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Date : 20230424


Dossier : IMM‑457‑22

Référence : 2023 CF 591

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2023

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

OSCAR MAURICIO GUTIERREZ MEDINA

CAROLINA VALENCIA GOMEZ

MARIANA GUTIERREZ VALENCIA

ANDRES MAURICIO GUTIERREZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs, M. Gutierrez Medina, son épouse, Mme Valencia Gomez, et leurs deux enfants, sont une famille originaire de la Colombie qui sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 décembre 2021 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant qu’ils n’ont ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), parce qu’ils disposent de possibilités de refuge intérieur (PRI) viables en Colombie.

[2] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 9 mai 2018 et ont demandé l’asile au motif qu’ils seraient exposés à un risque s’ils étaient renvoyés en Colombie, où ils avaient été la cible de menaces répétées de mort ou de violence de la part des guérilleros urbains de l’Armée de libération nationale (l’Ejército de Liberación Nacional ou ELN). La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que les agents du préjudice étaient membres de l’ELN ni que les agents du préjudice avaient les moyens et la motivation de les retrouver et de leur causer du tort dans l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI.

II. Contexte

[3] D’après l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) des demandeurs, les événements à l’origine de leur demande d’asile ont commencé en octobre 2014 au restaurant de M. Gutierrez Medina, à Bogota. M. Gutierrez Medina allègue qu’un homme armé, qui a dit s’appeler Mono et appartenir à l’ELN, lui a réclamé des frais de « protection » pour assurer la sécurité de son restaurant. Dans un premier temps, M. Gutierrez Medina a accédé à la demande. Toutefois, lorsqu’il a ouvert un deuxième restaurant à Bogota, les frais de protection ont doublé, et l’homme a continué d’exiger de plus en plus d’argent, jusqu’à ce que M. Gutierrez Medina n’ait plus les moyens de payer. Il a été forcé de vendre ses restaurants en novembre 2016, mais cela n’a pas résolu le problème, car l’homme a alors exigé de toucher une partie du produit de la vente.

[4] M. Gutierrez Medina affirme qu’il s’est adressé aux autorités colombiennes pour obtenir de l’aide, mais que l’homme l’a appris et que les menaces de violence se sont intensifiées. Les demandeurs ont tenté en vain d’échapper à l’homme et à ses complices en déménageant dans différents quartiers de Bogota, puis ont finalement décidé de quitter le pays après que M. Gutierrez Medina a reçu un appel de menaces en juillet ou en août 2017.

[5] Les demandeurs se sont rendus en Espagne, en France et en Italie pour évaluer s’ils devaient s’y installer, mais ils ont décidé que ces endroits ne servaient pas l’intérêt supérieur des enfants et qu’ils devraient plutôt aller au Canada. Après que les demandeurs eurent quitté l’Europe pour rentrer en Colombie en février 2018, M. Gutierrez Medina a appris de l’un de ses frères que deux hommes étaient à sa recherche et qu’il devrait donc quitter le pays. Les demandeurs ont présenté une demande de visas canadiens, lesquels leur ont été délivrés en mars 2018. Le 11 avril 2018, M. Gutierrez Medina a déposé une plainte au sujet des menaces et de l’extorsion auprès du Bureau du procureur général (la Fiscalía). Le 24 avril 2018, il a été reçu en entrevue à Bogota et a été informé que la police protégerait sa famille. Il affirme que la police a surveillé sa résidence pendant deux jours, puis n’est plus revenue par la suite. Les demandeurs ont quitté la Colombie le 8 mai 2018 pour venir au Canada.

[6] La décision du 30 décembre 2021 est la deuxième décision rendue par la SAR en lien avec les demandes d’asile des demandeurs. Avec le consentement des parties, notre Cour a ordonné l’annulation de la première décision de la SAR ainsi que le renvoi des demandes d’asile pour nouvel examen. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision rendue à l’issue de ce nouvel examen.

[7] La SAR a reconnu que M. Gutierrez Medina avait été la cible d’extorsion, et que lui et des membres de sa famille avaient reçu des menaces à Bogota. Néanmoins, elle a conclu que M. Gutierrez Medina n’était pas crédible relativement à l’identité des agents du préjudice et que, en outre, la preuve des demandeurs ne suffisait pas à établir que Mono et l’ELN étaient impliqués dans les menaces ou l’extorsion.

[8] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAR relative aux PRI était déraisonnable en raison de la façon dont celle-ci a traité la preuve. Voici ce qu’ils affirment dans leur mémoire des arguments supplémentaire :

i) La SAR s’est attachée de façon excessive au contenu de la plainte à la Fiscalía de M. Gutierrez Medina et s’est appuyée sur une seule incohérence alléguée – à savoir que la plainte ne précisait pas que les menaces avaient été proférées par l’ELN ou son agent, Mono – pour conclure que M. Gutierrez Medina n’était pas crédible quant à l’identité des agents du préjudice, qu’il avait embelli sa demande d’asile pour inclure un lien avec Mono et l’ELN, et que l’ELN n’était pas à l’origine de l’extorsion et des menaces passées;

ii) La SAR a commis une erreur en menant un examen sélectif et fragmentaire de la preuve plutôt que d’en considérer l’intégralité. Elle a fait abstraction des éléments de preuve qui allaient à l’encontre de sa conclusion, n’a pas examiné la preuve indépendamment de ses doutes sur la crédibilité de M. Gutierrez Medina et a écarté des éléments de preuve corroborant la version des faits et le témoignage des demandeurs parce qu’elle avait tiré des conclusions erronées quant à la vraisemblance de ces éléments ainsi que des inférences négatives fondées sur ce qu’ils ne disaient pas plutôt que sur ce qu’ils disaient;

iii) En raison des erreurs ci-dessus et en se fondant sur une prémisse erronée quant à l’identité des agents du préjudice, la SAR a conclu que les demandeurs disposaient de PRI viables. De plus, même si Mono et l’ELN n’étaient pas à l’origine des menaces (ce que les demandeurs contestent), la preuve, qui illustrait clairement les efforts déployés en vain pour échapper aux agents du préjudice, montrait que quiconque était derrière les menaces était en mesure de retrouver les demandeurs n’importe où en Colombie;

iv) Dans ses motifs, la SAR n’a pas indiqué si elle avait tenu compte des conséquences de sa décision ni si ces conséquences étaient justifiées au regard des faits et du droit. Elle a plutôt minimisé le sérieux de la demande d’asile des demandeurs, précisant que ces derniers seraient exposés à un risque d’« extorsion » et ne mentionnant que brièvement les menaces de mort et le harcèlement.

[9] Le défendeur estime que les demandeurs n’ont pas établi de façon crédible que les agents du préjudice étaient bien Mono ou l’ELN et que la conclusion déterminante de la SAR au sujet des PRI constitue un résultat raisonnable à l’issue de l’analyse de la preuve qu’elle a menée. Il affirme que les demandeurs n’ont pas relevé de lacune suffisamment importante dans la décision de la SAR pour justifier son annulation.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[10] La question en litige en l’espèce est de savoir si la conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs disposaient de PRI viables en Colombie était déraisonnable.

[11] Les demandeurs ne contestent pas les autres aspects de la décision de la SAR. Ils ont demandé à faire admettre de nouveaux éléments de preuve en appel, et ils ne contestent pas les conclusions de la SAR quant à l’admissibilité de ces nouveaux éléments ni la conclusion selon laquelle les conditions pour la tenue d’une audience n’étaient pas réunies. Ils ne contestent pas non plus la conclusion de la SAR selon laquelle l’un des enfants, qui est citoyen des États‑Unis d’Amérique, n’a pas établi le bien-fondé de sa demande d’asile au titre des articles 96 ou 97 de la LIPR, ni la conclusion selon laquelle les demandes des autres demandeurs devaient être examinées sur le fondement de l’article 97, puisqu’elles n’avaient aucun lien avec un motif de persécution énoncé dans la Convention.

[12] La question de savoir si la décision de la SAR est déraisonnable doit être tranchée conformément au cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais rigoureux : Vavilov, aux paras 12‑13, 75 et 85. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

[13] Les présents motifs reprennent les arguments des demandeurs tels qu’ils sont présentés dans le mémoire des arguments supplémentaire (ils n’ont pas été formulés exactement dans les termes lors des plaidoiries). Dans le mémoire supplémentaire, certaines des erreurs alléguées sont reprises dans plus d’une section; je les ai examinées selon leur première occurrence.

A. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la plainte à la Fiscalía?

[14] La SPR a conclu qu’il était peu probable que les demandeurs soient exposés à un risque s’ils s’installaient dans l’un des trois endroits proposés comme PRI. Elle a jugé qu’il était plus probable que les agents du préjudice aient été membres d’un gang criminel local de Bogota que membres de l’ELN, et que M. Gutierrez Medina avait embelli sa demande d’asile pour inclure un lien avec l’ELN.

[15] En appel devant la SAR, les demandeurs ont fait valoir que la SPR avait mal identifié les agents du préjudice, car elle s’était attachée à tort à une seule phrase de la plainte à la Fiscalía qui indiquait que, lorsqu’on lui avait demandé s’il soupçonnait quelqu’un en particulier, M. Gutierrez Medina avait répondu : « Non, je pense qu’il s’agit simplement de la criminalité générale ». Selon les demandeurs, le principal agent du préjudice, un homme appelé Mono, était l’un des dirigeants de l’ELN. Ils ont également soutenu que la conclusion de la SPR selon laquelle M. Gutierrez Medina avait embelli sa demande d’asile pour inclure un lien avec l’ELN ne constituait pas une véritable conclusion défavorable quant à la crédibilité et qu’il était difficile de savoir quelle incidence cette conclusion avait eue sur la décision de la SPR.

[16] La SAR a jugé que les arguments des demandeurs étaient sans fondement. Elle a conclu que la SPR avait manifestement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, et elle a souscrit au constat de la SPR selon lequel l’explication de M. Gutierrez Medina au sujet de sa déclaration à la Fiscalía n’était pas étayée par le contenu de la plainte. À cet égard, voici un extrait du témoignage de ce dernier devant la SPR :

[traduction]

COMMISSAIRE : […] [I]ls vous ont posé une question, qui va comme suit : « Est-ce que vous soupçonnez quelqu’un en particulier qui aurait pu commettre ces actes? [»] C’est après que vous ayez fait la liste de toutes les demandes et de tous les paiements que vous aviez faits. Vous avez répondu : « Non, je pense qu’il s’agit simplement de la criminalité générale ». Pourquoi n’avez-vous pas dit que c’était l’ELN?

INTERPRÈTE : Désolé, correction, c’est l’interprétation.

DEMANDEUR : Eh bien, quand ils m’ont demandé si je soupçonnais quelqu’un, ils parlaient d’un -- de quelqu’un qui était proche de moi.

COMMISSAIRE : Qu’est-ce que vous voulez dire?

DEMANDEUR : Eh bien, si c’était -- si un de mes amis qui connaissait mes entreprises avait pu commettre l’extorsion, et c’est pour ça que je n’ai pas mentionné le -- l’ELN. En fait, à ce stade, vous êtes juste -- ils prennent juste votre déclaration et ils la prennent simplement à mesure.

COMMISSAIRE : Pourquoi n’avez-vous rien dit quand vous avez commencé à raconter ce qui s’était passé au début, en octobre 2014, vous avez dit : « Un homme vient à mon restaurant ». Pourquoi n’avez-vous pas dit qu’il s’appelait Mono et qu’il avait dit faire partie de l’ELN?

DEMANDEUR : Je -- je le nomme. Je l’ai nommé au procureur général de la Fiscalía et à la Goulah [sic].

COMMISSAIRE : Pourquoi est-ce que cela ne figure pas dans la plainte?

DEMANDEUR : Vraiment, je ne sais pas.

[17] La SAR a également conclu que, si M. Gutierrez Medina avait nommé Mono ou l’ELN à la police, cela aurait figuré dans la plainte à la Fiscalía.

[18] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis un certain nombre d’erreurs dans son analyse de la plainte à la Fiscalía. Premièrement, ils affirment que la SAR a commis la même erreur que la SPR en s’attachant à tort à une seule phrase de la plainte, et qu’elle a donc mené un examen à la loupe qui était injustifié : Attakora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (CAF) [Attakora]. Qui plus est, l’argument invoqué pour contester la véracité de la version des faits des demandeurs – à savoir que la plainte à la Fiscalía ne faisait pas mention de l’ELN – est sans fondement, parce que la plainte faisait mention de l’ELN, même si la mention en question était masquée par le timbre de la Fiscalía et avait été omise par erreur dans la traduction anglaise du document. Deuxièmement, dans son témoignage à l’audience de la SPR, M. Gutierrez Medina a déclaré qu’il avait dit à la Fiscalía (ainsi qu’au Grupos de Acción Unificada por la Libertad Personal, ou GAULA) que Mono et l’ELN étaient responsables des menaces et de l’extorsion, et qu’il ne savait pas pourquoi cela ne figurait pas dans la plainte. Les demandeurs affirment que la SAR a erronément conclu à l’invraisemblance de leur version des faits lorsqu’elle a déclaré que, si M. Gutierrez Medina avait nommé Mono ou l’ELN lors de son entrevue avec la police, la plainte en aurait fait état : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 au para 7 [Valtchev]. Les demandeurs soutiennent que la SPR avait commis une erreur semblable en encourageant M. Gutierrez Medina à conjecturer sur les raisons pour lesquelles les autorités n’avaient pas mentionné le nom de Mono dans la plainte à la Fiscalía, avant de mettre en doute sa crédibilité parce qu’elle jugeait son hypothèse invraisemblable : Weng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1483 [Weng]. Troisièmement, la SAR a formulé une hypothèse injustifiée selon laquelle M. Gutierrez Medina avait parlé de « criminalité générale » pour désigner un crime commis par de simples criminels, sans se demander s’il faisait plutôt référence à un crime qui se produisait fréquemment.

[19] Les demandeurs plaident également que la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’ils s’en étaient toujours tenus à la même version et que, en appel, ils avaient présenté des articles de presse à l’appui de ce qu’ils affirmaient depuis le début. Ces articles confirmaient l’arrestation de Mono, un membre haut placé de l’ELN, en août 2019. Les demandeurs affirment que la SAR a fait preuve d’un zèle excessif dans sa recherche d’incohérences en n’accordant aucun poids aux articles de presse parce que ceux-ci ne présentaient pas de lien avec eux : Attakora. Ils soutiennent que la SAR leur a imposé un fardeau excessif qui allait au-delà du critère normalement exigé pour l’application de l’article 97 de la LIPR, notamment en s’attendant à ce qu’ils fournissent des articles accessibles au public les reliant à l’arrestation de Mono.

[20] Pour les motifs qui suivent, les demandeurs n’ont pas établi que la SAR avait commis une erreur dans son examen de la plainte à la Fiscalía ou des articles de presse sur l’arrestation de Mono.

[21] Comme le défendeur le fait remarquer à juste titre, l’appréciation de la crédibilité, même si elle n’est pas à l’abri d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, fait partie du processus de recherche des faits et appelle la retenue : Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve : Vavilov, au para 125. Lorsqu’il évalue la crédibilité, le décideur n’est pas tenu d’accepter l’explication du demandeur quant à une incohérence relevée dans la preuve : Moshood c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 504 au para 16, citant Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87 au para 10. De plus, la SAR peut tirer des conclusions sur la crédibilité qui seront basées sur le sens commun et la raison, pour autant qu’elle en explique les motifs : Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 838 au para 17.

[22] La SAR a conclu que la SPR avait correctement relevé une divergence importante entre ce que M. Gutierrez Medina avait dit à la police en Colombie et ce qu’il avait déclaré sous serment par la suite dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et dans son témoignage. Il ne s’agissait pas d’un examen à la loupe. La SAR n’a pas mis en doute un aspect de la version des faits des demandeurs sur la base de divergences mineures ou secondaires : Attakora. La divergence en question était manifeste et directement pertinente relativement à l’identité des auteurs du préjudice. La conclusion de la SAR n’était donc pas injustifiée. La SAR a examiné l’explication de M. Gutierrez Medina selon laquelle il pensait que la question de la police portait uniquement sur ses amis ou les personnes proches de lui, mais elle ne l’a pas acceptée, affirmant que l’explication n’était « tout simplement pas étayée par la plainte ». La SAR a expressément précisé que cette conclusion portait sur la crédibilité. Autrement dit, même si la SAR a reconnu que M. Gutierrez Medina avait été victime de menaces et d’extorsion, elle a jugé que le témoignage de ce dernier selon lequel l’homme qui l’avait confronté pour la première fois en 2014 était Mono et qu’il était membre de l’ELN n’était pas crédible. Les demandeurs n’ont pas établi que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle en relevant une incohérence dans la preuve et en s’appuyant de préférence sur la preuve documentaire pour conclure que leur affirmation selon laquelle Mono et l’ELN les avaient pris pour cible n’était pas crédible, mais constituait plutôt un « embellissement » de la réalité.

[23] Les demandeurs ne font pas valoir que le raisonnement de la SAR jusqu’à ce stade reposait sur un examen de la vraisemblance. Toutefois, le commissaire de la SAR a déclaré dans ses motifs : « J’estime également, selon la prépondérance des probabilités, que si [M. Gutierrez Medina] avait mentionné Mono ou l’ELN à la police, comme il l’affirme, ce renseignement serait inclus dans la plainte ». Les demandeurs considèrent qu’il s’agit là d’une conclusion erronée sur la vraisemblance de leur version des faits et que cette conclusion va à l’encontre des principes établis dans la décision Valtchev.

[24] Je ne suis pas convaincue que l’affirmation de la SAR selon laquelle la plainte aurait indiqué que Mono ou l’ELN étaient les agresseurs si c’était ce que M. Gutierrez Medina avait affirmé à la police équivaut à une conclusion sur la vraisemblance de la version des faits des demandeurs. La SAR a énoncé ses conclusions sur l’invraisemblance dans ses motifs, et elle n’a pas qualifié la précédente conclusion d’invraisemblable. À mon avis, toute cette question, lorsque considérée dans son contexte, ne constitue pas une conclusion sur l’invraisemblance, mais bien un facteur qui, après examen, a amené la SAR à conclure que M. Gutierrez Medina n’était pas crédible relativement à l’identité des auteurs du préjudice. Les facteurs soupesés étaient notamment les suivants : M. Gutierrez Medina avait répondu à la police qu’il ne savait pas qui était derrière les menaces et l’extorsion; la plainte ne corroborait pas l’explication de M. Gutierrez Medina quant à sa réponse négative; et si M. Gutierrez Medina avait [traduction] « nommé [Mono] au procureur général de la Fiscalía » comme il l’avait déclaré dans son témoignage, ce renseignement aurait vraisemblablement figuré dans la plainte.

[25] L’allégation des demandeurs selon laquelle la SPR a encouragé M. Gutierrez Medina à conjecturer sur les raisons pour lesquelles les autorités n’avaient pas mentionné le nom de Mono dans la plainte est sans fondement. M. Gutierrez Medina a déclaré dans son témoignage qu’il avait nommé Mono aux autorités. La SPR lui a raisonnablement demandé pourquoi cela ne figurait pas dans la plainte, ce à quoi il a répondu : « Vraiment, je ne sais pas ». La SPR n’a pas insisté pour obtenir une autre réponse. M. Gutierrez Medina n’a formulé aucune conjecture, et le principe de la décision Weng ne s’applique pas en l’espèce. Comme je le mentionne plus haut, la conclusion défavorable de la SAR quant à la crédibilité repose sur la divergence relevée dans la version des faits donnée par M. Gutierrez Medina pour laquelle ce dernier n’a fourni aucune explication raisonnable. La SAR avait un motif raisonnable de s’appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage de M. Gutierrez Medina, et je ne suis pas convaincue qu’elle a commis une erreur à cet égard : Cardenas Gil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1111 au para 8, citant Zhou c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1087 au para 1.

[26] Les demandeurs allèguent également que la SAR (comme la SPR) s’est méprise sur la plainte à la Fiscalía, parce que la plainte faisait mention de l’ELN, même si la mention en question était masquée par le timbre de la Fiscalía et avait été omise par erreur dans la traduction anglaise du document. Ils soutiennent que les erreurs ont de graves conséquences pour les demandeurs d’asile et que la SAR, dont le mandat est de déceler les erreurs de la SPR, aurait dû être sensible à l’erreur de traduction. Subsidiairement, ils affirment que la SAR aurait dû demander l’original d’un document aussi crucial.

[27] Les observations des demandeurs à cet égard ne me convainquent pas. Le mémoire des arguments supplémentaire présenté par les demandeurs comportait une image montrant un texte espagnol à peine visible auquel se superposait le timbre de la Fiscalía. Les lettres « ELN » avaient été encerclées. Toutefois, aucune preuve n’indiquait la provenance de cette image ou ne corroborait le fait qu’elle était issue d’un document dont la SPR et la SAR avaient été saisies. Il est impossible de discerner les lettres ou les mots inscrits sous le timbre de la Fiscalía sur la plainte en espagnol qui figure au dossier certifié du tribunal et au dossier des demandeurs en l’espèce, et ces derniers ne contestent pas que la qualité des documents est en cause. De plus, les demandeurs n’invoquent aucune jurisprudence pour étayer leur thèse selon laquelle la SAR aurait dû être sensible à une erreur de traduction dans un document qu’ils avaient présenté à l’appui de leur demande d’asile. Les parties qui comparaissent devant la SPR ou la SAR sont chargées de fournir une traduction certifiée de leurs propres documents rédigés dans une langue autre que le français ou l’anglais. Je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas invoqué d’erreur de traduction en appel devant la SAR et qu’ils n’ont pas autrement établi que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle relativement à une erreur dans la traduction de la plainte à la Fiscalía qu’ils avaient présentée à l’appui de leur demande d’asile.

[28] Qui plus est, les demandeurs n’ont pas établi que l’erreur de traduction alléguée entraînait une lacune suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision de la SAR déraisonnable : Vavilov, au para 100. Ils n’ont pas établi non plus qu’une mention de l’ELN, de même que le contexte dans lequel l’ELN avait été mentionné, remettait en cause les principales conclusions de la SAR.

[29] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que la SAR a commis une erreur en omettant de se demander si M. Gutierrez Medina avait parlé de « criminalité générale » pour désigner un crime fréquent ou un crime commis par de simples criminels. Je précise que les demandeurs soulèvent cet argument pour la première fois en l’espèce. En appel devant la SAR, ils n’ont pas fait valoir que la SPR s’était méprise sur ce que M. Gutierrez Medina avait voulu dire par « criminalité générale » ni fourni de preuve de ce qu’il entendait par là. Quoi qu’il en soit, il n’est pas manifeste que la SAR a conjecturé sur l’interprétation que faisait M. Gutierrez Medina de la criminalité générale, car ni l’une ni l’autre des interprétations ne met en doute la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Les réserves de la SAR (et de la SPR) concernaient seulement le fait que, lorsque la police colombienne lui avait demandé s’il soupçonnait quelqu’un en particulier, M. Gutierrez Medina avait répondu « non » plutôt que de nommer Mono.

[30] Les demandeurs n’ont pas établi que la SAR leur avait imposé un fardeau excessif au‑delà du critère normalement exigé pour l’application de l’article 97 de la LIPR, ou qu’elle s’était attendue à ce qu’ils fournissent des articles accessibles au public les reliant à l’arrestation de Mono. La SAR a examiné les éléments de preuve produits par les demandeurs. Après avoir examiné les articles de presse sur l’arrestation de Mono, elle ne leur a accordé aucun poids pour ce qui était d’établir que Mono ou l’ELN étaient derrière les menaces et l’extorsion visant les demandeurs, car aucun des articles ne faisait de lien avec ces derniers. La SAR a évalué la valeur probante des articles pour ce qui était d’établir l’identité des agents du préjudice, conformément au rôle qui lui incombe de soupeser la preuve pour statuer sur le fond de la demande d’asile des demandeurs. Les motifs que la SAR a invoqués pour expliquer le fait qu’elle n’avait accordé aucun poids aux articles comme preuve de l’identité des agents du préjudice étaient intelligibles, transparents et justifiés, et les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle.

B. La SAR a-t-elle commis une erreur en menant un examen sélectif et fragmentaire de la preuve?

[31] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en choisissant de se concentrer sur un seul point, au détriment de tous les autres éléments de preuve, et en omettant d’examiner la preuve dans son ensemble. À leur avis, la déclaration de la SAR selon laquelle elle avait « examiné les nouveaux éléments de preuve des [demandeurs] afin d’établir s’ils l’emport[ai]ent sur les problèmes de crédibilité relatifs à l’identité des agents du préjudice » indique qu’elle a commis une erreur en omettant d’examiner la preuve indépendamment de ses doutes sur la crédibilité des demandeurs avant de la rejeter : He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2 au para 25 [He]; Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 846 aux para 33‑35 [Lu]; Sterling c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 329 au para 12 [Sterling].

[32] Les demandeurs soutiennent que la SAR a également commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve importants contredisant ses conclusions, notamment le fait que le frère de M. Gutierrez Medina avait reçu une balle dans la jambe tirée par des personnes qui auraient affirmé : [traduction] « Tu dois payer ce que ton frère nous doit », ainsi que les déclarations du frère, du fils aîné (qui est resté en Colombie) et du beau-frère de M. Gutierrez Medina concernant l’identité des agents du préjudice et les menaces continues contre la famille : Goman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 643 au para 13; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) au para 17 [Cepeda-Gutierrez].

[33] Les demandeurs font valoir que, lorsque la SAR a effectivement examiné les éléments de preuve, elle ne leur a accordé aucun poids et a donné des motifs à l’appui qui n’étaient pas transparents, intelligibles ou justifiés au regard du dossier. La SAR a rejeté les récits de première main faisant état de menaces et de violence contre les membres de la famille des demandeurs, car elle a conclu que le moment où les éléments de preuve avaient été déposés était douteux ou « si fortuit qu’il [était] invraisemblable », alors que les conclusions d’invraisemblance ne devraient être réservées qu’aux cas les plus évidents : Valtchev, au para 7. Les demandeurs affirment que la conclusion d’invraisemblance de la SAR ne repose pas sur le contenu de leur preuve documentaire : Fok v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] FCJ no 800 (CAF). Comme les déclarations des membres de la famille portaient sur une série d’événements découlant d’une menace continue, les événements eux-mêmes n’étaient pas survenus à un moment douteux, ce qui distingue l’espèce de l’affaire Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 572 [Jiang] invoquée par le défendeur. En outre, les demandeurs avancent que, au contraire de l’affaire Jiang, la crédibilité des déclarations des membres de la famille n’a pas été remise en cause, si ce n’est le moment où elles ont été présentées.

[34] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a écarté des éléments de preuve en raison de ce qu’ils ne disaient pas plutôt qu’en raison de ce qu’ils disaient : Arslan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 252 aux para 87‑88 [Arslan]; Pantas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 64 au para 102 [Pantas]. La SAR n’a accordé aucun poids à des éléments de preuve comme la lettre du fils aîné de M. Gutierrez Medina et la note de menaces de l’ELN reçue par le beau-frère en raison des renseignements qui n’y figuraient pas.

[35] Les demandeurs n’ont pas établi que la SAR a commis une erreur dans son traitement de la preuve. Comme je le mentionne plus haut, la SAR a reconnu que les demandeurs avaient été victimes d’extorsion et de menaces de la part de criminels. La question clé est de savoir si la SAR a déraisonnablement soupesé les éléments de preuve pour ce qui était de déterminer s’ils permettaient d’établir l’identité des auteurs du préjudice.

[36] Je ne suis pas convaincue que la déclaration de la SAR selon laquelle elle avait « examiné les nouveaux éléments de preuve des [demandeurs] afin d’établir s’ils l’emport[ai]ent sur les problèmes de crédibilité relatifs à l’identité des agents du préjudice » est indicatrice d’un traitement inadéquat de la preuve. La SAR n’a pas raisonné d’une manière qui soulève la même question que celle en litige (c.-à-d. qu’on ne croit pas les preuves corroborantes juste parce qu’on ne croit pas le demandeur d’asile) (He, au para 25), ou avec une logique équivalant à dire « Je ne te crois pas, par conséquent, je ne crois rien qui explique pourquoi je me trompe peut‑être » (Sterling, au para 12). La SAR n’a pas écarté de documents sur la base de ses doutes sur la crédibilité de M. Gutierrez Medina sans les avoir d’abord soumis à un examen indépendant : Lu, aux paras 33-35. Les motifs de la SAR montrent qu’elle a examiné la preuve en vue de déterminer si les demandeurs avaient établi que Mono et l’ELN étaient les agents du préjudice.

[37] Je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas établi que la SAR avait omis d’examiner des éléments de preuve clairement contradictoires sur la question de l’identité qui auraient mérité d’être mentionnés expressément : Cepeda-Gutierrez, au para 17. En appel devant la SAR, les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle rien n’indiquait que l’ELN était derrière l’attaque par balle contre le frère de M. Gutierrez Medina ni celle selon laquelle la croyance de ce dernier voulant que son frère ait été attaqué par des membres de l’ELN n’était que « pure spéculation ». Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SAR a bel et bien examiné les déclarations du frère, du fils aîné et du beau-frère de M. Gutierrez Medina au sujet de l’identité des agents du préjudice, sur lesquelles je me penche ci-après.

[38] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en n’accordant aucun poids aux déclarations des membres de la famille pour des motifs qui n’étaient pas transparents, justifiés ou intelligibles au regard du dossier.

[39] Je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a commis une erreur en jugeant le [traduction] « moment douteux ». Le défendeur fait remarquer à juste titre que, lorsqu’elle évalue la preuve, la SAR est en droit de tenir compte d’une chronologie révélant une coïncidence : Jiang, au para 44, citant Meng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 365 au para 22.

[40] En outre, les demandeurs affirment à tort que ce ne sont pas les événements eux-mêmes qui ont été jugés comme étant survenus à un [traduction] « moment douteux », ou que la SAR a écarté des éléments de preuve pour ce seul motif. La SAR a jugé que le moment de la déclaration du frère par rapport à la note de menaces de l’ELN était « si fortuit qu’il [était] invraisemblable », puisque ces documents visaient à établir des événements qui seraient survenus quelques jours à peine avant le dépôt du dossier des demandeurs et qu’ils traitaient « exactement de la même question » que celle qui avait été soulevée par la SPR comme n’ayant pas été établie. La SAR a pris en considération le moment où ces documents avaient été produits ainsi que le fait que la note de l’ELN n’était pas datée, n’était pas adressée aux demandeurs et ne faisait référence ni aux difficultés de ces derniers avec Mono ni aux événements entourant l’extorsion, ce qui l’a amenée à conclure que la déclaration n’avait aucune valeur pour ce qui était d’établir que Mono ou l’ELN étaient les agents du préjudice. Elle a jugé que le moment où le beau-frère avait présenté sa demande de protection à la Fiscalía, en mai 2021, était également douteux, notant que la lettre de mai 2019 produite par ce dernier ne faisait aucunement mention de l’ELN et que le fait qu’il avait tardé à demander de la protection alors que les menaces avaient commencé trois ans plus tôt minait la crédibilité de son affirmation selon laquelle les menaces provenaient de l’ELN. En ce qui concerne les déclarations du fils de M. Gutierrez Medina, la SAR a conclu qu’elles avaient également été produites à un moment douteux et qu’elles n’expliquaient pas comment le fils savait que l’ELN était impliquée. Enfin, elle a jugé que les documents n’étayaient pas l’implication de Mono, déclarant qu’« aucun des documents en question ne mentionne Mono, la personne qui, au dire de l’appelant, était le principal extorqueur et agent du préjudice dans son cas ».

[41] La SAR a expressément traité des éléments de preuve concernés et a expliqué pourquoi elle ne leur avait accordé aucun poids pour ce qui était d’établir que Mono et l’ELN étaient les agents du préjudice. Les demandeurs n’ont pas établi que la SAR avait fait un traitement sélectif ou fragmentaire de la preuve ou qu’elle avait commis la même erreur logique que celle décrite dans les décisions Arslan et Pantas. La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a noté que la preuve ne mentionnait pas Mono et que, par conséquent, elle n’étayait pas l’allégation selon laquelle il était le principal extorqueur et agent du préjudice. À mon avis, la SAR a jugé les documents produits par les membres de la famille au regard de ce qu’ils disaient, mais elle a conclu qu’ils ne prouvaient pas, selon la prépondérance des probabilités, que Mono et l’ELN ciblaient les demandeurs.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les agents du préjudice n’avaient pas les moyens ou la motivation nécessaires pour retrouver les demandeurs et leur causer du tort si ces derniers s’installaient dans l’un des endroits proposés comme PRI?

[42] En plus des erreurs alléguées concernant l’identité des agents du préjudice, les demandeurs font valoir que la conclusion de la SAR au sujet des PRI est déraisonnable, car elle repose sur l’hypothèse selon laquelle il existe une distinction claire entre les simples criminels et l’ELN. Selon eux, la preuve documentaire établit que l’extorsion par les groupes armés et les groupes de simples criminels est courante. Ils soutiennent que la SAR a commis une erreur en évaluant la preuve relative au risque auquel ils seraient exposés dans l’ensemble de la Colombie. L’ELN est établi ou actif dans les grandes villes de Colombie, et les réseaux de groupes armés peuvent retrouver et cibler des individus dans les zones rurales et les centres urbains. De plus, indépendamment de la question de l’implication de l’ELN, les demandeurs affirment que les agents du préjudice les ont retrouvés en dépit du fait qu’ils avaient déménagé et changé leurs coordonnées à plusieurs reprises, et que les agents du préjudice sont donc en mesure de les retrouver, eux et les membres de leur famille, partout en Colombie.

[43] Le défendeur estime que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer l’existence d’un risque dans les endroits proposés comme PRI. Il soutient que l’affirmation des demandeurs selon laquelle les agents du préjudice, qui qu’ils soient, sont capables de retrouver des individus partout en Colombie n’est que pure spéculation.

[44] Pour les motifs mentionnés plus haut, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi que Mono et l’ELN étaient les agents du préjudice. Les demandeurs n’ont pas fait valoir devant la SAR qu’ils seraient exposés à un risque grave de préjudice partout en Colombie quelle que soit l’identité des agents du préjudice, et je conviens avec le défendeur qu’il était loisible à la SAR de conclure qu’ils n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les agents du préjudice avaient les moyens et la motivation nécessaires pour les retrouver et leur causer du tort dans l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI.

D. La décision était-elle justifiée au regard des conséquences?

[45] Les demandeurs avancent que les motifs de la SAR n’indiquent pas si celle-ci a tenu compte des conséquences de sa décision ni si ces conséquences étaient justifiées au regard des faits et du droit. Les motifs doivent refléter les enjeux en cause, et le décideur doit expliquer pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur : Vavilov, au para 135. Les demandeurs affirment que la SAR a minimisé le sérieux de leur demande d’asile et que, dans sa décision, elle a déclaré qu’ils seraient exposés à un risque d’« extorsion » et n’a mentionné que brièvement les menaces de mort et le harcèlement.

[46] Je ne suis pas de cet avis. Les motifs de la SAR sont adaptés aux arguments des demandeurs et justifient le résultat obtenu. Rien ne permet de conclure que la SAR a minimisé le sérieux de la demande d’asile des demandeurs. La SAR a reconnu que M. Gutierrez Medina avait été la cible d’extorsion et que lui et sa famille avaient reçu des menaces à Bogota. Elle a toutefois conclu que cela était insuffisant pour faire droit à l’appel, car les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à un risque s’ils s’installaient dans l’un des endroits proposés comme PRI.

V. Conclusion

[47] Les demandeurs n’ont pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[48] Aucune partie n’a proposé de question à certifier. J’estime que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑457‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑457‑22

 

INTITULÉ :

OSCAR MAURICIO GUTIERREZ MEDINA, CAROLINA VALENCIA GOMEZ, MARIANA GUTIERREZ VALENCIA, ANDRES MAURICIO GUTIERREZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

Marcia Pritzker Schmitt

 

Pour les demandeurs

 

Rachel Beaupré

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WayForth LLP

Avocats

Kitchener (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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