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Date : 20230524

Dossier : IMM‑2631‑22

Référence : 2023 CF 729

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MONDAY CHRISTIAN MEKWUYE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Résumé

[1] Le demandeur, Monday Christian Mekwuye [M. Mekwuye], a demandé l’asile au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté par la Confrérie réformée des Ogbonis [la CRO], une organisation qu’il a qualifiée de société secrète. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile de M. Mekwuye au motif qu’il n’avait pas établi de façon crédible ses allégations selon lesquelles il serait exposé à de la persécution pour avoir refusé de se joindre à la CRO. M. Mekwuye a interjeté appel à la Section d’appel des réfugiés [la SAR], laquelle a conclu qu’il y avait des incohérences et des omissions importantes dans le témoignage et les éléments de preuve documentaire de M. Mekwuye et que les éléments de preuve objectifs ne concordaient pas avec le témoignage de M. Mekwuye selon lesquels la CRO était une organisation secrète ou une secte. La SAR a rejeté l’appel.

[2] Dans le cadre du contrôle judiciaire, M. Mekwuye soutient que la SAR a commis une erreur en limitant son évaluation de l’agent de persécution à la CRO, sans tenir compte de la Confrérie Ogboni ou de la Société Ogboni. M. Mekwuye soutient aussi que la SAR a effectué une évaluation déraisonnable de son témoignage et de certains éléments de preuve documentaire.

[3] Je ne vois aucune raison de modifier la décision de la SAR. Pour ce qui est du premier point, M. Mekwuye n’a pas contesté la façon dont la SPR a défini l’agent de persécution en appel devant la SAR. En outre, après que la SPR a demandé des précisions, c’est le conseil de M. Mekwuye lui-même qui a insisté sur le fait que le seul agent de persécution pertinent était la CRO. Pour ce qui est des autres conclusions de la SAR à l’égard de la crédibilité et des éléments de preuve corroborants de M. Mekwuye, celui‑ci n’a pas précisé clairement les questions qu’il voulait soulever dans les motifs de la SAR. L’évaluation de la SAR est transparente, intelligible et justifiée à la lumière des éléments de preuve et des observations qu’elle a reçus.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[5] La demande d’asile de M. Mekwuye est fondée sur sa crainte d’être persécuté par la CRO, un groupe qu’il a qualifié de société secrète puissante. M. Mekwuye est un citoyen du Nigéria. Il vivait à Agbor, dans l’État du Delta. Son père, qui appartenait à la Confrérie Ogboni, est décédé le 30 novembre 2017. Après le décès du père de M. Mekwuye, la CRO a choisi ce dernier pour remplacer son père au sein de l’organisation. Croyant que la CRO n’était qu’une simple organisation sociale, M. Mekwuye a participé à une première réunion le 19 août 2018. À son arrivée, il a appris que la réunion avait pour but l’initiation de deux nouveaux membres et que le processus d’initiation comprenait un sacrifice sanglant. M. Mekwuye a été surpris et effrayé par ce qu’il a vu et a décidé de ne pas se joindre à la CRO, car les pratiques de l’organisation allaient à l’encontre de sa confession chrétienne.

[6] Au cours des mois suivants, des membres de la CRO ont demandé à répétition à M. Mekwuye de participer à sa propre initiation le 5 février 2019, ce qu’il a refusé de faire. Le 10 février 2019, un groupe d’hommes a enlevé M. Mekwuye et l’a détenu pendant quatre jours jusqu’à ce qu’il réussisse à s’échapper. Le 15 février 2019, M. Mekwuye a signalé son enlèvement à la police et a identifié un des membres de la CRO quelques jours plus tard. La police n’a fait aucune démarche, et un policier a dit à M. Mekwuye [traduction] « d’oublier cette affaire ».

[7] M. Mekwuye s’est enfui à Asaba, dans l’État du Delta, avec l’aide de son oncle. Sa mère lui a dit que des membres de la CRO continuaient de le rechercher et qu’ils avaient entre autres communiqué avec son oncle pour lui poser des questions au sujet de l’endroit où il se trouvait. En mai 2019, M. Mekwuye a appris que son oncle était décédé après que des membres de la CRO lui ont rendu visite et qu’il a refusé de dire où M. Mekwuye se trouvait. Celui‑ci s’est enfui à Abuja, puis au Canada, en passant par les États‑Unis. Il est arrivé au Canada le 10 août 2019 et y a demandé l’asile.

[8] La SPR a instruit la demande d’asile de M. Mekwuye le 13 avril et le 3 août 2021. Le 10 août 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile de M. Mekwuye. Elle a pris acte du fait que la CRO était l’agent de persécution prétendu, comme l’avait soutenu le conseil de M. Mekwuye. Cependant, elle a conclu que des aspects importants du témoignage de M. Mekwuye n’étaient pas crédibles en raison d’hypothèses, d’incohérences et d’omissions qui n’avaient pas été expliquées de façon raisonnable. La SPR a aussi jugé que les éléments de preuve objectifs n’appuyaient pas les allégations de M. Mekwuye selon lesquelles il serait exposé à de la persécution en raison de son refus de se joindre à la CRO.

[9] M. Mekwuye a porté la décision de la SPR en appel devant la SAR. Il n’a présenté aucun nouvel élément de preuve en appel. Bien que la SAR n’ait pas confirmé toutes les conclusions défavorables de la SPR à l’égard de la crédibilité, elle a rejeté l’appel de M. Mekwuye le 10 mars 2022.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[10] Les questions déterminantes dans le cadre du contrôle judiciaire concernent le fond de la décision de la SAR. Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que je dois examiner cet aspect de la décision de la SAR selon la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a affirmé qu’une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Le décideur administratif doit s’assurer que l’exercice de son pouvoir public est « justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

IV. Analyse

A. Agent de persécution

[11] M. Mekwuye soutient que la SAR a commis une erreur en ne considérant pas la Confrérie Ogboni ni la Société Ogboni comme des agents de persécution, et en ne tenant compte que de la CRO. Cet argument est surprenant compte tenu des observations présentées à la SPR et à la SAR.

[12] Il est indiqué clairement dans les motifs de la SPR et dans la transcription de l’audience que c’est le conseil de M. Mekwuye, soit le même conseil qui l’a représenté devant la SAR et qui a fourni des observations écrites à la Cour, qui a souligné que l’agent de persécution en l’espèce était bien la CRO.

[13] À l’audience devant la SPR, M. Mekwuye a d’abord affirmé que les agents de persécution étaient [traduction] « les Ogbonis ». La commissaire de la SPR a demandé à M. Mekwuye de préciser qui il craignait en lui posant la question suivante : [traduction] « Et, (inaudible) puisque j’ai lu tous les documents que vous avez présentés; tous les affidavits que vous avez fournis indiquent que c’est la Confrérie réformée des Ogbonis, donc c’est le groupe dont nous parlons, la Confrérie réformée des Ogbonis, c’est bien cela? », ce à quoi M. Mekwuye a répondu [traduction] « Oui, c’est celui‑là. » Plus loin, la commissaire de la SPR a fait remarquer que le groupe mentionné dans le rapport de police présenté par M. Mekwuye était la Confrérie Ogboni, non pas la CRO. M. Mekwuye a affirmé qu’il ne savait pas [traduction] « s’il y avait une différence entre la Confrérie Ogboni et la Confrérie réformée des Ogbonis », mais que les gens qui le tourmentaient faisaient partie de [traduction] « la Confrérie Ogboni ».

[14] Le conseil de M. Mekwuye a présenté des observations détaillées à cet égard à la fin de l’audience devant la SPR, et il a reconnu que, selon le cartable national de documentation, il existait des différences entre la Société Ogboni et la CRO, mais que les différences étaient si mineures que la plupart des gens au Nigéria utilisaient les deux noms de façon interchangeable. Le conseil a aussi soutenu que la CRO était bien l’agent de persécution, puisqu’elle était présente partout au Nigéria, tandis que la Société Ogboni n’était présente que dans le pays des Yoroubas.

[15] En appel, M. Mekwuye n’a pas contesté l’interprétation de la SPR quant à l’identité de son agent de persécution, c’est‑à‑dire qu’il s’agissait de la CRO.

[16] Compte tenu de ces circonstances, rien ne me permet de conclure qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de considérer que la CRO était l’agent de persécution.

B. Évaluation des éléments de preuve corroborants

[17] M. Mekwuye soutient que les conclusions de la SAR au sujet de ses affidavits à l’appui, du rapport de police et du certificat de décès de son oncle sont déraisonnables. Je ne suis pas d’accord. Dans tous les cas, la SAR a exposé des motifs clairs et bien étayés qui respectent les contraintes juridiques et factuelles applicables.

[18] La SAR a accordé peu de poids aux affidavits présentés par M. Mekwuye parce qu’elle a conclu qu’ils étaient de nature générale et peu étoffés, et qu’ils étaient donc insuffisants pour établir ou appuyer les allégations de M. Mekwuye au sujet de la CRO. Celui‑ci ne souligne aucune erreur dans l’analyse qu’a effectuée la SAR pour tirer cette conclusion; il demande plutôt simplement à la Cour de substituer son point de vue à celui de la SAR. Ce n’est pas là le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire.

[19] La SAR a conclu que le certificat de décès de l’oncle de M. Mekwuye était insuffisant pour établir l’allégation de celui‑ci selon laquelle le décès de son oncle était lié à la CRO étant donné qu’il était indiqué sur son certificat que la cause du décès était « inconnue ». M. Mekwuye soutient que cette conclusion était déraisonnable, puisqu’il était déraisonnable de la part de la SAR de s’attendre à ce qu’un certificat de décès fournisse trop de détails. La SAR n’a pas remis en question le décès de l’oncle de M. Mekwuye, lequel est établi grâce au certificat de décès. La SAR a jugé que le certificat de décès ne corroborait pas l’allégation de l’appelant selon laquelle c’était la CRO qui avait causé la mort de son oncle. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable.

[20] M. Mekwuye soutient aussi que l’évaluation du rapport de police par la SAR était déraisonnable parce que celle-ci s’était concentrée sur les omissions qu’elle avait relevées dans le rapport. M. Mekwuye soutient que, dans son évaluation, la SAR avait présumé que la police nigériane et la police canadienne fonctionnaient de la même façon et qu’elles consignaient toutes deux tous les détails qui leur étaient donnés. En l’espèce, la SAR a relevé de nombreuses omissions importantes dans le rapport de police, notamment en ce qui concerne les allégations au sujet de la réunion d’initiation, des sacrifices rituels et de l’enlèvement de M. Mekwuye, des mauvais traitements dont il avait fait l’objet et de son évasion. M. Mekwuye a déclaré devant la SPR qu’il avait donné tous ces détails à la police. La SAR a conclu ceci : « Compte tenu du niveau de détail global du rapport, j’estime que l’absence de toute mention de la rencontre d’initiation, des rituels, y compris les parties du corps humain observées par l’appelant, ou de l’enlèvement de l’appelant, de la torture qu’il a subie et de sa fuite dramatique constitue une divergence importante par rapport à son formulaire FDA et à son témoignage. » La SAR a expliqué clairement ce qui l’avait amenée à tirer sa conclusion. Selon les éléments de preuve, y compris le nombre d’incohérences et leur nature, je ne juge pas que l’évaluation du rapport de police par la SAR était déraisonnable.

[21] Enfin, je souligne que, lors du contrôle judiciaire, M. Mekwuye n’a pas contesté toutes les conclusions défavorables de la SAR à l’égard de la crédibilité; de fait, il n’a pas contesté deux conclusions importantes : i) il y avait des incohérences entre l’exposé circonstancié lié à sa demande d’asile et son témoignage de vive voix et ii) il n’existe aucun fondement objectif à l’allégation selon laquelle la CRO est une société secrète, et les éléments de preuve documentaire donnent plutôt à penser qu’il s’agit d’un groupe ouvert à tous.

V. Conclusion

[22] La décision de la SAR est bien étoffée et bien appuyée. Il s’agit d’une décision raisonnable. Il n’existe aucune raison pour laquelle la Cour devrait modifier la décision de la SAR. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

blank

« Lobat Sadrehashemi »

blank

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2631‑22

 

INTITULÉ :

MONDAY CHRISTIAN MEKWUYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Matthew Tubie

POUR LE DEMANDEUR

 

Jake Boughs

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Nicholas LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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