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Date : 20230411


Dossier : IMM-2949-21

Référence : 2023 CF 503

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

MOHAMED ABDIWAHAAB FARAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le demandeur affirme être Mohamed Abdiwahaab Farah, un citoyen de la Somalie né le 20 décembre 1997. Après avoir passé un peu plus de deux ans en Suède, où l’asile lui a été refusé, il est entré au Canada le 31 décembre 2017 et a demandé l’asile ici. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a rejeté la demande parce que le demandeur n’avait pas établi son identité personnelle ni son identité en tant que ressortissant de la Somalie. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR, mais il n’a pas mis l’appel en état. La SAR a rejeté l’appel le 10 janvier 2020.

[2] Le 28 mai 2020, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour étayer sa demande, le demandeur a invoqué les difficultés auxquelles il devrait faire face en Somalie, l’intérêt supérieur de son enfant (une fille née au Canada en octobre 2019) et son établissement au Canada.

[3] Dans une décision datée du 16 avril 2021, un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a rejeté la demande. L’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur étaient insuffisantes pour justifier une dispense de l’exigence habituelle selon laquelle une demande de résidence permanente doit être présentée depuis l’étranger. L’agent s’est appuyé en partie sur la décision de la SPR et a déclaré qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait établi sa nationalité somalienne. Par conséquent, il n’était pas non plus convaincu que le demandeur devrait faire face à des difficultés en Somalie.

[4] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il n’a pas établi sa nationalité somalienne est déraisonnable. Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, je conviens avec le demandeur que l’approche de l’agent à l’égard de la décision de la SPR était déraisonnable. Cependant, je ne suis pas convaincu que cela remette en question le caractère raisonnable de la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas établi sa nationalité somalienne. Je ne suis pas non plus convaincu que cette conclusion centrale est déraisonnable à un autre titre. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

II. CONTEXTE

A. Récit du demandeur

[5] Le demandeur affirme être né à Kismaayo, en Somalie. Il prétend également appartenir au clan des Ashraf, un clan minoritaire qui est persécuté en Somalie, notamment par des membres du clan Marehan, un sous‑clan du clan majoritaire Darod.

[6] Selon le demandeur, des membres du clan Marehan ont confisqué les terres agricoles de son père à Kismaayo en 2006. Environ un an plus tard, alors qu’Al‑Chabaab contrôlait la région, la famille a pu récupérer les terres. Cependant, en janvier 2015, des membres du clan Marehan ont une fois de plus tenté de confisquer les terres. L’oncle du demandeur a été tué au cours du conflit après qu’il a tué deux membres du clan Marehan.

[7] Le demandeur affirme qu’il se trouvait en Somalie au moment des événements. Il a décidé de fuir parce qu’il estimait que le conflit ne pouvait pas être réglé par des moyens légaux et qu’il craignait d’être assassiné par vengeance parce qu’il est l’aîné des enfants de son père. Il craignait également d’être recruté de force par Al‑Chabaab, qui continuait d’être actif dans la région. Le demandeur a quitté la Somalie et s’est rendu au Kenya le jour même où son oncle a été tué. Il a fini par se rendre en Suède, où il a de la famille élargie.

B. Demande d’asile en Suède

[8] Le 15 juillet 2015, le demandeur a présenté en Suède une demande d’asile fondée sur le récit présenté ci‑dessus. Il a présenté sa demande sous le nom de Mohamed Abdullahi Gasshe, né le 20 décembre 1999. Il avait donc 15 ans lorsqu’il a présenté sa demande d’asile. Le demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire pour établir son âge ou son identité personnelle.

[9] Dans une décision écrite datée du 2 octobre 2017, l’Office national suédois des migrations a rejeté la demande d’asile.

[10] L’Office a tiré quatre conclusions préliminaires qui sont importantes pour les fins de l’espèce. Premièrement, il n’était pas convaincu que le demandeur avait [traduction] « probablement prouvé » son âge ni qu’il était même mineur lorsqu’il a présenté sa demande d’asile. Cette conclusion reposait en grande partie sur les résultats d’une évaluation médicale de l’âge qui a permis de déterminer (avec une certaine marge d’erreur) qu’il était plus probable qu’improbable que le demandeur était âgé de plus de 18 ans. L’Office a donc traité la demande d’asile du demandeur comme celle d’un adulte plutôt que d’un mineur (ce qui a eu une incidence sur la manière dont la demande a été évaluée). Il ressort des motifs de l’Office que le demandeur a continué d’affirmer que la date de naissance qu’il avait initialement fournie (le 20 décembre 1999) était correcte, malgré les résultats de l’évaluation médicale de l’âge ou les réserves de l’Office quant à la véracité de cette information.

[11] Deuxièmement, le demandeur avait des connaissances limitées sur le clan auquel il prétendait appartenir et n’avait pas d’explication plausible à la raison pour laquelle il n’en savait pas autant qu’il aurait raisonnablement dû en savoir sur son prétendu clan. L’Office a donc conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il appartenait [traduction] « probablement » au clan des Ashraf.

[12] Troisièmement, compte tenu des connaissances du demandeur sur Kismaayo, l’Office était convaincu qu’il avait prouvé que Kismaayo était [traduction] « vraisemblablement » son dernier lieu de résidence en Somalie. Par conséquent, l’Office a évalué son dossier en fonction de la situation dans cette ville.

[13] Enfin, puisque [traduction] « rien n’indiqu[ait] » que le demandeur était citoyen d’un autre pays que la Somalie, l’Office a conclu que ce dernier avait prouvé qu’il était [traduction] « probablement » un citoyen somalien. L’Office a donc traité la Somalie comme le pays de référence. La décision ne fournit pas d’autres explications sur les motifs de cette décision ou sur les éléments de preuve (s’il y en a) sur lesquels l’Office s’est appuyé pour la prendre.

[14] Après avoir tiré ces conclusions préliminaires, l’Office a rejeté la demande d’asile sur le fond. Il a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve fiables montrant qu’il appartenait à un clan qui, comme il le prétendait, était en conflit à l’égard de terres avec le clan Marehan, conflit qui ne pouvait pas être réglé par des moyens légaux. De plus, le demandeur n’avait pas prouvé qu’il risquait [traduction] « vraisemblablement » d’être tué à la suite d’un tel conflit avec le clan Marehan. L’Office a donc tiré la conclusion suivante : [traduction] « Pour cette raison, l’Office conclut que vous n’avez pas prouvé que vous risquiez vraisemblablement d’être tué par le clan Marehan en raison d’une vendetta si vous deviez retourner à Kismaayo. » Pour des motifs qui ne sont pas liés à la présente demande, l’Office a également conclu qu’il n’y avait aucune autre raison d’accorder un statut au demandeur en Suède.

[15] Après avoir rejeté la demande d’asile, l’Office a ordonné au demandeur de quitter le pays au plus tard quatre semaines après que la décision est devenue définitive.

C. Demande d’asile au Canada

[16] Le demandeur a quitté la Suède pour se rendre au Canada le 31 décembre 2017 et est arrivé le même jour à l’aéroport international Pierre‑Elliott‑Trudeau de Montréal. Il soutient qu’il a utilisé le passeport de son cousin, qui était au nom d’Abdulkadir Gaashe, parce qu’il n’avait aucun autre titre de voyage. (Le pays qui a délivré le passeport n’est indiqué nulle part dans le dossier de la présente demande.) Il affirme qu’il a détruit le passeport alors qu’il était en route vers le Canada. Il a présenté une demande d’asile à son arrivée au pays.

[17] Le demandeur a signé son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) original le 6 février 2018. Dans ce formulaire, il a indiqué que son nom était Mohamed Abdullahi Gaashe et qu’il était né le 20 décembre 1999. Il s’agit du même nom et de la même date de naissance que ceux qu’il avait utilisés dans sa demande d’asile en Suède.

[18] Le 20 avril 2018, le demandeur a signé un exposé circonstancié considérablement modifié dans son formulaire FDA. Il s’identifiait maintenant sous le nom de Mohamed Abdiwahab Farah, né le 20 décembre 1997.

[19] Le demandeur a expliqué dans son exposé circonstancié modifié que, sur les conseils du passeur qui l’avait aidé à se rendre en Suède, il avait donné aux autorités suédoises la date de naissance erronée du 20 décembre 1999 afin que sa demande soit traitée comme celle d’un mineur. Le demandeur a également expliqué qu’il avait utilisé le nom de Mohamed Abdullahi Gaashe dans sa demande d’asile en Suède parce que c’était le nom que son cousin avait utilisé pour remplir des documents lorsque le demandeur avait dû y être hospitalisé.

[20] Pour corroborer son affirmation selon laquelle il est un ressortissant somalien et son affirmation selon laquelle il avait maintenant donné son nom et sa date de naissance exacts, le demandeur a fourni à la SPR ce qu’il prétendait être son certificat de naissance. Le nom, la date et le lieu de naissance figurant sur le document étaient les mêmes que ceux que le demandeur prétendait maintenant être exacts.

[21] L’exposé circonstancié modifié du demandeur présentait essentiellement le même récit que celui sur lequel il s’était appuyé pour demander l’asile en Suède. De plus, comme dans son formulaire FDA initial, il était indiqué dans l’exposé circonstancié que, le 14 octobre 2017 (c’est‑à‑dire peu après la décision défavorable de la Suède en matière d’asile), le demandeur avait appris que sa mère, son frère et ses cinq sœurs avaient tous été tués dans un attentat à la bombe perpétré par Al‑Chabaab à Mogadiscio. Le demandeur avait déclaré dans son exposé circonstancié initial qu’il n’avait donc pas de famille en Somalie. Cependant, dans son exposé circonstancié modifié, il a apporté une correction et déclaré qu’il n’avait plus de famille en Somalie, à l’exception de son père. (La situation du père du demandeur est examinée plus en détail ci‑dessous.)

[22] À l’audience devant la SPR, le demandeur a appelé Madina Omar Isse comme témoin. Le demandeur et Mme Isse ont tous deux déclaré qu’elle était la cousine de la mère du demandeur. Ils s’étaient rencontrés pour la première fois le 7 février 2018, soit après l’arrivée du demandeur au Canada, lorsque Mme Isse l’avait aidé à obtenir sa libération par les autorités d’immigration. Le demandeur a vécu à Toronto avec elle et sa famille jusqu’en janvier 2019. Même si le demandeur a appelé Mme Isse comme témoin pour l’aider à établir son identité, elle n’avait pas une connaissance directe de son identité. Avant de rencontrer le demandeur, elle n’avait entendu parler de lui que par des membres de sa famille en Suède. Ce sont les renseignements qu’ils avaient fournis qui l’avaient amenée à croire que le demandeur était celui qu’il prétendait être.

[23] Il ressort de la décision de la SPR qu’avant l’audience, le ministre avait fourni les résultats d’une recherche biométrique effectuée par les autorités américaines. Ces renseignements donnent à penser que le demandeur avait déjà été visé par une demande de parrainage de réfugiés aux États‑Unis. Dans la demande, la personne désignée comme le demandeur avait été identifiée sous le nom de Mohamed Gashe Mohamed, un citoyen de l’Éthiopie né le 1er janvier 1992. Bien que ces documents aient de toute évidence été présentés à la SPR, ils ne font pas partie du dossier de la présente demande. La SPR n’a pas précisé quand la demande de visa avait été présentée; toutefois, dans ses observations à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’avocate du demandeur (qui a également comparu en son nom devant la SPR) affirme que c’était en 2008.

[24] À l’audience de la SPR, le demandeur a confirmé qu’il était la personne mentionnée dans la demande de visa américain. Il a déclaré qu’il avait été séparé de sa famille lorsqu’ils avaient fui Kismaayo et qu’une amie de sa mère l’avait emmené avec elle en Éthiopie. Il avait alors neuf ou dix ans. Lorsque cette femme avait par la suite présenté une demande de visa américain avec d’autres membres de sa famille, elle avait inclus le demandeur dans sa demande. Le demandeur a présumé qu’elle avait indiqué qu’il avait la nationalité éthiopienne, malgré le fait qu’il soit somalien, parce que les autres personnes figurant dans la demande étaient Éthiopiennes. Le dossier relatif à la présente demande ne permet pas de savoir comment ni quand le demandeur est finalement retourné en Somalie.

D. Décision de la SPR

[25] La commissaire de la SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de l’obligation qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, son identité personnelle et sa nationalité en tant que citoyen somalien. Elle a donc conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[26] Pour conclure que le demandeur n’avait pas établi son identité, la commissaire de la SPR a tiré les principales conclusions suivantes concernant la preuve dont elle disposait :

  • Le certificat de naissance somalien fourni par le demandeur était frauduleux. Cette conclusion était fondée, entre autres, sur des défauts évidents au recto du document et sur l’improbabilité qu’un document officiel somalien soit rédigé en partie en anglais, comme l’était le certificat de naissance.

  • L’explication du demandeur sur la raison pour laquelle il avait été inscrit qu’il était de nationalité éthiopienne dans la demande de parrainage américaine — alors qu’il nie ce fait — n’était pas crédible.

  • Bien que l’Office national suédois des migrations eut accepté que le demandeur était de nationalité somalienne, il n’a pas expliqué le fondement de cette conclusion; il a seulement déclaré que rien n’indiquait que le demandeur avait une autre nationalité. En l’espèce, par contre, il était indiqué (dans les documents de parrainage présentés aux États‑Unis) que le demandeur était éthiopien. Quoi qu’il en soit, la SPR n’était pas liée à la décision rendue en Suède.

  • Le demandeur avait admis avoir utilisé quatre noms différents. Il a soutenu que, d’une façon ou d’une autre, il s’agissait de tous ses noms de famille. En particulier, il avait utilisé le nom « Gaashe » en Suède parce qu’il s’agissait d’un surnom de famille. L’explication du demandeur quant à l’utilisation de tous les noms différents n’était pas crédible.

  • Le témoignage de Mme Isse n’avait aucune valeur probante parce qu’elle n’avait pas une connaissance directe de l’identité du demandeur.

[27] Étant donné que le défaut d’établir l’identité était déterminante quant à la demande d’asile, la SPR ne s’est pas penchée sur la question de la crédibilité du récit fait par le demandeur concernant la vendetta alléguée avec des membres du clan Marehan au sujet des terres de son père.

[28] Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR, mais il n’a pas réussi à mettre en état l’appel et celui‑ci a donc été rejeté.

E. Demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[29] Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire le 28 mai 2020. Il a indiqué dans la demande que son nom était Mohamed Abdiwahaab Farah et qu’il était né à Kismaayo, en Somalie, le 20 décembre 1997. (Dans le dossier de la présente demande, le deuxième nom du demandeur est parfois orthographié Abdiwahab. Il ne semble y avoir aucune information à cet égard.) Le demandeur n’a produit aucun affidavit ni aucune autre forme de déclaration personnelle à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Son avocate a présenté des observations écrites détaillées et des éléments de preuve documentaire à l’appui à IRCC le 16 janvier 2021.

[30] La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait principalement sur les difficultés auxquelles le demandeur devrait faire face en Somalie. Le demandeur a également invoqué l’intérêt supérieur de sa fille et son établissement au Canada.

1) Difficultés en Somalie

[31] De façon générale, le demandeur a invoqué deux formes de difficultés auxquelles il devrait faire face en Somalie. L’une de ces formes concernait les risques auxquels il serait exposé en raison du différend avec les membres du clan Marehan au sujet des terres de son père. L’autre forme concernait la situation en Somalie, notamment l’instabilité sociale, les conflits entre clans, les difficultés économiques et la violence généralisée.

[32] Ces deux formes de difficultés reposaient sur la prémisse selon laquelle le demandeur était un citoyen de la Somalie. L’avocate du demandeur a donc exhorté l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire à conclure que le demandeur avait établi sa nationalité somalienne selon la prépondérance des probabilités.

[33] L’avocate a souligné qu’étant donné l’absence d’une administration civile stable en Somalie depuis 1991, il était difficile pour les personnes originaires de ce pays d’obtenir des documents d’identité officiels. Le demandeur avait donc cherché à établir sa nationalité somalienne à l’aide des documents suivants : a) son certificat de naissance (il s’agit du même document que le demandeur avait fourni à la SPR); b) une pièce d’identité pour Mohamed Abdullai Gaashe délivrée par l’Office national suédois des migrations, portant la photographie du demandeur et indiquant sa nationalité somalienne; c) une copie de la décision de l’Office national suédois des migrations concluant que le demandeur était un citoyen somalien; d) une lettre de la Loyan Foundation datée du 11 octobre 2019; e) une lettre de la Somali Canadian Association of Etobicoke datée du 6 janvier 2020; f) un document identifié dans les observations de l’avocate comme le [traduction] « Document d’identité du père délivré en Somalie ».

[34] La lettre de la Loyan Foundation indiquait qu’un représentant de l’organisation avait mené une évaluation de vérification dans la collectivité, évaluation rédigée en somali, ainsi qu’une entrevue de vive voix avec le demandeur en somali. Les deux examens [traduction] « [étaient] fondés sur des renseignements sur la Somalie, y compris sa géographie, son histoire, son patrimoine, sa situation sociopolitique et politique actuelle, ainsi que la lignée du clan et la culture de la personne ». La lettre indiquait que, d’après l’évaluation des résultats de l’examen du demandeur par un [traduction] « conseiller professionnel en établissement somalien », l’organisation pouvait confirmer que le demandeur était un ressortissant de la Somalie et qu’il appartenait au clan des [traduction] « Asharaf ».

[35] Il était indiqué dans la lettre de la Somali Canadian Association of Etobicoke que le directeur général de l’organisation et un travailleur au soutien juridique, qui ont tous les deux signé la lettre, avaient rencontré et interrogé le demandeur pour vérifier qu’il était d’origine somalienne. Il était indiqué dans la lettre que le demandeur [traduction] « a[vait] démontré qu’il pouvait parler le somali et qu’il a[vait] une connaissance exceptionnelle de son clan, de la zone géographique de la Somalie et du district de la ville dans laquelle il vivait ». Il y était également indiqué que le demandeur était accompagné de deux personnes d’origine somalienne pour confirmer son identité. L’une de ces personnes était Madina Omar Isse, [traduction] « qui [était] sa tante et qui le conn[aissait]; elle [a] déclar[é] que la personne que nous avons interrogée [était] Mohamed Abdiwahaab Farah ». (Il s’agit de la personne qui a témoigné à l’audience de la SPR.) L’autre personne était Abdisalan Farah Gas, qui [traduction] « [a] déclar[é] qu’il [avait] connu Mohamed au cours des deux dernières années ». Ces deux personnes ont également signé la lettre. La lettre indiquait que ces deux personnes avaient mentionné qu’elles étaient disposées à [traduction] « attester sous serment qu’elles connaiss[aient] Mohamed » et qu’elles avaient donc été dirigées vers le [traduction] « système juridique local pour produire des affidavits ». Aucun affidavit de ce genre n’a été fourni avec la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[36] Le document qui est censé être une pièce d’identité du père du demandeur n’est pas en anglais, et aucune traduction n’a été fournie. Il n’y a aucun renseignement sur la nature de ce document, la date à laquelle le demandeur l’a obtenu et la façon dont il l’a obtenu. Le document a été répertorié avec les autres « pièces d’identité » qui ont été fournies, mais il n’y a rien dans les observations de l’avocate sur sa provenance, son authenticité ou sa pertinence.

[37] Je m’arrête ici pour souligner que le demandeur a indiqué dans le formulaire intitulé Annexe A – Antécédents/Déclaration, signé en mai 2020 dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, que son père était décédé. Aucune date de décès n’était indiquée. Par ailleurs, le formulaire Renseignements additionnels sur la famille que le demandeur a également rempli dans le cadre de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire indique que la date du décès de son père est le 13 octobre 2017 (c’est‑à‑dire la veille du décès du reste de sa famille à Mogadiscio). Il n’y a aucune explication dans le dossier quant aux raisons pour lesquelles, comme il est mentionné ci‑dessus, le demandeur a déclaré dans l’exposé circonstancié modifié de son formulaire FDA (qu’il a signé le 20 avril 2018) que son père était toujours en vie.

[38] S’agissant des documents de l’Office national suédois des migrations, l’avocate du demandeur a soutenu que, compte tenu de la preuve montrant que les Somaliens utilisaient souvent des surnoms de famille sur les documents officiels et du témoignage du demandeur devant la SPR selon lequel « Gaashe » est le surnom de sa famille, le fait que le demandeur a utilisé le nom de Mohamed Abdullahi Gaashe dans sa demande d’asile en Suède donne raisonnablement à penser que son vrai nom est Mohamed Abdiwahab Farah. L’avocate du demandeur s’est également appuyée sur la décision de l’Office national suédois des migrations selon laquelle le demandeur est un ressortissant de la Somalie pour étayer son affirmation selon laquelle le demandeur est bel et bien somalien.

[39] Une copie de la décision de la SPR a également été fournie avec la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’avocate du demandeur a reconnu que la SPR avait rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il n’avait pas établi son identité. Il a toutefois soutenu que la décision de la SPR était viciée et que le tribunal avait commis des erreurs de droit et de fait.

[40] Plus particulièrement, l’avocate a contesté la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi sa nationalité somalienne pour les motifs suivants :

  • a)La SPR [traduction] « a procédé à une appréciation inéquitable de l’identité et de la crédibilité du demandeur sans avoir examiné l’ensemble de la preuve ». Elle a commis une erreur en refusant d’accepter une lettre du cousin du demandeur en Suède qui a été divulguée tardivement, ainsi que la divulgation postérieure à l’audience concernant le meurtre récent d’un journaliste canadien d’origine somalienne à Kismaayo.

  • b)La SPR a manqué à l’équité procédurale en concluant que le certificat de naissance était frauduleux sans d’abord donner au demandeur la possibilité de répondre aux réserves exprimées par la commissaire au sujet de l’authenticité du document. Si la commissaire lui en avait donné la possibilité, le demandeur lui aurait expliqué que le document était la traduction anglaise d’un document somalien original qu’il avait eu autrefois, mais qu’il avait maintenant égaré. Contrairement à ce que la SPR a cru à tort, le document n’était pas le certificat de naissance original et il n’a pas été délivré en anglais par les autorités somaliennes. De plus, les fautes d’orthographe dans le document [traduction] « auraient probablement pu être expliquées par le fait qu’il s’agi[ssait] simplement de la traduction d’un document en somali », selon l’avocate.

  • c)L’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il avait été inclus dans la demande de visa américain et à la raison pour laquelle il y avait été indiqué qu’il était de nationalité éthiopienne était crédible et aurait dû être acceptée par la SPR. Il n’avait que 10 ans à l’époque et ce sont les adultes qui l’entouraient, et non le demandeur, qui étaient chargés de remplir les documents. De plus, le demandeur n’a pas pu fournir beaucoup de détails sur l’ensemble de l’incident [traduction] « parce qu’il était tout simplement trop jeune et qu’il était probablement traumatisé en raison de la séparation d’avec sa famille ».

  • d)La SPR a commis une erreur dans son appréciation du témoignage de la témoin de l’identité du demandeur, Madina Omar Isse. Cette dernière a témoigné au sujet du nom, de la date de naissance et de la nationalité exacts du demandeur. Elle a fourni un [traduction] « témoignage spontané » qui était [traduction] « en grande partie cohérent » avec celui du demandeur. Malgré cela, sur la base d’une analyse [traduction] « microscopique » qui était [traduction] « axée sur les problèmes périphériques », la SPR a conclu qu’elle n’était pas crédible. De plus, la SPR a commis une erreur en concluant que Mme Isse n’avait fourni aucun document établissant qu’elle était originaire de Mogadiscio, alors qu’elle avait en fait fourni son passeport canadien, sur lequel il est indiqué qu’elle est née à Mogadiscio.

[41] En ce qui concerne les difficultés particulières auxquelles le demandeur a fait face en Somalie en raison du différend concernant les terres de son père et aux mains d’Al‑Chabaab, l’avocate a simplement répété le même récit que celui sur lequel le demandeur s’était appuyé dans ses demandes d’asile en Suède et au Canada. Le formulaire FDA initial et le formulaire FDA modifié ont été présentés avec la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[42] Enfin, l’avocate a également fourni une preuve documentaire volumineuse concernant la situation générale en Somalie. Il n’est pas nécessaire de la résumer ici.

2) Intérêt supérieur de la fille du demandeur

[43] L’avocate du demandeur a soutenu que le demandeur est le père d’une fille qui est née à Calgary, en Alberta, en octobre 2019. Selon l’avocate, la relation du demandeur avec la mère de sa fille a pris fin avant la naissance de l’enfant et la mère a refusé d’inscrire le nom du demandeur sur le certificat de naissance de l’enfant (qui a été fourni). Le demandeur habite à Toronto et sa fille habite à Calgary. Selon l’avocate, le demandeur voit sa fille sur les réseaux sociaux et par vidéoconférence, et c’est ainsi qu’il est resté en contact avec elle. L’avocate n’a pas précisé à quelle fréquence cela se produisait. Elle n’a pas non plus précisé si le demandeur et sa fille s’étaient déjà rencontrés en personne ni s’il fournissait un soutien financier pour elle ou pour sa mère. Néanmoins, l’avocate a fait valoir qu’il serait dans l’intérêt supérieur de la fille du demandeur que ce dernier demeure au Canada et qu’il n’ait pas à retourner en Somalie, de sorte qu’il [traduction] « puisse faire partie de [sa] vie ».

3) Établissement au Canada

[44] L’avocate a fait valoir que l’établissement du demandeur au Canada serait perdu s’il devait retourner en Somalie, ce qui aggraverait les difficultés liées à la nécessité de vivre dans les conditions défavorables de ce pays.

[45] L’avocate a fait valoir que le demandeur [traduction] « occup[ait] actuellement un emploi et gagn[ait] un revenu ». Il [traduction] « pay[ait] ses impôts et contribu[ait] à l’économie canadienne ». L’avocate a également soutenu que le demandeur n’était pas un bénéficiaire de l’aide sociale. Le dossier contenait plusieurs talons de chèque de paie et relevés bancaires, ainsi que le relevé T4 du demandeur pour 2019. Cependant, le talon de chèque de paie le plus récent portait sur la période du 9 au 15 février 2020, et le relevé bancaire le plus récent portait sur le mois de janvier 2020. Dans son formulaire intitulé Annexe A – Antécédents/Déclaration, qu’il a rempli en mai 2020, le demandeur a déclaré qu’il était sans emploi depuis avril 2020 en raison d’une blessure en milieu de travail et de la pandémie de COVID‑19. Malgré le fait que les observations présentées à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’ont été fournies qu’en janvier 2021 et que la décision n’a été rendue qu’en avril 2021, aucun autre renseignement à jour sur la situation personnelle du demandeur n’a été fourni.

[46] L’avocate du demandeur a également fait valoir qu’il était [traduction] « un membre actif de la communauté somalienne de Toronto, comme en témoignent les lettres qu’il a fournies dans le cadre de la présente demande ». Il semblerait qu’il s’agisse d’une référence aux lettres de la Loyan Foundation et de la Somali‑Canadian Association of Etobicoke dont il a été question ci‑dessus.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[47] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment de considérations d’ordre humanitaire [traduction] « pour justifier une dispense de l’obligation d’obtenir un visa d’immigrant ». Pour arriver à cette conclusion, l’agent a fait les principales constatations suivantes concernant les prétendues difficultés en Somalie :

  • Le récit qu’a fait le demandeur du différend avec les membres du clan Marehan au sujet des terres de son père décrivait [traduction] « essentiellement les mêmes événements que ceux qu’il a[vait] mentionnés lors de l’audition de sa demande d’asile ». L’agent a affirmé ce qui suit : [traduction] « Bien que je ne sois pas lié par ses conclusions, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) est un organisme décisionnel composé d’experts dans le domaine des demandes d’asile. Je note que la SPR a rejeté la demande du demandeur en raison de ses conclusions sur les questions relatives à l’identité et à la crédibilité. Par conséquent, j’accorde un poids considérable aux conclusions de la Commission. »

  • L’avocate du demandeur a soutenu que la décision de la SPR était viciée et que le tribunal avait commis des erreurs de fait et de droit. L’agent a affirmé ce qui suit : [traduction] « Je conclus que la critique de l’avocate à l’égard des conclusions de la Commission n’est pas liée à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elle relève plutôt de la compétence de la Cour fédérale. »

  • Pour les motifs donnés par la SPR pour justifier sa conclusion selon laquelle le certificat de naissance était frauduleux (qui sont énoncés de façon détaillée), l’agent n’a accordé aucun poids au certificat de naissance.

  • L’agent n’a accordé aucun poids à la lettre de la Somali‑Canadian Association of Etobicoke parce que l’affirmation dans la lettre selon laquelle Mme Isse était la tante du demandeur contredisait la preuve présentée à la SPR montrant qu’elle était la cousine de la mère du demandeur. De plus, comme l’a souligné la SPR, elle ne savait pas directement qui était le demandeur.

  • La lettre de la Loyan Foundation [traduction] « ne montr[ait] pas comment l’identité du demandeur a[vait] pu être établie par les examens et l’entrevue de vive voix avec un conseiller en établissement ».

  • Eu égard à [traduction] « l’ensemble de ces documents » (c.‑à‑d. le certificat de naissance, la lettre de la Somali‑Canadian Association of Etobicoke et la lettre de la Loyan Foundation), l’agent a conclu [traduction] « qu’ils n’établiss[aient] pas l’identité du demandeur ».

  • Il existe des sources pour obtenir des documents d’identité officiels somaliens, et le demandeur n’a fait aucun effort pour obtenir une pièce d’identité gouvernementale auprès des autorités somaliennes, bien qu’il ait eu amplement l’occasion de le faire.

  • Compte tenu de ces conclusions, l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, son identité en tant que ressortissant somalien. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur était un ressortissant de la Somalie. Ce facteur [traduction] « a [eu] beaucoup de poids » dans l’évaluation de la demande. (L’agent ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le demandeur avait fourni son nom exact.)

  • Le demandeur avait fourni [traduction] « une pléthore » de documents relatifs à la situation en Somalie, mais, comme il n’avait pas établi ses liens avec ce pays, peu de poids a été accordé à ces documents.

[48] L’agent a également conclu que la durée du séjour du demandeur et son établissement au Canada ne pesaient que très peu en sa faveur. Le demandeur a atteint [traduction] « un certain degré d’intégration à la société canadienne » depuis son arrivée le 31 décembre 2017. Bien qu’il ait travaillé à l’occasion, il était [traduction] « difficile de savoir comment le demandeur [subvenait] à ses besoins à l’heure actuelle ». Le demandeur a démontré qu’il pouvait déménager et s’adapter à la vie dans un nouveau pays. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur serait incapable de retourner en Somalie (son pays de naissance) et d’obtenir des résultats semblables, malgré les difficultés auxquelles il pourrait devoir faire face compte tenu de la situation dans ce pays. De plus, des membres de sa famille élargie qui pourront l’aider à se réintégrer vivent en Somalie. L’agent a affirmé ce qui suit : [traduction] « Je reconnais qu’il aura des difficultés à se réadapter, mais je ne suis pas convaincu que son établissement soit si important au Canada. Mis à part le fait que le demandeur a travaillé et qu’il étudie actuellement l’anglais, j’ai peu de renseignements sur sa situation financière, ses actifs, ses amitiés et son intégration dans la communauté. J’accorde très peu de poids à son établissement au Canada. »

[49] Enfin, l’agent n’était pas convaincu qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve montrant que l’intérêt supérieur de la fille du demandeur [traduction] « sera compromis » s’il devait quitter le Canada et retourner en Somalie. Bien que l’avocate du demandeur ait soutenu qu’il serait incapable de subvenir aux besoins de sa fille et de la mère de celle‑ci sur le plan affectif ou financier s’il retournait en Somalie, la preuve montrant qu’il subvient à leurs besoins à l’heure actuelle était insuffisante. De même, le demandeur voit sa fille sur les réseaux sociaux et par vidéoconférence, et il pourrait continuer à communiquer avec elle de la même manière depuis la Somalie. Compte tenu de la [traduction] « preuve limitée » relative à l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a conclu que ce facteur [traduction] « n’était pas déterminant ».

[50] Après avoir procédé à une appréciation cumulative des éléments de preuve présentés et des facteurs invoqués par le demandeur, l’agent a conclu qu’une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger était injustifiée.

IV. NORME DE CONTRÔLE

[51] Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44). La Cour suprême du Canada a confirmé, au paragraphe 10 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, qu’il s’agit de la norme de contrôle appropriée.

[52] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid). Pour qu’une décision soit jugée raisonnable, la cour de révision « doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » (Vavilov, au para 102, guillemets internes et renvoi omis). En outre, « si des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable » (Vavilov, au para 136).

[53] Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). En outre, étant donné la nature discrétionnaire des décisions rendues en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, règle générale, les cours de révision feront preuve d’une très grande retenue à l’égard des décisions des décideurs administratifs (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303 au para 4). En même temps, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « simple formalité »; il demeure un contrôle rigoureux (Vavilov, au para 13).

[54] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de l’agente est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

V. ANALYSE

A. Question préliminaire — L’affidavit du demandeur est‑il admissible?

[55] Le demandeur a produit un affidavit souscrit le 30 juin 2021 à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Le défendeur prie la Cour de ne pas tenir compte de l’affidavit parce qu’il n’est pas admissible et ne peut compléter le dossier. Il soutient également que bon nombre des déclarations figurant dans l’affidavit énoncent des arguments et qu’elles s’écartent indûment des observations sur le fond de la demande.

[56] Je suis du même avis que le défendeur sur ces deux éléments.

[57] Il n’est pas nécessaire d’énoncer tous les arguments que contient l’affidavit. Il y en a beaucoup. L’affidavit aurait dû se limiter aux faits dont le demandeur avait une connaissance personnelle : voir le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[58] Dans la mesure où l’affidavit énonce des faits, le demandeur ajoute au moins trois éléments qui complètent le dossier dont disposait le décideur administratif. Premièrement, le demandeur affirme que, pour qu’il puisse obtenir des documents d’identité officiels somaliens à ce stade‑ci, il lui faudrait rencontrer les autorités consulaires en personne à l’ambassade de la Somalie à Washington, ce qu’il n’est pas en mesure de faire. Deuxièmement, c’est en raison d’une coutume culturelle qu’il désigne Mme Isse (une femme plus âgée à laquelle il est apparenté) comme sa « tante ». Troisièmement, l’évaluation de vérification dans la collectivité effectuée par la Loyan Foundation était [traduction] « assez rigoureuse ». Le demandeur n’explique pas ce qu’il entend par là.

[59] L’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne disposait pas de ces renseignements. Ils ont été présentés en réponse aux conclusions défavorables tirées par l’agent.

[60] De nouveaux éléments de preuve ne sont généralement pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 aux para 7‑9). Aucune des exceptions reconnues à cette règle générale (voir Sharma, au para 8) ne s’applique aux nouveaux éléments de preuve fournis par le demandeur. Bien que la liste des exceptions ne soit pas exhaustive (Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 16), le demandeur n’a pas tenté de justifier l’admissibilité de ces nouveaux éléments de preuve par un autre fondement.

[61] Par conséquent, je ne tiendrai compte ni des parties de l’affidavit qui contiennent des arguments ni de celles qui présentent des nouveaux renseignements dont ne disposait pas l’agent.

B. La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est‑elle déraisonnable?

1) Introduction

[62] Il va de soi qu’une personne qui demande un statut au Canada doit établir son identité — en termes simples, elle doit établir qui elle est et d’où elle vient. L’identité d’une personne « demeure la pierre angulaire du régime canadien d’immigration. L’identité établit l’unicité d’un individu. C’est ce qui singularise une personne et permet de la différencier de toutes les autres » (Terganus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 903 au para 23). Ces renseignements sont nécessaires pour que les autorités canadiennes puissent rendre des décisions justes quant à l’admissibilité. L’identité d’une personne peut également être un élément essentiel du fondement de la demande d’asile au Canada. Pour le demandeur, c’était le cas tant dans sa demande d’asile que dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[63] L’identité est au « un élément primordial de toute demande d’asile » (Hassan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 459 au para 27). Il s’agit d’une « question préliminaire et fondamentale » (Terganus, au para 22). À moins que l’identité personnelle du demandeur d’asile ne soit établie, « il ne peut y avoir de fondement solide permettant de vérifier les allégations de persécution, ou même d’établir la nationalité réelle d’un demandeur » (Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126 au para 26; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 831 au para 18; Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794 au para 61). Ainsi, toute personne qui demande l’asile doit établir son identité selon la prépondérance des probabilités (Teweldebrhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 418 au para 8). À tout le moins, elle doit prouver son identité personnelle et sa nationalité (ou absence de nationalité, selon le cas). Le défaut d’établir ces éléments est fatal à une demande d’asile (Terganus, au para 22). Comme nous l’avons vu, la demande d’asile du demandeur a été rejetée parce qu’il n’avait pas établi son identité personnelle et sa nationalité.

[64] L’identité était également une question centrale dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur. Ses observations concernant les difficultés auxquelles il devrait faire face s’il devait quitter le Canada étaient toutes fondées sur le fait qu’il était un ressortissant de la Somalie.

[65] Il est bien établi que, lorsque le cas s’y prête, le pouvoir discrétionnaire d’accorder une exception prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR assure la souplesse voulue pour mitiger les effets découlant d’une application rigide de la loi (Kanthasamy, au para 19). La question de savoir si une dispense est justifiée dans un cas donné dépend des circonstances précises de l’affaire (Kanthasamy, au para 25). Il incombe aux demandeurs de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé en leur faveur (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au para 45; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5).

[66] En l’espèce, la situation en Somalie n’était pertinente pour sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que s’il pouvait établir son identité en tant que ressortissant de ce pays (il n’y avait aucune autre raison de penser qu’il serait tenu de s’y rendre s’il devait quitter le Canada).

2) Conclusion de l’agent fondée sur la décision de la SPR

[67] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité en tant que ressortissant de la Somalie. Pour tirer cette conclusion, l’agent s’est appuyé en partie sur la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il était de nationalité somalienne. Tout en notant que les conclusions de la SPR concernant l’identité et la crédibilité du demandeur ne sont pas exécutoires, l’agent leur a néanmoins accordé [traduction] « beaucoup de poids » compte tenu de l’expertise de cet organisme dans le domaine des demandes d’asile. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de s’appuyer sur les conclusions de la SPR. Comme je l’ai déjà mentionné, même si je conviens que la façon dont l’agent a abordé la décision de la SPR est déraisonnable, je ne pense pas que cela remette en question le caractère globalement raisonnable de son appréciation de la preuve relative à l’identité nationale du demandeur ou sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi sa nationalité somalienne.

[68] Je constate d’abord que l’agent a eu raison d’affirmer qu’il n’était pas lié par les conclusions de la SPR concernant l’identité et la crédibilité du demandeur. Cependant, il est important d’être clair sur ce que cela signifie exactement.

[69] Pour arriver à sa conclusion définitive selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, la SPR a tiré des conclusions subsidiaires sur des questions de fait ou sur des questions mixtes de fait et de droit, notamment la question de savoir si le demandeur avait établi sa nationalité somalienne selon la prépondérance des probabilités. Bien qu’une question semblable se pose dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur, il ne s’agit pas exactement de la même question. La question à laquelle la SPR a répondu consistait à savoir si, dans l’affaire dont elle était saisie, le demandeur avait établi sa nationalité somalienne selon la prépondérance des probabilités. La question que devait trancher l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire consistait à savoir si, dans le dossier dont il disposait, le demandeur avait établi sa nationalité somalienne selon la prépondérance des probabilités.

[70] Il ne faut pas confondre les deux questions. Cela dit, en l’espèce, les questions sont liées. Dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur s’est appuyé sur certains des mêmes éléments de preuve concernant son identité que ceux sur lesquels il s’était appuyé devant la SPR. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable que l’agent tienne compte de l’appréciation faite par la SPR de ces mêmes éléments de preuve en ce qui a trait à la question de l’identité du demandeur.

[71] Comme l’agent l’a également compris, les conclusions de la SPR n’étaient pas contraignantes en ce sens qu’il était loisible à l’agent de tirer une conclusion différente, même en ce qui concerne les mêmes éléments de preuve que ceux examinés par la SPR. En fait, pour être clair, l’agent était tenu de procéder à sa propre appréciation de tous les éléments de preuve (y compris les éléments de preuve qui avaient également été examinés par la SPR). C’est ce qu’a fait l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[72] Lorsqu’il a procédé à cette appréciation, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent de considérer que l’expertise de la SPR est un facteur pertinent pour déterminer le poids à accorder à ses conclusions concernant l’identité du demandeur et aux éléments de preuve que celui‑ci a fournis pour l’établir (éléments de preuve qui, je le répète, chevauchaient la preuve fournie par le demandeur quant à son identité dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire). Toutefois, en ce qui concerne à la fois les éléments de preuve dont disposait la SPR et la question ultime de savoir si le demandeur avait établi son identité en tant que ressortissant somalien, l’agent devait se montrer ouvert à la possibilité que le demandeur le persuade de tirer une conclusion différente. Cette persuasion peut être — mais pas nécessairement — fondée sur des éléments de preuve qui n’ont pas été pris en compte par la SPR. Il peut également s’agir de simplement essayer de persuader l’agent que la SPR a tiré une conclusion de fait erronée en faisant des déductions déraisonnables, indéfendables ou illogiques à partir des éléments de preuve qu’elle a examinés.

[73] C’est à cet égard, à mon avis, que l’agent a commis une erreur puisqu’il a déclaré que les arguments avancés par l’avocate du demandeur contre les conclusions de la SPR ne relevaient pas de sa [traduction] « compétence » et qu’ils ne pouvaient être examinés que par la Cour fédérale.

[74] En toute justice à l’égard de l’agent, les arguments de l’avocate (énoncés au paragraphe 40 ci‑dessus) ont été formulés de façon très semblable à des observations présentées dans une demande de contrôle judiciaire. De plus, bon nombre des questions soulevées par l’avocate (comme celles de savoir si la SPR a manqué à l’équité procédurale ou a commis une erreur en refusant d’admettre des éléments de preuve) n’étaient absolument pas pertinentes par rapport aux questions que l’agent devait trancher. Néanmoins, malgré la formulation peu utile des observations, l’agent aurait dû reconnaître que le demandeur soulevait au moins quelques raisons potentiellement valables pour lesquelles il devrait accorder un poids limité, voire aucun poids, à la conclusion de la SPR concernant son identité et à son appréciation des éléments de preuve relatifs à cette question. Il était déraisonnable de la part de l’agent de rejeter l’ensemble des observations du demandeur au motif qu’elles n’entraient pas dans son champ de compétence.

[75] Cependant, je ne suis pas convaincu que cela remette en question le caractère raisonnable de l’ensemble de la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas établi sa nationalité somalienne. Si l’on y réfléchit bien, aucune des contestations du demandeur concernant la décision de la SPR n’aurait pu raisonnablement modifier la conclusion de l’agent selon laquelle les conclusions de la SPR concernant l’identité du demandeur méritaient qu’on leur accorde [traduction] « beaucoup de poids ». En outre, comme je l’expliquerai ci‑dessous, l’appréciation faite par l’agent de la preuve d’identité supplémentaire présentée par le demandeur dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ainsi que l’effet cumulatif de l’ensemble des éléments de preuve d’identité sont également raisonnables.

3) Preuve d’identité dont disposait la SPR

[76] L’avocate du demandeur a soulevé une question potentiellement pertinente après avoir d’abord examiné le certificat de naissance et ignoré la question non pertinente de savoir si la SPR avait manqué aux exigences d’équité procédurale. En effet, l’agent ne devait pas, comme l’a fait la SPR, conclure au caractère frauduleux du certificat de naissance du fait qu’il est partiellement rédigé en anglais. Selon les observations de l’avocate, le document est en partie en anglais parce qu’il ne s’agit pas du certificat de naissance original du demandeur; il s’agit plutôt d’une traduction anglaise de l’original (qui est maintenant perdu).

[77] Même s’il s’agit d’un motif potentiellement valable pour tirer une conclusion différente quant à la valeur du certificat de naissance comme preuve de la nationalité du demandeur, il n’y a absolument aucun fondement factuel à cet argument. À première vue, le document porte des cachets et des signatures qui donnent à penser qu’il s’agit d’un document original délivré par les autorités somaliennes. Rien ne donne à penser qu’il s’agit en fait de la traduction d’un autre document. De plus, il n’y a aucune déclaration du traducteur confirmant l’exactitude de la traduction. Fait important, le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui des affirmations de son avocate, comme des renseignements sur le moment où il a obtenu la traduction et la raison pour laquelle il l’a obtenue. Sur une question centrale et litigieuse comme celle‑ci, les seules observations de l’avocate (qui visent toutes à étayer cet argument) ne donneraient pas à l’agent un motif raisonnable de conclure que le fait que le document soit en partie en anglais ne constitue pas une raison valable pour conclure qu’il est frauduleux. Par conséquent, même si l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet argument, cela n’a pas d’incidence sur le caractère raisonnable de l’adoption par l’agent des conclusions de la SPR concernant le certificat de naissance (y compris le fait qu’il est probablement frauduleux).

[78] À cet égard, je tiens à noter que le demandeur a raison de dire que l’agent ne doit pas adopter expressément les conclusions de la SPR concernant un certificat de naissance. Néanmoins, je ne pense pas que cela remette en question la transparence et l’intelligibilité de la décision. La seule interprétation que l’on puisse faire de cette partie de la décision, c’est que l’agent s’est approprié l’ensemble de l’analyse du certificat de naissance faite par la SPR. J’ajouterais également que cette analyse est tout à fait raisonnable.

[79] Ensuite, même si la lettre de la Somali‑Canadian Association of Etobicoke n’a pas été présentée à la SPR, son contenu chevauche celui des éléments de preuve examinés par la SPR. L’agent n’a accordé aucun poids à la lettre parce qu’elle se fondait, en partie, sur des renseignements fournis par Mme Isse (renseignements qui avaient aussi été présentés à la SPR). L’agent a pris cette décision pour deux raisons. Premièrement, Mme Isse était désignée dans la lettre comme la tante du demandeur alors qu’elle s’était identifiée à l’audience de la SPR comme la cousine de la mère du demandeur. L’agent a conclu qu’il s’agissait d’une divergence importante qui jetait un doute sur la fiabilité du contenu de la lettre.

[80] Même s’il était vraisemblablement au courant de cette divergence dans les renseignements qu’il fournissait à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur n’a pas tenté d’y remédier au moyen d’éléments de preuve ou d’observations. Bien qu’il tente maintenant de le faire dans sa demande de contrôle judiciaire (en déclarant dans son affidavit qu’il désigne Mme Isse aussi comme sa « tante » parce qu’elle est une dame plus âgée qui lui est apparentée en tant que cousine de sa mère et qu’il n’y a donc vraiment pas de divergence), comme je l’ai déjà expliqué, cette preuve arrive trop tard. Au vu du dossier dont disposait l’agent, son évaluation de la divergence n’était pas déraisonnable.

[81] Deuxièmement, l’agent n’a accordé aucun poids à la lettre parce que, de toute façon, Mme Isse n’avait pas une connaissance directe de l’identité du demandeur. La SPR était parvenue à la même conclusion au sujet de son témoignage. Dans les observations présentées à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur a tenté de contourner l’appréciation de cette preuve par la SPR, mais ces observations passent tout simplement à côté de l’essentiel. L’avocate du demandeur a qualifié de crédible le témoignage de Mme Isse devant la SPR. Elle a également critiqué les conclusions de la SPR concernant le témoignage [traduction] « microscopique » et incompatible avec la preuve de Mme Isse. Cependant, même si cela est vrai, rien de tout cela n’a d’importance. La SPR a conclu que le problème fondamental que posait le témoignage de Mme Isse était son manque de connaissance directe de l’identité du demandeur. En l’absence de tout élément de preuve suggérant le contraire (et il n’y en a eu aucun), il n’était pas déraisonnable que l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire parvienne à la même conclusion que la SPR au sujet de l’identification du demandeur par Mme Isse : elle n’avait aucune valeur probante parce que cette dernière n’avait pas une connaissance directe de son identité.

[82] Troisièmement, l’avocate a soutenu que la SPR avait commis une erreur en refusant d’admettre la divulgation tardive d’une lettre du cousin du demandeur en Suède ainsi que la divulgation postérieure à l’audience d’un reportage concernant le décès d’un journaliste somalien canadien à Kismaayo. Encore une fois, la question de savoir si la SPR a commis une erreur n’est pas pertinente eu égard aux questions que l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire devait trancher. Le refus de la SPR d’accepter ces éléments de preuve n’empêchait nullement l’agent de les prendre en compte si tant est qu’ils aient été présentés à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En fait, le demandeur a présenté le reportage sur le décès du journaliste. Bien que ce document puisse être pertinent quant à la situation en Somalie, il n’a rien à voir avec la question de l’identité du demandeur. En revanche, la lettre du cousin du demandeur en Suède aurait pu être pertinente quant à la question de l’identité du demandeur; toutefois, elle n’a pas été fournie avec la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En l’absence de cet élément de preuve, l’agent ne pouvait rien en tirer, que la SPR ait commis une erreur ou non en refusant de l’admettre. Par conséquent, le fait que l’agent n’ait pas tenu compte de l’argument selon lequel la SPR avait commis une erreur en rejetant les éléments de preuve pertinents ne pouvait avoir une incidence sur le caractère raisonnable de la conclusion de l’agent concernant l’identité du demandeur.

[83] Enfin, l’avocate du demandeur avait exhorté l’agent à tirer une conclusion différente de celle de la SPR en ce qui concerne la crédibilité du récit du demandeur sur la façon dont il avait été inscrit dans la demande de visa américain qu’il était de nationalité éthiopienne. Le problème avec cet argument, toutefois, réside dans le fait que ce récit n’a jamais été présenté directement à l’agent. Bien qu’il soit résumé dans la décision de la SPR, le témoignage réel du demandeur dans cette instance n’a pas été fourni. L’avocate prétend avoir résumé ces éléments de preuve dans ses observations et fourni des raisons supplémentaires pour lesquelles ils devraient être jugés crédibles, mais, encore une fois, les observations des conseils ne remplacent pas les éléments de preuve réels sur une question aussi centrale et contestée.

[84] En l’absence totale d’éléments de preuve de la part du demandeur lui‑même, l’agent n’avait aucun motif raisonnable de conclure que, contrairement à l’opinion de la SPR, l’explication du demandeur quant à la façon dont il avait été inclus dans la demande de visa américain et identifié comme un ressortissant éthiopien était crédible. Quoi qu’il en soit, cette question est en grande partie, sinon entièrement, théorique. Contrairement à la SPR, l’agent ne s’est pas expressément fondé sur le fait que le demandeur avait déjà été identifié comme un ressortissant éthiopien pour conclure qu’il n’avait pas établi qu’il était un ressortissant somalien.

[85] Il y a un autre élément relatif à l’identité du demandeur qui a été soumis à la fois à la SPR et à l’agent, soit la décision de l’Office national suédois des migrations. Le demandeur s’est appuyé sur ce document pour corroborer son identité, mais l’agent n’en parle nulle part dans la décision faisant l’objet du contrôle. Compte tenu de l’importance de la question de l’identité, il aurait été préférable que l’agent traite explicitement de cet élément de preuve. Toutefois, le défaut de le faire ne remet pas en question le caractère raisonnable de la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité nationale.

[86] La SPR a examiné les renseignements fournis par la Suède dans sa décision et a conclu qu’ils n’avaient aucune valeur probante quant à la question de l’identité du demandeur. Dans le contexte de la conclusion raisonnable de l’agent selon laquelle les conclusions de la SPR concernant l’identité du demandeur devaient se voir accorder un poids considérable, l’agent a dû convenir avec la SPR que la décision de l’organisme suédois selon laquelle le demandeur était un ressortissant somalien n’était ni contraignante ni probante. Ces conclusions de la SPR étaient, à mon avis, également tout à fait raisonnables. Le fait que l’agent ne l’ait pas expressément exprimé ne compromet ni la transparence ni l’intelligibilité de sa conclusion définitive selon laquelle le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir son identité nationale.

[87] En somme, il était déraisonnable de la part de l’agent de refuser catégoriquement de tenir compte de la critique formulée par le demandeur à l’égard de la conclusion de la SPR sur son identité. Toutefois, en l’absence des éléments de preuve à l’appui nécessaires, les arguments du demandeur n’auraient pas pu raisonnablement convaincre l’agent d’accorder moins qu’un poids considérable aux conclusions de la SPR (comme il l’a fait). Comme le soutient le défendeur, d’après le dossier que le demandeur a présenté à l’agent, il était tout simplement impossible pour ce dernier d’évaluer la critique de la décision de la SPR.

[88] Avant d’aborder la question de l’importance accordée par l’agent à la décision de la SPR, il y a une autre question à examiner.

[89] Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, l’agent a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je note que la SPR a rejeté la demande du demandeur en raison de ses conclusions sur les questions relatives à l’identité et à la crédibilité. Par conséquent, j’accorde un poids considérable aux conclusions de la Commission. » Le fait que l’agent s’est fondé sur les [traduction] « conclusions » de la SPR sur les [traduction] « questions relatives […] à la crédibilité » est potentiellement problématique pour deux raisons. Premièrement, les conclusions de la SPR en matière de crédibilité étaient limitées à la preuve du demandeur concernant son identité personnelle et nationale; la SPR ne s’était pas penchée sur la question de la crédibilité du récit fait par le demandeur concernant la vendetta alléguée avec des membres du clan Marehan au sujet des terres de son père. Cependant, l’agent semble ne pas l’avoir compris puisqu’il a fait remarquer à un certain moment que [traduction] « le demandeur n’a[vait] fourni, dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qu’un minimum d’éléments de preuve objectifs concernant ses prétendues expériences passées avec le clan Marehan, et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour réfuter les conclusions de la SPR ». La SPR n’avait tiré aucune conclusion à cet égard. Néanmoins, étant donné que la conclusion raisonnable de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité nationale était déterminante, cette erreur était sans conséquence.

[90] Deuxièmement, le fait que l’agent s’est fondé sur les conclusions de la SPR en matière de crédibilité pouvait poser problème parce que ces conclusions ont été tirées à l’égard du témoignage du demandeur dans cette instance. Selon les nouveaux éléments de preuve ou les éléments supplémentaires dont disposait l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les conclusions d’un décideur antérieur au sujet de la crédibilité de la preuve examinée par ce décideur peuvent avoir peu ou pas de valeur probante pour les questions que le décideur subséquent devra trancher. Toutefois, cette question ne se pose pas en l’espèce parce que, mis à part la nouvelle preuve documentaire relative à son identité, le demandeur s’est appuyé sur les mêmes éléments de preuve que ceux qu’il avait présentés à la SPR. Le demandeur n’a pas établi de raisons valables de remettre en doute le bien‑fondé des conclusions défavorables de la SPR concernant la crédibilité de son témoignage sur son identité. En l’absence de tout nouvel élément de preuve de la part du demandeur lui‑même, il était tout à fait raisonnable que l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire accorde à ces conclusions un poids considérable.

4) Nouvelle preuve d’identité

[91] Je passe maintenant à la nouvelle preuve d’identité que le demandeur a fournie dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il s’agissait du reste de la lettre de la Somali‑Canadian Association of Etobicoke, de la lettre de la Loyan Foundation et d’un document qui aurait été une pièce d’identité du père du demandeur.

[92] Je conviens avec le demandeur que l’agent aurait dû en dire plus sur la lettre de la Somali‑Canadian Association of Etobicoke avant de décider de ne pas lui accorder de poids. En effet, en plus des renseignements fournis par Mme Isse (qui étaient problématiques pour les raisons que j’ai déjà mentionnées), la conclusion de la lettre selon laquelle le demandeur était [traduction] « une personne d’origine somalienne » était également fondée sur des renseignements fournis par une deuxième personne, soit Abdisalan Farah Gas, ainsi que sur la capacité du demandeur de parler le somali et sur sa [traduction] « connaissance exceptionnelle de son clan, de la zone géographique de la Somalie et du district de la ville dans laquelle il vivait ».

[93] Néanmoins, dans le contexte de la décision dans son ensemble, on peut comprendre pourquoi l’agent n’a pas non plus accordé de poids à ces parties de la lettre. En ce qui concerne M. Gas, il est simplement indiqué dans la lettre qu’il avait connu le demandeur [traduction] « au cours des deux dernières années ». En l’absence de tout renseignement montrant le contraire, il ne semble pas avoir une connaissance directe de la nationalité somalienne du demandeur. Par conséquent, sa [traduction] « confirmation » de l’identité du demandeur, comme celle de Mme Isse, n’aurait aucune valeur probante. Quant à la capacité du demandeur de parler le somali et à sa connaissance de certaines questions relatives à la Somalie, la préoccupation valide de l’agent quant à la valeur de la confirmation par la Loyan Foundation de la nationalité somalienne du demandeur (la lettre [traduction] « n’établit pas comment la fondation a conclu à l’identité du demandeur en procédant à des examens et en ayant une entrevue orale ») s’applique également à l’opinion de la Somali‑Canadian Association of Etobicoke.

[94] L’agent n’a pas expressément mentionné le document censé être la pièce d’identité du père du demandeur. Encore une fois, compte tenu de l’importance de la question de l’identité du demandeur, il aurait été préférable que l’agent traite de ce document dans sa décision. Néanmoins, je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la conclusion défavorable sur l’identité est déraisonnable parce que l’agent ne l’a pas fait. Le document n’était pas en anglais. Il n’y avait aucune information sur la nature du document ou sur son origine. Il n’était mentionné nulle part dans les observations écrites détaillées de l’avocate. Contrairement à ce que le demandeur a fait valoir dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, le document ne [traduction] « parle pas de lui‑même ». Bref, rien ne permettait raisonnablement à l’agent de lui accorder une valeur probante relativement à la question de l’identité du demandeur.

5) Appréciation globale de la preuve d’identité

[95] L’agent a accordé beaucoup de poids aux conclusions de la SPR concernant l’identité du demandeur et les éléments de preuve fournis dans sa demande d’asile. De plus, indépendamment des conclusions de la SPR, l’agent a apprécié les éléments de preuve supplémentaires présentés par le demandeur pour établir son identité en tant que ressortissant somalien (certains éléments expressément, d’autres, implicitement). Comme il était tenu de le faire, l’agent a apprécié tous les éléments de preuve d’identité de manière cumulative (voir Warsame c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 118 au para 18). Je ne serais pas nécessairement d’accord pour dire qu’il était raisonnable que l’agent n’accorde aucune valeur probante aux évaluations de vérification dans la collectivité (voir mon analyse de ce type de preuve dans la décision Yusuf Adan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1383 au para 60, ainsi que les décisions qui y sont citées). Toutefois, la conclusion générale de l’agent selon laquelle l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur était insuffisante pour établir son identité somalienne selon la prépondérance des probabilités est raisonnable. Je n’ai aucune raison de modifier cette décision.

6) Autres facteurs d’ordre humanitaire

[96] Le demandeur ne conteste pas directement le caractère raisonnable du poids accordé par l’agent aux questions de l’intérêt supérieur de sa fille et de son établissement au Canada. Il soutient toutefois que la décision dans son ensemble est inintelligible parce que, malgré la conclusion défavorable concernant la prétendue nationalité somalienne du demandeur, il semble que, dans son examen des autres facteurs, l’agent a reconnu que, si le demandeur était tenu de quitter le Canada, il retournerait en Somalie.

[97] Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il y a des incohérences ou des contradictions dans la décision dans son ensemble. Il est vrai que l’agent, qui avait conclu que le demandeur n’avait pas établi sa nationalité somalienne, n’était pas tenu d’aborder les autres facteurs qui reposaient sur le fait qu’il s’agissait bien de sa nationalité. L’agent aurait pu rejeter la demande pour ce seul motif. Au lieu de cela, l’agent, qui tentait manifestement de répondre à toutes les observations qui avaient été avancées à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, a évalué les autres facteurs invoqués par le demandeur et les a tous soupesés ensemble pour rendre sa décision définitive. Pour ce faire, l’agent a présumé, pour les besoins de son argumentation, que le demandeur était un ressortissant somalien. S’il est vrai que l’agent aurait pu exprimer plus clairement dans sa décision qu’il s’agissait d’une analyse subsidiaire à la conclusion principale selon laquelle le demandeur n’avait pas établi sa nationalité somalienne, une fois que cet élément est compris, il n’y a rien d’inintelligible dans l’approche de l’agent.

VI. CONCLUSION

[98] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[99] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2949-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2949-21

INTITULÉ :

MOHAMED ABDIWAHAAB FARAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

DATE DES MOTIFS :

Le 11 avril 2023

COMPARUTIONS :

Tina Hlimi

POUR LE DEMANDEUR

Charles J. Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocats de Tina Hlimi

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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