’occasion de dissiper ses préoccupations lorsque les documents à l’appui sont obscurs, incomplets ou insuffisants pour convaincre le décideur que le demandeur se conforme aux exigences légales régissant la demande;

  5. si un décideur a des préoccupations concernant la crédibilité des renseignements fournis à l’appui d’une demande, ou concernant l’exactitude ou l’authenticité de ces renseignements, l’équité procédurale exigera souvent que le demandeur ait l’occasion de répondre à ces préoccupations avant qu’une décision soit rendue.

[voir Potla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 646 aux para 28-29; Lazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 16 aux para 20-21]

[18] Comme l’agent n’a exprimé aucune préoccupation et n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité des renseignements présentés par la demanderesse, mais a plutôt conclu que les éléments de preuve soumis ne satisfaisaient pas aux exigences en matière d’études, il n’était pas tenu de donner à la demanderesse la possibilité de combler les lacunes dans sa preuve. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

IV. Conclusion et décision

[19] Comme la décision de l’agent était étayée par la preuve dont il disposait, je ne peux pas conclure qu’elle était déraisonnable. De plus, la demanderesse n’a pas démontré qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[20] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4140-22

LA COUR REND LE JUGMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4140-22

 

INTITULÉ :

AGNES GUMTANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Anna Davtyan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Pavel Filatov

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

PouR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.