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Date : 20230427

Dossier : IMM-6370-21

Référence : 2023 CF 620

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MANDEEP SINGH ET BALDEEP KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Les demandeurs, Mandeep Singh et Baldeep Kaur, sont un couple marié. Ils ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils craignaient d’être persécutés et de faire l’objet d’extorsions par des extrémistes hindous en Inde. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté leur demande d’asile, et la Section d’appel des réfugiés (SAR) a rejeté leur appel. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. La demande d’asile des demandeurs est fondée sur la création d’une vidéo. Les demandeurs allèguent que des extrémistes hindous les ont forcés, sous la menace d’une arme à feu, à lire un scénario pendant qu’ils enregistraient et dans lequel ils affirment avoir exporté des vaches pour consommation humaine. Les demandeurs ont affirmé que les extrémistes les avaient menacés de diffuser la vidéo et que la diffusion de la vidéo les mettrait à risque d’être persécutés par de violents groupes de protection des vaches et des extrémistes hindous. La SPR et la SAR ont reconnu que cet événement s’était bien produit tel qu’il avait été décrit par les demandeurs et que la vidéo existait, mais n’ont pas accepté qu’elle eût été diffusée.

[2] Les analyses faites par la SPR et la SAR étaient axées sur la question de savoir si la vidéo avait, en fait, été diffusée. Selon les demandeurs, même s’ils n’ont pas la preuve que la vidéo a été diffusée, la SAR, qui a reconnu l’existence de la vidéo, aurait dû déterminer si les demandeurs étaient à risque d’être persécutés en raison de la possibilité qu’elle soit diffusée à l’avenir.

[3] À mon avis, il s’agit de la question déterminante. Je conclus que la SAR n’a pas examiné en profondeur l’argument des demandeurs au sujet de la diffusion future de la vidéo.

[4] Pour les motifs énoncés ci-dessus, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

[5] Contexte

[6] À la fin de 2017, les demandeurs ont été victimes d’extorsion par des extrémistes hindous. Ils ont payé les sommes d’argent que les extorqueurs leur ont réclamées à l’époque et à deux autres reprises, soit en septembre 2018 et en juillet 2019. En août 2019, les demandeurs n’ont pas été en mesure de payer les montants exigés par les extrémistes. Les extrémistes hindous ont forcé les demandeurs, sous la menace d’une arme à feu, à lire un scénario pendant qu’ils enregistraient et dans lequel les demandeurs affirmaient avoir exporté des vaches pour consommation humaine. Les demandeurs se sont enfuis au Canada en septembre 2019. Le mois suivant, en octobre 2019, le père de M. Singh a reçu la visite de cinq personnes de l’organisation Gau Raksha Dal (GRD), une organisation de protection des vaches, qui lui ont posé des questions au sujet des demandeurs.

[7] La SPR a entendu la demande d’asile des demandeurs le 31 décembre 2020 et l’a rejetée le 20 janvier 2021. La SPR a reconnu que les demandeurs avaient été menacés par des extorqueurs en octobre 2017, en septembre 2018 et en juillet 2019. De plus, la SPR a reconnu qu’en août 2019, les demandeurs avaient été forcés de déclarer qu’ils consomment du bœuf et que M. Singh exporte des vaches et que les extorqueurs avaient menacé de diffuser la vidéo sur les médias sociaux si les demandeurs déménageaient. Selon la SPR, la croyance de M. Singh selon laquelle les extorqueurs avaient diffusé la vidéo sur les médias sociaux n’était pas crédible. La SPR a conclu que M. Singh n’avait pas pris de mesures raisonnables pour confirmer si la vidéo avait été diffusée en ligne, ce qui a miné sa crédibilité. La SPR a aussi jugé que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mumbai.

[8] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. À l’appui de leur appel, les demandeurs ont cherché à admettre en preuve un affidavit de M. Singh. Dans son affidavit, M. Singh indique que son père lui a dit que des individus sont venus chez lui le 27 janvier 2021, à la recherche de lui et de son épouse. Le père de M. Singh a vu un autocollant du GRD sur leur véhicule et croyait qu’ils étaient membres du GRD. Les demandeurs ont également présenté, par l’entremise de leur conseil, des observations faisant valoir que les nouveaux éléments de preuve des demandeurs sont admissibles, que la SPR a commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité et que la SPR a commis une erreur dans sa conclusion relative à la PRI.

[9] La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve. Elle a également confirmé les conclusions de la SPR relativement à la crédibilité et à la PRI. La SAR a rejeté l’appel le 18 août 2021.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[10] La question déterminante dans le cadre du contrôle judiciaire a trait au bien-fondé de la décision de la SAR. Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que je devrais examiner cet aspect de la décision de la SAR selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a affirmé qu’une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Le décideur administratif doit s’assurer que l’exercice de son pouvoir public est « justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

III. Analyse

[11] Les demandeurs ont fait valoir devant la SAR que la nature et le contenu de la vidéo que leurs extorqueurs possèdent les mettraient en danger partout au pays.

[12] La SAR a reconnu que « la SPR a accepté l’existence de la vidéo et le fait que des personnes associées à l’organisation GRD se sont rendues chez le père [de M. Singh] en octobre 2019 ». La SAR n’a pas remis en question cette conclusion. La SAR, tout comme la SPR, a rejeté l’argument selon lequel l’existence de la vidéo mettait les demandeurs en danger partout au pays en raison de sa diffusion possible. La SAR a conclu qu’« il n’y [avait] pas de preuve concrète montrant que la vidéo [avait] été diffusée et, par conséquent, il n’y aurait aucune raison pour que des justiciers autoproclamés ciblent les appelants et pour que la police soit complice de telles menaces ou attaques ou encore ferme les yeux sur elles ».

[13] La SAR n’a pas tenu compte de l’argument soulevé par les demandeurs, à savoir que l’existence même de cette vidéo posait un risque aux demandeurs puisque sa diffusion éventuelle pourrait les mettre en danger. Autrement dit, la SAR a évalué l’allégation selon laquelle la vidéo avait déjà été diffusée, mais elle n’a pas examiné le risque posé par la possibilité que la vidéo soit diffusée un jour.

[14] Bien qu’il lui soit loisible de rejeter cet argument, la SAR devait examiner cet aspect particulier du risque des demandeurs. Je ne vois pas où, dans la décision de la SAR, elle a examiné attentivement cet aspect du risque allégué par les demandeurs. Compte tenu des conséquences graves en jeu, la SAR devait examiner cet aspect de la demande d’asile des demandeurs dans ses motifs (Vavilov, au para 133).

[15] Enfin, le défendeur a fait remarquer que la demande de contrôle judiciaire désigne à tort le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada à titre de défendeur. Je suis d’accord et j’ordonne que l’intitulé soit modifié avec effet immédiat afin de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

[16] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’intitulé est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné à titre de défendeur.

  3. La décision de la SAR datée du 18 août 2021 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour une nouvelle décision.

  4. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

(vide)

« Lobat Sadrehashemi »

(vide)

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6370-21

 

INTITULÉ :

MANDEEP SINGH ET AL. c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

Max Berger

 

Pour les demandeurs

Rachel Beaupré

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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