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Date : 20230524

Dossier : IMM-7414-22

Référence : 2023 CF 727

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2023

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

JAVED KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En 2014, M. Javed Khan, un citoyen de l’Afghanistan âgé de 25 ans, a fui son pays natal, par crainte de persécution du fait qu’il appartient à la minorité ethnique des Kuchis. Il s’est initialement rendu au Brésil et y a passé plusieurs mois avant de se rendre aux États-Unis, où il a présenté une demande d’asile en 2016. Il a été détenu aux États-Unis pendant environ 14 mois, puis il a été libéré et a obtenu un permis de travail. Après cinq ans d’attente d’une décision sur sa demande d’asile, M. Khan a décidé d’entrer au Canada pour y déposer une demande d’asile. Il a été jugé inadmissible en raison de sa demande en suspens aux États-Unis. Cependant, il a été autorisé à présenter une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[2] Même s’il était convaincu que les conditions en Afghanistan sont mauvaises et qu’elles peuvent empêcher M. Khan d’y retourner, un agent d’immigration a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a conclu que M. Khan aurait pu présenter une demande d’asile au Brésil et, en tout état de cause, qu’il pouvait retourner maintenant en toute sécurité aux États-Unis en attendant que sa demande d’asile en suspens soit tranchée.

[3] M. Khan soutient que la décision de l’agent était déraisonnable, d’abord, puisque la possibilité d’obtenir le statut de réfugié au Brésil n’est pas pertinente quant à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et, ensuite, puisque la supposition de l’agent selon laquelle il pouvait maintenant retourner aux États-Unis ne repose sur aucun élément de preuve. M. Khan demande à la Cour d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner à un autre agent de réexaminer la demande.

[4] Je conviens avec M. Khan que l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve qui lui permettait de conclure que le demandeur pouvait maintenant retourner aux États-Unis; cette conclusion est déraisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour ce motif. Je n’ai pas à me prononcer sur la question en lien avec une éventuelle demande d’asile au Brésil.

[5] La seule question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

II. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

[6] Le ministre soutient qu’il incombait à M. Khan de démontrer qu’il ne pouvait pas retourner aux États-Unis.

[7] Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il incombe généralement au demandeur d’établir les motifs justifiant la prise de mesures spéciales pour des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, M. Khan a établi qu’il possède un statut en Afghanistan mais nulle part ailleurs. Il n’a pas présenté de demande d’asile au Brésil, et sa demande aux États-Unis n’a pas encore été tranchée. Dans l’intervalle, il n’a aucun statut aux États-Unis. En outre, même s’il était autorisé à rentrer aux États-Unis, il risquerait toujours d’être expulsé vers l’Afghanistan. L’agent aurait dû tenir compte de ce risque (Abdullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 954 au para 26; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 710 au para 21).

[8] L’agent a reconnu que la question de savoir si M. Khan pouvait retourner aux États-Unis était [traduction] « cruciale » quant à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, l’agent a supposé qu’une personne sans statut aux États-Unis serait autorisée à entrer dans ce pays sur la seule base d’un permis de travail et a examiné la demande de M. Khan fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en fonction de cette supposition. M. Khan possédait effectivement un permis de travail aux États-Unis lui permettant d’obtenir un emploi temporaire en attendant que sa demande d’asile soit tranchée. Toutefois, l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant qu’une personne sans statut aux États-Unis serait autorisée à entrer dans le pays munie d’un simple permis de travail. De plus, la preuve démontrait que M. Khan ne possédait aucun document de voyage et qu’il ne pouvait pas obtenir de passeport parce que le consulat de l’Afghanistan au Canada avait suspendu la délivrance de passeports.

[9] À mon avis, l’agent aurait dû se rendre compte que, parce qu’il est sans statut aux États-Unis, M. Khan ne pouvait pas retourner dans ce pays. En conséquence, sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire aurait dû être examinée en fonction du risque auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Afghanistan.

[10] La décision de l’agent était déraisonnable, car elle reposait sur une supposition erronée concernant la capacité de M. Khan à retourner aux États-Unis.

III. Conclusion et dispositif

[11] L’agent a supposé, sans preuve à l’appui, que M. Khan pouvait retourner aux États-Unis et attendre que sa demande d’asile y soit tranchée. Cette supposition a donné lieu à une conclusion déraisonnable, à savoir le rejet de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Aucune des parties n’a soulevé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.

JUGEMENT dans le dossier IMM-7414-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

blank

« James W. O’Reilly »

blank

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7414-22

 

INTITULÉ :

JAVED KHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVril 2023

jUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Molly Joeck

POUR LE DEMANDEUR

 

Brett J Nash

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Company

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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