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Date : 20230502


Dossier : IMM-5751-22

Référence : 2023 CF 636

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

BALJINDER SINGH, PUNITA RANI, HARSIMRAN SINGH ET TANUR KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, M. Singh (le demandeur principal), son épouse, Mme Rani (la demanderesse associée) et leurs deux enfants mineurs, sont des citoyens de l’Inde. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) datée du 31 mai 2022 confirmant le rejet de leur demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La SAR a conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable dans les villes de Mumbai ou de Bengaluru et qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger selon les articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de façon raisonnable des Directives numéro 4 du président : Considérations liées au genre dans les procédures devant la CISR (les Directives) et du traitement de la demanderesse associée par le service de police local.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que l’analyse relative à la PRI faite par la SAR était déraisonnable et je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Contexte

[4] Les demandeurs craignent d’être persécutés par la police dans leur ville natale du Pendjab. La demanderesse associée craint également d’être persécutée par la police en raison de son genre.

[5] La crainte de persécution des demandeurs découle des activités politiques alléguées d’un cousin que le demandeur principal a soutenu dans ses interactions avec la police locale, y compris le paiement d’un pot-de-vin pour libérer le cousin en avril 2018. Le demandeur principal affirme que la police a fait une descente au domicile familial en juin 2018 et que, le 20 juillet 2018, il a été arrêté à son domicile et amené au poste de police. Il y a été interrogé et torturé jusqu’à sa libération le lendemain, encore une fois après le paiement d’un pot-de-vin. Le demandeur principal devait également se présenter à la police chaque mois jusqu’à ce qu’il produise son cousin.

[6] À la mi-août 2018, le demandeur principal s’est rendu à Delhi et a communiqué avec un agent qui l’a hébergé et qui a aidé les demandeurs à obtenir des visas pour le Canada. Pendant son absence, les policiers se sont rendus à son domicile où ils ont interrogé la demanderesse associée qui a informé la police que le demandeur principal était à la recherche du cousin. La police a ordonné à la demanderesse associée de produire son époux dès que possible. La police a agressé la demanderesse associée et l’a menacée de violence sexuelle.

[7] En novembre 2018, la demanderesse associée et les deux enfants sont allés joindre le demandeur principal à Delhi. La famille est arrivée au Canada le 17 janvier 2019.

[8] La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. Bien qu’elle ait soulevé certaines préoccupations quant à la crédibilité des allégations faites par les demandeurs, la SPR a finalement reconnu que les demandeurs étaient exposés à un risque de préjudice de la part de la police locale. Toutefois, elle a conclu que les demandeurs disposaient de PRI viables à Mumbai ou à Bengaluru.

[9] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR et ont fait valoir que l’évaluation faite par la SPR des deux volets du critère de la PRI était déraisonnable, particulièrement en ce qui concerne la capacité des forces policières indiennes de localiser les demandeurs partout en Inde au moyen du Crime and Criminal Tracking Network and Systems (réseau de suivi des crimes et des criminels) (le CCTNS), ce qui mettrait donc leur sécurité en danger dans les villes désignées comme PRI.

II. Décision faisant l’objet de l’appel

[10] La SAR a d’abord souligné que la SPR avait soulevé des préoccupations quant à la crédibilité, mais qu’elles n’étaient pas déterminantes pour les demandes d’asile des demandeurs en raison des conclusions de la SPR concernant la PRI.

[11] La SAR a confirmé l’analyse relative à la PRI faite par la SPR et a rejeté l’appel. La SAR a d’abord conclu que les agents de persécution des demandeurs n’avaient ni les moyens ni la motivation de chercher et de localiser les demandeurs dans l’une ou l’autre des villes désignées comme PRI. L’arrestation du demandeur principal a été effectuée de façon extrajudiciaire et il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le nom du demandeur principal paraîtrait dans le CCTNS ou dans toute autre base de données de la police si la police à Mumbai ou à Bengaluru faisait une recherche. Les demandeurs eux-mêmes n’avaient pas été accusés d’avoir commis un crime et les problèmes auxquels ils faisaient face étaient limités à leur ville natale.

[12] Deuxièmement, la SAR a conclu que la SPR avait tenu compte des études et de l’expérience de travail des demandeurs adultes dans son examen du deuxième volet du critère de la PRI. La SAR a conclu qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que les demandeurs déménagent à Mumbai ou à Bengaluru.

III. Analyse

[13] La seule question soulevée dans la présente demande consiste à déterminer si la SAR a raisonnablement tenu compte des Directives dans sa décision. Par conséquent, j’examinerai le caractère raisonnable de la décision de la SAR par rapport aux observations des demandeurs à l’égard de cette question (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23).

[14] Les observations présentées en appel auprès de la SAR par les demandeurs constituent mon point de départ. Dans ces observations, les demandeurs n’ont soulevé aucune question au sujet de la façon dont la SPR a traité la demanderesse associée. En fait, les demandeurs indiquent que la SPR a tenu compte des Directives. Voici ce qu’ils affirment (observations présentées en appel, au para 21) :

[traduction]

21. Les problèmes de crédibilité relevés par la SPR étaient les suivants :

a. L’appelante associée a témoigné qu’en octobre 2018, alors que l’appelant principal vivait dans la clandestinité, trois (3) policiers qui sont venus chez elle [traduction] « l’ont giflée deux ou trois fois, l’ont maltraitée » et l’ont torturée. De plus, les policiers ont insinué qu’ils voulaient amener l’appelante associée au poste de police et l’agresser sexuellement.

i. Cet incident ne faisait pas partie de l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA des appelants, même s’ils ont apporté des mises à jour à leur exposé jusqu’à la veille de l’audience. Malgré les problèmes qu’elle a relevés, la SPR a tenu compte des Directives et déclaré que [traduction] « le tribunal accordera à la demanderesse d’asile associée le bénéfice du doute et note que ses explications concernant l’agression policière, telle que décrite, sont plausibles ».

[15] Le défendeur fait valoir, et je conviens avec lui, qu’il n’est pas convenable pour les demandeurs de contester la décision de la SAR dans la présente demande sur la base d’un argument qu’ils n’ont pas précédemment soulevé. Un nouvel argument qui n’a pas été soulevé devant la SAR ne devrait pas être présenté pour la première fois à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 aux para 23-24; Odekunle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 786, aux para 31-32). La SAR ne commet aucune erreur susceptible de contrôle en omettant de tenir compte de questions qui n’ont pas été soulevées devant elle, et les questions que pourrait soulever la décision de la SPR et qui n’ont pas été soulevées en appel ne peuvent être utilisées pour contester une décision de la SAR (Obalade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1030, au para 11). L’observation des demandeurs selon laquelle la SAR n’a pas suffisamment tenu compte des Directives et de la façon dont la demanderesse associée a été traitée par la police n’est pas convaincante. De même, leur argument selon lequel la SPR n’a pas suffisamment tenu compte de cet aspect de la demande d’asile de la demanderesse associée est un argument qui aurait dû être soumis à la SAR. Cet argument ne peut pas maintenant justifier l’intervention de la Cour.

[16] J’ajouterais que les faits dans la présente affaire se distinguent de la situation dans l’affaire et la décision de la SPR examinée par le juge Pentney dans la décision Pardo Quitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 846 (Pardo Quitian). Dans cette affaire, la SPR n’a pas tenu compte de la question de la persécution fondée sur le sexe (Pardo Quitian, aux para 53-54). Contrairement à la situation en l’espèce, dans l’affaire Pardo Quitian, la Cour avait été saisie de cette question en bonne et due forme. Dans la présente affaire, contrairement à l’affaire Pardo Quitian, la SPR a examiné et accepté la demande d’asile fondée sur le sexe de la demanderesse associée, a reconnu que les Directives s’appliquaient et les a appliquées à son témoignage. La SAR a à son tour reconnu la crainte de persécution fondée sur le sexe de la demanderesse associée par les agents de police locaux.

IV. Conclusion

[17] Les demandeurs n’ont soulevé aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR relative à la viabilité des deux villes désignées comme PRI en Inde pour les demandeurs et, par conséquent, je rejetterai la demande.

[18] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5751-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5751-22

 

INTITULÉ :

BALJINDER SINGH, PUNITA RANI, HARSIMRAN SINGH et TANUR KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Khatidja Moloo-Alam

 

Pour les demandeurs

 

John Loncar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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