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Date : 20230523


Dossier : IMM-3840-22

Référence : 2023 CF 698

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

NARCISSE DITOMÈNE

demandeur

et

MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur conteste la décision de la Section de la Protection des Réfugiés [SPR] du 10 avril 2022 concluant qu’il n’a pas établi son identité de la République démocratique du Congo [RDC] et qu’il n’a donc ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi sur l’immigration].

[2] La SPR conclut aussi que la demande d’asile du demandeur est dépourvue d’un minimum de fondement selon le paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration.

[3] Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. En bref, le 22 février 2022, le demandeur dépose en preuve devant la SPR ce qu’il présente comme un certificat de nationalité congolaise. Or, la SPR affirme dans sa décision que le demandeur n’a « jamais possédé une preuve de nationalité congolaise » et la SPR ne traite aucunement dudit certificat. La Cour est convaincue que cette omission constitue une erreur fatale dans les circonstances de la présente affaire et accueillera conséquemment la demande de contrôle judiciaire.

II. Discussion

[4] La conclusion de la SPR quant à l’identité du demandeur doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Au sens de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour peut intervenir seulement en présence d’une décision qui « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100).

[5] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle de la Cour est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour doit considérer le « résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La Cour doit en outre examiner « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).

[6] Devant la Cour, le demandeur soutient premièrement que la SPR a erré en tirant des conclusions de fait déraisonnables qui sont contredites par la preuve devant elle ou en ne tenant pas compte de plusieurs éléments critiques qui contredisent directement ses conclusions de faits. Il soutient que (1) l’omission, par la SPR, de traiter du certificat de nationalité du demandeur est fatale; (2) le nombre d’éléments de preuve non mentionné dans la décision ainsi que l’absence d’analyse fondée sur la preuve documentaire objective vicie de manière irréparable la décision (fiche individuelle d’état civil, un jugement supplétif et un acte de naissance original, les bulletins scolaires et la carte d’élève, le duplicata de la carte d’électeur, la lettre originale de la mère du demandeur, plusieurs documents tertiaires); et (3) la SPR erre lorsqu’elle soumet que le demandeur aurait eu la résidence brésilienne, malgré la compréhension commune des parties devant lui concernant son statut de demandeur d’asile au Brésil.

[7] Le demandeur soutient aussi que la SPR ne peut conclure à l’absence d’un minimum de fondement que s’il n’est présenté aucun élément de preuve crédible quelconque pour reconnaître le statut de réfugié et il ajoute que ce n’est pas le cas en l’espèce.

[8] Un des arguments présentés par le demandeur permet de disposer de la présente demande puisque l’omission, par la SPR, de traiter du certificat de nationalité que le demandeur a déposé en preuve est en l’instance fatale.

[9] En effet, il n’est pas contesté que le 22 février 2022, le demandeur a déposé en preuve devant la SPR un certificat de nationalité congolaise de même qu’une note de la mission diplomatique de la RDC indiquant que le demandeur a présenté une demande de passeport de la RDC le 9 février 2022.

[10] Il n’est pas non plus contesté que, selon les représentations de la représentante du Ministre devant la SPR, le demandeur a déclaré avoir inclus ce certificat de nationalité congolaise parmi les documents soumis à l’appui de sa demande de passeport congolais.

[11] Or, la SPR note les documents que le demandeur aurait déposés à l’appui de ladite demande de passeport congolais, mais elle ne mentionne pas ce certificat de nationalité congolais. La SPR cite ensuite un document se trouvant sur le site web de l’Ambassade de la RDC à Ottawa qui dresse la liste les documents qui doivent être présentés par un requérant au soutien d’une demande de passeport de la RDC. La SPR reproduit cette liste dans sa décision (paragraphe 22) et elle souligne particulièrement que tout requérant doit présenter au premier chef une preuve de nationalité congolaise, soit notamment un « certificat de nationalité délivré par le ministère de la Justice et des Droits humains de la RDC ».

[12] Enfin, la SPR souligne que le demandeur n’a jamais possédé une des preuves de nationalité congolaise qui figurent à la liste du document.

[13] Le Ministre reconnait que le demandeur a bien déposé en preuve un certificat de nationalité congolaise qui aurait été émis en mai 2019 (Dossier certifié du tribunal aux pages 190 et 191). Il ajoute que ce document, comme bien d’autres, n’est devenu en possession du demandeur qu’après l’arrivée de ce dernier au Canada et que même le demandeur convient qu’on peut faire confectionner tous les documents que l’on souhaite en RDC (motifs de la SPR aux paragraphes 27 et 28; Dossier du demandeur à la page 178). Le Ministre ajoute que, comme dans le cas des autres documents sollicités auprès d’amis ou de connaissances en RDC, on ne sait trop les démarches prises pour obtenir ce certificat de nationalité.

[14] Je suis sensible à ces commentaires, mais note que la SPR ne les a pas elle-même formulés ou mentionnés. Au contraire, la SPR a indiqué sans équivoque que le demandeur n’a jamais possédé une preuve de nationalité congolaise et elle n’a conséquemment pas analysé le poids à accorder audit certificat.

[15] Tout comme dans la décision Malungu v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 CF 1400, je suis consciente que « [l]es questions touchant à l’identité d’un demandeur relèvent du domaine d’expertise de la SAR et la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue à l’égard de celles-ci. La Cour n’interviendra que si la décision faisant l’objet du contrôle est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47) » (voir aussi Kagere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 910 au para 11; voir aussi Woldemichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1059 au para 25). Or, je suis convaincue que c’est le cas en l’espèce et qu’il convient de retourner l’affaire à la SPR pour une nouvelle détermination.

[16] Le Ministre demande en l’instance à la Cour de soupeser à nouveau un des éléments de preuve au dossier et de s’immiscer dans les conclusions de faits du décideur pour y substituer les siennes, ce que la Cour ne peut pas faire en contrôle judiciaire (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 61 [Société canadienne des postes]; Canada (Commission canadienne des droits de la personne c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Ainsi, ne pouvant évaluer moi-même le poids à accorder à ce certificat de nationalité, et considérant qu’il s’agit d’un document critique aux fins d’établir ou non l’identité du demandeur, je dois conclure que l’erreur de la SPR est fatale dans les circonstances. Même une lecture holistique de la décision ne permet pas d’arriver à une autre conclusion. La décision de la SPR ne révèle pas « une analyse intrinsèquement cohérente » compte tenu de la preuve au dossier.

III. Conclusion

[17] Par conséquent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3840-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section de la Protection des Réfugiés est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à la Section de la Protection des Réfugiés pour une nouvelle détermination.

  4. Aucune question n’est certifiée.

  5. Aucun dépens n’est octroyé.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM- 3840-22

INTITULÉ :

NARCISSE DITOMÈNE c MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 mai 2023

JUGEMENT ET motifs:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 23 mai 2023

COMPARUTIONS :

Marie-France Chassé

Pour le demandeur

Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Votre immigration, Service d’avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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