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Date : 20230424

Dossier : IMM-3416-21

Référence : 2023 CF 588

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE:

ANWAR KAMRAN, DANISH ZUBARI, RAMSHA ZUBARI

et DANIYAL ZUBARI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Anwar Kamran (M. Kamran) et ses trois enfants adultes sont les demandeurs. M. Kamran a présenté une demande de parrainage pour ses enfants en vue de les aider à obtenir la résidence permanente au Canada. L’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) proscrit le parrainage d’enfants qui n’ont pas fait l’objet d’un contrôle médical au moment où leur parent les a désignés dans leur demande de résidence permanente comme personnes à charge ne les accompagnant pas. Pour ce motif, les demandeurs ont présenté une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) dans laquelle ils ont à la fois soulevé les circonstances entourant l’absence de contrôle des enfants de M. Kamran au moment du dépôt de la demande de résidence permanente ainsi que des préoccupations concernant le bien-être actuel des enfants au Pakistan.

[2] La demande de parrainage des demandeurs et la demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire ont été rejetées par un agent de migration (l’agent) de l’unité responsable du regroupement familial d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Les demandeurs contestent cette décision par voie de contrôle judiciaire.

[3] Par conséquent, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire. La démarche de l’agent au regard de son pouvoir discrétionnaire d’apprécier les motifs d’ordre humanitaire était indûment restrictive et ne concordait pas avec les balises établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Pour les motifs qui suivent plus loin, l’affaire doit être renvoyée pour nouvelle décision par un autre agent.

II. Contexte

[4] M. Kamran a présenté une demande de résidence permanente au Canada en 2007. À cette époque, il était marié et avait trois enfants avec son épouse. En 2008, alors que la demande de M. Kamran était pendante, lui et son épouse ont divorcé et se sont ensuite engagés dans un litige concernant la garde des enfants. M. Kamran a retiré son ex-épouse de la liste des personnes à sa charge dans sa demande de résidence permanente, a changé le statut de ses enfants pour celui de « personnes à charge ne l’accompagnant pas » et a informé IRCC qu’il désirait toujours que ses enfants fassent l’objet d’un contrôle médical.

[5] M. Kamran allègue que son ex-épouse ne voulait pas permettre aux enfants d’être examinés par un médecin et qu’il n’a pas été en mesure de la convaincre du contraire. Il s’inquiétait des retards dans le traitement de sa demande. En 2010, l’ami de M. Kamran, qui n’est pas un professionnel du droit, lui a suggéré de retirer ses enfants de la liste des personnes à sa charge et de produire une déclaration qu’il avait trouvée en ligne et qui, selon lui, devait être utilisée dans ces circonstances. M. Kamran a informé IRCC que son ex-épouse ne voulait pas consentir au contrôle médical des enfants et a produit la déclaration que son ami avait trouvée en ligne. La déclaration comprenait cet énoncé : [TRADUCTION] « Je reconnais également que ma décision de ne pas soumettre les personnes susmentionnées à un contrôle médical les empêchera d’appartenir à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec moi. »

[6] M. Kamran est arrivé au Canada en 2010. Il est devenu citoyen canadien en 2014.

[7] Le litige qui opposait M. Kamran à son ex-épouse concernant la garde des enfants s’est poursuivi jusqu’en 2013, année où il a eu gain de cause. Les enfants ont quitté la maison maternelle pour aller vivre chez leur oncle paternel. M. Kamran a présenté une demande de parrainage de ses enfants en vue de les aider à obtenir la résidence permanente canadienne, mais IRCC a rejeté sa demande en 2015.

[8] De 2016 à 2019, les enfants sont retournés vivre chez leur mère. Durant cette période, les demandeurs affirment que leur mère était violente, négligente, et les a contraints à quitter sa maison en 2019. À ce moment, ils sont retournés chez le frère de leur père.

[9] En décembre 2019, M. Kamran a de nouveau présenté une demande de parrainage pour ses enfants et a sollicité une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire visant à les soustraire aux exigences prévues à l’alinéa 117(9)d) du RIPR. Il a produit de la preuve portant que ses enfants avaient vécu dans un foyer où sévissait la maltraitance et qu’ils entretenaient avec lui des liens étroits tout en dépendant de lui. Au moment où il a déposé sa demande de parrainage, ses enfants étaient âgés de 17, 19 et 21 ans.

[10] L’agent a rejeté la demande, refusant de ce fait de dispenser les demandeurs des exigences prévues à l’alinéa 117(9)d) du RIPR. Il a jugé que la preuve ne permettait pas de conclure que [traduction] « le seul moyen de remédier aux obstacles auxquels les membres de la fratrie prétendent se heurter est qu’ils rejoignent leur père au Canada, ni que ces enjeux sont directement et exclusivement dus à leur séparation d’avec lui ». L’agent a également conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que d’autres options, comme celle d’établir un contact plus régulier avec la famille ou de créer un foyer plus stable au Pakistan, ne sont pas possibles.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[11] La question à trancher dans le présent contrôle judiciaire concerne l’évaluation faite par l’agent des motifs d’ordre humanitaire soulevés dans la demande de parrainage. Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la décision de l’agent doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

IV. Analyse

[12] L’étranger qui demande le statut de résident permanent au Canada peut demander au ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire en vue de le dispenser, pour des motifs d’ordre humanitaire, des obligations prévues dans la LIPR (LIPR, art 25(1)). Dans l’arrêt Kanthasamy, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351, la Cour suprême du Canada a confirmé que le pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire a pour objet d’« offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (Kanthasamy, au para 21).

[13] Étant donné que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire est de « mitiger la sévérité de la loi selon le cas », il n’y a pas d’ensemble limité de facteurs justifiant une dispense (Kanthasamy, au para 19). Ceux-ci varieront selon les circonstances, mais « l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy, au para 25; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74-75.

[14] Le défendeur plaide que l’agent a tenu compte de tous les faits et facteurs pertinents soulevés par les demandeurs et que ceux-ci sont simplement en train de demander à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve dans le cadre du contrôle judiciaire. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, l’agent a adopté une démarche trop restrictive à l’égard des motifs d’ordre humanitaire soulevés par les demandeurs, ce qui a donc limité son examen des facteurs pertinents soulevés.

[15] L’agent a exigé des demandeurs qu’ils démontrent que les difficultés auxquelles ils étaient en butte étaient « directement et exclusivement dus à leur séparation d’avec [le père] » et, en outre, que « le seul moyen de remédier aux obstacles auxquels [ils] prétend[aient] se heurter [était de] rejoi[ndre] leur père au Canada ». Imposer ces critères pour l’octroi de la dispense – c’est-à-dire qu’il s’agit du seul moyen de remédier aux difficultés ou que celles-ci ont été causées seulement par la séparation – ne cadre pas avec la démarche établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy. L’agent était tenu d’« examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et [de] leur accorder du poids » de manière à décider si l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR était justifié (Kanthasamy au para 25).

[16] La démarche de l’agent a substantiellement limité son examen des faits et des facteurs pertinents. Les facteurs relatifs aux difficultés soulevés étaient jugés pertinents seulement si : i) l’octroi d’une dispense était le seul moyen de remédier aux difficultés et ii) celles-ci étaient exclusivement causées par la séparation des enfants d’avec leur père. L’analyse de l’agent était axée sur la question de savoir s’il existait assez de preuve pour établir ces deux points. Dans ces circonstances, je ne peux pas conclure que l’agent a examiné et soupesé au fond l’ensemble des facteurs pertinents et des faits soulevés par les demandeurs, dont les difficultés auxquelles se sont heurtés les enfants de M. Kamran durant les années de séparation d’avec leur père, les circonstances entourant la décision initiale de ne pas soumettre les enfants à un contrôle médical, et la dépendance réciproque entre M. Kamran et ses enfants. À mon avis, la vision étroite de l’agent pourrait avoir abouti à une évaluation faussée de la preuve. Il s’agit d’un motif suffisant pour annuler la décision et renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[17] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du 16 avril 2021 rendue par IRCC est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

En blanc

« Lobat Sadrehashemi »

En blanc

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3416-21

INTITULÉ :

ANWAR KAMRAN, DANISH ZUBARI, RAMSHA ZUBARI et DANIYAL ZUBARI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 OCTOBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AVRIL 2023

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LES DEMANDEURS

Nur Muhammad-Ally

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associés

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada (Ministère de la Justice Canada)

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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