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Date : 20230426


Dossier : IMM-4781-22

Référence : 2023 CF 605

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

MOHAMMAD ZAKIR HOSSAIN KHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen du Bangladesh. En 2017, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des investisseurs (Québec) en application du paragraphe 90(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). L’épouse du demandeur et sa fille sont incluses dans la demande comme personnes à charge.

[2] Comme l’exige l’alinéa 90(2)b) du RIPR, le demandeur était visé par un certificat de sélection du Québec délivré par la province de Québec. Toutefois, lors de l’examen de la demande, une agente des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a soulevé des préoccupations quant à savoir si le demandeur cherchait à s’établir au Québec, comme l’exige l’alinéa 90(2)a) du RIPR.

[3] Le 28 février 2022, IRCC a envoyé au demandeur une lettre pour le convoquer à une entrevue avec un agent des visas. Outre les instructions concernant la présentation des pièces justificatives et la logistique de l’entrevue (qui se ferait par vidéoconférence), la lettre disait simplement : [traduction] « Il vous incombe de convaincre l’agent qui conduit l’entrevue que vous répondez aux exigences d’admissibilité de la catégorie dans laquelle vous présentez votre demande ». La lettre ne faisait état d’aucune préoccupation particulière quant à l’admissibilité du demandeur au titre de la catégorie des investisseurs (Québec) ni de doutes quant à l’authenticité de son intention déclarée de s’établir au Québec.

[4] L’entrevue a eu lieu comme prévu le 15 mars 2022. Au cours de l’entrevue, l’agente a fini par soulever des préoccupations quant à savoir si le demandeur cherchait réellement à s’établir au Québec. Deux préoccupations précises ont été soulevées. La première était que, pendant que la demande était en attente de traitement, le demandeur avait présenté, au nom de sa fille, une demande de permis d’études pour fréquenter une école en Ontario. L’autre était que le demandeur avait été inclus dans une demande de résidence aux États-Unis présentée par sa belle-sœur en 2012. Cette demande était toujours en instance. Après avoir pris en considération les réponses du demandeur, l’agente a conclu que ses préoccupations n’avaient pas été dissipées. Par conséquent, dans une décision datée du 29 mars 2022, l’agente a rejeté la demande de résidence permanente parce qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur cherchait à s’établir dans la province de Québec. Dans les notes qu’elle a consignées dans le Système mondial de gestion des cas, l’agente réitère ces deux préoccupations comme motifs pour sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il cherchait à s’établir au Québec.

[5] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Il soutient que la décision a été prise en violation des principes d’équité procédurale parce qu’il n’a pas été informé raisonnablement des préoccupations de l’agente quant à savoir s’il cherchait réellement à s’établir au Québec et qu’il n’a pas eu la possibilité raisonnable de répondre à ces préoccupations. Il prétend également que la décision est déraisonnable.

[6] Comme je l’explique ci-dessous, je conviens que la décision est déraisonnable. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’aborder la question de l’équité procédurale.

[7] Les parties conviennent, tout comme moi, que le fond de la décision de l’agente doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[8] Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). La cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid). Pour qu’une décision soit jugée raisonnable, la cour de révision « doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » (Vavilov, au para 102, guillemets internes et renvoi omis). En outre, « si des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable » (Vavilov, au para 136).

[9] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de l’agente est déraisonnable. Pour infirmer la décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[10] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’évaluation faite par l’agente du lien entre la demande de résidence aux États-Unis en instance et l’intention du demandeur de s’établir au Québec est déraisonnable.

[11] Premièrement, il est tout simplement impossible de comprendre pourquoi l’agente a conclu qu’une demande de résidence aux États-Unis présentée en 2012 était compatible avec le fait que, maintenant, le demandeur cherchait réellement à s’établir au Québec. Il n’y a aucune raison, selon la logique et le bon sens, pour que les deux ne puissent pas coexister. Le demandeur pourrait sincèrement chercher à s’établir dans le pays qui lui accorderait la résidence en premier. Si c’était le Canada, il s’établirait au Québec.

[12] Deuxièmement, les deux demandes ont été soumises à cinq ans d’intervalle. Au moment de l’entrevue avec IRCC, la demande aux États-Unis était en attente depuis une dizaine d’années. L’agente n’a même pas considéré que, même si le demandeur avait déjà pensé à s’établir aux États-Unis, il pourrait avoir changé d’avis. En fait, le demandeur a déclaré sans équivoque à l’entrevue qu’il préférerait s’établir au Québec en raison des conditions sociales et politiques qui y règnent comparativement à celles aux États-Unis. L’agente ne s’attaque d’aucune façon à cette preuve.

[13] Troisièmement, l’agente a inféré du fait que le demandeur n’avait pas retiré la demande présentée aux États-Unis qu’il cherchait toujours à s’établir aux États-Unis (et donc pas au Québec). Même s’il s’agissait d’une inférence logique (ce qui n’est pas le cas), elle est tout de même déraisonnable puisqu’il n’y avait aucune preuve que le demandeur exerçait un quelconque contrôle sur la demande déposée aux États-Unis. Pendant l’entrevue, lorsque l’agente a demandé au demandeur s’il avait envisagé de présenter des demandes au titre de programmes de migration dans d’autres pays que le Canada, il a affirmé que sa belle-sœur avait inclus son épouse dans la demande de résidence qu’elle avait présentée aux États-Unis. Tout au long de l’entrevue, le demandeur a clairement dit que c’était sa belle-sœur qui avait présenté la demande, et non lui. Selon les renseignements dont disposait l’agente, rien ne permettait de présumer, comme l’agente l’a fait, que le demandeur avait le pouvoir de retirer la demande présentée aux États‑Unis.

[14] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’agente était également préoccupée par le fait que le demandeur avait demandé un permis d’études pour que sa fille puisse fréquenter une école en Ontario alors que sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des investisseurs du Québec était en cours. Le défendeur n’a pas indiqué que la décision pourrait être confirmée pour ce seul motif. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je détermine si ces préoccupations étaient raisonnables ou non.

[15] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de l’agente des visas datée du 29 mars 2022 est annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

[16] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74 d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4781-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agente des visas datée du 29 mars 2022 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  3. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4781-22

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD ZAKIR HOSSAIN KHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Raj Napal

 

Pour le demandeur

 

Neeta Logsetty

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NLC Lawyers

Brampton (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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