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Date : 20230523


Dossier : IMM-2535-21

Référence : 2023 CF 714

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 mai 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

EKENE AMOBI EZE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre de rejeter sa demande de permis d’études et de le déclarer interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[2] Le demandeur est un citoyen du Nigeria. Il a présenté une demande de permis d’études en octobre 2020. En janvier 2021, il a reçu une lettre d’équité procédurale indiquant qu’il était soupçonné d’avoir omis de déclarer des renseignements importants. Plus précisément, la lettre mentionnait qu’il [traduction] « n’[avait] pas répondu véridiquement à la question 2b) sur les antécédents : “Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire?” ».

[3] L’ancien avocat du demandeur – que ce dernier avait embauché après qu’il eut reçu la lettre d’équité procédurale – a répondu à la lettre. L’avocat a expliqué que le demandeur avait embauché un consultant pour l’aider à préparer et passer en revue la demande de permis d’études et qu’il avait fourni au consultant un compte rendu détaillé de ses demandes de visas antérieures qui avaient été rejetées par les États-Unis et le Canada, mais que le consultant avait, par erreur, soumis la mauvaise version au bureau des visas, soit celle qui ne mentionnait pas la demande de visa américain rejetée. Le consultant n’avait pas déposé de formulaire Recours aux services d’un représentant (IMM 5476), et rien n’indiquait que quelqu’un avait aidé le demandeur avant que l’avocat ne réponde à la lettre d’équité procédurale.

[4] À la réponse à la lettre d’équité procédurale, l’avocat du demandeur a joint un affidavit de l’ancien consultant du demandeur dans lequel le consultant confirmait qu’il avait deux versions du formulaire de demande et qu’il avait téléversé, par erreur, celui qui ne faisait pas mention de la demande de visa américain rejetée.

[5] Dans sa décision, le délégué du ministre a examiné l’ensemble des renseignements et des observations et a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur un fait important en omettant de déclarer qu’il s’était vu refuser un visa américain dans sa demande de permis d’études. Le délégué du ministre a conclu que cette omission aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR et que, par conséquent, le demandeur était interdit de territoire au Canada.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[6] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce qu’il a fait une fausse déclaration de bonne foi qui n’était pas importante pour sa demande et pour laquelle il ne devrait pas être interdit de territoire au Canada. La norme de contrôle qui s’applique à la décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[7] Le demandeur soutient aussi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que le délégué du ministre s’est fondé en partie sur le moment où sa famille est entrée au Canada pour le déclarer interdit de territoire, sans lui faire part de ses soupçons dans la lettre d’équité procédurale ni dans la lettre de décision. Il fait valoir que le délégué du ministre n’a pas communiqué avec lui d’une manière transparente et équitable sur le plan procédural. Lorsqu’elle examine les questions d’équité procédurale, la Cour doit se demander si la procédure qui a mené à la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-55).

IV. Analyse

[8] Le demandeur reconnaît qu’il n’a pas déclaré dans sa demande de permis d’études qu’il s’était vu refuser un visa américain. Il soutient toutefois que cette omission ne constituait pas une fausse déclaration puisqu’il n’avait aucune idée que le consultant avait soumis le mauvais formulaire de demande. Selon lui, l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi s’applique.

[9] Je ne peux souscrire à cet argument. Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas de renseignements importants et qu’il s’agissait d’une fausse déclaration dont la connaissance échappait à sa volonté (Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun] au para 28).

[10] Premièrement, le demandeur soutient que les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] ne montrent pas clairement en quoi le fait qu’il se soit vu refuser un visa américain aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[11] Cet argument ne tient pas : le rejet d’une demande de visa antérieure est pertinent à l’égard d’une conclusion d’interdiction de territoire puisqu’il peut donner lieu à une enquête, à des entrevues et à des vérifications qui ne seront pas effectuées si l’agent n’est pas informé du rejet (Goburdhun, au para 42; voir aussi Ram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 795 [Ram] aux para 28-29). Ces décisions, et de nombreuses autres auxquelles elles renvoient, montrent clairement que le défaut de déclarer le rejet d’une demande de visa est important puisqu’il peut avoir une incidence sur le processus.

[12] Le demandeur soutient aussi que le Canada a accès aux renseignements concernant le rejet de sa demande de visa américain par l’intermédiaire du « Groupe des cinq ». Cependant, des arguments semblables ont été rejetés par la Cour dans les décisions Ram et Goburdhun. Au paragraphe 43 de cette dernière, la juge Strickland a conclu ce qui suit :

Je ne peux pas non plus accepter les observations qu’a faites le demandeur lorsqu’il a comparu devant moi et selon lesquelles, parce que CIC a accès à tous ses antécédents en matière d’immigration, la réponse incorrecte qui figure dans sa demande n’a pas d’importance. Il a fait observer que la réponse incorrecte n’a pas eu d’incidence sur le processus parce que l’erreur a été découverte par CIC avant qu’une décision soit rendue. Ce raisonnement va à l’encontre de l’objectif, de l’esprit et de la lettre de la LIPR selon lesquels les demandeurs de visas de résident temporaire doivent répondre à toutes les questions avec honnêteté. Tout manquement à cet égard peut entraîner l’interdiction de territoire au Canada si la fausse déclaration entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Peu importe que CIC ait la capacité de découvrir ou découvre la fausse déclaration. Ce qui compte, c’est que la fausse déclaration aurait entraîné ou risquait d’entraîner une telle erreur. En conséquence, les demandeurs qui font de fausses déclarations dans le cadre de leurs demandes en espérant ne pas se faire prendre ou, s’ils le sont, en espérant échapper à une sanction en raison du manque d’importance du renseignement non communiqué, le font à leurs risques et périls.

[13] Comme l’a précisé la juge Fuhrer au paragraphe 17 de la décision Muniz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 872 : « [...] les renseignements au sujet de demandes précédentes qui ont été rejetées sont importants […]. Même si l’agent avait accès à ces renseignements, l’omission n’a pas à être déterminante, et Mme Muniz n’était donc pas libérée de son obligation de faire preuve de franchise : LIPR, art 16(1). Les demandeurs ne peuvent pas s’attendre à ce que le système d’immigration découvre leurs erreurs [...]. »

[14] La conclusion tirée en l’espèce par le délégué du ministre quant à l’importance des renseignements est tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour : l’omission du demandeur d’indiquer qu’il s’était vu refuser un visa américain était potentiellement pertinente quant à son admissibilité et était donc suffisamment importante pour justifier la conclusion de fausse déclaration.

[15] Deuxièmement, le demandeur soutient que l’exception restreinte relative aux fausses déclarations s’applique puisqu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne retenait pas de renseignements importants et qu’il s’agissait d’une fausse déclaration dont la connaissance échappait à sa volonté. Le demandeur s’appuie sur la décision Moon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1575, dans laquelle la Cour a conclu que la connaissance de la fausse déclaration échappait à la volonté de Mme Moon puisque son consultant avait admis avoir présenté la demande de visa de façon précipitée, sans poser les questions qui s’imposaient, faisant en sorte que les antécédents criminels de Mme Moon n’avaient pas été déclarés. Le demandeur soutient qu’il s’est aussi fié à un consultant qui a présenté, par erreur, le mauvais formulaire de demande qui ne contenait pas les renseignements concernant le rejet de sa demande de visa américain.

[16] Une fois de plus, ces arguments ne sont pas convaincants. L’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi s’applique uniquement dans des circonstances véritablement extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important et qu’il était impossible pour lui d’avoir connaissance de la déclaration inexacte (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 au para 17).

[17] En l’espèce, le délégué du ministre, qui n’était pas satisfait des explications concernant le formulaire erroné, a écrit ce qui suit : [traduction] « Selon les renseignements dont je dispose, je suis convaincu que le demandeur principal a fait une présentation erronée sur un fait important dans le cadre de la présente demande. » Le délégué du ministre a mentionné que le demandeur avait omis d’indiquer non seulement qu’il s’était déjà vu refuser un visa américain, mais aussi qu’il avait retenu les services d’un consultant pour présenter sa demande de permis d’études. Le demandeur n’a pas joint de formulaire « Recours aux services d’un représentant » à sa demande et il n’a pas non plus indiqué dans sa demande qu’il avait fait appel à un représentant. En fait, il avait retenu les services d’un consultant non autorisé ou « fantôme », et il n’y a aucune raison de tolérer une pratique qui n’est pas autorisée par la LIPR (voir, par exemple, Lyu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 134 au para 32).

[18] Plus précisément, en réponse à la question 2b), à savoir s’il s’était déjà vu refuser un visa ou un permis, interdire l’entrée ou demander de quitter le Canada ou tout autre pays, il a indiqué qu’il avait déjà présenté une demande de visa pour le Canada, laquelle demande avait été rejetée. À l’annexe A, intitulée « Antécédents/Déclaration », il a coché « Non » à la question de savoir s’il s’était déjà vu interdire l’entrée ou demander de quitter le Canada ou tout autre pays. Malgré les incohérences relevées dans ses formulaires de demande, il a tout de même attesté la véracité des renseignements contenus dans ces formulaires et les a signés. Bien que des affidavits aient été fournis, tant par le consultant non autorisé que par le demandeur, ils n’expliquent pas pourquoi un formulaire erroné aurait été signé au départ et ils ne fournissent aucun élément de preuve pour corroborer l’explication du demandeur.

[19] En fin de compte, le demandeur a signé des formulaires qui contenaient une présentation erronée sur un aspect important de sa demande. Les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (Goburdhun, au para 28). Comme l’a mentionné le délégué du ministre dans les notes consignées dans le SMGC, [traduction] « [q]ue le formulaire incomplet ait été présenté par le demandeur principal ou par le représentant, le demandeur principal a signé le formulaire de demande, attestant ainsi qu’à sa connaissance, le formulaire était complet ». Compte tenu de toutes ces circonstances, il était tout à fait raisonnable pour le délégué du ministre de conclure que l’exception restreinte relative aux fausses déclarations faites de bonne foi ne s’appliquait pas en l’espèce.

[20] Enfin, le demandeur soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que le délégué du ministre s’est fondé en partie sur le moment où sa famille est entrée au Canada pour le déclarer interdit de territoire, sans lui faire part de ses doutes dans la lettre d’équité procédurale ni dans la lettre de décision.

[21] Je ne suis pas d’accord. Le délégué du ministre ne s’est pas fondé sur le moment où la famille du demandeur est entrée au Canada pour tirer une conclusion d’interdiction de territoire, mais uniquement sur la fausse déclaration concernant le rejet non déclaré de la demande de visa américain. Cette fausse déclaration a été déterminante dans la conclusion d’interdiction de territoire tirée à l’égard du demandeur. Ce dernier a eu une possibilité équitable de dissiper les doutes du délégué du ministre et il a fourni une réponse détaillée à la lettre d’équité procédurale. Le délégué du ministre a examiné la réponse, mais il n’était toujours pas convaincu par l’explication. Pour tous les motifs qui précèdent, ces doutes ont été raisonnablement soulevés, expliqués et justifiés. Le fait que le demandeur n’ait pas été en mesure d’expliquer la fausse déclaration à la satisfaction du délégué du ministre était tout à fait justifiable, compte tenu du dossier.

V. Conclusion

[22] Le demandeur a fait l’objet d’une interdiction de territoire parce qu’il a omis de déclarer le rejet de sa demande de visa américain, et il n’y a donc pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Le demandeur a eu la possibilité, dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, de dissiper les doutes du délégué du ministre quant au fait qu’il n’avait pas été honnête dans sa demande. Le délégué du ministre a raisonnablement expliqué pourquoi les explications du demandeur étaient insuffisantes. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2535-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2535-21

 

INTITULÉ :

EKENE AMOBI EZE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Ian G. Mason

 

Pour le demandeur

 

David Cranton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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