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Date : 20230503


Dossier : IMM-6812-21

Référence : 2023 CF 643

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

OLANIYI OLUWASA ALO

ADEBIMPE FUNMIL ALO

EMMANUELLA TOLU ALO

OBALOLUWA SAMUE ALO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 10 septembre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La SAR a conclu que la question déterminante était la crédibilité des demandeurs.

[2] Les demandeurs font valoir que les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité sont fondées sur une appréciation déraisonnable de la preuve, de sorte que la décision dans son ensemble est déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. Les demandeurs

[4] Olaniyi Oluwasa Alo, le demandeur principal, Adebimpe Funmil Alo, la codemanderesse, et leurs deux enfants (collectivement, les demandeurs) sont tous des citoyens du Nigéria.

[5] Les demandeurs affirment qu’ils risquent d’être persécutés par la secte secrète Babanla, plus particulièrement par le père du demandeur principal, un prêtre qui fait partie des dirigeants de la secte. Selon le demandeur principal, l’initiation à la secte consiste à se soumettre à des rituels traditionnels à l’âge de neuf ans, notamment la mutilation génitale féminine (MGF).

[6] Le demandeur principal affirme qu’il a tenté de quitter la secte en 2003 pour adhérer au christianisme, mais que son père a ordonné à d’autres membres de la famille de l’agresser physiquement et l’a menacé de violence physique s’il quittait la secte.

[7] Le 29 août 2009, le demandeur principal a épousé la codemanderesse, qui est chrétienne. Il affirme que le mariage a suscité davantage la colère de son père. Lorsque la codemanderesse est tombée enceinte en 2010, le père du demandeur principal a menacé de faire subir la MGF à l’enfant à naître s’il s’agissait d’une fille, conformément à la tradition de la secte. Le demandeur principal et la codemanderesse se sont installés à Lagos pour leur sécurité et celle de l’enfant. Lorsque le père du demandeur principal a découvert où le couple habitait à Lagos, la codemanderesse a déménagé chez un membre de la famille à Abuja sans le demandeur principal.

[8] La fille du demandeur principal et de la codemanderesse est née le 14 septembre 2010. Le père du demandeur principal a exhorté ce dernier à révéler où se trouvait son épouse, mais il ne l’a pas fait. Le demandeur principal a rejoint la codemanderesse à Abuja en 2012 afin que leur jeune fille ne subisse pas la MGF. Le deuxième enfant du couple est né le 27 mars 2013.

[9] Le demandeur principal affirme qu’en juin 2014, son père et deux autres membres de la secte Babanla se sont rendus au domicile des demandeurs à Abuja et ont menacé de tuer le demandeur principal et sa fille si celle‑ci ne se faisait pas initier à la secte et ne subissait pas la MGF. Selon le demandeur principal, sa famille et lui ont déménagé dans l’État de Nasarawa cette même semaine pour leur sécurité.

[10] Le demandeur principal affirme qu’en décembre 2018, des membres de la secte Babanla ont trouvé l’école que fréquentait sa fille dans l’État de Nasarawa et ont remis à celle‑ci une enveloppe contenant une lettre et un morceau de tissu rouge. Ils lui auraient demandé de remettre l’enveloppe à son père. Le demandeur principal affirme que ce morceau de tissu rouge a été remis en guise de dernier avertissement et de menace de mort. La lettre accompagnant le morceau de tissu rouge rappelait au demandeur principal que sa fille allait bientôt avoir neuf ans et qu’elle était prête pour son initiation à la secte.

[11] Le demandeur principal affirme ne pas avoir signalé à la police les menaces proférées par la secte Babanla parce que cette dernière exerce une forte influence sur la police nigériane et que de nombreux policiers haut placés sont eux‑mêmes membres de la secte.

[12] Les demandeurs ont fui le Nigéria le 14 janvier 2019. Le demandeur principal affirme que son épouse et lui ont quitté leur emploi et vendu leurs biens et qu’ils se sont assurés de ne laisser aucune trace de leur prochaine destination ni de leurs plans d’avenir afin de ne pas être poursuivis. Les demandeurs se sont rendus à New York, aux États‑Unis, et ensuite à la frontière canadienne, où ils ont demandé l’asile le 16 janvier 2019.

B. La décision de la SPR

[13] Dans sa décision du 3 mars 2021, la SPR a conclu que les demandeurs manquaient de crédibilité et, par conséquent, qu’ils n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution ou à une menace à leur vie comme l’exigent l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi.

[14] La SPR a relevé des contradictions et des incohérences dans le témoignage, la preuve et le formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) des demandeurs qui portaient sur des aspects centraux de leur demande. Par exemple, en ce qui concerne le préjudice subi par les demandeurs aux mains de la secte Babanla, le demandeur principal a d’abord témoigné que sa famille et lui avaient fui le Nigéria en raison de la lettre de menaces qui avait été remise à sa fille à l’école, mais a ensuite déclaré que son père avait menacé de les tuer avant 2018. Lorsqu’il a été interrogé, le demandeur principal a affirmé que la secte n’avait pas menacé les demandeurs avant 2018, que toute menace reçue antérieurement n’était pas une menace de mort et que le morceau de tissu rouge, qui était précisément une menace de mort, avait indiqué aux demandeurs qu’il était temps de partir afin d’assurer leur sécurité. Il a affirmé avoir détruit le message parce qu’il ne voulait pas faire entrer de forces occultes dans sa maison.

[15] La SPR n’a pas jugé que l’explication fournie pour justifier les incohérences était raisonnable et a fait remarquer que la description des événements relatée par le demandeur était changeante et portait sur des aspects centraux de la demande d’asile. La SPR a également fait observer que, selon la description des demandeurs, les menaces de mort reçues avant 2018 étaient [traduction] « toutes graves et terrifiantes » et ne l’étaient pas moins que le morceau de tissu rouge remis à leur fille à l’école. La SPR a également tiré une conclusion défavorable relativement à la déclaration du demandeur principal selon laquelle il avait détruit le message, puisque celui‑ci n’adhérait même pas aux croyances de la secte et était chrétien.

[16] La SPR a conclu que la codemanderesse avait exagéré ses allégations dans son témoignage en affirmant que le père du demandeur principal l’avait appelée en 2010 et l’avait personnellement menacée. Ce détail ne figurait pas dans le formulaire FDA des demandeurs. La codemanderesse a expliqué qu’elle était enceinte et malade à son arrivée au Canada et qu’elle n’avait donc pas mentionné cette menace à sa vie dans le formulaire FDA, mais la SPR a fait remarquer que l’exposé circonstancié du formulaire FDA avait été rempli un certain temps après l’arrivée des demandeurs au Canada. La SPR a donc conclu que la codemanderesse n’était pas un témoin fiable.

[17] La SPR a interrogé les demandeurs à savoir pourquoi ils n’avaient pas demandé l’asile au Royaume‑Uni, où ils se sont rendus trois fois en vacances et où ils ont de la famille. Le demandeur principal a expliqué que son union avec la codemanderesse était trop récente pour qu’ils puissent vivre avec la famille de cette dernière et qu’ils avaient séjourné au Royaume‑Uni pour des vacances seulement. La SPR n’a pas jugé que cette explication était raisonnable et a tiré une conclusion défavorable du fait que les demandeurs n’avaient même pas considéré la possibilité de demander l’asile au Royaume‑Uni alors qu’ils s’y étaient rendus en toute sécurité à trois reprises.

[18] La SPR a également tiré une conclusion défavorable en raison de l’absence d’éléments de preuve corroborants concernant la secte Babanla. Le demandeur principal a témoigné que la secte Babanla était très secrète et qu’elle était en grande partie inconnue du public, qu’elle comptait de nombreux membres et qu’elle avait une influence considérable, que ses membres étaient motivés par le gain personnel et le pouvoir, que la secte exigeait de ses membres qu’ils vénèrent le python et qu’il n’existait aucune référence à la secte sur Internet. La SPR a fait remarquer que le cartable national de documentation ne faisait aucune mention de la secte Babanla, malgré le fait qu’il contenait de nombreux renseignements sur plusieurs sectes au Nigéria. La SPR a également fait observer que la mère du demandeur principal avait fourni un affidavit à l’appui dans lequel elle mentionnait que son époux, le père du demandeur principal, était aussi membre de la confrérie Ogboni, mais que le demandeur principal n’avait pas indiqué ce renseignement dans son exposé circonstancié.

[19] La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi de façon crédible que le père du demandeur principal était un important membre fondateur d’une secte influente au Nigéria. La SPR a jugé que le demandeur principal n’avait pas expliqué comment son père pouvait être un universitaire à temps plein tout en dirigeant activement une secte et qu’il n’avait pas été en mesure de nommer les associés faisant partie du réseau de son père. La SPR a qualifié de vague et de changeant le témoignage du demandeur principal concernant le rôle de son père dans la secte.

[20] Le demandeur principal a fourni des photos qui, selon lui, le montrent en train de se faire battre afin de corroborer son récit selon lequel des membres de la secte Babanla l’ont agressé en 2003 après qu’il a tenté de quitter celle‑ci. La SPR a accordé peu de poids à ces photos parce qu’elles étaient non datées, invérifiables et qu’elles pouvaient montrer des blessures résultant d’une agression commise par n’importe qui. La SPR a également accordé peu de poids aux affidavits souscrits par des membres de la famille, puisque leur contenu ne reflétait que le récit des événements tel qu’il avait été raconté par les demandeurs et non une connaissance directe des événements en question. De plus, la SPR a accordé peu de poids aux lettres d’appui d’un conseiller en intégration du Centre canadien pour les victimes de torture (le CCVT) qui indiquaient que les demandeurs étaient membres du CCVT et participaient aux programmes offerts, car les lettres ne faisaient qu’offrir la même description des événements que celle fournie par les demandeurs et ne permettaient pas de dissiper les doutes en matière de crédibilité que soulevait la demande d’asile.

[21] La SPR a renvoyé à la preuve documentaire objective indiquant que la décision de faire subir la MGF aux enfants revenait ultimement aux parents, qui pouvaient s’opposer à la pratique. Interrogé sur cet élément de preuve, le demandeur principal a répondu qu’il n’était pas réellement possible de refuser une telle pratique lorsqu’il s’agissait de la volonté d’une secte secrète. La SPR a déclaré qu’elle privilégiait la preuve objective au témoignage du demandeur principal.

[22] La SPR a conclu que la demande d’asile manquait de crédibilité et que les demandeurs n’avaient donc pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[23] Dans sa décision du 10 septembre 2021, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle leur demande d’asile manquait de crédibilité.

[24] La SAR a conclu que la SPR avait correctement apprécié le témoignage et la preuve des demandeurs relativement à la menace que présentaient le père du demandeur principal et la secte Babanla. La SAR a plus précisément conclu que la SPR avait relevé à juste titre l’incohérence entre le témoignage de la codemanderesse selon lequel elle avait directement reçu un appel téléphonique de menace du père du demandeur principal en 2010 et le formulaire FDA qui ne faisait pas mention de ce fait important. La SAR a fait remarquer qu’il était explicitement demandé, dans le formulaire FDA, d’expliquer en détail les raisons pour lesquelles les demandeurs sollicitaient l’asile au Canada, et que la codemanderesse avait confirmé, au début de l’audience de la SPR, que les renseignements indiqués dans son formulaire FDA étaient complets, véridiques et exacts.

[25] La SAR a également souscrit à l’évaluation de la SPR selon laquelle les menaces qu’aurait proférées la secte Babanla contre les demandeurs étaient toutes de nature très grave, contrairement à l’affirmation des demandeurs portant que les menaces s’étaient aggravées jusqu’à conduire, ultimement, à l’envoi d’une lettre de menaces de mort en 2018. La SAR a fait observer que, selon le témoignage des demandeurs, les menaces qui leur auraient été adressées avant 2018 étaient également graves.

[26] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle l’explication fournie par le demandeur principal pour justifier d’avoir détruit la lettre et le morceau de tissu rouge en 2018, éléments qui auraient provoqué la fuite des demandeurs du Nigéria, n’était pas raisonnable. La SAR a conclu qu’il n’était pas raisonnable que le demandeur principal, une « personne très instruite », détruise un élément de preuve aussi important, ou le détruise pour ne pas faire entrer de forces occultes chez lui alors qu’il ne croit pas que la secte ait le moindre pouvoir.

[27] En appel, le demandeur principal a affirmé qu’il ne voulait rapporter chez lui aucun objet appartenant à la secte parce qu’il était chrétien. Cependant, la SAR a conclu qu’il était loisible au demandeur principal ou à son conseil de chercher à clarifier cette question devant la SPR, ce qu’ils n’ont pas fait, et a fait remarquer que le demandeur principal avait produit en preuve une photo qui le montrerait en train de se faire agresser par des membres de la secte et qu’il posséderait depuis environ 17 ans.

[28] La SAR a accepté l’allégation des demandeurs selon laquelle ils avaient déménagé à de nombreuses reprises au Nigéria, mais n’a pas accepté leur explication concernant ces déménagements, à savoir qu’ils avaient déménagé pour éviter le père du demandeur principal et d’autres membres de la secte et qu’ils avaient su qu’il était temps de quitter le Nigéria lorsque la lettre et le morceau de tissu rouge avaient été remis à leur fille en 2018. La SAR a fait remarquer que le demandeur principal avait témoigné être resté à Lagos pendant deux ans après le déménagement de la codemanderesse à Abuja, malgré les menaces qu’il aurait reçues de son père et le fait que la secte était au courant de l’adresse des demandeurs à Lagos. La SAR a également fait observer que, compte tenu du témoignage des demandeurs selon lequel les membres de la secte étaient arrivés de manière inattendue à leur nouvelle résidence à Abuja en 2014, les demandeurs auraient dû savoir dès ce moment qu’il ne servirait à rien de s’installer ailleurs au Nigéria. Pour ces motifs, la SAR a rejeté l’affirmation des demandeurs selon laquelle les menaces proférées contre eux étaient moins graves au début et s’étaient ensuite aggravées jusqu’à conduire, ultimement, à une menace de mort en 2018 qui avait amené la famille à fuir au Canada.

[29] La SAR a rejeté l’explication fournie par les demandeurs pour ne pas avoir demandé l’asile au Royaume‑Uni alors qu’ils y étaient à des périodes où ils craignaient pour leur vie et recevaient des menaces de mort. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le défaut d’avoir demandé l’asile au Royaume‑Uni minait la crainte subjective des demandeurs d’être persécutés par la secte. La SAR a également rejeté l’observation des demandeurs selon laquelle leurs proches au Royaume‑Uni avaient un statut d’immigration précaire, ce qui aurait pu séparer la famille. La SAR a conclu que rien n’étayait cette allégation ni ne démontrait comment le statut d’immigration de la famille des demandeurs au Royaume‑Uni aurait une incidence sur la capacité de ces derniers à y demander l’asile. En ce qui concerne l’argument supplémentaire des demandeurs portant qu’ils ne connaissaient pas le système de protection des réfugiés du Royaume‑Uni, la SAR a jugé que le témoignage du demandeur principal concernant les raisons pour lesquelles ils n’avaient pas demandé l’asile dans ce pays changeait constamment.

[30] En ce qui a trait à la preuve documentaire objective à l’appui, la SAR n’a accordé que peu de poids à l’affidavit de la mère du demandeur parce que celui‑ci ne contenait pas suffisamment de renseignements sur les principaux événements qu’auraient vécus les demandeurs. De plus, la SAR a conclu que même si la mère du demandeur principal avait aussi affirmé avoir été menacée afin de révéler à la secte où se trouvait son fils, elle n’expliquait pas dans son affidavit comment ni par qui elle avait été menacée. La SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en s’appuyant sur la preuve objective relative aux pratiques de MGF au Nigéria et a souscrit à sa conclusion selon laquelle la preuve objective indiquait que les parents avaient le choix de faire subir la MGF à leur enfant ou non. La SAR a également conclu qu’elle devait accorder peu de poids à la photo présentée par le demandeur principal, qui, selon lui, le montrait en train de se faire agresser physiquement par des membres de la secte, car elle ne permettait pas de corroborer l’affirmation de ce dernier selon laquelle il avait réellement été agressé. La SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans le traitement des autres éléments de preuve documentaire, dont les affidavits des autres membres de la famille et la lettre du CCVT.

[31] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion d’invraisemblance portant qu’il n’était pas raisonnable que le père du demandeur principal dirige une secte tout en étant un universitaire à temps plein. La SAR a toutefois jugé, compte tenu des renseignements à sa disposition sur le profil du père du demandeur principal, que la preuve indiquait seulement que ce dernier était professeur et non qu’il avait des liens avec une secte.

[32] Pour les motifs qui précèdent, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient exposés à des menaces au Nigéria de la part de la secte Babanla et que, par conséquent, ils n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[33] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[34] Nul ne conteste la norme de contrôle applicable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17, 23‑25). Je suis d’accord.

[35] La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant en ce qui concerne le raisonnement suivi que le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[36] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[37] Les demandeurs font valoir que les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité sont fondées sur une mauvaise compréhension et une mauvaise appréciation de la preuve qu’ils ont présentée. Les demandeurs soutiennent que la SAR, dans son évaluation de leur crédibilité, a fait preuve de scepticisme et de zèle afin de trouver des incohérences au lieu de s’appuyer sur une analyse raisonnée de leur témoignage et de la preuve. Les demandeurs font valoir qu’ils ont ajouté des renseignements dans leur témoignage seulement dans le but de préciser ceux qu’ils avaient déjà fournis dans l’exposé circonstancié de leur formulaire FDA, mais que la SAR a considéré à tort ces précisions comme étant des incohérences, et qu’il était déraisonnable pour la SAR de faire fi de leurs explications convaincantes concernant les autres incohérences soulevées.

[38] Le défendeur soutient que la SAR a apprécié de manière raisonnable la preuve et le témoignage des demandeurs et qu’elle a fourni de nombreux motifs rationnels et intelligibles pour justifier ses réserves à l’égard de leur crédibilité. Il soutient en outre que la SAR n’est pas tenue de retenir les explications des demandeurs concernant ces incohérences et qu’elle peut tirer ses propres conclusions à propos de la preuve.

[39] Je fais d’abord remarquer qu’une grande partie des observations des demandeurs visent à contester l’appréciation de la preuve faite par la SAR et que ces derniers semblent chercher à ce que la Cour apprécie la preuve à nouveau. Ce n’est toutefois pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 125).

[40] Je fais également remarquer que les demandeurs, dans leurs observations écrites, prétendent qu’il y aurait de nombreuses autres erreurs dans la décision de la SAR, soit bien plus d’erreurs qu’il n’est possible d’en traiter de manière raisonnable et globale dans la présente instance. Les demandeurs affirment, essentiellement de manière vague et sans fondement, qu’il y aurait des erreurs à presque tous les paragraphes des motifs. Par leurs observations, les demandeurs se livrent à une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » dans les motifs de la SAR et demandent à la Cour d’en faire autant (Vavilov, au para 102). Encore une fois, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[41] Les demandeurs semblent contester l’analyse rigoureuse de la preuve effectuée par la SAR parce que celle‑ci n’a pas retenu leurs explications concernant les incohérences ou les irrégularités dans leur récit. Les motifs de la SAR montrent cependant qu’elle a réalisé un examen approfondi des explications fournies par les demandeurs pour justifier les incohérences dans leur exposé circonstancié et leur témoignage, et la SAR n’est pas tenue de considérer ces explications comme raisonnables, surtout compte tenu de l’effet cumulatif des nombreuses réserves en matière de crédibilité (Ogunmodede c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 94 au para 18; Towolawi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 245 au para 32).

[42] Dans ses motifs, la SAR a traité de tous les aspects de la demande d’asile et a présenté une analyse claire et rationnelle de la preuve pour parvenir à chacune des conclusions qu’elle a tirées en matière de crédibilité. Les conclusions de la SAR en matière de crédibilité sont justifiées compte tenu du dossier de preuve, et celle‑ci a fourni des motifs intelligibles expliquant pourquoi elle mettait en doute des aspects centraux de la demande d’asile. Le témoignage des demandeurs révèle des lacunes manifestes, des incohérences inexpliquées et des allégations non étayées qui, considérées de manière cumulative, constituent un fondement raisonnable sur lequel la SAR pouvait s’appuyer pour conclure que la demande d’asile n’était pas crédible. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les demandeurs n’ont pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans l’évaluation de leur crédibilité par la SAR .

V. Conclusion

[43] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision possède toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6812-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  2. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6812-21

 

INTITULÉ :

OLANIYI OLUWASA ALO, ADEBIMPE FUNMIL ALO, EMMANUELLA TOLU ALO ET OBALOLUWA SAMUE ALO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 FÉVRIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Ayoola Odeyemi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Pavel Filatov

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ayoola Odeyemi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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