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Date : 20230523


Dossier : T-290-22

Référence : 2023 CF 718

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

WARREN FICK

demandeur

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

6589856 CANADA INC. faisant affaire sous le nom de LOOMIS EXPRESS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Warren Fick (M. « Fick ») n’est pas représenté par un avocat en l’espèce. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision que le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») a rendue le 21 janvier 2022. Dans cette décision, le Tribunal a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de prouver qu’il avait été victime de discrimination et que, de toute façon, le Tribunal n’avait pas compétence pour instruire sa plainte.

[2] La défenderesse, 6589856 Canada inc. (la « société défenderesse »), est l’associée commanditée de la société en commandite TFI Transport 22 L.P., qui exerce ses activités sous le nom de Loomis Express (« Loomis »). Monsieur Fick fournissait auparavant des services de transport à Loomis, entité d’expédition transfrontalière de colis. Le 7 avril 2016, il a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») une plainte selon laquelle la société défenderesse avait fait preuve de discrimination fondée sur l’âge et la déficience à son égard, au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 (« LCDP »). Dans un rapport daté du 10 décembre 2019, une agente des droits de la personne (l’agente) a recommandé à la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal (le rapport fondé sur l’article 49). Dans une décision datée du 8 avril 2020, la Commission a donné suite à cette recommandation et demandé au Tribunal d’instruire la plainte de M. Fick, conformément à l’article 49 de la LCDP.

[3] Le 21 janvier 2022, le Tribunal a rejeté la plainte de M. Fick, parce qu’il avait conclu que le plaignant n’était pas un employé au sens de l’article 25 de la LCDP et que l’âge et la déficience n’étaient pas des facteurs dans la cessation de son emploi comme l’avait allégué M. Fick.

[4] Monsieur Fick soutient que la Commission n’a pas examiné comme il se doit les circonstances de sa cessation d’emploi et la nature de sa relation avec Loomis, ce qui rend la décision déraisonnable.

[5] Lors de l’audience, M. Fick a demandé que son épouse, Bonny Kruger (Mme Kruger), présente des observations en son nom. Étant donné les problèmes de santé importants de M. Fick, la Cour a accédé à sa demande. Madame Kruger a présenté des observations au nom de M. Fick pendant la plus grande partie de l’audience. Pendant le reste de l’audience, M. Fick a pu présenter lui-même des observations et fournir des réponses lorsque la Cour le lui demandait.

[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision du Tribunal est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits

[7] Étant donné que M. Fick n’était pas représenté par un avocat ou qu’il était représenté par Mme Kruger, la présente décision comprend un aperçu de l’historique des procédures et du contexte de l’affaire.

A. Contexte

[8] Monsieur Fick affirme avoir été embauché à titre de propriétaire-exploitant pour Loomis en 1997; il travaillait alors à la succursale située à Grande Prairie (Alberta). Il affirme avoir été embauché en 1998 comme chauffeur pour Loomis à Slave Lake (Alberta), où lui et sa famille se sont réinstallés. Il est devenu l’unique représentant de Loomis dans la région de Slave Lake. À compter de 2006 environ, M. Fick fournissait ses services à Loomis sous le nom « WB Enterprises » pour un tarif journalier tout compris de 500 $ et, avant cela, il avait été propriétaire-exploitant syndiqué pendant près de 12 ans.

[9] En janvier 2016, M. Fick a fait un infarctus qui l’a rendu incapable de fournir ses services. Loomis a informé M. Fick que son emploi l’attendrait à son retour.

[10] Le 22 mars 2016, Loomis a informé M. Fick que la tarification de ses services serait réduite à son retour. Le 29 mars 2016, M. Fick a répondu par une lettre très directe, dans laquelle il alléguait l’existence de problèmes touchant la relation et disait qu’il était contraint d’accepter les nouvelles modalités. Monsieur Fick a transmis cette lettre au directeur régional concerné, ainsi qu’à un vice-président et au président de Loomis.

[11] Le 6 avril 2016, Loomis a informé M. Fick que le contrat de WB Enterprises était résilié.

B. Décision arbitrale

[12] Le 14 avril 2016, M. Fick a déposé, en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 (le Code), une plainte de congédiement injuste contre la société défenderesse.

[13] Dans une décision datée du 19 janvier 2018 (la décision arbitrale), une arbitre a conclu qu’elle n’avait pas compétence en vertu du Code pour instruire la plainte de M. Fick, puisque ce dernier n’était pas un employé de la société défenderesse. L’arbitre a indiqué que, si M. Fick avait été un employé, il aurait fallu que la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective soit appliquée à sa plainte.

[14] Le 30 mai 2019, notre Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision arbitrale, qu’avait présentée M. Fick. La société défenderesse a interjeté appel de cette décision et, le 13 janvier 2021, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel et rétabli la décision arbitrale.

C. Décision de la Commission

[15] Le 7 avril 2016, M. Fick a déposé auprès de la Commission une plainte contre la société défenderesse. Dans sa plainte, il alléguait que Loomis avait fait preuve à son égard de discrimination en matière d’emploi, en lien avec des lignes de conduite et la disparité salariale. Selon le résumé de la plainte fait par la Commission, la discrimination alléguée s’est produite à compter de la date où M. Fick a fait un infarctus, soit en janvier 2016, et s’est poursuivie jusqu’à la date de la cessation de son emploi en avril 2016.

[16] Dans le rapport fondé sur l’article 49 daté du 10 décembre 2019, l’agente a conclu que la question en litige était celle de savoir si la cessation d’emploi était le résultat de la résiliation d’un contrat entre deux entreprises (Loomis et WB Enterprises) ou si elle marquait la fin d’une relation d’emploi entre un employeur et un employé. L’agente a souligné que, à la date de la rédaction du rapport fondé sur l’article 49, plus de trois ans s’étaient écoulés depuis la plainte initiale du demandeur. Selon M. Fick, cet état de fait a eu d’importantes répercussions négatives sur son bien-être physique et mental.

[17] L’agente a finalement conclu que M. Fick avait subi un traitement défavorable lié à sa déficience et qu’il restait à déterminer s’il existait une relation d’emploi visée par la LCDP. Dans son rapport fondé sur l’article 49, l’agente recommandait que le Tribunal instruise la plainte de M. Fick.

[18] Dans une décision datée du 8 avril 2020 et communiquée aux parties par courriel le 1er mai 2020, la Commission a donné suite à la recommandation de l’agente et a demandé au Tribunal d’instruire la plainte déposée par M. Fick.

D. Décision faisant l’objet du contrôle : la décision du Tribunal

[19] Dans une décision datée du 21 janvier 2022, le Tribunal a rejeté la plainte de M. Fick. Il a conclu que M. Fick n’avait pas présenté une preuve suffisante de discrimination à son égard, fondée sur la déficience ou sur l’âge, lorsque Loomis a mis fin à sa relation avec lui. Le Tribunal a également conclu que M. Fick n’était pas un employé de Loomis au sens de la LCDP.

1) Discrimination

[20] Selon le Tribunal, il incombe au plaignant qui allègue l’existence d’un acte visé par l’article 7 de la LCDP d’établir qu’il y a eu discrimination prima facie. Pour établir l’existence d’une discrimination prima facie, le plaignant doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable : 1) qu’il possédait une caractéristique que la LCDP protège contre la discrimination; 2) qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi; 3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de cet effet préjudiciable (Moore c Colombie-Britannique (Éducation) 2012 CSC 61 (« Moore ») au para 33).

[21] S’agissant du premier volet, le Tribunal a estimé qu’il ne faisait aucun doute que l’infarctus de M. Fick en 2016 et la période de rétablissement subséquente constituaient une déficience au sens du paragraphe 3(1) de la LCDP. Le Tribunal n’a pas retenu le motif de discrimination fondée sur l’âge, en l’absence d’information sur la façon dont l’âge de M. Fick était un facteur de sa cessation d’emploi.

[22] Quant au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt Moore, le Tribunal a estimé que la décision de la société défenderesse de mettre fin à sa relation d’affaires avec M. Fick avait eu un effet préjudiciable sur ce dernier parce qu’il n’avait pas pu trouver d’emploi pendant les quatre mois après la cessation d’emploi, qu’il a obtenu plus tard un emploi dont le revenu était inférieur de 20 000 $ à son revenu annuel chez Loomis et que, selon le témoignage de sa conjointe, il avait vécu des souffrances physiques et mentales à la suite de la cessation d’emploi.

[23] Concernant la dernière question visant à déterminer si l’infarctus de M. Fick avait été un facteur dans la décision de la société défenderesse de mettre fin à sa relation avec lui/WB Enterprises, le Tribunal a finalement jugé que la preuve présentée par M. Fick ne permettait pas d’établir l’existence d’un tel lien. Selon le Tribunal, l’allégation de M. Fick selon laquelle deux autres personnes s’étaient vu offrir l’itinéraire à Slave Lake dans l’éventualité où il n’était pas en mesure de reprendre ses fonctions n’était pas fondée. Le Tribunal a également estimé que tous les autres éléments de preuve corroboraient le témoignage de Matt Davis, directeur régional de Loomis pour le nord de l’Alberta (« M. Davis »), selon lequel il avait pris des dispositions pour que des chauffeurs prennent en charge temporairement l’itinéraire de M. Fick jusqu’au retour de ce dernier une fois qu’il serait rétabli. Le Tribunal a conclu que la preuve présentée par la société défenderesse démontrait que la baisse de tarif subie par M. Fick était le résultat d’une initiative de compression des coûts à l’échelle de l’entreprise.

[24] Le Tribunal a indiqué ne pas avoir été en mesure de « détecte[r] de subtiles odeurs de discrimination » dans la décision de la société défenderesse de mettre fin à sa relation avec M. Fick.

2) Relation d’emploi

[25] Le Tribunal s’est penché sur la question de savoir si la relation entre Loomis et M. Fick correspondait à la définition du terme « emploi » prévue à l’article 25 de la LCDP, qui indique que ce terme englobe « le contrat conclu avec un particulier pour la fourniture de services par celui-ci ». La question fondamentale était celle de savoir s’il existait un « contrôle exercé par un employeur à l’égard des conditions de travail et de la rémunération, et [une] dépendance correspondante du travailleur » (McCormick c Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L./s.r.l., 2014 CSC 39 au para 23). L’analyse de cette question doit tenir compte de multiples facteurs, soit l’existence d’une situation d’autorité, le versement d’une rémunération et le fait que le présumé employeur tire avantage du travail exécuté (Canada (Procureur général) c Lapierre, 2004 CF 612 (« Lapierre ») au para 41).

[26] Après un examen des critères et facteurs pertinents, le Tribunal a estimé que M. Fick n’était pas un employé au sens de la LCDP. Monsieur Fick prétend que la relation était régie par un contrat écrit qu’il avait conclu avec Loomis lorsqu’il a accepté de reprendre ses fonctions pour Loomis en 2006; pourtant, aucune copie du contrat n’a été présentée en preuve.

[27] Le Tribunal a conclu que, même en l’absence d’un contrat écrit, la preuve déposée avait démontré de manière suffisante que M. Fick n’était pas un employé. Monsieur Fick a notamment déclaré que, de 2006 à 2016, il n’avait jamais versé des retenues à la source, dont l’impôt sur le revenu. Au cours de cette période, il n’a reçu aucun talon de paie ni obtenu des avantages sociaux, et n’a jamais questionné la société défenderesse à cet égard. Dans ses déclarations, M. Fick déduisait de son revenu les dépenses relatives aux paiements pour le camion de livraison, aux réparations et aux assurances, à l’essence, aux frais comptables et aux frais de bureau à domicile. En outre, M. Fick n’était pas tenu de fournir ses services exclusivement à Loomis; il pouvait effectuer des livraisons pour d’autres clients.

[28] Le Tribunal a reconnu que, dans certaines circonstances, il lui était loisible de conclure qu’un contrat visant la prestation de services pouvait être visé par la définition du terme « emploi » prévue par la LCDP, citant la décision de notre Cour dans l’affaire Lapierre. Toutefois, le Tribunal a estimé qu’il y avait lieu d’établir une distinction entre la situation de M. Fick et l’affaire Lapierre, puisque la défenderesse dans cette affaire était une scientifique possédant des compétences particulières qui menait des expériences pour l’Agence spatiale canadienne tout en étant le sujet de ces expériences, alors que, dans la présente affaire, toute personne aurait pu fournir des services de livraison de marchandises pour Loomis et le contractant n’était pas tenu de fournir personnellement ces services.

[29] Quant au degré de contrôle exercé par le présumé employeur, le Tribunal a conclu que Loomis exerçait un contrôle limité sur l’horaire de travail de M. Fick, les méthodes de livraison et les outils utilisés pour fournir les services. L’assujettissement de M. Fick à un processus disciplinaire était également limité. Le Tribunal a souligné que, pendant dix ans, M. Fick et la société défenderesse avaient considéré leur relation d’affaires comme une relation entre une entreprise et un entrepreneur indépendant ou un agent prestataire de services. Il a estimé que M. Fick a seulement commencé à se qualifier d’employé lorsqu’il a pris conscience que ses plaintes déposées sous le régime du Code et de la LCDP ne donnaient ouverture à aucune réparation s’il n’était pas un employé.

[30] Compte tenu de la preuve à sa disposition, le Tribunal a conclu que M. Fick n’était pas un employé au sens de l’article 25 de la LCDP.

III. Question en litige et norme de contrôle

[31] La présente demande de contrôle judiciaire soulève la seule question de savoir si la décision du Tribunal était raisonnable. De vagues allégations d’un manquement à l’équité procédurale, que j’estime sans fondement, ressortent des documents déposés par M. Fick; par conséquent, je ne me prononce pas à ce sujet.

[32] La société défenderesse soutient que la décision rendue par le Tribunal est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16-17, 23-25). Je suis d’accord.

[33] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit examiner si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, y compris eu égard au raisonnement sous-jacent et à son résultat (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[34] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » ( Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[35] Monsieur Fick a déposé de longues observations écrites à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Je suis confiant qu’il estime avoir eu en l’espèce l’occasion d’exposer son point de vue, tant dans ses observations écrites qu’à l’audience, et je suis d’avis que l’essentiel de ses observations sont assimilables à des allégations portant que le Tribunal n’a pas adéquatement tenu compte de la nature véritable des circonstances entourant son congédiement et de la nature de sa relation d’affaires avec Loomis, ce qui, selon M. Fick, rendait la décision déraisonnable dans son ensemble.

[36] La société défenderesse soutient que la décision du Tribunal est raisonnable. Elle affirme que, compte tenu du cadre législatif de la LCDP, le Tribunal a rendu une décision raisonnable, car il a véritablement examiné la totalité des facteurs et des éléments de preuve pertinents pour en arriver à conclure que M. Fick n’était pas un employé au sens de l’article 25 et qu’il n’avait pas fourni une preuve suffisante pour démontrer l’existence d’une discrimination sur le fondement allégué. La société défenderesse estime que la décision du Tribunal témoigne d’une analyse approfondie des critères applicables à l’examen de la discrimination prima facie et à la question de savoir si un plaignant est un employé au sens de la LCDP.

[37] Je suis d’accord avec la société défenderesse. À mon avis, l’évaluation des deux questions centrales réalisée par le Tribunal révèle une analyse justifiée, transparente et intelligible des facteurs clés et de l’ensemble du dossier de preuve (Vavilov, au para 99).

[38] S’agissant de la première question en litige, soit celle de savoir si M. Fick avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une discrimination prima facie fondée sur la déficience, le Tribunal a conclu de manière raisonnable que, bien que les deux premiers volets du critère énoncé dans l’arrêt Moore aient été établis, M. Fick n’avait pas fourni une preuve suffisante pour montrer que la décision de la société défenderesse de mettre fin à la relation était liée à la déficience. Les motifs du Tribunal révèlent un « mode d’analyse » clair, au vu de la preuve concernant les circonstances de la cessation d’emploi, qui l’a amené à conclure que M. Fick n’avait pas fourni une preuve suffisante pour établir l’existence d’une discrimination prima facie (Vavilov, au para 102). Cette conclusion était fondée sur une évaluation méthodique de la preuve des parties qui a mené le Tribunal à être raisonnablement d’avis que Loomis avait fourni des explications raisonnables appuyées par une preuve crédible justifiant sa décision de mettre fin à la relation avec M. Fick, mais qu’il ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que cette décision avait été prise en lien avec la déficience de M. Fick. Il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 125).

[39] Les mêmes remarques s’appliquent en ce qui concerne la façon dont le Tribunal a évalué la deuxième question centrale, soit celle de savoir si M. Fick était un employé de Loomis au sens de l’article 25 de la LCDP. J’estime que son évaluation rigoureuse de cette question était bien adaptée aux longues observations contradictoires des parties ainsi qu’à la preuve qu’elles avaient présentée sur la nature de leur relation. Le raisonnement du Tribunal révèle qu’il a tenu compte de tous les facteurs clés pour en arriver à la conclusion que M. Fick n’était pas un employé au sens de la LCDP, notamment eu égard à la façon dont il fournissait des services, au degré de contrôle exercé par Loomis, ainsi qu’aux dépenses que M. Fick avait engagées tout au long de cette relation. L’évaluation de cette question par le Tribunal démontre qu’il s’est attaqué de façon significative aux questions clés, aux arguments principaux et à la preuve versée au dossier. Monsieur Fick n’a pas démontré que le Tribunal avait commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il en est arrivé à cette conclusion (Vavilov, au para 128).

[40] Je prends acte du témoignage que M. Fick a rendu devant la Commission, selon lequel le traitement tardif de ses allégations sur le fond lui avait occasionné des difficultés financières importantes et avait eu des répercussions négatives sur son état de santé. Dans ses observations verbales passionnées et empreintes d’émotions, Mme Kruger a clairement expliqué à la Cour qu’elle et son époux avaient souffert tout au long de cette épreuve. En tirant la conclusion que la décision du Tribunal est raisonnable, la Cour ne mésestime pas le fait que M. Fick a engagé des procédures longues et complexes depuis le dépôt de ses plaintes contre la société défenderesse en 2016, il y a près de sept ans, ni le fait qu’il n’a jamais été représenté par un avocat. Je suis confiant que M. Fick et Mme Kruger estiment que la Cour leur a donné l’occasion d’exposer leur point de vue en l’espèce.

[41] Cela dit, notre Cour est tenue d’examiner la décision du Tribunal dans le contexte de la preuve soumise à ce dernier. Selon mon examen de la question de savoir si la décision du Tribunal possède les caractéristiques d’une décision raisonnable et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques, je conclus qu’elle est raisonnable (Vavilov, au para 99).

V. Dépens

[42] Bien que la société défenderesse réclame des dépens en l’espèce, elle n’a présenté aucune observation de fond à cet égard. J’estime qu’il n’est pas justifié de condamner M. Fick aux dépens en l’espèce.

VI. Conclusion

[43] La décision du Tribunal présente toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable et est dûment justifiée compte tenu de la preuve. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-290-22

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T-290-22

 

INTITULÉ :

WARREN FICK c COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET 6589856 CANADA INC. faisant affaire sous le nom de LOOMIS EXPRESS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 15 et 16 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 23 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Bonny Kruger

 

Pour le demandeur

 

Sonia Beauchamp

 

Pour la Commission

 

Patrick-James Blaine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sonia Beauchamp

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

 

Pour la Commission

 

Patrick-James Blaine

Avocat

Saint‑Laurent (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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