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Date : 20230524


Dossier : T-667-22

Référence : 2023 CF 723

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 24 mai 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

JACK SOUCY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

I. INTRODUCTION

  • [1]M. Jack Soucy (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d’une décision que Mme Donna Boivin, gestionnaire au Service de validation des prestations canadiennes d’urgence (la gestionnaire) de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), a prise le 28 février 2022. Dans sa décision, la gestionnaire a déterminé que le demandeur n’était pas admissible à recevoir des prestations dans le cadre du programme de la prestation canadienne de relance économique (la PCRE) établi par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 (la Loi).

  • [2]Dans son avis de demande, le demandeur a désigné l’ARC à titre de « défenderesse ». Cependant, selon l’article 303 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), il convient plutôt de désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur (le défendeur) dans la présente demande. La Cour statue donc que l’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

  • [3]Les éléments de preuve qui ont été présentés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont le dossier certifié du tribunal (le DCT), l’affidavit du demandeur et l’affidavit de Mme Virginia McLaughin, agente de validation de prestations de l’ARC.

  • [4]Dans son affidavit, qu’il a signé le 28 avril 2022, le demandeur déclare qu’il travaille pour son propre compte en tant que peintre résidentiel. Il déclare également que ses revenus avaient été de 5 278 $ en 2019 et qu’il avait été payé soit en espèces, soit par virement électronique.

  • [5]Mme McLaughlin était agente de validation de prestations de l’ARC à Sudbury à l’époque visée par la présente demande. Dans son affidavit, qu’elle a signé le 26 mai 2022, elle décrit le programme de la PCRE ainsi que le processus de validation des demandes de prestations.

  • [6]Mme McLaughlin déclare également dans son affidavit qu’elle a participé au processus de validation de la demande de PCRE présentée par le demandeur. Elle déclare avoir préparé et conservé des notes au sujet de cette demande.

  • [7]Suivant le dépôt de sa demande, le demandeur a reçu la PCRE pour la période allant du 27 septembre 2020 au 16 janvier 2021. Par ailleurs, il a présenté une demande relativement à la période allant du 17 janvier 2021 au 23 octobre 2021, mais n’a pas reçu de prestations pour cette période.

  • [8]Dans le cadre de son examen de validation de la demande de PCRE du demandeur, l’ARC a invité ce dernier à lui fournir des documents en vue d’établir qu’il satisfaisait au critère selon lequel il devait avoir gagné au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande.

  • [9]Lors d’un entretien téléphonique le 2 mars 2021, un employé de l’ARC a conseillé au demandeur de fournir des factures, preuves de paiement, relevés bancaires, lettres ou tout autre document permettant d’établir les revenus qu’il disait avoir gagnés à l’époque en cause. Le 15 mars 2021, le demandeur a télécopié à l’ARC des lettres dans lesquelles trois de ses clients confirmaient l’avoir rémunéré pour des travaux de peinture faits en 2019.

  • [10]Le 28 mai 2021, un employé de l’ARC a invité le demandeur, par messagerie vocale, à fournir ses relevés bancaires relatifs à 2019.

  • [11]Le 10 juin 2021, un employé de l’ARC a de nouveau invité le demandeur, dans le cadre d’un entretien téléphonique, à fournir des factures ou des relevés bancaires qui permettraient de vérifier les revenus que ce dernier disait avoir gagnés à l’époque en cause.

  • [12]Cependant, le demandeur n’a fourni aucun autre document après avoir télécopié les trois lettres le 15 mars 2021.

  • [13]Après avoir examiné les documents que le demandeur avait fournis, un employé de l’ARC a conclu que ce dernier n’était pas admissible à recevoir les prestations. Dans une lettre datée du 19 juillet 2021, l’ARC a informé le demandeur de ce qui suit :

II. CONTEXTE

[TRADUCTION]

Vous n’avez pas satisfait au critère suivant :

Vos revenus provenant d’un emploi ou d’un travail que vous avez exécuté pour votre compte ne s’élevaient pas à au moins 5 000 $ (avant impôt) en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle vous avez présenté votre première demande.

  • [14]Le demandeur a été informé de son droit de demander qu’un agent n’ayant pas pris part à l’examen de sa demande et à la décision de l’ARC au sujet de celle-ci procède à un nouvel examen de son dossier.

  • [15]Dans une lettre datée du 16 août 2021, le demandeur a exercé ce droit. Au terme du nouvel examen du dossier, l’ARC a de nouveau conclu, dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, que le demandeur n’avait pas droit à la PCRE.

  • [16]Le défendeur s’oppose à ce que certains documents que le demandeur a présentés à la Cour par l’entremise de son affidavit fassent partie des éléments de preuve à soupeser pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire, au motif que le décideur ne disposait pas de ces documents. Il s’agit d’affidavits des trois clients déjà mentionnés, de factures envoyées à ces derniers et de relevés bancaires visant la période allant du 2 janvier 2019 au 20 avril 2020.

  • [17]Le défendeur s’oppose également à ce que le document décrit comme étant les [TRADUCTION]« lignes directrices relatives à la PCRE provenant du site Web de l’ARC » fasse partie du dossier de la demande, au motif que le décideur n’en disposait pas et que, par conséquent, la Cour ne devait pas en tenir compte pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

  • [18]Le défendeur se fonde sur l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, [2012] ACF no 93 (CAF), pour faire valoir qu’en général, les seuls éléments de preuve dont il convient de tenir compte dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire sont ceux dont le décideur disposait.

  • [19]Le demandeur soutient que ses « affidavits » servent à « valider » les lettres qu’il a fournies dans le cadre de l’examen de validation de sa demande de PCRE.

  • [20]Je souscris en grande partie à l’argument que le défendeur fait valoir au sujet des affidavits. Je vais tenir compte de la pièce jointe à l’affidavit de Mme Margot Soucy. Il s’agit d’une lettre dont la version que contient le DCT est illisible.

  • [21]Je ne vois pas de différence importante entre les versions des lignes directrices contenues dans le DCT et la version de ces dernières contenue dans le dossier de la demande. Je souligne également le passage qui suit, dans la partie qui traite de la validation d’une demande ou de prestations :

III. OBJECTION PRÉLIMINAIRE

[TRADUCTION]

Il se peut que nous vous demandions de fournir les éléments suivants pour valider votre demande. L’ARC pourrait vérifier l’authenticité des documents que vous fournissez :

[…]

Si vous étiez un travailleur indépendant

Factures pour des services fournis, y compris :

la date à laquelle les services ont été fournis

le bénéficiaire des services

le nom de l’individu ou de l’entreprise

Reçus de paiement pour le ou les services fournis (un état de compte ou une facture indiquant qu’un paiement a été fait ainsi que le solde dû)

Documents indiquant les revenus tirés « d’un commerce ou d’une entreprise » en tant que propriétaire unique, entrepreneur indépendant ou membre d’une société de personnes

Tout autre document confirmant que vos revenus provenant d’un emploi ou d’un travail que vous avez exécuté pour votre compte s’élevaient à au moins 5 000 $

IV. OBSERVATIONS

A. Le demandeur

  • [22]Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable. Il fait valoir que l’ARC ne lui a pas expliqué pourquoi il devait fournir des relevés bancaires pour établir les revenus qu’il avait gagnés en travaillant pour son compte. Il souligne que la Cour a conclu, dans la décision Sjogren c Canada (Procureur général), 2022 CF 951 [Sjogren] que la demande de fournir des relevés bancaires empêchait effectivement la demanderesse dans cette affaire d’obtenir des prestations si elle n’avait pas déposé ses revenus à la banque et qu’une telle demande ne tenait pas compte du fait qu’elle pouvait, selon les lignes directrices relatives à la PCRE, fournir d’autres renseignements pour établir ses revenus.

  • [23]En outre, le demandeur soutient que la décision ne fait pas état du raisonnement suivi par l’ARC.

  • [24]Enfin, le demandeur avance que le processus suivi dans le cadre de l’examen de validation de sa demande de PCRE était déraisonnable.

  • [25]Le défendeur soutient que les faits de l’espèce diffèrent de ceux à l’origine de la décision Sjogren. En l’espèce, l’ARC a demandé au demandeur de lui fournir des relevés bancaires, alors que dans l’affaire Sjogren, une telle demande n’avait pas été faite à la demanderesse, mais l’absence de relevés bancaires était l’une des raisons pour lesquelles l’ARC avait rejeté la demande de prestations de cette dernière.

  • [26]Le défendeur se fonde sur la décision Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139, pour faire valoir que le formulaire d’impôt sur le revenu fourni par le demandeur ne constitue pas une « preuve » des revenus que ce dernier disait avoir gagnés. Selon le défendeur, rien n’indique que l’ARC a mal interprété ou omis de considérer un quelconque élément de preuve. Il avance donc que la décision était raisonnable.

  • [27]La première question dont il faut traiter est celle de la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer.

  • [28]La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Khosa, [2009] 1 RCS 339 (CSC).

  • [29]Selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 S.C.R. 653 [Vavilov] la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision de l’agente est celle de la décision raisonnable.

  • [30]En appliquant cette norme, la cour de révision doit se demander si la décision qui fait l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »; voir l’arrêt Vavilov, au paragraphe 99.

  • [31]La Loi ne contient pas de disposition qui en établit l’objet. Cependant, on peut en déduire l’objet de son titre intégral, à savoir « Loi établissant la prestation canadienne de relance économique, la prestation canadienne de maladie pour la relance économique et la prestation canadienne de relance économique pour les proches aidants en appui à la relance économique du Canada en réponse à la COVID-19 ». Selon moi, ce titre intégral laisse entendre que la Loi a un objet d’amélioration.

  • [32]Il ressort du cadre de la Loi que les décisions de l’ARC sont tributaires des faits. En effet, les alinéas 3(1)a) à d) de la Loi prévoient ce qui suit :

B. Le défendeur

V. ANALYSE ET DÉCISION

Admissibilité

3 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

Eligibility

3 (1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

a) elle détient un numéro d’assurance sociale valide;

(a) they have a valid social insurance number;

b) elle était âgée d’au moins quinze ans le premier jour de la période de deux semaines;

(b) they were at least 15 years of age on the first day of the two-week period;

c) elle résidait et était présente au Canada au cours de la période de deux semaines they were resident and present in Canada during the two-week period;

(c) they were resident and present in Canada during the two-week period;

d) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4 à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, ses revenus provenant des sources ciaprès, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars :

(d) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2020, they had, for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application, a total income of at least $5,000 from the following sources:

(i) un emploi,

(i) employment,

(ii) un travail qu’elle exécute pour son compte,

(ii) self-employment,

[…]

[…]

  • [33]Les articles 4, 6, et 7, qui sont également pertinents, prévoient ce qui suit :

Demande

4 (1) Toute personne peut, selon les modalités — notamment de forme — fixées par le ministre, demander une prestation canadienne de relance économique à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021.

 

Application

4 (1) A person may, in the form and manner established by the Minister, apply for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021.

Restriction

(2) Aucune demande ne peut être présentée plus de soixante jours après la fin de la période de deux semaines à laquelle la prestation se rapporte.

Limitation

(2) No application is permitted to be made on any day that is more than 60 days after the end of the two-week period to which the benefit relates.

[…]

[…]

Obligation de fournir des renseignements

6 Le demandeur fournit au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande.

Obligation to provide information

6 An applicant must provide the Minister with any information that the Minister may require in respect of the application.

Versement de la prestation

7 Le ministre verse la prestation canadienne de relance économique à la personne qui présente une demande en vertu de l’article 4 et qui y est admissible.

Payment of benefit

7 The Minister must pay a Canada recovery benefit to a person who makes an application under section 4 and who is eligible for the benefit.

  • [34]Ces dispositions ont pour effet d’identifier les personnes qui peuvent demander la PCRE.

  • [35]Voici la partie essentielle de la décision qui fait l’objet du présent contrôle :

[TRADUCTION]

Nous vous écrivons pour vous informer de notre décision concernant votre demande, datée du 5 août 2021, visant à obtenir un nouvel examen de votre demande de prestation canadienne de relance économique (PCRE).

Nous avons attentivement examiné votre demande, y compris tous les renseignements visant à étayer votre admissibilité à recevoir la PCRE.

Selon notre examen, vous être inadmissible à recevoir la PCRE.

Vous n’avez pas satisfait au critère suivant :

Vos revenus provenant d’un emploi ou d’un travail que vous avez exécuté pour votre compte ne s’élevaient pas à au moins 5 000 $ (avant impôt) en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle vous avez présenté votre première demande.

Comme vous n’avez pas satisfait aux critères d’admissibilité à recevoir la PCRE, toute demande visant à obtenir la PCRE que vous présenterez à l’avenir sera rejetée à moins que vous nous fournissiez la preuve que vous êtes en mesure de satisfaire aux critères d’admissibilité.

Si vous avez reçu des versements de la PCRE auxquels vous n’aviez pas droit, vous devrez rembourser la somme totale de ceux-ci.

[…]

  • [36]Au terme du deuxième examen de la demande de PCRE présentée par le demandeur, le gestionnaire de l’ARC n’était pas convaincu que les documents fournis par ce dernier démontraient que ses revenus avaient été d’au moins 5 000 $ au cours de la période en cause.

  • [37]Or, il ressort clairement du contenu du DCT que l’ARC avait cherché à obtenir des documents à l’appui, notamment des factures et des relevés bancaires, depuis l’examen de validation de l’admissibilité du demandeur à recevoir la PCRE entrepris en 2021. En effet, dès mars 2021, l’ARC invitait le demandeur à lui fournir de tels documents. Les annotations consignées dans le bloc-notes le 2 mars 2021, qui se trouvent à l’onglet 1 du DCT, indiquent que les documents que l’ARC cherchait à obtenir étaient des documents tels des relevés bancaires et des factures.

  • [38]Il semble que, le 15 mars 2021, le demandeur a fourni des lettres de trois clients démontrant qu’il avait été payé pour du travail accompli en 2019. Le deuxième document, qui se trouve à l’onglet 6 du DCT, est illisible, mais le demandeur affirme, au paragraphe 5 de l’affidavit qu’il a déposé pour étayer la présente demande de contrôle judiciaire, qu’il avait fait parvenir une facture de 1 500 $ à Mme Margo Soucy en octobre 2019.

  • [39]Si on ajoute cette somme aux sommes de 2 625 $ et de 1 300 $ mentionnées dans les deux factures lisibles que comprend le DCT, la somme totale des revenus que le demandeur a gagnés pour des travaux de peinture en 2019 s’élève à 5 425 $.

  • [40]Or, dans la lettre datée du 19 juillet 2021, un employé de l’ARC a mentionné que celle-ci n’avait pas reçu les documents qu’elle cherchait à obtenir et qu’il ressortait d’un examen des documents dont l’ARC disposait que le demandeur n’était pas admissible à recevoir la PCRE.

  • [41]Dans la lettre datée du 28 février, qui a été envoyée au demandeur après le deuxième examen de son admissibilité, le gestionnaire de l’ARC a confirmé la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas admissible à recevoir la PCRE. Cette lettre ne faisait pas expressément référence aux renseignements fournis par le demandeur, mais Mme McLaughlin a déclaré dans son affidavit qu’elle avait fait le deuxième examen, mentionnant au paragraphe 16 les documents et les renseignements dont elle avait tenu compte. Or, les documents dont l’ARC disposait à l’examen initial de la demande de PCRE et dont le résultat a été communiqué au demandeur dans la lettre datée du 19 juillet 2021 comptaient parmi les documents mentionnés au paragraphe 16 de cet affidavit.

  • [42]Le demandeur conteste le processus suivi par l’ARC pour valider sa demande de PCRE. Il soutient que ce processus n’était pas raisonnable, car, selon lui, il avait fourni tous les renseignements nécessaires.

  • [43]Bien que le demandeur n’ait pas directement soulevé un quelconque manquement à l’équité procédurale, cet argument laisse entendre qu’il estime qu’il y a eu un tel manquement.

  • [44]Selon l’arrêt Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 (CSC), un élément clé de tout argument selon lequel il y a eu un manquement à l’équité procédurale consiste à savoir si la personne intéressée connaît « la preuve à réfuter ».

  • [45]Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), [2019] 1 RCF 121, au paragraphe 56, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit au sujet des exigences fondamentales de l’obligation d’équité procédurale :

Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu [la] possibilité complète et équitable d’y répondre. […]

  • [46]Je suis convaincue que la façon dont les employés de l’ARC ont évalué l’admissibilité du demandeur à recevoir la PCRE n’a pas suscité de manquement à l’équité procédurale. Le demandeur savait que pour être admissible à recevoir la PCRE, il devait démontrer que ses revenus avaient été d’au moins 5 000 $ avant impôt durant la période en cause.

  • [47]La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande est celle de savoir si, compte tenu de l’objet de la Loi, l’ARC a agi de façon raisonnable en concluant que le demandeur n’était pas admissible à recevoir la PCRE.

  • [48]Je rejette l’argument du demandeur selon lequel l’ARC a suivi un processus déraisonnable pour valider son admissibilité à recevoir la PCRE. Selon l’article 6 de la Loi, la personne qui cherche à obtenir des prestations doit fournir des renseignements.

  • [49]Les lignes directrices publiées sur le site Web de l’ARC mentionnent le type de renseignements et de documents susceptibles de répondre aux interrogations soulevées au sujet de l’admissibilité d’un demandeur.

  • [50]Il ressort des notes consignées par les employés de l’ARC sur leurs interactions avec le demandeur que la nature des renseignements et des documents que l’ARC souhaitait obtenir de ce dernier lui a clairement été communiquée : ils ont invité le demandeur à fournir des factures et des relevés bancaires après qu’il a fait parvenir les lettres de trois de ses clients.

  • [51]Les lignes directrices ne mentionnent pas les relevés bancaires. Cependant, à mon avis, cette omission n’empêche pas l’ARC d’exiger de la personne qui cherche à obtenir la PCRE qu’elle lui fournisse des relevés bancaires pour l’aider à déterminer si elle est admissible à recevoir des prestations.

  • [52]Bien que l’utilité des relevés bancaires pour étayer l’admissibilité d’un demandeur puisse être discutable, cette question outrepasse le rôle assigné à la Cour.

  • [53]Le demandeur savait, depuis au moins mars 2021, que l’ARC souhaitait obtenir des renseignements et des documents supplémentaires pour étayer son admissibilité à recevoir la PCRE. Il savait également, depuis juin 2021, que les lettres des trois clients étaient insuffisantes à cet égard.

  • [54]Ce n’est que par la suite que le demandeur a fourni des factures et des relevés bancaires en tant que pièces jointes à l’affidavit qu’il a déposé pour étayer la présente demande de contrôle judiciaire. Il se pourrait bien que ces documents auraient été pertinents dans le cadre du processus de validation de l’admissibilité du demandeur à recevoir la PCRE, mais le décideur n’en disposait pas.

  • [55]C’est à l’ARC en sa qualité de décideur, et non à la Cour, qu’il incombe d’évaluer les éléments de preuve dans le cadre du processus de validation de l’admissibilité. Le rôle de la Cour ne consiste pas à soupeser les éléments de preuve lorsqu’elle est appelée à trancher une demande de contrôle judiciaire.

  • [56]Je suis convaincue que l’ARC a respecté l’équité procédurale envers le demandeur en suivant ce processus.

  • [57]Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour doit examiner le bien-fondé de la décision contestée en appliquant la norme de la décision raisonnable.

  • [58]Je suis également convaincue que le demandeur n’est pas parvenu à démontrer que la décision du 28 février 2022 était « déraisonnable » au sens de l’arrêt Vavilov.

  • [59]L’ARC a soupesé les éléments de preuve dont elle disposait. Elle a examiné la valeur probante des documents que le demandeur lui a fournis. Or, ses employés n’étaient pas convaincus que ces documents étaient suffisants pour établir que le demandeur était admissible à recevoir la PCRE.

  • [60]Selon l’affidavit de Mme McLaughlin, la gestionnaire a pris sa décision le 28 février 2022 sur le fondement des documents contenus dans le DCT. Cette décision est étayée par la preuve et les motifs que la gestionnaire a exposés sont conformes à la norme de la décision raisonnable : ils sont transparents, intelligibles et justifiés. Rien ne justifie l’intervention de la Cour.

  • [61]La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Des directives seront données au sujet des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-667-22

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Des directives seront données au sujet des dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-667-22

 

INTITULÉ :

JACK SOUCY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

ST. JOHN’S (TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2022

MOTIFS ET JUGEMENT

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 24 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Jacob Elyk

POUR LE DEMANDEUR

Maeve Baird

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rogers Rogers Moyse

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur general du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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