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Date : 20230503


Dossier : IMM-5062-23

Référence : 2023 CF 632

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2023

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

YETUNDE MUTIAT OYADEYI

ONAOPEMIPO OLANREWAJU SOETAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

VU LA REQUÊTE entendue lors de la séance générale du mardi 2 mai 2023, déposée au nom des demandeurs, et visant le sursis à leur renvoi au Nigéria, actuellement fixé au 4 mai 2023, et ce, jusqu’à ce que la Cour statue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente. La demande sous-jacente est liée à une décision défavorable rendue à l’égard d’une demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] présentée par les demandeurs.

ET APRÈS avoir examiné les documents déposés et les savantes observations orales présentées par les avocats des parties.

[1] Les demandeurs, une mère et son fils, sont des citoyens du Nigéria. Ils sont arrivés au Canada le 25 mars 2018, en provenance des États-Unis, où ils résidaient depuis leur départ du Nigéria, en 2015. Ils ont présenté une demande d’asile le 28 mars 2018.

[2] Dans le formulaire Fondement de la demande d’asile, il est allégué que la demanderesse principale a été victime de violence conjugale de la part de son mari. Les demandeurs seraient exposés à un risque de préjudice. Le 4 avril 2019, l’allégation selon laquelle le mari de la demanderesse principale avait continué de la menacer a été ajoutée dans le formulaire.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile au motif que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] dans divers endroits au Nigéria. Cette décision a été rendue le 19 août 2019. L’appel interjeté à la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a été tranché le 3 novembre 2020. La SAR a conclu que la demanderesse principale manquait de crédibilité, après avoir informé celle-ci qu’il s’agissait d’un problème (en plus du fait qu’elle n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis et qu’elle disposait d’une PRI), ce qui lui donnait donc l’occasion de présenter des observations.

[4] Un nouvel élément de preuve a été présenté à la SAR, à savoir une lettre de deux pages (datée du 25 octobre 2019) rédigée par un psychothérapeute autorisé; la lettre portait exclusivement sur le traumatisme physique et émotionnel causé à Mme Oyadeyi par son mari et sa famille. Aucune autre raison pour laquelle la demanderesse principale craindrait de retourner au Nigéria n’était mentionnée. Le document de deux pages a été jugé inadmissible en preuve parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la présentation d’une nouvelle preuve à la SAR (art 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]).

[5] La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant la décision de la SAR : Oyadeyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1159.

[6] Une décision relative à l’ERAR a été rendue par un agent principal le 28 février 2023, mais n’a été signifiée en personne que le 11 avril 2023. La directive de se présenter pour le renvoi du Canada a été signifiée le même jour. La mesure de renvoi avait été prise le 28 mars 2018; elle devait être exécutée le 4 mai 2023.

[7] Les observations présentées à l’agent d’ERAR sont fondées exclusivement sur une nouvelle affirmation, à savoir que la demanderesse principale [traduction] « est une membre d’une minorité sexuelle qui a récemment été en relation avec une autre femme » (exposé des faits et du droit, au paragraphe 1). Dans ses observations à l’appui de la demande d’ERAR, Mme Oyadeyi a soutenu qu’après son arrivée au Canada (en mars 2018), [traduction] « elle s’est sentie bien avec les femmes et a commencé à envisager d’avoir une relation avec une femme » (observations à l’appui de la demande d’ERAR, au paragraphe 2). En juillet 2019, elle a rencontré une femme avec laquelle une relation s’est développée; en janvier 2021, une relation intime aurait débuté. Selon les observations, les deux femmes [traduction] « se sont maintenant bâti une vie ensemble avec leurs enfants. Elles ont l’intention de se marier et d’emménager ensemble plus tard cette année. Elles ont ouvert un compte bancaire conjoint pour faciliter la réalisation de ces projets ».

[8] L’agent principal a conclu que les demandeurs ne seraient exposés qu’à un simple risque de persécution à leur retour au Nigéria. Essentiellement, il a souligné dans la décision relative à l’ERAR que la demanderesse principale affirmait alors craindre d’être persécutée [traduction] « si elle [était] renvoyée au Nigéria en raison de son orientation et de son identité sexuelle, en tant que lesbienne, de sa relation homosexuelle et de son statut de mère célibataire » (décision relative à l’ERAR, à la page 6 de 9).

[9] Toutefois, l’agent d’ERAR s’est dit non convaincu que la demanderesse principale n’avait pas raisonnablement eu [traduction] « la possibilité de faire part de son orientation et de son identité sexuelle à la SPR en août 2019, sinon à la SAR en novembre 2020 » (décision relative à l’ERAR, à la page 7 de 9). En d’autres mots, la demanderesse principale aurait pu avancer dans la procédure de demande d’asile ce qu’elle avançait alors pour la première fois. La nouvelle question soulevée n’a donc pas été prise en compte dans la décision relative à l’ERAR.

[10] Il en va de même du défaut d’élocution du fils de la demanderesse principale, qui a besoin de l’aide d’un professionnel. Il ne s’agissait pas d’une nouvelle question. Pour qu’elle soit prise en compte, la question devait avoir été soulevée devant la SPR ou la SAR. En tout état de cause, aux termes du sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR, une menace ou un risque qui résulte de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats ne sera pas pris en compte.

[11] Le décideur a conclu que la preuve présentée n’appuyait pas l’existence d’un nouveau risque qui n’aurait pas pu être invoqué devant la SAR. En outre, il a conclu que, d’après la preuve, la situation au Nigéria était [traduction] « généralisée. Lorsque la preuve documentaire indique que la situation sur le plan des droits de la personne ou de la sécurité dans un pays est problématique, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une personne donnée est exposée à un risque. […] Toutefois, les demandeurs n’ont pas établi un lien entre le contenu de ces observations et les risques prospectifs auxquels ils seraient personnellement exposés au Nigéria. Les documents sur la situation générale du pays n’indiquent pas que les demandeurs y sont exposés à un risque au sens de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR » (à la page 8 de 9).

[12] Les demandeurs ont contesté la décision relative à l’ERAR dans une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée le 18 avril 2023. Les motifs invoqués sont faibles et généraux : la décision rendue n’est pas raisonnable et le droit à l’équité procédurale a été violé. Il est bien connu qu’un avis de convocation pour renvoi ne peut être invoqué pour justifier un sursis. Dans la décision Bergman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1129, la Cour a affirmé ce qui suit :

[18] La Cour a confirmé qu’une convocation n’est rien de plus qu’une communication informationnelle dont le seul but est d’expliquer où et quand la mesure de renvoi prise contre la demanderesse sera exécutée. Le fait de remettre un avis de convocation ne constitue pas en soi une « décision » ou une ordonnance entrant dans le champ d’application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7 et elle ne peut pas faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Il a été établi par la Cour que lorsqu’une demande sous-jacente de contrôle judiciaire conteste un avis de convocation, le sursis peut être annulé sur ce motif préliminaire. Puisqu’une convocation aux fins de renvoi ne constitue pas une décision susceptible de contrôle judiciaire, il n’existe aucune demande sous-jacente valide à l’appui de la requête en sursis (Daniel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 392, 156 A.C.W.S. (3d) 1144, au paragraphe 12; (Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 394, 138 A.C.W.S. (3d), 343, au paragraphe 2; Jarada c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 14, 150 A.C.W.S. (3D)d) 887).

[Souligné dans l’original.]

De même, ce n’est pas parce qu’une demande d’ERAR n’a pas été pleinement débattue que le sursis sera accordé (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286; [2012] 2 RCF 133). La mesure de renvoi n’a pas été contestée, et les demandeurs n’ont pas sollicité le report de leur renvoi auprès de l’agent de renvoi. L’avis de requête ne visait qu’un sursis jusqu’à ce que la Cour statue sur la contestation de la décision relative à l’ERAR.

[13] Le cadre d’examen d’une ordonnance de la nature d’un sursis, ou d’une injonction interlocutoire, est bien connu. Les demandeurs doivent établir :

  1. que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève une question sérieuse à trancher;

  2. que le refus d’accorder le sursis causerait un préjudice irréparable;

  3. que la prépondérance des inconvénients penche en faveur des demandeurs.

(RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald]; Toth c Canada (Minister of Employment and Immigration) (1988) 86 NR 302.)

[14] Les demandeurs soutiennent qu’il suffit que la question sérieuse ne constitue pas une demande futile ou vexatoire. À l’appui de leur argument selon lequel le critère est que la demande ne soit [traduction] « ni futile ni vexatoire », les demandeurs affirment que, comme la question sérieuse est celle du risque auquel ils seront personnellement exposés s’ils sont renvoyés, il s’ensuit que l’existence d’un « préjudice irréparable est établie et que le deuxième volet du critère est satisfait » (exposé des faits et du droit, au paragraphe 48). Les demandeurs subiraient le plus grand préjudice si le sursis n’était pas accordé, car leur préjudice serait irréparable. Le critère à trois volets est donc satisfait.

[15] En tout respect, ce syllogisme ne reflète pas le fonctionnement du cadre et l’état du droit.

[16] D’abord, lorsqu’un demandeur souhaite obtenir un sursis qui constitue la réparation recherchée dans la demande de contrôle judiciaire (ne pas être renvoyé, compte tenu du risque), je ne suis pas convaincu que le volet relatif à la question sérieuse peut être satisfait du fait que celle-ci n’est ni futile ni vexatoire. La proposition découle de l’arrêt RJR-MacDonald et a été formulée dans Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148; [2001] 3 RCF 682 [Wang]. Comme l’a affirmé la Cour, « [e]n conséquence, si le sursis est accordé, la réparation aura été obtenue sur une conclusion que la question soulevée n’est pas futile » (au para 10). Au paragraphe 11, on peut lire que « c’est que le volet du critère qui porte sur la question sérieuse se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie, étant donné que l’octroi de la réparation recherchée dans la demande interlocutoire accordera au demandeur la réparation qu’il sollicite dans le cadre du contrôle judiciaire ». Dans l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron], la Cour d’appel fédérale a confirmé l’approche formulée dans la décision Wang. Dans ce cas, un demandeur doit établir que la demande sous-jacente sera vraisemblablement accueillie, en tenant par ailleurs compte de la norme de contrôle qui sera celle du caractère raisonnable de la décision.

[17] La deuxième question est celle de savoir si la Cour a compétence pour entendre une requête en sursis lorsque la mesure de renvoi n’est pas contestée. Dans les décisions Akhayane c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 680, et Barh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 885, j’ai tenté d’expliquer qu’il existe une jurisprudence selon laquelle la Cour n’a pas compétence pour accorder un sursis lorsque la mesure de renvoi n’est pas contestée (Shchelkanov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 76 FTR 151 et la jurisprudence qui en est issue). La difficulté serait atténuée lorsque l’objet de la demande de contrôle judiciaire serait le refus par l’agent de renvoi de reporter le renvoi. Dans la vaste majorité des demandes de sursis, il semble qu’un refus par l’agent de renvoi de reporter le renvoi soit en cause. Mais en l’espèce, ce n’est pas le cas.

[18] Je souligne qu’il existe une autre tendance jurisprudentielle selon laquelle l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui donne à la Cour le pouvoir de prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive, semble avoir une portée suffisamment large pour s’appliquer dans les affaires telles que l’espèce (Muncan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7401; 141 FTR 241).

[19] Il ne me semble pas nécessaire de prévenir une controverse potentielle en tranchant la question de savoir si la Cour a compétence, car le résultat final est le même si, pour satisfaire au volet relatif à la question sérieuse, il doit être établi que la demande sous-jacente sera vraisemblablement accueillie. Étant donné que, dans les deux cas, lorsque l’agent de renvoi refuse de reporter le renvoi et lorsque la décision relative à l’ERAR est contestée afin d’éviter le renvoi, le sursis entraîne le report du renvoi. Il n’y aurait donc pas d’avantage stratégique (celui de rendre le volet relatif à la question sérieuse moins exigeant) à demander, non pas un report auprès de l’agent des renvois, mais un sursis jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à l’ERAR soit tranchée. Il s’ensuit que, tel que dans la décision Wang et l’arrêt Baron, le volet relatif à la question sérieuse sera satisfait s’il est établi que la demande sous-jacente sera vraisemblablement accueillie, et non simplement si l’allégation n’est ni futile ni vexatoire.

[20] Je doute que les questions soulevées par les demandeurs soient telles qu’il est vraisemblable que la demande sous-jacente soit accueillie, mais il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant si tel est le cas. Si la requête doit être rejetée, c’est plutôt parce qu’il n’a pas été démontré qu’il y aurait préjudice irréparable. C’est que, contrairement à ce qu’ont avancé les demandeurs, le volet relatif au préjudice irréparable doit être satisfait indépendamment des autres volets pour que l’injonction soit accordée. Il ne dépend pas du volet relatif à la question sérieuse, qu’il s’agisse d’établir que la demande n’est [traduction] « ni futile ni vexatoire » ou d’établir qu’elle sera « vraisemblablement accueillie ».

[21] D’abord, il est inexact d’affirmer que, s’il est établi qu’il existe une question sérieuse, il s’ensuit qu’il y a préjudice irréparable. La Cour d’appel fédérale a rejeté une telle approche lorsqu’il a été soutenu devant elle que, s’il n’est pas établi qu’il existe un préjudice irréparable, il est malgré tout loisible à la Cour d’accorder le sursis demandé.

[22] La Cour s’est catégoriquement inscrite en faux. Dans l’arrêt Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, elle a conclu que « [l]es trois questions doivent recevoir une réponse affirmative. En d’autres termes, Janssen doit démontrer qu’elle satisfait aux trois exigences » (au para 14). La Cour d’appel a insisté sur ce point :

Chaque volet du critère ajoute un élément important. C’est pourquoi aucun d’entre eux ne saurait être facultatif. L’objet fondamental du critère se trouverait compromis s’il en était autrement.

La décision Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, va dans le même sens (para 13).

[23] En effet, la Cour d’appel affirme depuis plusieurs années que « [l]a notion de préjudice irréparable doit comporter plus qu’une simple suite de possibilités. Il appartient à l’appelant de prouver que le recours extraordinaire qu’est un sursis d’exécution d’une mesure de renvoi est justifié » (Atwal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 427 au para 14 [Atwal]). Le volet du critère relatif au « préjudice irréparable » n’a pas été satisfait dans cette affaire, car « les documents de l’appelant ne [contenaient] que des allégations et des hypothèses » (au para 15).

[24] La Cour d’appel a précisé dans plusieurs arrêts l’exigence selon laquelle la preuve doit contenir davantage que des allégations et des hypothèses. L’état de la jurisprudence de la Cour d’appel portant sur le préjudice irréparable est résumé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Oshkosh Defence Canada Inc, 2018 CAF 102 [Oshkosh] :

[25] Enfin, pour prouver qu’il y a préjudice irréparable, la partie requérante doit établir de manière détaillée et concrète qu’elle subira un préjudice réel, certain et inévitable – et non pas hypothétique et conjectural – qui ne pourra être redressé plus tard : Première Nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, 422 N.R. 191, paragraphes 47 à 49; Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod, 2010 CAF 84, 402 N.R. 341, paragraphes 14 à 22; Gateway City Church c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 126, 445 N.R. 360, paragraphes 14 à 16;Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu National), 2012 CAF 255, 440 N.R. 232, paragraphe 31; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328, paragraphe 12; Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 176, paragraphes 44 à 46. Le requérant qui présente des allégations plutôt que des démonstrations de preuve et « [des] hypothèses, [des] conjectures, [des] présomptions et [des] affirmations discutables non étayées par les preuves » échoue souvent à satisfaire à ce volet du critère applicable au sursis : Glooscap, paragraphe 31; Première Nation de Stoney, paragraphe 48. Le requérant qui présente « des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » obtient souvent gain de cause : Glooscap, paragraphe 31; voir aussi les arrêts Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, 406 N.R. 304, paragraphe 14, et Laperrière, paragraphe 17.

[Non souligné dans l’original.]

Ainsi la preuve doit être détaillée et concrète, et le préjudice irréparable doit être réel et non conjectural ou abstrait.

[25] La véritable teneur des attributs et de la qualité de la preuve requise pour établir l’existence d’un préjudice irréparable est exposée dans le passage ci-dessous de l’arrêt Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 :

[14] Cette affirmation générale ne suffit pas pour établir l’existence d’un préjudice irréparable : Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 265, au paragraphe 22. Ce type d’affirmation générale peut être formulé dans toutes les affaires. L’acceptation de cette affirmation comme élément de preuve établissant en soi un préjudice irréparable affaiblirait indûment le pouvoir que le législateur a accordé au ministre, soit celui de protéger l’intérêt public dans les cas pertinents en publiant son avis et en révoquant l’enregistrement même avant que la décision soit rendue au sujet de l’opposition et, plus tard, de l’appel.

[15] Les affirmations générales ne peuvent établir l’existence d’un préjudice irréparable, car elles ne prouvent rien :

Il est beaucoup trop facile pour ceux qui demandent un sursis dans une affaire comme celle‑ci d’énumérer diverses difficultés, de les qualifier de graves, puis, au moment de préciser le préjudice qui risque d’en découler, d’employer des termes généraux et expressifs qui ne servent pour l’essentiel qu’à affirmer – et non à prouver à la satisfaction de la Cour – que le préjudice est irréparable.

(Première Nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, au paragraphe 48.) En conséquence, « [l]es hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante » : Glooscap Heritage Society c. Ministre du Revenu national, 2012 CAF 255, au paragraphe 31.

[16] Il faut plutôt « produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » : arrêt Glooscap, précité, au paragraphe 31. Voir également Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, au paragraphe 14; Canada (Procureur général) c Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328, au paragraphe 12; Laperrière c. D. et A. MacLeod Company Ltd., 2010 CAF 84, au paragraphe 17.

Je suis d’accord avec mon collègue le juge Denis Gascon pour dire que [traduction] « [d]ans le contexte des sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, la notion [de préjudice irréparable] suppose une forte probabilité que la vie ou la sécurité du demandeur (ou de sa famille) soit menacée » (Lima c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), IMM-3741-19, 27 juin 2019, au para 6). En effet, il qualifie le critère relatif au préjudice irréparable de [traduction] « très strict », ce qui me semble juste (au para 5).

[26] La preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle les demandeurs subiraient un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés au Nigéria ne répond pas aux exigences strictes de la loi. Aucun élément de preuve n’étaye les affirmations générales selon lesquelles la violence contre l’homosexualité s’est amplifiée au Nigéria. Tel qu’il est affirmé dans l’arrêt Oshkosh, « pour prouver qu’il y a préjudice irréparable, la partie requérante doit établir de manière détaillée et concrète qu’elle subira un préjudice réel, certain et inévitable – et non pas hypothétique et conjectural – qui ne pourra être redressé plus tard » (au para 25). Cette interprétation du deuxième volet a été entièrement approuvée dans l’arrêt récent Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M-I LLC, 2020 CAF 3 [Western Oilfield]. La preuve doit être suffisamment probante, tel que l’a illustré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Western Oilfield. En l’espèce, le défendeur reconnaît que la preuve indique que les homosexuels subissent de mauvais traitements au Nigéria. Toutefois, la preuve présentée par les demandeurs ne consiste que dans des généralités qui n’ont pas le degré de précision qui la rendrait suffisamment probante. Aucun lien n’a été établi entre la situation au Nigéria et la situation particulière des demandeurs dans ce pays de 220 millions d’habitants. Le préjudice est donc conjectural. Les précisions requises font défaut.

[27] J’ai soigneusement examiné la preuve présentée par les demandeurs. Elle est de caractère général. On apprend que la violence contre la communauté LGBTQ+ a augmenté de 214 % dans les quelques années depuis l’adoption de la Same-Sex Marriage (Prohibition) Act (la loi interdisant le mariage entre personnes de même sexe). Il est très difficile de savoir ce que ce chiffre traduit de la réalité au Nigéria. Quelques incidents où une foule en colère a été à l’origine d’actes de violence sont rapportés. Tout acte de violence est tragique. Cependant, les éléments de preuve concernant la situation dans le pays ou les actes de violence ne suffisent pas à établir une forte probabilité de danger. Tel était le fardeau qui incombait aux demandeurs, et ils ne s’en sont pas acquittés. Des éléments de preuve plus nombreux, plus solides et plus détaillés sont nécessaires.

[28] Il y a une vingtaine d’années, la Cour d’appel a affirmé, dans le contexte de l’immigration, qu’une simple suite de possibilités n’établissait pas un préjudice irréparable (Atwal, précité). Depuis, il a été conclu que la preuve doit être détaillée et concrète, et que le préjudice doit être réel et précis. Je ne dirais pas qu’il doit être presque certain. Une telle exigence ne servirait pas les fins nécessaires d’un sursis. Cependant, il faut davantage que la situation dans le pays ou des exemples d’actes de violence commis au fil des ans pour donner à la notion de préjudice irréparable un sens raisonnable. J’ajouterais que, si une telle preuve suffisait, l’exigence de démontrer, preuve à l’appui, qu’il est justifié d’accorder la réparation extraordinaire qu’est le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi disparaîtrait en grande partie.

[29] Comme les trois volets du critère doivent être satisfaits, le fait de ne pas avoir établi qu’il existe un préjudice irréparable tranche la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

[30] Il y a lieu de faire une dernière observation. Dans leur demande d’ERAR, les demandeurs ont soulevé pour la première fois une question qui n’avait pas été tranchée au cours du processus de demande d’asile. Comme il a été affirmé il y a près de vingt ans, une « procédure d’évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience du statut de réfugié » (Kaybaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32 au para 11). Dans la décision Luanje c Canada (Citizenship and Immigration), 2013 CF 792, le juge Sean Harrington a souligné que « [l]’examen des risques avant renvoi n’est pas un deuxième examen de la demande d’asile » (au para 10). La Cour a ajouté au paragraphe 11 que « [d]ans ses observations, M. Luanje soutient qu’il est ouvertement homosexuel depuis un certain temps. Même si j’accepte, comme il le prétend, qu’il était ouvertement homosexuel depuis au moins un an avant l’audition de sa demande d’asile, il n’a offert aucune justification pour laquelle il n’a pas fondé sa demande sur son orientation sexuelle à l’époque ». Beaucoup plus récemment, dans la décision Ghorbanniay Hassankiadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 33, la Cour a conclu qu’un [traduction] « ERAR n’est pas l’occasion pour un demandeur de présenter un tout nouveau fondement à l’égard de sa demande d’asile, lequel aurait pu être présenté lorsque la SPR avait entendu l’affaire, mais ne l’a pas été » (au para 19).

[31] La requête en sursis met en évidence une question qui aurait sans doute pu être soulevée auparavant, puisque la demanderesse principale a affirmé qu’elle avait commencé à avoir de l’intérêt pour les femmes en 2018. Elle demandait alors l’asile au motif que son mari était violent envers elle. Dans son rapport d’octobre 2019, le psychothérapeute n’a pas fait pas la moindre allusion à autre chose que le traumatisme de la demanderesse causé par son mari. Ce rapport, jugé inadmissible par la SAR, a été rédigé quatre mois après que la demanderesse principale eut rencontré sa conjointe, soit bien avant que la SAR tranche l’appel (le 3 novembre 2020). La demanderesse principale n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas avancé cet argument beaucoup plus tôt. À mon avis, une demande d’ERAR devrait soulever une toute nouvelle question. Si ce n’est pas possible, la demande va à l’encontre de l’objet de l’ERAR. Toutefois, faire de l’ERAR une deuxième audition de la demande d’asile en soulevant une question qui aurait pu être soulevée auparavant va également à l’encontre de l’objet de l’ERAR. Le principe du caractère définitif des décisions exige que les demandeurs présentent à la SPR et à la SAR les arguments pour lesquels, compte tenu de leur situation, l’asile doit leur être accordé.

[32] Par conséquent, la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi doit être rejetée.

 


ORDONNANCE dans le dossier IMM-5062-23

LA COUR ORDONNE :

La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5062-23

 

INTITULÉ :

YETUNDE MUTIAT OYADEYI, ONAOPEMIPO OLANREWAJU SOETAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MAI 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Hersh

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christian Halt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services juridiques communautaires d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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