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Date : 20230406


Dossier : IMM-3615-21

Référence : 2023 CF 492

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

HERNAN DARIO NEIRA GIRALDO

HEIDY YELYTHZA GOMES MARTINEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, qui sont des citoyens colombiens, sont arrivés au Canada en 2017. Ils ont deux enfants nés au Canada, qui ne sont pas parties à la présente instance.

[2] Les demandeurs ont soumis une demande d’asile, qui a été rejetée, ainsi qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, qui a également été rejetée : Giraldo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1052.

[3] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision du 17 mai 2021 par laquelle l’agent principal (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que les demandeurs avaient présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la LIPR]. Cette disposition est reproduite à l’annexe A des présents motifs.

[4] La seule question à trancher concerne le caractère raisonnable de la décision, c’est-à-dire que la Cour doit déterminer si la décision est intelligible, transparente et justifiée, conformément à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25, 99.

[5] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait (Vavilov, au para 100), la question déterminante étant celle de l’analyse déraisonnable de l’agent concernant l’intérêt supérieur de leurs enfants nés au Canada. En conséquence, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[6] Le décideur chargé d’examiner une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant et lui accorder un poids considérable; la décision peut être déraisonnable si l’intérêt supérieur de l’enfant est minimisé : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 75. Le décideur doit examiner les répercussions sur l’intérêt supérieur de l’enfant si ce dernier reste au Canada et s’il n’y reste pas : Vieira Sebastiao Melo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 544 au para 57.

[7] J’estime que, contrairement à ce qu’affirme le défendeur, le raisonnement de l’agent n’est pas fondé sur le manque de preuve, mais plutôt sur des spéculations, ce qui donne lieu à une analyse illogique. À titre d’exemple, en ce qui concerne la crainte des demandeurs que leurs enfants soient exposés à un risque plus élevé de délinquance et de criminalité violente en Colombie, l’agent a d’abord fait remarquer que les demandeurs avaient vécu en Colombie avant leur arrivée au Canada, et ensuite que ceux-ci n’avaient pas décrit comment ils avaient été exposés à la criminalité lorsqu’ils étaient enfants, ou plus tard en tant qu’adultes.

[8] Je crois que l’agent a déraisonnablement axé son appréciation de la preuve sur ce qu’elle ne disait pas plutôt que sur ce qu’elle disait : Anshur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 567 au para 21. En outre, le fait d’essayer de comparer les expériences que les parents ont vécues il y a de nombreuses années et la situation actuelle de leurs enfants n’est, selon moi, ni justifié ni intelligible. En d’autres mots, l’agent s’éloigne du cas des enfants pour s’intéresser à celui des parents, et cherche à tirer des conclusions sur la situation à laquelle les enfants seraient confrontés s’ils devaient déménager en Colombie, en se fondant sur l’absence de preuve quant à la délinquance et à la criminalité violente à laquelle les parents auraient été exposés par le passé. Cette analyse est déraisonnable.

[9] Également, l’agent ne précise aucunement le poids qu’il accorde au facteur lié à l’intérêt supérieur des enfants : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 25.

[10] En outre, l’agent présuppose que, en général, les enfants sont résilients face au changement, tout en reconnaissant que les enfants des demandeurs éprouveront certaines difficultés à s’adapter à la vie en Colombie. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés; le fait que l’agent commence son analyse sous l’angle de la résilience ou de la capacité d’adaptation des enfants donne à penser, à mon avis, qu’il n’a peut-être pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants : Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555 au para 9; Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008 au para 28.

[11] Je note également que l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve sur la situation des proches des enfants en Colombie, tels que les grands-parents paternels, l’oncle et la tante à qui il fait référence, et sur la volonté de ces dernier d’apporter leur soutien aux enfants. L’agent se livre donc à nouveau à des spéculations injustifiées en supposant que les proches seraient disposés à apporter leur soutien aux enfants.

III. Conclusion

[12] Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire. La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[13] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale aux fins de certification. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.



JUGEMENT dans le dossier IMM-3615-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.

  2. La décision du 17 mai 2021 par laquelle la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs a été rejetée est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. 3.Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


Annexe A : Disposition pertinente

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)

Immigration and Refugee Protection Act (SC 2001, c. 27)

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3615-21

 

INTITULÉ :

HERNAN DARIO NEIRA GIRALDO, HEIDY YELYTHZA GOMES MARTINEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NovembRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AVril 2023

 

COMPARUTIONS :

Terry S. Guerriero

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry S. Guerriero

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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