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Date : 20230417


Dossier : IMM-2102-22

Référence : 2023 CF 560

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JOBERTE FLORES KOUMI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA

CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Cette demande de contrôle judiciaire vise la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de rejeter la demande d’asile de la demanderesse et de confirmer la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] pour absence de crédibilité. La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.

I. Contexte et faits

[2] La demanderesse est citoyenne du Cameroun. Elle craint son beau-père qui l’aurait violentée et harcelée sexuellement à plusieurs reprises parce qu’elle refusait d’adhérer à la section jeunesse du parti politique dont le beau-père est membre. La mère de la demanderesse ne l’a pas crue. La demanderesse serait allée voir sa tante qui l’aurait aidée à déposer une première plainte à la police en 2007 ou 2012 (la date de cette plainte est contestée). Cette plainte serait restée sans suite parce que les policiers auraient dit à la demanderesse qu’elle essayait de ternir l’image de son beau-père.

[3] La demanderesse se serait alors enfuie en Guinée Équatoriale avant de revenir au Cameroun en février 2014. En avril 2014, elle aurait frappé son beau-père et brulé des documents importants qui lui appartenaient après l’avoir surpris en train de battre sa mère. Suite à cet incident, le beau-père aurait déposé une plainte auprès de la police et la demanderesse aurait été arrêtée, mais libérée deux jours plus tard.

[4] Après sa remise en liberté, la demanderesse se serait de nouveau échappée en Guinée Équatoriale, où elle y aurait rencontré son futur conjoint. Celui-ci serait devenu violent avec elle. Elle aurait donc cherché à quitter la Guinée Équatoriale et a obtenu un visa pour les États-Unis en mars 2018. Elle serait retournée au Cameroun brièvement, où elle serait restée cachée jusqu’à son départ pour les États-Unis le 20 mars 2018. Finalement, sa mère aurait quitté son beau-père suite à son départ pour les États-Unis en raison de violences conjugales.

[5] Des États-Unis, la demanderesse a rejoint le Canada, où elle a déposé une demande d’asile en mai 2018. À la suite d’une audience, la SPR a rendu sa décision le 7 octobre 2021, refusant la demande d’asile en raison d’un manque de crédibilité. La demanderesse a fait appel de la décision de la SPR à la SAR, qui a rejeté l’appel le 22 février 2022 [Décision].

II. Analyse

[6] En l’espèce, j’estime que la Décision est raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 85 [Vavilov]). La demanderesse n’a soulevé aucune erreur de la part de la SAR qui serait susceptible de contrôle judiciaire.

A. La SAR a raisonnablement déterminé que la demanderesse manquait de crédibilité

[7] La SAR a relevé plusieurs facteurs au niveau des allégations de la demanderesse, qui ont fatalement miné à sa crédibilité : (i) les contradictions à l’égard de la date de dépôt de sa première plainte à la police; (ii) les incohérences résultant des documents soumis et du témoignage de la demanderesse à l’égard des évènements allégués de 2014; et (iii) l’omission d’indiquer dans son Fondement de demande d’asile [FDA] et lors des amendements en début d’audience que son beau-père manifeste toujours un intérêt pour elle.

[8] La demanderesse a déclaré à la question 2 a) de son FDA : « c’est vers ma tante que je me suis retournée et avec qui on a déposé une plainte qui n’a pas eu de suite en 2012. » La demanderesse fait valoir qu’il n’y a pas de contradiction entre cette déclaration et son témoignage oral selon lequel elle a déposé la plainte en 2007, puisqu’une plainte déposée en 2007 peut rester sans suite en 2012.

[9] Cependant, cette explication de la demanderesse est déraisonnable compte tenu du fait que le reste de son FDA ne mentionne aucun évènement – ni une agression, ni le dépôt d’une plainte – ayant lieu en 2007. Même si on devait tenir pour acquis que la plainte a été déposée en 2007, la demanderesse se contredit dans son témoignage oral où elle affirme qu’elle a déposé la plainte en mai 2007 alors que dans la preuve documentaire soumise, la demanderesse a déclaré à la police qu’elle a déposé une plainte en juillet 2007.

[10] Il était donc raisonnable pour la SPR et la SAR de conclure qu’il y avait bel et bien des contradictions au sujet de la date du dépôt de la première plainte de la demanderesse et que cela minait à sa crédibilité.

[11] La demanderesse fait valoir que les motifs de la SAR ne sont pas transparents à l’égard des incohérences à savoir si la demanderesse s’est présentée au poste de police pour déposer la plainte elle-même. La demanderesse soutient qu’elle a toujours donné la même version, c’est-à-dire qu’elle s’est rendue au poste de police pour déposer la plainte personnellement que rien ne « prêtait à équivoque » tel que la SAR l’a indiqué dans ses motifs.

[12] Je suis d’accord avec la demanderesse que la SAR n’élabore pas davantage sur ce point, mais j’estime qu’il ne s’agit que d’une erreur mineure, qui est une observation subsidiaire, et n’est pas assez importante pour vicier le raisonnement de la SAR (Vavilov au para 100). La SAR a raisonnablement conclu qu’il y avait suffisamment de contradictions inexpliquées à l’égard des allégations qui auraient eu lieu en 2007 pour entacher la crédibilité de la demanderesse.

[13] Dans tous les cas, je note que l’omission globale du FDA de toute allégation en 2007 mine la crédibilité de la demanderesse, d’autant plus qu’elle a soumis de la preuve documentaire – les notes d’enquête préliminaire sur une plainte déposée par son beau-père contre elle en 2014 – qui mentionne les incidents allégués de 2007.

[14] Par ailleurs, la demanderesse allègue que le 15 avril 2014, elle aurait frappé son beau-père et brulé des documents importants qui lui appartenaient après l’avoir surpris en train de battre sa mère. La demanderesse allègue avoir été arrêtée suite à cet incident, en raison d’une plainte déposée par son beau-père, et qu’elle aurait été libérée deux jours plus tard. La SPR et la SAR ont conclu que la demanderesse n’a pas établi ces faits selon la prépondérance des probabilités en raison des incohérences entre les documents qu’elle a soumis et son témoignage.

[15] La SAR a notamment soulevé que les notes de l’enquête préliminaire de 2014 indiquent des dates différentes pour les faits allégués : la voisine a témoigné que l’incident a eu lieu le 18 février 2014 au lieu du 15 avril 2014; le dépôt de la plainte par le beau-père ainsi que le procès‑verbal de son témoignage sont datés du 15 avril 2015, mais la déclaration à la fin du procès-verbal qui indique que le témoignage est véridique est datée du 16 avril 2015; les notes de détention et de libération de la demanderesse sont toutes datées du 22 avril 2015 alors que la demanderesse a indiqué dans son FDA et son témoignage qu’elle a été détenue pendant 2 jours.

[16] La SAR a également noté que la SPR a donné à la demanderesse l’occasion d’expliquer ces incohérences lors de l’audience mais qu’elle n’a proposé aucune explication raisonnable au‑delà du fait qu’il s’agissait d’erreurs administratives de la part des autorités. J’estime qu’étant donné le nombre d’erreurs, il était raisonnable pour la SAR et la SPR d’accorder à ces preuves documentaires peu de valeur probante et de conclure que non seulement elles ne suffisaient pas à établir les faits allégués en 2014, mais que les incohérences contenues dans ces preuves minaient également la crédibilité de la demanderesse.

[17] Eu égard à l’absence de crainte prospective, la demanderesse fait valoir qu’elle n’a pas omis de mentionner l’intérêt continu que son beau-père lui porte dans son FDA puisqu’elle dit : « [i]l a promis avoir ma peau […] je l’ai fui [la Guinée Équatoriale] pour le Cameroun où je me suis cachée parce que monsieur [N] me cherchait, pour fuir vers les États-Unis » [sic].

[18] Les allégations selon lesquelles son beau-père « a promis avoir sa peau » remontent à 2015. Quant au fait que son beau-père la cherchait, on comprend de la phrase que cela était suite à son retour au Cameroun de la Guinée Équatoriale, mais tel que la SAR l’a raisonnablement constaté, rien dans ce texte ne laisse croire que son beau-père avait toujours un intérêt pour elle après qu’elle s’est enfuie vers les États-Unis en 2018.

[19] La demanderesse n’a indiqué nulle part dans son FDA que son beau-père a eu des contacts avec sa mère après leur séparation, même si elle tente d’alléguer dans son affidavit à cette Cour que son beau-père continue de la chercher « en rodant dans les environs où vit ma mère. » Je ne peux considérer les nouvelles allégations de la demanderesse qui n’ont pas été présentées à la SAR. La demanderesse n’a pas établi sa crainte prospective tel que le requiert une demande d’asile (Fernandopulle c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CAF 91 au para 21). Il était raisonnable pour la SAR d’en tirer une conclusion négative de crédibilité.

B. La SAR a raisonnablement analysé les éléments de preuve et conclu que ceux-ci n’étaient pas suffisants pour établir les allégations de la demanderesse.

[20] À la lumière du manque de crédibilité de la demanderesse, la SAR a raisonnablement conclu que les éléments de preuve soumis – les photos de sa mère et les notes médicales de 2009 – avaient peu de valeur probante et étaient insuffisants pour corroborer ses allégations selon la prépondérance des probabilités. Les arguments de la demanderesse ne soulèvent aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire mais tentent d’amener cette Cour à réévaluer les éléments de preuve, ce qui n’est pas son rôle.

[21] Premièrement, il n’y avait aucun moyen d’établir que la personne dans les photos était bien la mère de la demanderesse, ni que les blessures de cette personne avaient été causées par le beau-père. Qui plus est, la SAR a également noté que ces photos ne permettent pas de corroborer les allégations de la demanderesse qu’elle subissait ou risque de subir le même traitement que sa mère, d’autant plus que les photos ne sont pas datées et que sa mère a quitté son beau-père.

[22] Deuxièmement, la SAR a raisonnablement conclu que même si elle devait tenir la valeur probante des notes médicales de 2009 pour acquis et faire abstraction de l’absence de caractéristiques de sécurité de ces notes – le document original semble avoir été modifié et certaines pages n’ont pas de cachet ni de signature du médecin – les notes médicales étaient insuffisantes pour établir l’existence d’une crainte prospective bien fondée après 2009, et plus d’une décennie plus tard, maintenant que la demanderesse est une femme adulte et que sa mère n’est plus en relation avec son beau-père.

C. La demanderesse n’a pas établi une possibilité raisonnable de persécution en tant que femme.

[23] La SAR a déterminé que la demanderesse n’a pas établi une possibilité raisonnable de persécution en tant que femme. La demanderesse conteste cette conclusion de la SAR et fait valoir que la SPR et la SAR n’ont pas appliqué les Directives numéro 4 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés : Directives données par la Commission en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, entrée en vigueur le 13 novembre 1996 [Directives].

[24] Je ne peux souscrire aux arguments de la demanderesse sur ce point. La SAR a expliqué dans ses motifs, et je suis d’accord, que la demanderesse n’élabore pas sur son allégation. Elle n’explique pas comment la SPR et la SAR n’ont pas appliqué les Directives, bien que les deux tribunaux ont spécifiquement indiqué avoir considéré et appliqué les Directives dans leurs motifs. De plus, je constate que la demanderesse s’appuie sur l’arrêt Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39, qui traite des femmes seules dans les camps de réfugiés après le séisme en Haïti. Cette situation ne s’applique pas aux faits en l’espèce.

[25] Finalement, je note que la SAR a rejeté l’argument de la demanderesse sur le fait que la perception de sa bonne situation financière et parce qu’elle a des enfants nés en Amérique, ne constitue pas un motif de persécution en vertu de la Convention. La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion de la SAR devant cette Cour.

III. Conclusion

[26] Pour les raisons énumérées ci-dessus, la Décision est raisonnable et par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-2102-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2102-22

 

INTITULÉ :

JOBERTE FLORES KOUMI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 avril 2023

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Zacharie Kalieu Njomkam

 

Pour la demanderesse

 

Zoé Richard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zacharie Kalieu Njomkam

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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