Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230508


Dossier : IMM-7738-21

Référence : 2023 CF 657

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

NURTAI MUNZHUROV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Nurtai Munzhurov, est un citoyen du Kirghizistan âgé de 25 ans qui sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 20 octobre 2021 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté sa demande de permis de travail postdiplôme [PTPD], sa demande de permis de séjour temporaire [PST] présentée au titre du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et sa demande de rétablissement de statut présentée au titre de l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2022‑227 [le Règlement].

[2] Seule la décision relative à la demande de PST demeure en litige. La décision relative à la demande de rétablissement de statut, même si elle est importante pour comprendre le contexte, n’est plus contestée. À l’audience, le demandeur a admis qu’il n’était pas admissible à un PTPD parce qu’il n’étudiait pas à temps plein lorsqu’il a présenté sa demande. C’est pourquoi il a ensuite demandé un PST.

[3] Comme il est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 99, une décision raisonnable possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire. Les motifs invoqués pour refuser le PST ne sont pas suffisamment intelligibles et ne permettent pas à la Cour de déterminer si tous les facteurs pertinents ont été dûment pris en compte (Vavilov, au para 100).

I. Contexte factuel

[5] Le demandeur est arrivé au Canada en 2015 muni d’un permis d’études afin de faire un baccalauréat de quatre ans à l’Université du Nouveau‑Brunswick. Le demandeur a conservé son statut d’étudiant à temps plein pendant la majeure partie de son programme d’études. Les exigences d’admissibilité au PTPD lui permettaient de s’inscrire comme étudiant à temps partiel pendant sa dernière session universitaire. Cependant, comme l’indique son relevé de notes, le demandeur a été inscrit comme étudiant à temps partiel pendant plus d’une session et non seulement pendant la dernière d’entre elles.

[6] Le permis d’études du demandeur a été prolongé à plusieurs reprises pour lui permettre d’obtenir son diplôme. Selon la dernière prolongation accordée, le permis expirait le 30 septembre 2020. Le 26 septembre 2020, le demandeur a présenté une demande de PTPD. Comme le demandeur a présenté cette demande avant l’expiration prévue de son permis d’études, il a pu conserver son statut jusqu’à ce qu’une décision concernant sa demande de PTPD soit rendue.

[7] Le 15 décembre 2020, le demandeur a été informé que sa demande de PTPD était rejetée au motif qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence d’admissibilité au PTPD selon laquelle il devait conserver son statut d’étudiant à temps plein au Canada. Selon son relevé de notes universitaire, le demandeur avait étudié à temps partiel pendant plus d’une session. Il a donc perdu son statut le 15 décembre 2020.

[8] Le 21 décembre 2020, le demandeur a reçu une attestation indiquant qu’il avait terminé ses études et que son diplôme lui serait délivré en mai 2021.

[9] Comme le statut du demandeur avait expiré à l’intérieur de la période prévue par la politique d’intérêt public relative à la COVID‑19 (soit entre le 30 janvier 2020 et le 31 mai 2021), celui‑ci avait jusqu’au 31 août 2021 pour présenter une demande afin de rétablir son statut. Autrement dit, en raison de la politique d’intérêt public relative à la COVID‑19, le demandeur n’était pas tenu de respecter le délai de 90 jours qui s’applique normalement suivant l’article 182 du Règlement (et qui l’aurait obligé à présenter sa demande de rétablissement de statut avant le 15 mars 2021).

[10] Le 25 mars 2021, le demandeur a tenté de régulariser son statut en présentant de nouvelles demandes pour un PTPD, pour un PST et pour le rétablissement de son statut à titre d’étudiant.

[11] Le demandeur a alors précisé qu’il présentait une demande de PST en même temps qu’une demande de PTPD afin de pallier son inadmissibilité à un PTPD étant donné qu’il n’avait pas conservé son statut d’étudiant à temps plein.

[12] Le 20 octobre 2021, ses demandes ont été rejetées dans la même lettre de décision. L’agent a conclu que le demandeur n’était pas admissible à un PTPD, puisqu’il n’avait pas conservé son statut d’étudiant à temps plein pour chaque session universitaire à l’exception de la dernière. L’agent a également conclu que le demandeur n’était pas admissible au rétablissement de son statut au titre de l’article 182 du Règlement. Enfin, l’agent a rejeté la demande de PST présentée au titre du paragraphe 24(1) de la Loi parce qu’elle n’était pas justifiée dans les circonstances, mais n’a pas fourni de motifs supplémentaires pour expliquer les éléments qu’il avait pris en compte dans son processus décisionnel.

II. Analyse

A. Demande de rétablissement de statut

[13] À l’audience, les parties ont reconnu que l’agent avait commis une erreur dans son examen de la politique d’intérêt public relative à la COVID‑19, qui accordait un délai supplémentaire aux étrangers pour présenter une demande de rétablissement de statut.

[14] En l’espèce, le permis d’études du demandeur expirait le 30 septembre 2020. Cependant, comme il a présenté une demande de PTPD le 26 septembre 2020, il a pu conserver son statut en attendant qu’une décision soit rendue. La demande de PTPD a été rejetée le 15 décembre 2020. En théorie, le demandeur disposait donc de 90 jours à compter de cette date pour présenter une demande de rétablissement de statut conformément à l’article 182 du Règlement, soit jusqu’au 15 mars 2021. Le demandeur n’a présenté sa demande de rétablissement que le 25 mars 2021, ce qui a amené l’agent à conclure qu’il n’avait pas respecté le délai prescrit pour présenter une demande de rétablissement et une demande de PTPD.

[15] Toutefois, comme l’a admis le défendeur, l’agent n’a pas appliqué correctement la politique d’intérêt public relative à la COVID‑19 qui était en vigueur à ce moment‑là. Cette politique permettait aux étrangers qui avaient perdu leur statut entre le 30 janvier 2020 et le 31 mai 2021 de présenter une demande de rétablissement jusqu’au 31 août 2021. Le demandeur avait perdu son statut le 15 décembre 2020 et avait donc jusqu’au 31 août 2021 pour présenter une demande de rétablissement.

[16] Cela dit, l’erreur commise par l’agent n’a pas d’incidence importante dans la présente affaire. Le demandeur a reconnu que même si son statut à titre d’étudiant avait été rétabli, il n’aurait tout de même pas été admissible à un PTPD parce qu’il n’avait pas étudié à temps plein durant toutes les sessions d’études, sauf la dernière, comme l’exigent les lignes directrices applicables (Idowu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 46 aux para 7, 13, 17). Par conséquent, l’argument du demandeur sur cette question doit être rejeté.

B. Demande de PST

[17] À mon avis, la principale question en l’espèce concerne les motifs exposés par l’agent pour rejeter la demande de PST du demandeur. L’article 24 de la Loi permet, lorsque les circonstances le justifient, de délivrer un PST à un étranger qui ne se conforme pas à la Loi. Cette disposition vise à « rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la [Loi], lorsqu’il existe des “raisons impérieuses” pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la [Loi] » (Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275 au para 22; Shabdeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 FC 303 au para 23). L’article 24 est libellé ainsi :

Permis de séjour temporaire

Temporary resident permit

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

[18] En l’espèce, le demandeur a affirmé que la délivrance d’un PST était justifiée parce qu’il avait satisfait à toutes les exigences d’admissibilité à un PTPD, sauf celle portant qu’il devait conserver son statut d’étudiant à temps plein. Le demandeur a également expliqué pourquoi il n’avait pas pu conserver ce statut. Dans ses lignes directrices sur les PST, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada décrit l’examen que doit réaliser un agent pour déterminer s’il y a lieu de délivrer un PST à un demandeur. Le guide sur les PST indique ensuite les facteurs dont un agent doit tenir compte pour prendre une décision quant à une demande de PST. Ces facteurs comprennent les antécédents du demandeur, les raisons de sa présence au Canada, les avantages pour lui et pour autrui, etc.

[19] En l’espèce, il ne ressort pas des motifs de l’agent que pareil examen a été effectué. Rien dans les motifs ne démontre que l’agent s’est dûment penché sur la question de savoir si le demandeur avait un « besoin impérieux » d’être au Canada et si ce besoin l’emportait sur les risques pour pays (Mousa c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 1358 au para 9).

[20] Le défendeur fait valoir que la situation du demandeur n’est pas exceptionnelle et que celui‑ci se trouve dans la même situation que toute personne titulaire d’un permis d’études au Canada. Il ressort clairement de la jurisprudence que l’application du critère requérant la démonstration de « circonstances exceptionnelles et impérieuses » est conforme aux objectifs de l’article 24 de la Loi et ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (El Rahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1058 aux para 9‑12, citant César Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 880 aux para 95‑100). De l’avis du défendeur, l’agent n’a donc pas fait fi d’éléments pertinents, car il n’y avait manifestement aucune circonstance impérieuse.

[21] Même s’il était loisible à l’agent de déterminer si les besoins et la situation du demandeur justifiaient de lui délivrer un PST, l’agent devait procéder à une évaluation en bonne et due forme des observations et de la preuve présentées par ce dernier, ce que la Cour n’est pas en mesure de constater en l’espèce. L’agent n’a cependant présenté que des motifs composés de formules passe‑partout qui sont inintelligibles et qui ne permettent pas à la Cour d’évaluer si le critère approprié a été appliqué (Abou Loh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1084 [Abou Loh] au para 40). Les motifs et le dossier ne permettent pas à la Cour d’établir les liens nécessaires ni ne la convainquent que le raisonnement suivi « se tient », puisqu’ils ne jettent aucune lumière sur le raisonnement de l’agent (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431; Seyedsalehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1250 [Seyedsalehi] au para 11; Donnellan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 227 [Donnellan] aux para 8‑10).

[22] Un agent ne peut se contenter d’énoncer des « conclusions objectives », car cela ne permet pas à une cour de révision de comprendre comment il « a interprété les éléments de preuve pour arriver à sa décision » (Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 aux para 21‑24, 31‑34). En l’espèce, concernant la question relative à l’article 24 de la Loi et à la délivrance d’un PST, l’agent a seulement indiqué qu’il avait [traduction] « examiné la demande [et qu’il n’était] pas d’avis qu’un PST [était] justifié dans les circonstances ». Ces motifs ne permettent pas à la Cour d’évaluer si l’agent a examiné les observations du demandeur et s’il a effectué une véritable analyse, ou s’il a simplement « utilis[é] des formules passe‑partout » sans fournir de motifs clairs (Abou Loh, au para 40). L’agent n’a pas expliqué comment les observations du demandeur, analysées en fonction de l’objectif de l’article 24 de la Loi, appuyaient sa décision de rejeter la demande de PST.

[23] Bien que les motifs puissent être brefs, ils doivent être clairs, précis et intelligibles, et faire référence aux observations et aux éléments de preuve documentaire du demandeur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323 au para 17). Comme l’a fait récemment remarquer mon collègue, le juge McHaffie, « [m]ême lorsque l’obligation de fournir des motifs est minime, la Cour ne peut se retrouver à conjecturer quant aux motifs d’une décision, ou à tenter de les compléter pour le décideur parce qu’ils ne ressortent pas clairement de la décision lue à la lumière du dossier » (Afuah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 596 au para 17; Seyedsalehi, au para 13).

[24] Par conséquent, la décision « ne satisfait pas aux critères de justification, d’intelligibilité et de transparence dans la mesure nécessaire pour éviter l’intervention de la Cour » et est « un exemple de décision administrative où les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle permettant à la Cour de relier les points ou d’être convaincue que le raisonnement “se tient” » (Seyedsalehi, aux para 6, 11; voir aussi Donnellan, aux para 2, 3, 7, 8).

III. Conclusion

[25] Pour les motifs qui précèdent, je juge que la décision de rejeter la demande de PST du demandeur est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur afin qu’il procède à un nouvel examen.

[26] Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7738-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’il procède à un nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7738-21

 

INTITULÉ :

NURTAI MUNZHUROV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 8 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Amanat Sandhu

POUR LE DEMANDEUR

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matkowsky Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.