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Date : 20230406


Dossier : IMM-6111-22

Référence : 2023 CF 497

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2023

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

SAMUNDER SINGH ET

LAJWINDER KAUR ET

JOBANPREET SINGH SIDHU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, Samunder Singh, son épouse, Lajwinder Kaur, et leur enfant mineur sont des citoyens indiens. Ils sollicitent le contrôle judiciaire des trois décisions du 3 juin 2022 par lesquelles un agent des visas a rejeté leurs demandes de visas de résident temporaire. M. Singh et sa famille prévoyaient séjourner trois semaines au Canada, le but principal de leur voyage étant d’assister à la collation des diplômes de leur fille, qui vivait au Canada munie d’un visa d’étudiant international et qui terminait ses études à l’Institut des métiers et de la technologie du Manitoba. Les demandeurs avaient également l’intention de rendre visite à leur famille et de faire du tourisme dans la région de Winnipeg. Pendant leur séjour au Canada, ils prévoyaient loger chez leur fille, tout en assumant leurs propres dépenses.

[2] La norme de contrôle qui s’applique aux décisions des agents des visas est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 85; Musasiwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 617 au para 22; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 [Aghaalikhani] au para 11).

[3] Compte tenu de la capacité financière des demandeurs, de leur statut socioéconomique et du motif de leur visite, l’agent des visas n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour, comme le prévoit l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Les motifs à l’appui de la décision de l’agent figurent dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, et ils sont les mêmes pour les trois demandeurs :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Compte tenu du motif de la visite indiqué par le demandeur [la demanderesse], les documents fournis à l’appui de sa situation financière ne démontrent pas qu’il [qu’elle] est suffisamment établi[e] pour que la visite proposée constitue une dépense raisonnable.

Il s’agit d’une famille de trois personnes cherchant à entrer au Canada pour rendre visite à un enfant [une sœur]. Les documents financiers font état de revenus modestes. Le motif de la visite ne semble pas raisonnable étant donné la situation socioéconomique du demandeur [de la demanderesse]; je ne suis donc pas convaincu que le demandeur [la demanderesse] quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Après avoir pondéré les facteurs dans la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur [la demanderesse] quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande.

[4] À l’appui de leur demande, les demandeurs ont fourni des documents financiers concernant à la fois leur capacité à financer le séjour proposé et leur établissement financier en Inde. Ils ont notamment présenté une évaluation d’un comptable agréé, qu’ils mentionnent dans leurs observations écrites, selon laquelle ils disposent sur leurs comptes bancaires d’économies équivalant à environ 36 000 $ pour subvenir à leurs besoins pendant leur voyage; ils possèdent d’autres actifs mobiliers, tels que des véhicules et des bijoux, d’une valeur d’environ 15 000 $, et des actifs immobiliers et commerciaux d’une valeur de plus de deux millions de dollars, dont des immeubles résidentiels et des propriétés agricoles, situés en Inde.

[5] Somme toute, j’estime que les décisions de l’agent ne possèdent pas les attributs de la raisonnabilité que sont la justification, la transparence et l’intelligibilité (Aghaalikhani, au para 16; Vavilov, au para 86). Abstraction faite du manque de clarté quant aux facteurs que l’agent des visas a soupesés pour rendre ses décisions, et bien que les éléments de preuve concernant les liens des demandeurs avec l’Inde et leurs antécédents de voyage soient pertinents et semblent pouvoir démontrer qu’ils quitteraient le Canada à la fin de leur séjour (Rodriguez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 293 au para 15), l’agent des visas a rendu des décisions qui semblent entièrement fondées sur les finances et les biens des demandeurs. L’agent des visas n’a pas remis en question la fiabilité des éléments de preuve fournis par les demandeurs. Les motifs de l’agent des visas n’indiquent pas clairement si celui-ci, pour parvenir à une conclusion sur la situation socioéconomique des demandeurs, a évalué les revenus agricoles des demandeurs par rapport à leurs actifs immobiliers apparemment importants, ni comment il a procédé à une telle évaluation, dans la mesure où il en a effectué une tout court (Najmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 132 [Najmi] au para 16); l’agent des visas n’a pas non plus expliqué pourquoi il a conclu que la situation socioéconomique des demandeurs était problématique ou préoccupante (Najmi, au para 16).

[6] L’avocate du ministre a effectué un travail méritoire dans son examen de la preuve à la recherche d’éléments à l’appui des conclusions de l’agent des visas, et a souligné que certains des biens en question étaient des biens loués plutôt que des biens appartenant aux demandeurs, et que les relevés de compte bancaire indiquaient des soldes instables. J’admets que les soldes des comptes bancaires des demandeurs, à l’instar de ceux de la plupart des gens, tendent à fluctuer et que certains des biens servant à l’exploitation agricole sont peut-être loués par les demandeurs. Cependant, il incombait à l’agent des visas, et non à l’avocate du ministre, d’expliquer pourquoi les éléments de preuve indiquant un avoir net de plus de deux millions de dollars ne permettaient pas de conclure que les demandeurs avaient des revenus suffisants qui feraient en sorte que les dépenses nécessaires pour assister à la collation des diplômes de leur fille seraient raisonnables – notons que les parents ont payé les coûts découlant des études universitaires de leur fille pendant toute la durée de son séjour au Canada (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF no 1425 aux para 15-17; Khansari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 17 au para 19).

[7] Je reconnais qu’il n’incombe pas aux agents des visas de fournir une analyse détaillée dans le cadre de leurs décisions. La nécessité de fournir des motifs est limitée par la réalité opérationnelle des agents, notamment les quantités énormes de demandes de visa à traiter. Les agents des visas doivent motiver leurs décisions de façon minimale, mais suffisante, pour que l’on puisse comprendre leur raisonnement (Sharafeddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1269 au para 26). Comme l’a indiqué le juge McHaffie au paragraphe 7 de la décision Iriekpen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1276, « [e]n raison du contexte [administratif de la décision] et de la nature de la demande de visa et du refus, la Cour reconnaît que les exigences de l’équité et la nécessité de fournir des motifs se situent habituellement à l’extrémité inférieure du continuum ». Dans la décision Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245, j’ai indiqué que je ne voyais rien de répréhensible au fait d’utiliser un gabarit pour les décisions concernant, dans l’affaire en question, les permis d’étude. Toutefois, j’ai précisé aux paragraphes 22 et 23 que « lorsqu’ils utilisent des gabarits, les agents des visas devraient y apporter les modifications nécessaires ou rendre des motifs qui révéleraient leur raisonnement de manière intelligible, et ils devraient traiter des éléments de preuve pouvant contredire d’importantes conclusions factuelles » (voir aussi la décision de monsieur le juge Little Zibadel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 285 au para 37).

[8] Je reconnais que l’agent des visas ne doit pas simplement examiner les comptes bancaires des demandeurs, savoir s’ils disposent de fonds suffisants et leur octroyer un visa; il doit mener une enquête approfondie sur la source, la nature et la stabilité de ces fonds afin de déterminer si le voyage au Canada des demandeurs constitue une dépense raisonnable, en particulier dans un cas comme celui de l’espèce, où la fille des demandeurs a confirmé que ce sont ses parents qui assumeraient cette dépense. Cependant, la Cour n’a pas pour rôle d’émettre des hypothèses sur la façon dont l’agent des visas est parvenu à une conclusion donnée, et il ne revenait pas à l’avocat du ministre de combler les lacunes pour justifier les décisions rendues par l’agent des visas (Shohratifar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 218 au para 12).

[9] Dans l’ensemble, j’estime que les motifs formulés par l’agent des visas sont obscurs et ne permettent pas à la Cour d’établir un lien entre les points, si lien il y a, ni de comprendre le raisonnement que l’agent a suivi pour tirer ses conclusions et rendre sa décision. Par conséquent, les décisions doivent être annulées.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6111-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Les décisions du 3 juin 2022 sont annulées, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6111-22

INTITULÉ :

SAMUNDER SINGH, LAJWINDER KAUR, ET JOBANPREET SINGH SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MarS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AVril 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LES DEMANDEURS

Zahida Shawkat

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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