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Date : 20230417

Dossier : IMM-6022-22

Référence : 2023 CF 555

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 avril 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

VEERPAL SINGH KHOSA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite l’annulation d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 26 mai 2022, par laquelle la SAR a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] La SAR a jugé que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans son pays d’origine, soit l’Inde, à Bengaluru et à Indore.

[3] Dans la présente instance, le demandeur fait valoir que la SAR avait commis une erreur en ne constatant pas qu’il avait été privé de son droit à l’équité procédurale lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et en concluant qu’il disposait d’une PRI à Bengaluru.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande doit être rejetée.

I. Les faits et les incidents à l’origine de la présente demande

[5] Le demandeur est un citoyen de l’Inde et il vivait dans le village de Kot Karor Kalan au Pendjab. Sa demande d’asile au titre de la LIPR reposait sur les allégations suivantes :

[6] Le demandeur s’est converti du sikhisme à l’hindouisme vers septembre 2012. Il affirme s’être fait agresser à la fin de l’année 2013 lors de deux incidents distincts, survenus à deux mois d’intervalle. Le père du demandeur, qui était policier, ne lui a permis de déclarer que le premier incident à la police. Le demandeur a ensuite déménagé à Kolkata pour vivre avec des membres de sa famille élargie. Il soupçonne les agresseurs de l’avoir suivi à Kolkata.

[7] En 2014, les cousins et voisins sikhs du demandeur ont commencé à dire aux gens (en particulier aux hindous) qu’il mangeait du bœuf, alors qu’il était en fait végétarien. Le demandeur allègue que deux bagarres et des incidents violents ont eu lieu avec des membres de la communauté hindoue.

[8] En octobre 2017, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur. Il a obtenu un permis de travail. Il avait l’intention de déposer une demande de résidence permanente au Canada, mais il a perdu son emploi, ce qu’il a attribué à l’amitié entre le propriétaire de l’entreprise qui l’employait et son cousin. Le demandeur allègue qu’il avait l’impression que sa seule option pour rester au Canada était de présenter une demande d’asile.

[9] Le 23 décembre 2021, la SPR a instruit la demande d’asile du demandeur. Le demandeur n’était pas représenté par un conseil ou un consultant lors de l’audience. Il a témoigné en réponse aux questions de la SPR.

[10] Le 10 janvier 2022, la SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96, ni une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR et a donc rejeté sa demande d’asile. La SPR a jugé que le demandeur disposait d’une PRI à Bengaluru et à Indore.

[11] Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR. Il a fait valoir que la SPR l’avait privé de son droit à l’équité procédurale en n’expliquant pas complètement ce qu’il avait à démontrer quant à la question de l’existence une PRI en Inde. Le demandeur a également fait valoir que la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il disposait d’une PRI à Bengaluru et à Indore dans les circonstances.

[12] Le 26 mai 2022, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté la demande d’asile du demandeur.

II. Analyse

[13] La présente affaire soulève deux questions en litige, que j’analyserai successivement. La première concerne l’argument du demandeur selon lequel la SAR a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a appliqué les principes relatifs à la PRI à sa situation. La deuxième question en litige se rapporte à l’équité procédurale lors de l’audience de la SPR.

A. La possibilité de refuge intérieur

a) Les principes juridiques applicables

[14] La première question en litige concerne les conclusions de la SAR basées sur la preuve relativement à l’existence d’une PRI. La Cour doit examiner ces conclusions selon la norme de la décision raisonnable : Barreiro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 404 au para 15; Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 au para 32; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 17.

[15] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste en une analyse empreinte de déférence et rigoureuse de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 563, au para 12-13 et 15. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont était saisi le décideur, sont le point de départ du contrôle. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, notamment aux para 85, 91 à 97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900, au para 2, 28 à 33 et 61.

[16] La Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets relatif à la PRI dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), aux para. 8-10. Selon ce critère, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que 1) le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le lieu envisagé comme PRI, et 2) il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont lui sont propres. Il incombe au demandeur de démontrer que le lieu proposé comme PRI est déraisonnable. Voir également Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), 1993 CanLII 3011, [1994] 1 CF 589 p. 595-599.

[17] La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 15 de l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA), a jugé que le deuxième critère exigeait une preuve « réelle et concrète » de « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr ». Elle a relevé que ces circonstances sont « bien différent[es] » des épreuves indues que sont la perte d’un emploi, la diminution de la qualité de vie, l’absence d’un parent ou d’une personne chère dans la PRI et autres situations de cette nature.

[18] Le concept de la PRI est inhérent à la définition de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur d’asile doit être un réfugié d’un pays, et non d’une partie ou d’une région particulière de ce pays : Ranganathan, au para 16; Thirunavukkarasu, p. 599; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 64 au para 15 (citant Henao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 84 au para 11); Iyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 67 au para 35.

b) La SAR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse de la PRI?

[19] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en évaluant de manière inappropriée les éléments de preuves relatifs à la PRI. Il a soutenu que ses cousins et les membres de sa famille avaient pu le retrouver au Canada et qu’il était possible qu’il soit également retrouvé à Bengaluru, qui compte une importante population sikhe. Il a fait valoir que la SAR n’avait pas pris en compte le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Il a affirmé que la SPR et la SAR s’étaient concentrées sur le premier volet et qu’elles [traduction] « n’avaient pas du tout traité du deuxième volet » du critère relatif à la PRI.

[20] Avec égards, le demandeur fait erreur. La SAR a expressément abordé le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Elle a déclaré que la « norme est élevée et nécessite qu’il y ait des éléments de preuve démontrant l’existence de conditions qui mettraient en péril » la vie et la sécurité du demandeur s’il se rendait et demeurait dans l’une des deux villes identifiées, citant Ranganathan et Mustapha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 622 au para 17. La SAR a conclu, en fonction de sa propre analyse du dossier, que le demandeur n’avait pas présenté une telle preuve.

[21] De même, la SPR a abordé le deuxième volet du critère relatif à la PRI. La SPR énonce expressément les mêmes conditions relatives à la mise en péril de la vie et de la sécurité du demandeur lors de sa relocalisation dans un lieu sûr, ainsi que l’exigence d’une preuve réelle et concrète de conditions défavorables. À la fin de son analyse, elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait raisonnablement vivre dans l’une ou l’autre des villes proposées comme PRI. Dans son analyse, la SPR a pris en compte les caractéristiques du demandeur et la situation qui prévaut dans les deux villes.

[22] Les observations du demandeur ne révèlent pas d’erreur susceptible de contrôle commise par la SAR. La Cour n’est pas autorisée à pondérer de nouveau la preuve qui figure au dossier ou la réévaluer en l’absence de circonstances exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas en l’espèce : Vavilov, aux para 125 et 126.

B. La décision de la SAR doit-elle être annulée pour des questions d’iniquité procédurale?

[23] La deuxième question dans cette affaire concerne l’équité procédurale.

[24] Bien que la décision de la SAR fasse l’objet d’un examen dans le cadre de la présente instance, le demandeur n’a pas fait valoir que la SAR n’avait pas respecté l’équité procédurale. Il a soutenu que la SAR avait commis une erreur en concluant que l’audience de la SPR avait été équitable sur le plan procédural.

[25] Le demandeur n’était pas représenté ou conseillé par un professionnel devant la SPR. Son argument relatif à l’iniquité reposait sur le fait que la SPR n’avait pas expliqué de manière adéquate le critère juridique permettant d’établir une PRI, ce qui, selon le demandeur, a eu une incidence défavorable sur sa capacité à participer pleinement et de manière significative à l’audience. Il affirme qu’il ne connaissait pas les critères juridiques auxquels il devait satisfaire.

[26] Bien qu’il existe des liens entre l’équité procédurale et le contrôle du fond d’une décision (Vavilov, aux para 76-77, et 127), cet argument ne concerne pas l’examen du fond des décisions de la SAR ou de la SPR.

a) La norme de contrôle que la Cour doit appliquer

[27] Les deux parties ont fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Toutefois, les observations du demandeur portaient essentiellement sur l’iniquité devant la SPR et le caractère erroné de la décision SAR. Le demandeur s’est essentiellement appuyé sur la décision Turton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1244, [2013] 3 RCF 279. Bien que le demandeur n’ait pas mentionné la norme de contrôle appliquée dans la décision Turton, la Cour y avait appliqué la norme de la décision correcte dans son examen de la question de l’équité procédurale devant la SPR : voir paragraphes 25 et 26 de cette décision.

[28] Le défendeur a plaidé l’affaire en fonction de la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Vavilov, invoquant à cet égard la décision Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 214 au para 13 et 16 à 26.

[29] Lorsqu’une question d’équité procédurale se pose dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit établir si la procédure utilisée par le décideur était équitable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la nature des droits fondamentaux en jeu et les conséquences pour la ou les personnes concernées. Il est vrai que techniquement, aucune norme de contrôle ne s’applique. Toutefois, l’examen devant être effectué par la Cour s’apparente à celui qu’elle effectue lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte : Hussey c Bell Mobility Inc, 2022 CAF 95 au para 24; Gordillo c Canada (Procureur général), 2022 CAF 23 au para 63; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, [2021] 1 RCF 271 (ACAR), au para 35; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, au para 54-55.

[30] En d’autres termes, la Cour doit être convaincue que l’obligation d’équité procédurale a été respectée : Rebello c Canada (Justice), 2023 CAF 67par. 10; Koch c Borgatti (Succession), 2022 CAF 201 au para 40 (citant Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14).

[31] En l’espèce, on retrouve un décideur intermédiaire (la SAR) dont la décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire, alors que l’argument relatif au problème d’équité procédurale vise le décideur initial (la SPR). Les décisions récentes de la Cour en matière de contrôle judiciaire ont reconnu les difficultés liées à la détermination de l’approche que la Cour doit appliquer lors du contrôle : voir Al Hommos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1294 aux para 12-13; Omisore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 444 aux para 3, 12-13; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 aux para 8 à 10 et 42; Larrab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 135 aux para 8 et 25; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 aux para 8 à 10 et 42; Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1148 aux para 12 à 18.

[32] À mon avis, l’approche appropriée en l’espèce est celle adoptée par la Cour d’appel du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Paramo de Gutierrez, 2016 CAF 211, [2017] 2 RCF 353. Je m’explique.

[33] Dans l’affaire Paramo de Gutierrez, la Cour d’appel a conclu que le fait pour un agent de procéder à l’examen d’une demande d’asile sans la présence du conseiller juridique du demandeur d’asile enfreint la LIPR et l’équité procédurale : Paramo de Gutierrez, au para 56 (question 2). Un agent (conseiller aux audiences) avait interrogé les deux demandeurs, sachant qu’ils étaient représentés par un conseiller juridique, mais sans informer ce dernier de l’entretien ni demander aux personnes interrogées si elles souhaitaient la présence de leur conseiller. L’agent a fourni des éléments concernant l’entretien à la SPR, laquelle a accepté de les admettre en preuve.

[34] En appel, la SAR a conclu que la SPR aurait dû exclure la preuve parce que l’agent avait enfreint les principes de justice naturelle et d’équité (le droit à l’assistance d’un conseil prévu au paragraphe 167(1) de la LIPR). La SAR a jugé qu’elle ne pouvait pas utiliser la preuve en question sans perpétuer le manquement à l’équité procédurale : Paramo de Gutierrez, aux paras 15-16.

[35] Lors du contrôle judiciaire devant notre Cour, le juge Zinn a appliqué la norme de la décision correcte à la décision de la SAR d’exclure la preuve, car cette décision était fondée sur les principes d’équité et de justice naturelle : Paramo de Gutierrez, au para 20; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gutierrez, 2015 CF 1198, [2016] 2 RCF394 au para 21. La Cour fédérale a jugé que l’agent avait enfreint le droit des personnes interrogées à leur conseiller et que la SPR l’avait également enfreint en n’excluant pas la preuve recueillie lors de l’entrevue : Paramo de Gutierrez, au para 23; Gutierrez, au para 45.

[36] En appel, la Cour d’appel fédérale a conclu que sa tâche consistait à répondre à la question de savoir si l’obligation d’équité procédurale avait été enfreinte en fonction des faits et des circonstances de l’affaire, en notant que la teneur de l’obligation d’équité procédurale dépend des faits de l’espèce : Paramo de Gutierrez, au para 41-42, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au para 21. La Cour d’appel fédérale a reconnu que la décision de la SAR d’exclure des éléments de preuve était une fondée sur l’application des principes d’équité et de justice naturelle et qu’elle devait être examinée en fonction de la norme de la décision correcte : Paramo de Gutierrez, au para 44. La Cour d’appel devait juger si la Cour fédérale avait correctement appliqué la norme de la décision correcte : Paramo de Gutierrez, au para 45. La Cour d’appel fédérale a souscrit à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les personnes interrogées avaient un droit prévu par la loi à l’assistance d’un conseil et que le fait que l’agent n’ait pas respecté ce droit constituait un manquement à l’équité procédurale : Paramo de Gutierrez, au para 52 et 56.

[37] Ainsi, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Paramo de Gutierrez, a confirmé que la Cour doit appliquer le critère de la norme de la décision « correcte » lors de l’examen d’une décision de la SAR en appel d’une décision de la SPR concernant l’équité procédurale. La Cour d’appel a également analysé si la décision de la Cour était correcte et si la décision initiale de la SPR était conforme à l’équité procédurale.

[38] Il semble que le critère dégagé dans l’arrêt Paramo de Gutierrez n’ait été appliqué par la Cour que dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Barrios, 2020 CF 29 au para 9, une affaire qui ne concernait pas une décision de la SAR.

[39] L’approche adoptée dans Paramo de Gutierrez est conforme à la norme de contrôle appliquée par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au para 79, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au para 43. Dans l’arrêt Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29 aux para 27-28 et 129, la Cour suprême n’a pas mis en doute l’application de cette norme aux dossiers de contrôle judiciaire.

[40] Je n’ai pas connaissance de décisions rendues en appel depuis l’arrêt Paramo de Gutierrez qui auraient pour effet de modifier cette approche. L’arrêt Vavilov n’a pas abordé ni modifié la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et la Cour suprême du Canada y a restreint son analyse aux normes de contrôle judiciaire liées au fond d’une décision administrative : Vavilov, au para 23, 77, 143; Girouard c Canada (Procureur général), 2020 CAF 129, [2020] 4 RCF 557, au para 38.

[41] La Cour d’appel fédérale a également confirmé, y compris depuis l’arrêt Vavilov, que la responsabilité de la cour de révision est de s’assurer que la procédure a été équitable : voir par exemple l’arrêt ACAR, au para 35. La Cour d’appel l’a fait dans ses propres analyses sur l’application de l’équité procédurale par un décideur, y compris dans des décisions en appel d’une décision de la Cour dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire : voir Koch; Hussey, aux para 96-97 ACAR, aux para 92-101; Chemin de fer Canadien Pacifique, aux para 84-89 et 90-91, et Paramo de Gutierrez, aux para 52 et 56.

[42] En gardant à l’esprit ces directives de la Cour d’appel, j’examinerai maintenant les questions d’équité procédurale en l’espèce.

b) La décision de la SAR doit-elle être annulée pour des questions d’iniquité procédurale?

[43] Dans le cadre du principe audi alteram partem, la question ultime en matière d’équité procédurale est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu une possibilité réelle d’être entendu, c’est-à-dire une possibilité « complète et équitable » de répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique, aux para 41 et 56; Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 320 au para 50; Air Canada c Robinson, 2021 CAF 204 aux para 54 et 66, et Baker, au para 22.

[44] Le demandeur a concentré ses observations sur les prétendus problèmes d’équité procédurale lors de l’audience devant la SPR, faisant valoir que la décision de la SAR n’avait pas correctement abordé ces questions. Comme indiqué, le demandeur, qui n’était pas représenté par conseil au moment de l’audience devant la SPR, a allégué un manque d’explication de la part de la SPR à propos de la PRI.

[45] Lors de cette audience, le commissaire de la SPR a avisé le demandeur que l’audience porterait sur trois questions : la crédibilité, l’existence ou non d’une protection de l’État pour le demandeur en Inde et l’existence d’une PRI. En ce qui concerne la PRI, la SPR a énoncé ce qui suit :

[traduction]

[...] La troisième question se rapporte à ce que nous appelons la possibilité de refuge intérieur, c’est-à-dire la question de savoir s’il existe un endroit sûr où vous pouvez vivre dans votre pays et s’il serait raisonnable et pratique pour vous d’y vivre? Ainsi, dans votre cas, je vous propose deux endroits potentiels : Bengaluru et Indore.

[46] Lors de son appel devant la SAR et maintenant devant notre Cour, le demandeur a soutenu que la SPR ne lui avait pas expliqué de manière adéquate les principes [traduction] « hautement techniques » de la PRI, et qu’en conséquence, il n’avait pas pu participer pleinement et de manière significative à l’audition de sa demande d’asile. Le demandeur s’est appuyé sur la décision Turton, dans laquelle le juge Russell a déclaré ce qui suit au paragraphe 36 :

[…] Lorsqu’un demandeur d’asile n’est pas représenté à une audience, l’obligation de la SPR d’indiquer les questions qui sont en jeu et d’expliquer ce qu’il doit prouver est renforcée. Comme la SPR n’a pas satisfait à cette obligation, le droit des demanderesses à l’équité procédurale a été violé.

[47] Lors de l’audience devant la SAR, le demandeur s’est appuyé sur le critère à deux volets relatif à la PRI énoncé dans l’arrêt Rasaratnam et a fait valoir que la SPR n’a donné aucune explication au sujet de ces deux volets. Plus précisément, il a fait valoir qu’en ce qui concerne le deuxième volet, la SPR n’a pas expliqué pourquoi elle lui avait posé des questions au sujet d’un possible relocalisation à Bengaluru.

[48] Dans ses observations écrites à la Cour, le demandeur a soutenu que la SPR aurait dû lui expliquer en détail ce que signifie une PRI en droit. Le demandeur a énoncé dix propositions relatives à la preuve d’une PRI, en citant l’arrêt Ranganathan de la Cour d’appel fédérale. Il a fait valoir que la SAR n’avait pas tenu compte du fait que, si la SPR lui avait correctement expliqué ce qu’il devait faire pour convaincre le commissaire de l’existence d’une PRI, et « si l’analyse appropriée relative à la PRI avait été effectuée », il aurait alors [traduction] « fourni ses réponses en conséquence ».

[49] Lors de l’audience devant la Cour, le demandeur a fait valoir que la SPR, dans son énoncé initial au sujet de la PRI, ne lui avait pas expliqué a) qu’il devait démontrer que sa vie ou sa sécurité y serait en danger, b) qu’il avait le fardeau de la preuve sur la question de la PRI, ou c) les conséquences de ne pas répondre au critère relatif à la PRI. Le demandeur a convenu lors de l’audience que l’examen à savoir si l’approche adoptée par la SPR respectait l’équité procédurale ne se limitait pas uniquement à la description faite par cette dernière de ce qu’est une PRI dans sa déclaration initiale au demandeur, mais qu’il pouvait également prendre en compte les questions que la SPR avait posées au demandeur à l’audience.

[50] Le défendeur a fait valoir qu’il était raisonnable de la part de la SAR de conclure, après un examen complet des éléments de preuve, que le demandeur était en mesure de comprendre la nature de l’instance, de participer utilement à l’audience et de présenter l’ensemble de son dossier. Le défendeur a fait remarquer que la SPR avait effectivement expliqué ce qu’était une PRI, notamment quant à la question de savoir s’il un endroit sûr pour lui en Inde et s’il était raisonnable qu’il y vive. Le défendeur a maintenu que, bien que le langage utilisé par la SPR [traduction] « n’était pas strictement conforme à la formulation du critère juridique utilisé pour déterminer l’existence d’une PRI, il était approprié pour s’assurer qu’un profane soit en mesure de comprendre la nature de l’instance ».

[51] Le défendeur n’a pas soutenu que la SPR n’avait pas l’obligation d’informer le demandeur du critère juridique qu’elle se proposait d’appliquer à une PRI. Toutefois, aucune des parties n’a présenté d’observations traitant expressément de la portée ou du contenu des obligations de la SPR en matière d’équité procédurale en fonction des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Dans cet arrêt, la Cour suprême a énoncé une liste non exhaustive de cinq facteurs à prendre en considération pour déterminer la teneur de l’obligation d’équité procédurale à laquelle le décideur est assujetti dans une situation donnée : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision, et 5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même : Baker, aux para 22 à 28.

[52] Le demandeur a employé le terme [traduction] « inquisitoire » pour décrire le processus d’audition de sa demande d’asile devant la SPR. Cette description se rapporte au premier facteur de l’arrêt Baker, et le défendeur ne s’y est pas opposé. Aucune autre preuve concernant le processus de la SPR n’a été déposée. En ce qui concerne le deuxième facteur de l’arrêt Baker, il existe un régime législatif d’appel complet devant la SAR : voir art 110(1) de la LIPR. L’importance de la décision pour le demandeur est évidente. Le demandeur n’a pas fait mention d’attentes légitimes et aucune des parties n’a renvoyé à des choix procéduraux, à des directives administratives ou à des décisions antérieures de la SPR ou de la SAR ayant une incidence sur l’obligation de la SPR d’expliquer les principes juridiques de la PRI au demandeur.

[53] Dans certains contextes administratifs, l’équité procédurale peut contraindre un décideur à divulguer des renseignements, comme des faits ou des éléments de preuve, à une partie concernée, afin de garantir la pleine participation de cette dernière au processus d’audience : voir par exemple Québec (Procureur général) c Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 RCS 159, p. 181-182; Kane c Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 RCS 1105, p. 1116-1117. Dans certains contextes, cette divulgation peut également inclure la norme juridique au regard de laquelle la conduite de la partie sera analysée, afin de s’assurer que la partie a la possibilité de répondre de façon significative : voir Khela, par. 93-98; May c Ferndale Institution, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809, aux para 7, 77, 88, 92 et 117 à 120.

[54] L’étendue de la divulgation varie en fonction du contexte spécifique et de l’application des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker : voir Baker, au para 22; Taseko Mines, aux para 28-31, et, à titre illustratif, Seyoboka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 104, [2010] 2 RCF 3, au para 35.

[55] Le demandeur a souligné qu’il se représentait lui-même devant la SPR. Cependant, aucune des parties n’a fait référence à des décisions examinant le rôle de la SPR lorsqu’un demandeur d’asile n’est pas représenté par un conseil ou un autre professionnel, ni à des principes juridiques concernant le rôle des décideurs lorsqu’un plaideur n’est pas représenté. Voir, par exemple, Olifant c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 947 au para 18.

[56] Je reconnais que la SPR devait garantir l’équité procédurale au demandeur, ce qui comprend une possibilité réelle d’être entendu. Toutefois, je ne propose pas de définir plus avant ou plus précisément le degré ou la teneur des obligations de la SPR en matière d’équité procédurale, compte tenu du caractère restreint du point de droit soulevé par le demandeur, du dossier factuel et juridique dont dispose la Cour et de la conclusion à laquelle je suis parvenu : Taseko Mines, au para 44.

[57] Après avoir lu les motifs de la SPR et de la SAR, la transcription de l’audience de la SPR et les observations des parties, j’ai conclu que rien ne permet à la Cour d’annuler la décision de la SAR pour des raisons d’équité procédurale en l’espèce. Les observations du demandeur n’ont pas démontré que la SAR avait mal identifié ou mal appliqué les principes applicables en matière d’équité procédurale, et le demandeur n’a pas non plus démontré que l’audience de la SPR avait été entachée d’iniquité procédurale, comme il l’a prétendu.

[58] Je commencerai par exposer le raisonnement de la SAR sur la question de l’équité procédurale telle qu’elle a été débattue devant elle, avant de passer à sa conclusion sur cette question et aux arguments présentés à la Cour concernant l’iniquité procédurale devant la SPR.

[59] Dans son analyse, la SAR a conclu que la norme de la décision correcte s’appliquait au contrôle et a appliqué cette norme, à la fois de manière générale et à la conclusion de la SPR sur l’équité procédurale. Aucune des parties n’a contesté l’approche de la SAR.

[60] La SAR a commencé son raisonnement en énonçant deux déclarations générales sur le droit applicable. Tout d’abord, la SAR a déclaré qu’une audience devant la SPR « est équitable si la personne qui demande l’asile comprend la nature de l’instance, est prête à se représenter elle-même et a la possibilité de participer utilement à l’audience, ce qui signifie qu’elle a toute la latitude possible et raisonnable pour présenter l’intégralité de sa cause » (renvois en bas de page à des précédents omis). Deuxièmement, la SAR a affirmé que, « [l]orsqu’une personne se représente elle-même, la SPR doit l’encourager à énoncer ce qu’elle craint ainsi qu’à présenter des éléments de preuve à ce sujet, expliquer le processus et préciser la nature de la décision rendue. Les conséquences de la décision et la complexité de l’affaire peuvent avoir une incidence lorsqu’il s’agit de décider si une audience est équitable ou non », citant Larrab, aux para 26 à 30.

[61] Le demandeur n’a pas contesté ces énoncés au motif qu’ils étaient erronés en droit, et n’a pas fait valoir que la SAR aurait dû appliquer d’autres décisions ou principes pour guider sa décision.

[62] Ensuite, la SAR a déclaré qu’elle avait lu attentivement la transcription de l’audience devant la SPR. Elle décrit certains éléments de la transcription. Elle a relevé que la SPR avait expliqué, en ce qui concerne la PRI, que la question était de savoir s’il existait un endroit sûr où le demandeur pouvait vivre en Inde et s’il était raisonnable qu’il y vive, et que la SPR avait proposé deux endroits à titre de PRI en Inde.

[63] Dans trois paragraphes détaillés, la SAR décrit les questions posées par la SPR au demandeur et les réponses de ce dernier au sujet de la PRI. Le demandeur n’a pas critiqué ou contesté le contenu du résumé de la SAR. Le demandeur a également reconnu qu’il était approprié d’examiner les questions et les réponses aux fins de l’évaluation de l’équité procédurale. Ayant moi-même examiné la transcription, je suis convaincu que la SAR a bien compris et exposé le contenu pertinent de la transcription aux fins de l’équité procédurale.

[64] L’essentiel des arguments du demandeur devant la Cour se rapporte à l’explication donnée par la SPR au demandeur sur les exigences légales relatives à la PRI, ce qui, à son tour, soulève la conclusion de la SAR sur l’équité procédurale. La SAR a déclaré (en écrivant comme si elle s’adressait directement au demandeur) :

À la lumière de la jurisprudence, j’estime, pour ma part, que la SPR a agi en respectant l’équité procédurale. En d’autres termes, elle vous a encouragé à énoncer ce que vous craigniez en Inde, à présenter votre témoignage ainsi que vos arguments. Elle s’est exprimée en termes simples au sujet de la question de savoir si vous pouviez vivre en sécurité dans les deux villes identifiées comme possibles endroits de refuge intérieur. Elle vous a aussi invité à lui dire s’il était raisonnable ou non pour vous d’aller vous y établir. Dans sa décision, la SPR vous a expliqué pourquoi elle a conclu que vous pouviez bénéficier d’une possibilité de refuge intérieur en allant vous établir soit à Bengaluru, soit à Indore. Ainsi, je ne vois aucun manquement aux principes d’une audience équitable pour une personne qui se représente elle-même.

[65] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans cette analyse. Selon lui, la SPR n’a pas respecté son [traduction] « obligation renforcée » envers le demandeur (alors) non représenté de lui « expliquer ce qu’il doit prouver » concernant la PRI proposée conformément aux normes de droit établies dans l’arrêt Ranganathan : Turton, au para 36. Le demandeur a fait valoir que le manquement de la SPR l’a privé de la possibilité de faire valoir ses arguments en produisant une preuve répondant aux exigences du critère relatif à la PRI.

[66] Je ne suis pas d’accord. À mon avis, la SAR n’a pas commis d’erreur de droit dans sa conclusion sur cette question et le demandeur n’a pas démontré qu’il a été privé d’équité procédurale par la SPR.

[67] Le demandeur n’a pas démontré que la SAR avait commis une erreur de droit en concluant que la SPR lui avait expliqué la PRI de manière adéquate. Le demandeur n’a cité aucune décision établissant une norme minimale concernant ce qui doit être expliqué au sujet d’une PRI à un demandeur d’asile qui se représente lui-même devant la SPR. Dans son analyse, la SAR a reconnu que la SPR s’était acquittée de ses obligations à cet égard dans sa déclaration initiale au demandeur.

[68] À mon avis, cette conclusion de la SAR ne contient pas d’erreur de droit, puisque la déclaration initiale de la SPR était correcte sur le fond ainsi qu’adéquate et équitable pour le demandeur. Dès le début de l’audience, la SPR a transmis au demandeur des renseignements au sujet de l’essentiel du critère relatif à la PRI (en lui demandant s’il y avait [traduction] « un endroit sûr où vous pouvez vivre dans votre pays? ») qui reflètent le principe sous-jacent selon lequel le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention s’il peut se réfugier en toute sécurité ailleurs dans son pays d’origine. La déclaration initiale de la SPR au demandeur traitait également de la question de savoir s’il serait raisonnable pour lui de s’installer dans les villes proposées (en lui demandant s’il serait [traduction] « serait raisonnable et pratique pour vous d’y vivre? »). Ces deux éléments reflètent l’essence des deux volets du critère relatif à la PRI.

[69] La SAR a également relevé que la SPR utilisait des « termes simples » pour décrire les exigences relatives à la PRI. Cette observation est exacte et correspond à ce à quoi l’on s’attend d’elle lorsqu’elle entend des demandeurs d’asile non représentés par un conseil, et ce, pour assurer leur participation significative à l’audience : voir Olifant, au para 16-18, citant Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 201; Ait Elhocine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1068 au para 15; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 927 au para 37; Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 274 au para 36-42; Martinez Samayoa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 441 au para 7.

[70] Aux fins de l’équité procédurale, en particulier à l’égard de la capacité du demandeur à faire valoir sa cause, les questions de la SPR lui ont permis de fournir des éléments de preuve pertinents liés au critère de la PRI. D’après la transcription, la SPR lui a posé des questions courtes, simples et ouvertes destinées à obtenir des faits et des explications de la part du demandeur en ce qui concerne les conditions relatives à l’exigence en ce qui a trait à une PRI. Comme le demandeur l’a reconnu, les questions qui lui ont été posées étaient pertinentes quant à la question de savoir si l’audience était procéduralement équitable. À mon avis, les questions ont complété le contenu de la déclaration initiale de la SPR au demandeur en ce qui concerne la PRI et elles ont permis à ce dernier de faire valoir sa cause, par l’intermédiaire de ses réponses. Par exemple, et comme la SAR l’a décrit dans ses motifs, la SPR a interrogé le demandeur sur sa capacité à vivre en sécurité ailleurs en Inde, sur les personnes qu’il craignait et sur la possibilité de le retrouver dans l’une des villes proposées. Les questions et les réponses démontrent qu’il a été interrogé et qu’il a témoigné au sujet des risques éventuels pour sa vie et sa sécurité. Il lui a été demandé s’il pouvait vivre raisonnablement dans les villes proposées comme PRI. Le commissaire de la SPR (qui a entendu son témoignage) et la SAR ont jugé que le demandeur avait déclaré qu’il pouvait vivre n’importe où. Bien que le demandeur ait tenté de mettre en doute cette conclusion sur la base de la formulation de sa réponse, je ne peux pas être en désaccord avec la SAR et la SPR sur ce qui est essentiellement une question de fait.

[71] Le demandeur a fait valoir à juste titre que la SPR ne lui avait pas expliqué le fardeau de la preuve qui lui incombait en ce qui concerne les questions relatives à la PRI. Il a fait valoir ce point auprès de la SAR et je reconnais que les motifs de la SAR n’en ont pas expressément traité. Toutefois, je ne pense pas que cette omission constitue un fondement permettant à la Cour d’intervenir en l’espèce, que ce soit en raison d’une erreur dans la décision de la SAR ou d’un manque d’équité procédurale à l’égard du demandeur au cours de l’audience devant la SPR. Comme l’ont conclu la SPR et la SAR, et comme l’a décrit la SAR dans le cadre de son évaluation de la question de l’équité procédurale, les réponses du demandeur lors de son témoignage ne lui permettaient pas de se dégager de son fardeau, et ce, pour les deux volets du critère relatif à la PRI. En effet, la SAR a conclu que ses réponses au premier volet de la PRI étaient « des plus vagues » et qu’il n’avait présenté aucune preuve permettant de satisfaire aux exigences élevées en ce qui concerne le deuxième volet. Le fardeau de la preuve n’a fait aucune différence dans cette affaire, et le fait que la SPR ne l’ait pas expliqué n’a pas eu de conséquences.

[72] Cela nous amène à un point connexe. Bien que la SAR ait pu admettre en preuve des éléments supplémentaires aux fins de l’appel, le demandeur n’a pas tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve sur ce qu’il aurait ajouté à son témoignage s’il en avait su plus sur le critère de la PRI : voir Larrab, au para 29. À ce stade, le demandeur était représenté par un conseil. De même, le demandeur n’a pas tenté d’apporter une preuve supplémentaire à cet égard devant la Cour. Il a fait valoir que si la SPR avait donné plus d’explications sur le critère de la PRI, il [traduction] « aurait fourni ses réponses en conséquence », ce qui n’est pas très instructif.

[73] Tout en reconnaissant que le demandeur n’avait possiblement pas à démontrer l’existence d’un préjudice réel pour prouver une violation de l’équité procédurale (Taseko Mines, au para 61), il n’en reste pas moins que la présentation des éléments de preuve supplémentaires bien précis qu’il aurait fournis s’il en savait davantage sur le critère de la PRI en droit (ou si on lui avait posé des questions supplémentaires ou plus approfondies) aurait certainement étayé son argument selon lequel il n’avait pu bénéficier d’un processus équitable. Une telle preuve aurait pu démontrer de manière tangible que l’absence de conseils juridiques supplémentaires ou de questions complémentaires avait ou aurait pu avoir un effet préjudiciable sur le demandeur lors de son audience devant la SPR : Taseko Mines, aux para 52-53. L’absence de cette preuve emporte que la Cour n’a pas besoin d’intervenir et de rendre une ordonnance, soit parce qu’il n’y a pas eu d’effet préjudiciable sur le demandeur à l’appui de la violation, soit parce que les circonstances ne justifient pas l’application d’une mesure corrective : Taseko Mines, aux para 62-64.

[74] Dans les circonstances de la présente affaire, je suis d’avis que le demandeur connaissait la preuve à réfuter et qu’il a eu la possibilité de se faire entendre. Le SPR a fourni une information correcte et adéquate, dans un langage compréhensible, sur les principes juridiques applicables aux PRI. Le demandeur a témoigné sur des sujets pertinents et la SPR a recueilli sa preuve en posant des questions appropriées. L’absence de communication de détails supplémentaires au demandeur en ce qui concerne le droit applicable à la PRI ne faisait pas naître une possibilité concrète ou réelle qu’il subisse un préjudice.

[75] Par conséquent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR devrait être annulée au motif que la SPR avait enfreint l’équité procédurale, comme il l’alléguait.

III. Conclusion

[76] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[77] À la fin des plaidoiries (et en réponse à une question de la Cour), le demandeur a voulu proposer une question aux fins de la certification en vue d’un appel. Malgré l’obligation d’aviser le défendeur prévue par les Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés datées du 5 novembre 2018, le demandeur n’a pas soulevé cette question dans ses observations écrites ou d’une façon ou d’une autre auprès du défendeur avant la fin de l’audience.

[78] En tout état de cause, je ne relève aucune question qui se prête à la certification. Un appel porterait sur l’application des principes relatifs à l’équité procédurale aux circonstances de l’espèce. La question de la norme de divulgation qu’il convient d’adopter à l’égard de demandeurs d’asile se représentant seuls devant la SPR, ou de toute autre question de droit concernant de tels demandeurs d’asile, pourrait être soulevée dans une autre affaire, en fonction d’une preuve et d’un dossier juridique adéquats, et en tant que question déterminante. Toutefois, il ne s’agit pas d’une affaire convenable pour que la Cour d’appel fédérale se prononce sur cette question.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6022-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM-6022-22

 

INTITULÉ :

VEERPAL SINGH KHOSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 janvier 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A. D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 avril 2023

COMPARUTIONS :

Katharine Rejminiak

Pour le demandeur

 

Samson Rapley

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Badh & Rejminiak LLP

Surrey (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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