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Date : 20230412


Dossier : T‑1879‑18

Référence : 2023 CF 529

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2023

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

DANNY PALMER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Danny Palmer, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (ci‑après le CSARS) a décliné compétence à l’égard d’une plainte qu’il avait déposée contre le Service canadien du renseignement de sécurité (ci‑après le SCRS). La demande de contrôle judiciaire est présentée au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

I. Introduction

[2] Le SCRS a congédié M. Palmer en juin 2003 du fait de son rendement insatisfaisant. Depuis ce temps, le demandeur conteste cette décision devant les tribunaux par tous les moyens. Il a cherché à saisir le CSARS à cinq reprises de certaines allégations visées par les articles 41 et 42 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23 [la Loi sur le SCRS], sous la forme prise par ces dispositions à l’époque des diverses plaintes formulées par M. Palmer. Le législateur les a abrogées en 2019.

[3] Les articles en vigueur au moment du dépôt des cinq plaintes du demandeur étaient libellés comme suit :

Plaintes

Complaints

41 (1) Toute personne peut porter plainte contre des activités du Service auprès du comité de surveillance; celui‑ci, sous réserve du paragraphe (2), fait enquête à la condition de s’assurer au préalable de ce qui suit :

41 (1) Any person may make a complaint to the Review Committee with respect to any act or thing done by the Service and the Committee shall, subject to subsection (2), investigate the complaint if

a) d’une part, la plainte a été présentée au directeur sans que ce dernier ait répondu dans un délai jugé normal par le comité ou ait fourni une réponse qui satisfasse le plaignant;

(a) the complainant has made a complaint to the Director with respect to that act or thing and the complainant has not received a response within such period of time as the Committee considers reasonable or is dissatisfied with the response given; and

b) d’autre part, la plainte n’est pas frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi.

(b) the Committee is satisfied that the complaint is not trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith.

Restriction

Other redress available

(2) Le comité de surveillance ne peut enquêter sur une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs établie en vertu de la présente loi ou de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

(2) The Review Committee shall not investigate a complaint in respect of which the complainant is entitled to seek redress by means of a grievance procedure established pursuant to this Act or the Federal Public Sector Labour Relations Act.

Refus d’une habilitation de sécurité

Denial of security clearance

42 (1) Les individus qui font l’objet d’une décision de renvoi, de rétrogradation, de mutation ou d’opposition à engagement, avancement ou mutation prise par un administrateur général pour la seule raison du refus d’une habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige doivent être avisés du refus par l’administrateur général; celui‑ci envoie l’avis dans les dix jours suivant la prise de la décision.

42 (1) Where, by reason only of the denial of a security clearance required by the Government of Canada, a decision is made by a deputy head to deny employment to an individual or to dismiss, demote or transfer an individual or to deny a promotion or transfer to an individual, the deputy head shall send, within ten days after the decision is made, a notice informing the individual of the denial of the security clearance.

[…]

Réception des plaintes et enquêtes

Receipt and investigation of complaints

(3) Le comité de surveillance reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes présentées par :

(3) The Review Committee shall receive and investigate a complaint from

a) les individus visés au paragraphe (1) à qui une habilitation de sécurité est refusée;

(a) any individual referred to in subsection (1) who has been denied a security clearance; or

b) les personnes qui ont fait l’objet d’une décision d’opposition à un contrat de fourniture de biens ou de services pour la seule raison du refus d’une habilitation de sécurité à ces personnes ou à quiconque.

(b) any person who has been denied a contract to provide goods or services to the Government of Canada by reason only of the denial of a security clearance in respect of that person or any individual.

Par souci d’exhaustivité, je signale que des dispositions du même ordre existent dans la loi de 2019, à savoir les articles 16 et 18 de la Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, LC 2019, c 13, art 2. Cette loi a institué l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement qui a remplacé le CSARS.

II. La cinquième plainte

[4] Comme je le mentionne plus haut, il s’agit de la cinquième plainte déposée par le demandeur contre le SCRS depuis son congédiement il y a près de 20 ans. Il serait approprié pour la Cour d’entamer son contrôle de l’espèce en se penchant sur la nature exacte de la plainte. J’exposerai ensuite les quatre autres plaintes et leurs résultats. Pour obtenir un portrait exhaustif de l’espèce, il sera ensuite nécessaire de se reporter au litige porté devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique, qui a abouti devant la Cour par voie de contrôle judiciaire. Il sera ensuite possible de tenir pleinement compte des thèses présentées par les parties.

[5] Le 2 janvier 2018, le demandeur a envoyé au directeur général du SCRS une longue lettre de huit pages dans laquelle il se plaignait de divers problèmes. Selon son auteur, il s’agit de sa plainte à l’égard du [TRADUCTION]°« Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) au titre de l’article 41 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi sur le SCRS) ».

[6] La plainte officielle adressée au CSARS, déposée comme il se doit au moyen du formulaire 41, est, à toutes fins utiles, identique à la lettre du 2 janvier 2018. Le formulaire de huit pages est daté du 18 février 2018. l se rapporte uniquement à l’article 41, et non à l’article 42, de l’ancienne version de la Loi sur le SCRS.

[7] Le demandeur résume la teneur générale de sa plainte dans le premier paragraphe. Elle se précise ensuite dans les pages qui suivent.

[8] M. Palmer met de l’avant que [TRADUCTION]°« sa plainte vise les deux agressions physiques perpétrées par un membre du SCRS » lesquelles ont été suivies, selon le demandeur, par des [TRADUCTION]°« représailles » qui ont commencées en 1997 et se sont poursuivies jusqu’en 2014. Il a affirmé que les [TRADUCTION]°« représailles et le harcèlement psychologique » ont conduit à son congédiement injustifié, à deux refus injustifiés de son habilitation de sécurité et à des propos diffamatoires prononcés par une porte‑parole du SCRS. Les paragraphes qui suivent exposent la teneur de la plainte.

[9] Le demandeur prétend qu’il a été agressé par son superviseur en août et en octobre 1997. Selon lui, ces agressions sont des représailles pour avoir dénoncé au sein du SCRS (il était alors en Colombie‑Britannique) la [TRADUCTION]°« divulgation illégale de renseignements classifiés », dans le premier cas, et pour avoir exprimé des préoccupations quant à [TRADUCTION]°« la politique et la communication opérationnelles » dans le second cas. Il ressort de la plainte elle‑même que la question a été soulevée à l’époque au sein du SCRS dans la région de la Colombie‑Britannique. Un consultant professionnel sur le harcèlement en milieu de travail est venu faire une présentation. En effet, une enquête a été menée après que le demandeur eut été muté à sa demande dans la région du Québec en juillet 1998. Il s’est plaint de la qualité de l’enquête.

[10] M. Palmer a continué d’être préoccupé par des incidents qui, à ses dires, se seraient produits. Selon lui, la direction de la région du Québec faisait peu de cas des renseignements qu’il avait recueillis concernant un agent de renseignements étranger qui aurait cherché à kidnapper ou à assassiner deux personnes résidant au Canada. Comme il a procédé à son enquête sans y être autorisé, le demandeur prétend qu’on lui a infligé des mesures disciplinaires sur la foi d’un faux rapport disciplinaire. Il a déposé un grief à ce sujet. Il déclare dans sa plainte qu’on ne sait pas si [TRADUCTION]°« l’agent de renseignements étranger » a réussi à trouver les deux personnes qui, selon lui, étaient visées.

[11] De l’avis du demandeur, sa mutation au sein du SCRS dans une autre région du Québec en avril 2001 constituait une mesure disciplinaire supplémentaire. Il semble qu’il ait jugé que cette mutation limitait ses perspectives professionnelles. Peu après, il s’est inquiété des suites d’une évaluation de la menace qu’il a rédigée à propos d’un élève‑pilote qui chercherait à provoquer un écrasement d’avion sur une cible politique étrangère dans la ville de Québec lors du Sommet des Amériques. M. Palmer souhaitait que son évaluation de la menace fasse l’objet d’une analyse et d’une enquête. Selon lui, les directeurs du SCRS estimaient que son évaluation était tirée par les cheveux et était source d’embarras.

[12] Toujours aux dires de M. Palmer, au cours de l’été 2001, il a eu vent d’une tactique selon laquelle on aurait tenté de contraindre des sources potentielles à travailler en les menaçant de divulguer des renseignements à leur [TRADUCTION]°« État d’origine » ou aux agences alliées. M. Palmer désapprouvait ces manœuvres. Ces allégations ont entraîné une enquête de sécurité interne visant le demandeur (dont la teneur n’est pas connue). Le demandeur soupçonne qu’il s’agissait en fait [TRADUCTION]°« d’une enquête sur la conduite et la discipline, qui constituait en réalité un abus de pouvoir commis dans le but de le harceler et d’exercer des représailles contre lui en raison des préoccupations qu’il avait exprimées » concernant l’usage de la tactique. Selon la plainte, il aurait ensuite subi une suspension d’une journée. Le demandeur a déposé un grief visant la mesure disciplinaire, laquelle a été annulée [TRADUCTION]°« par le directeur du SCRS ». Une réprimande a été inscrite à la place dans son dossier.

[13] On lui aurait infligé du soi‑disant harcèlement psychologique jusqu’à son congédiement, en juin 2003, qu’il qualifie [TRADUCTION]°« d’injustifié ». Un grief supplémentaire de 134 pages daté de mars 2004 est censé exposer les détails entourant son congédiement. Le demandeur déclare que [TRADUCTION]°« la corroboration du rapport [le grief] a abouti au refus injustifié de l’habilitation de sécurité du plaignant en mai 2007, qui n’a d’autres fins que de masquer le harcèlement et le congédiement injustifié ».

[14] Je m’arrête ici pour signaler qu’aucune des allégations n’était étayée par des éléments de preuve indépendants. Je présente cette trame factuelle parce qu’elle est formée d’allégations formulées à l’appui d’une plainte adressée au CSARS au titre de l’article 41 de l’ancienne version de la Loi sur le SCRS. J’expose ensuite la prétention générale de M. Palmer au regard du refus du SCRS de lui délivrer une habilitation de sécurité de niveau « très secret », tandis qu’il cherchait à contester son congédiement devant les tribunaux.

III. Le litige devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique

[15] Le demandeur a consacré plusieurs paragraphes de sa plainte au fait qu’il avait tenté de contester son congédiement devant les tribunaux. Son grief supplémentaire a été déposé en mars 2004. Il était prescrit. Le grief initial de M. Palmer relatif à son congédiement a été rejeté par le directeur du SCRS le 5 août 2003, moins de deux mois après que son renvoi eut pris effet. Or, M. Palmer voulait que son grief supplémentaire soit examiné. Il a allégué la mauvaise foi de son employeur et l’imposition d’une mesure disciplinaire déguisée contre lui. Puisque son grief était prescrit, il a été rejeté par le SCRS. M. Palmer a cherché à saisir la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) de son dossier. Le SCRS a fait valoir que la Commission n’avait pas compétence parce que M. Palmer avait fait l’objet d’un congédiement motivé par des problèmes de rendement et non par des motifs disciplinaires.

[16] Pour saisir la CRTFP de son grief supplémentaire, M. Palmer avait besoin d’une prorogation de délai, qu’il a sollicitée par une lettre datée du 14 juillet 2005.

[17] La Commission s’est penchée, par le truchement de son président, M. Yvon Tarte, sur la question de la prorogation de délai (2006 CRTFP 9), mais n’a pas tranché la question de savoir si elle avait compétence pour étudier le fond de l’affaire (para 5). Elle ne s’est pas prononcée sur le bien‑fondé du grief supplémentaire. M. Tarte a signalé que M. Palmer n’avait pas d’habilitation de sécurité au moment où la Commission se penchait sur l’affaire. Après avoir examiné la preuve produite et en se fondant sur sa propre décision (Trenholm c. Personnels des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65), la Commission a accordé une prorogation de délai. Par conséquent, l’affaire a été renvoyée à l’arbitrage, conjointement avec l’objection en matière de compétence formulée par le Service portant que la Commission ne peut pas instruire le grief parce que M. Palmer avait été congédié en raison de son rendement insatisfaisant, un motif qui outrepassait les limites de la compétence de la CRTFP. M. Tarte a pris soin d’avertir les parties de la portée limitée de sa conclusion et des difficultés auxquelles M. Palmer pourrait se heurter en ce qui a trait à la compétence de la Commission. Il a écrit ce qui suit :

[66] Comme je l’ai déjà dit, il n’a pas été vraiment question du bien‑fondé des allégations de M. Palmer à l’audience. Je ne vais donc tirer aucune conclusion sur les chances de succès du grief « supplémentaire » du demandeur, car je n’ai pas besoin de le faire. M. Palmer ne devrait pas interpréter la présente décision comme une indication qu’il pourrait avoir gain de cause avec ce grief. Il faudra trancher l’objection du Service en matière de compétence et, à cet égard, avec la situation de la jurisprudence, M. Palmer n’aura pas la tâche facile.

[18] Aucun décideur n’a eu à statuer sur le fond du grief puisque le litige a fait l’objet d’un règlement conclu dans le cadre d’une médiation avec l’aide d’un arbitre de grief. Nous pouvons trouver cette entente signée par M. Palmer, son avocat d’alors ainsi que les représentants du SCRS dans le dossier certifié du tribunal (DCT, aux pages 101 à 104). Le vice‑président de la CRTFP a signé à titre de témoin. Cette transaction a été conclue le 25 octobre 2007. Elle stipule que [TRADUCTION]°« [l]es parties conviennent de régler la présente affaire dans son intégralité selon les termes suivants ». L’une des stipulations prévoit que les parties se libèrent et se dégagent mutuellement de toute réclamation relative à l’emploi de M. Palmer au sein du SCRS. Cependant, M. Palmer n’a pas laissé l’affaire en repos.

[19] Dans les années qui ont suivi, M. Palmer a constamment fait valoir, et même devant la Cour, qu’on lui avait refusé une habilitation de sécurité de niveau très secret aux fins de la contestation de son congédiement. Il soutenait qu’il ne pouvait pas contre‑interroger les témoins sans avoir accès aux documents classifiés au niveau très secret. Après que M. Palmer eut retenu les services d’un avocat, ce dernier a obtenu l’habilitation de sécurité de niveau très secret aux fins de l’instruction du dossier, et M. Palmer a obtenu une habilitation de sécurité de niveau secret, ce qui lui a permis d’accéder à une somme considérable de renseignements consignés dans un grand nombre de documents. Comme je l’ai déjà mentionné, l’affaire s’est réglée alors que l’avocat de M. Palmer avait accès à l’ensemble de l’information et que M. Palmer avait accès à tous les documents classifiés au niveau secret. Les parties se sont entendues sur la question du grief supplémentaire avant que le fond du litige ne soit examiné.

[20] M. Palmer a cherché à rouvrir l’entente près de deux ans plus tard. Il a prétendu que des renseignements obtenus en 2008 et 2009 révélaient qu’elle était le produit d’actes frauduleux et de mesures coercitives de la part du SCRS. La Commission a été saisie de la question le 5 juin 2009. Nous apprenons de la décision de la Commission que, conformément à l’entente conclue le 25 octobre 2007, M. Palmer avait retiré son grief en décembre 2007.

[21] En somme, il a plaidé qu’il avait besoin d’une habilitation de sécurité de niveau très secret pour l’arbitrage de son grief et que, selon lui, il avait été informé durant la médiation en 2007 par les représentants du SCRS et l’arbitre de grief (qui présidait ladite médiation) que le refus de lui accorder l’habilitation de sécurité de niveau très secret empêchait le décideur d’ordonner sa réintégration dans les rangs de son ancien employeur. Il a affirmé que c’est seulement par la suite qu’il a appris que le refus de son habilitation de sécurité se cantonnait à l’arbitrage de son grief, ce qui voulait dire que l’arbitre aurait eu le pouvoir d’ordonner sa réintégration. Il a reproché à son employeur de l’avoir frauduleusement privé de l’habilitation de sécurité requise en vue d’entraver la divulgation de la preuve qui aurait démontré que son congédiement n’était pas justifié.

[22] La première question à trancher était celle de savoir si la CRTFP était compétente pour examiner l’entente de règlement. Une arbitre de grief a statué (2010 CRTFP 11) que la Commission avait compétence pour connaître de la question de savoir si l’entente de règlement conclue entre M. Palmer et l’employeur en octobre 2007 était valide et exécutoire. Elle a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit tranchée sur le fond.

[23] Une autre arbitre de grief s’est penchée là‑dessus (2012 CRTPF 1) et a conclu que le règlement était valide. Elle a écrit ce qui suit :

[7] Après avoir entendu le témoignage de M. Palmer et pris connaissance de sa lettre de 11 pages, je suis convaincue que tous les faits qu’il soulève aux fins du réexamen des conditions ayant mené au règlement de son grief existaient effectivement et que lui‑même et son avocat en avaient connaissance à l’époque de la médiation et du règlement conclu entre les parties.

[8] Par ailleurs, je ne suis pas convaincue par la correspondance initiée par M. Palmer à l’intention du SCRS par l’entremise de son nouvel avocat, Me Mercure, entre le 31 juillet 2008 et le 19 mai 2009. Cette correspondance n’est pas pertinente en ce qui a trait au réexamen par la Commission du règlement et à la réouverture du grief. Elle n’établit pas que le règlement n’était pas valide ou non exécutoire.

[9] Lors de la conclusion du règlement, M. Palmer était représenté par un avocat et ce dernier avait soulevé à l’époque la question du refus du SCRS de lui accorder une autorisation sécuritaire « Très secret » et de lui divulguer certains documents qu’il avait demandés en raison des préoccupations de l’employeur quant à sa fiabilité. Or, un règlement a été conclu malgré le fait que ces questions n’avaient pas été résolues. La correspondance échangée en 2008 et 2009 ne fait que revoir ces mêmes questions.

[10] Selon la preuve qui m’a été présentée, je ne suis pas convaincue que M. Palmer a été induit en erreur ou que son consentement au règlement ait été obtenu au moyen de fausses représentations, d’actes frauduleux ou de mesures coercitives. Par conséquent, il y avait une intention mutuelle de la part des deux parties compétentes de régler le grief de façon définitive. De plus, une partie à une entente ne peut se désister d’une entente de règlement valide et exécutoire simplement en alléguant la mauvaise foi de l’autre partie.

[Non souligné dans l’original.]

En fait, l’arbitre de grief a manifestement conclu que M. Palmer avait connaissance des circonstances qui ont mené à sa décision de régler son grief et de le retirer deux mois plus tard (en décembre 2007) conformément aux stipulations de l’entente de règlement. Elle a donc jugé que l’entente de règlement était valide et exécutoire. La Commission a estimé « que M. Palmer ne peut se prévaloir d’autres recours à cet égard auprès de la Commission, car l’arbitre de grief n’a pas compétence pour statuer sur un grief une fois celui‑ci retiré ». Cette décision a été contestée par M. Palmer par voie de contrôle judiciaire devant la Cour.

[24] Celle‑ci, sous la plume du juge Boivin (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), a conclu que la décision de la CRTFP était raisonnable (2013 CF 374). Aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis. La Cour a passé au crible le contexte factuel de l’espèce. Nous apprenons que la CRTFP avait enjoint au SCRS de divulguer l’ensemble des documents que M. Palmer estimait pertinents. Son avocat avait accès à l’ensemble d’entre eux alors que le demandeur ne pouvait pas tous les consulter en raison de son habilitation de sécurité de niveau secret. Toutefois, cette restriction était limitée à moins de 5 % de tous les documents divulgués lors de l’audience devant la CRTFP. Celle‑ci a commencé le 24 octobre 2007, mais les parties ont entamé une médiation le même jour. Elles ont ensuite conclu une entente de règlement le jour suivant.

[25] L’audience devant la CRTFP où il a été conclu que l’entente de règlement était valide et exécutoire aurait duré quatre jours. Sept témoins (dont M. Palmer) ont comparu et 66 pièces ont été produites. Trois de ces pièces sont des notes d’information du SCRS dont les auteurs recommandent le refus de l’habilitation de sécurité de niveau très secret au demandeur en raison de sa distraction et de son irresponsabilité concernant la prise en charge de renseignements classifiés. Le demandeur nie ces allégations.

[26] À cette époque, la Cour a énoncé qu’en l’espèce, « la véritable question dont elle est saisie en est une de fait – soit de déterminer si l’entente de règlement a été conclue par suite des manœuvres frauduleuses ou des déclarations inexactes du SCRS » (au para 31). Par l’entremise de son nouvel avocat à ce moment‑là, le demandeur a plaidé plusieurs arguments, à savoir :

  • les motifs de l’arbitre de grief n’étaient pas suffisants;

  • celle‑ci n’a pas apprécié la crédibilité des témoins et la fiabilité de la preuve; dans tous les cas, les conclusions n’étaient pas étayées par la preuve, et étaient même contredites par celle‑ci;

  • l’arbitre de grief aurait indiqué au cours de l’audience qu’elle ne voyait pas les raisons de la tenir, ce qui a suscité une allégation de crainte raisonnable de partialité;

  • la décision rendue était hâtive;

  • le demandeur a reproché à l’arbitre de grief son refus de tenir compte du corps de l’entente de règlement où elle aurait pu constater qu’il n’avait pas bénéficié d’un règlement important et aurait ainsi évité de préjuger de l’affaire.

[27] La Cour s’est penchée sur les arguments avancés par M. Palmer et les a rejetés.

[28] Elle déclare au paragraphe 44 qu’« [i]l ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où aucun motif n’a été fourni alors que les circonstances imposaient d’en fournir, ce qui aurait contrevenu à l’équité procédurale; l’arbitre a fourni des motifs et ceux‑ci doivent faire partie de l’examen du caractère raisonnable de la décision ». En outre, rien dans le dossier n’étayait l’existence d’une affirmation faite lors de l’audience devant la CRTFP portant qu’il n’était pas nécessaire de tenir l’audience. Le critère permettant d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité exige de la preuve convaincante, qui était manquante en l’espèce : « [l]a Cour conclut que l’allégation grave selon laquelle l’arbitre était partiale ou avait préjugé de l’affaire n’est pas fondée » (au para 45).

[29] La Cour s’est particulièrement penchée sur l’argument selon lequel la CRTFP aurait prononcé une décision hâtive ou inadéquate : « Au contraire, la décision de l’arbitre est motivée et traite bel et bien de la question principale selon laquelle le demandeur aurait été mal informé par le SCRS avant de signer l’entente de règlement » (au para 47).

[30] Bien que M. Palmer ait tenté de reprocher à l’arbitre de grief son refus de tenir compte du corps de l’entente de règlement, la Cour fédérale était d’avis que la teneur de celle‑ci n’avait jamais été mise en cause. Ce point n’était pas utile à la question de savoir si le demandeur avait été induit en erreur pour le convaincre de consentir au règlement, ou si le SCRS avait agi frauduleusement ou de mauvaise foi.

[31] Quant à la question de savoir si la décision était raisonnable, les motifs révèlent que l’arbitre de grief a légitimement conclu que le demandeur et son avocat de l’époque « connaissaient tous les faits ayant entouré l’examen des conditions ayant précédé l’entente de règlement » (au para 49). La Cour poursuit ainsi son raisonnement, au paragraphe 50 :

[50] Les motifs de l’arbitre touchent l’essentiel des arguments du demandeur, soit qu’il ignorait certains faits avant de consentir à l’entente de règlement, faits qu’il a formulés comme suit devant la Cour : lesdits renseignements avaient été classifiés de nouveau, le SCRS s’était appuyé sur des allégations d’inconduite de sa part pour lui refuser l’habilitation de sécurité de niveau très secret et ce refus reposait sur des raisons administratives (dossier du demandeur, mémoire des faits et du droit, onglet 5, page 23). Selon l’arbitre, il était évident que le demandeur connaissait tous ces faits lorsqu’il a décidé d’accepter l’entente de règlement. L’examen du dossier confirme que cette conclusion était assurément l’une des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits de l’espèce.

[32] En ce qui concerne l’allégation récurrente selon laquelle le demandeur n’était pas au fait des raisons pour lesquelles une habilitation de sécurité de niveau très secret aux fins de l’arbitrage devant la CRTFP lui avait été refusée, il est nécessaire de reproduire dans leur intégralité certains des paragraphes de la décision rendue par la Cour en 2013 :

[52] Bien que le demandeur prétende ne pas avoir été au fait des allégations à son sujet contenues dans les pièces 2, 56 et 57, la Cour constate que ces allégations ont été mentionnées à plusieurs reprises, dans bien des cas avant que le demandeur eût signé l’entente de règlement. Par exemple, les lettres adressées à la CRTFP mentionnaient la négligence du demandeur dans la gestion de renseignements classifiés (dossier du demandeur, affidavit de Danny Palmer, onglet 3, annexe 18, daté du 11 octobre 2005, page 3; dossier du demandeur, affidavit de Danny Palmer, onglet 3, annexe 19, daté du 2 novembre 2005).

[53] De plus, la Cour constate que, dans une lettre rédigée par lui et envoyée à la CRTFP en mars 2006, le demandeur montre de façon évidente qu’il savait que le SCRS estimait qu’il avait fait preuve de mépris à l’égard de la Loi sur la protection de l’information, LRC 1985, c O‑5 et de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23, en envoyant par télécopieur des documents classifiés (dossier du défendeur, volume 2, onglet 39, pages 174 et 177). Il ressort de cette même lettre que le demandeur savait que c’était pour cette raison que l’habilitation de sécurité très secret qu’il possédait ne serait pas réactivée. Dans une autre lettre écrite par le demandeur le 15 novembre 2006 et adressée à la CRTFP, celui‑ci dit clairement qu’il connaissait les inquiétudes du SCRS à propos des renseignements classifiés qu’il avait communiqués à la CRTFP (dossier du défendeur, volume 2, onglet 40, page 183). Ces lettres écrites par le demandeur sont antérieures à l’entente de règlement. Il est donc un peu farfelu que le demandeur soutienne maintenant qu’il ne savait pas pourquoi l’habilitation de sécurité très secret lui était refusée et que pour cette raison, l’entente de règlement est invalide.

[54] Le demandeur allègue avoir été induit en erreur par la déclaration selon laquelle sa réintégration dans les rangs du SCRS serait impossible. Compte tenu du refus d’accorder au demandeur l’habilitation de sécurité de niveau très secret, la Cour n’est pas convaincue que cette déclaration, si elle a vraiment été faite au début des négociations, aurait alors été trompeuse. Ce que la lettre du SCRS datée du 5 novembre 2008 dit, c’est que rien ne devrait empêcher que la candidature du demandeur à l’obtention d’une habilitation de sécurité de niveau très secret soit prise en compte à l’avenir si un autre organisme gouvernemental en faisait la demande à des fins professionnelles. En fait, le SCRS se charge de la vérification de sécurité non seulement de ses propres employés, mais aussi de ceux de l’ensemble des ministères, et il laisse la décision définitive à l’administrateur général du ministère visé. Cependant, la lettre soulignait qu’en l’absence d’une telle demande, aucune enquête ne serait déclenchée à cet égard (dossier du demandeur, affidavit de Danny Palmer, onglet 3, annexe 15). Le demandeur a lui‑même reconnu que l’habilitation de sécurité de niveau très secret était une condition préalable à l’obtention d’un emploi au SCRS (dossier du défendeur, volume 2, onglet 40, pages 182‑183). L’arbitre pouvait donc conclure que le SCRS n’avait pas induit le demandeur en erreur.

[Non souligné dans l’original.]

[33] Il ne fait guère de doute, à mon sens, que la CRTFP et la Cour ont été saisies de la question du grief relatif au congédiement du demandeur. Le grief de mars 2004 a fait l’objet d’une entente de règlement en octobre 2007, laquelle a entraîné le retrait dudit grief. Lorsque le demandeur a sollicité la réouverture de l’entente de règlement en 2009, la CRTFP a autorisé son renvoi en arbitrage et a conclu que la transaction était valide et exécutoire. Les allégations selon lesquelles il aurait consenti à l’entente de règlement à la suite de manœuvres frauduleuses ou de la communication de faux renseignements concernant le refus de son habilitation de sécurité ont également été rejetées par la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire. La question de l’habilitation de sécurité a été instruite et tranchée. Les décisions de la CRTFP et de la Cour sur la question sont définitives. Le demandeur a tort de continuer à tabler sur cette question. Nous pouvons lire ce qui suit au paragraphe 58 de la décision rendue par la Cour en 2013 :

[58] Rien dans le dossier soumis à la Cour ne permet de conclure que le SCRS aurait pu induire le demandeur en erreur ou l’aurait contraint à signer l’entente de règlement. Après avoir raisonnablement conclu que l’entente de règlement était valide et exécutoire, tout comme le retrait du grief, l’arbitre a correctement conclu par la suite qu’elle n’avait pas compétence pour examiner le grief du demandeur.

IV. Les plaintes antérieures déposées auprès du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

[34] Nous en venons à la série de plaintes déposées par M. Palmer auprès du CSARS à partir de 2004.

[35] Le 7 juin 2004, soit un an après son congédiement, le demandeur a déposé sa première plainte au titre de l’article 41 de la Loi sur le SCRS, selon laquelle il avait été injustement congédié pour [TRADUCTION]°« rendement insatisfaisant » et que le SCRS n’acceptait pas son grief supplémentaire. Le 25 octobre 2004, le CSARS a conclu que M. Palmer [TRADUCTION]°« avait eu le droit de demander réparation pour [sa] plainte au moyen de la procédure de griefs établie en vertu de la Loi sur le SCRS ». Le CSARS n’a pas compétence en la matière conformément au paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS.

[36] Le 30 janvier 2007, le demandeur a déposé une deuxième plainte, cette fois en vertu des articles 41 et 42 de la Loi sur le SCRS. En ce qui concerne la plainte fondée sur l’article 41, M. Palmer a contesté la portée de la divulgation faite par le SCRS dans l’instance devant la CRTFP. Il s’en prend également au défaut du SCRS de le soumettre à un test de polygraphe qu’il serait en droit de recevoir. Il se plaint aussi du refus du SCRS de lui accorder l’habilitation de sécurité de niveau très secret. M. Palmer plaide que le SCRS a recours au programme d’habilitation de sécurité pour [TRADUCTION]°« dissimuler des éléments de preuve et entraver le cours de la justice en [lui] refusant la réactivation de [s]on habilitation de sécurité de niveau très secret et l’accès à des documents classifiés très secret dont [il avait] besoin aux fins de la preuve ». La plainte relative à l’article 42 traite du refus de l’habilitation de sécurité.

[37] Le 25 mai 2007, le CSARS a rejeté la plainte fondée sur l’article 42. Il explique que sa compétence se limite aux cas où, en raison du seul refus d’une habilitation de sécurité exigée, l’administrateur général prend la décision de s’opposer à l’engagement d’une personne, de la renvoyer, de la rétrograder, de la muter ou de lui refuser un avancement ou une mutation. Il ne s’agit pas du cas de M. Palmer, dont l’habilitation de sécurité de niveau très secret a été refusée après la rupture de son lien d’emploi avec le SCRS. Ce n’est pas une situation visée par l’article 42.

[38] Le 22 août 2007, le CSARS a décliné compétence pour remédier à la plainte déposée en vertu de l’article 41. Selon lui, la question portant sur la divulgation inappropriée faite devant la CRTFP est du ressort de cette dernière, puisqu’il n’a pas compétence pour intervenir dans cette instance. En effet, la CRTFP possède le pouvoir explicite de forcer la production de documents. De plus, le défaut de soumettre le demandeur à un test de polygraphe ne relève pas de la compétence du CSARS puisqu’il ne s’agit pas « des activités du Service » au sens du paragraphe 41(1) de la Loi sur le SCRS.

[39] Le demandeur a déposé une troisième plainte au titre de l’article 41 le 9 août 2009. Celle‑ci attaque le refus de l’habilitation de sécurité de 2007 et conteste la validité de l’entente de règlement conclue en octobre 2007. M. Palmer prétend que le règlement était fondé sur de fausses déclarations de la part des représentants du SCRS. De surcroît, il formule des allégations à l’égard des motifs entourant son congédiement. Dans une lettre datée du 22 décembre 2009, le CSARS a de nouveau décidé qu’il n’avait pas compétence sur la question soulevée par le demandeur. Étant donné que la Loi sur le SCRS attribue au directeur du SCRS un pouvoir exclusif sur la gestion des ressources humaines et la présentation des griefs, leur étude et leur renvoi à l’arbitrage, le CSARS a conclu que la troisième plainte [TRADUCTION]°« découle de la procédure de règlements des griefs et est encadrée par celle‑ci, et que les allégations formulées dans [la] plainte [de M. Palmer] sont les mêmes que celles soulevées dans la lettre du 31 mai 2009 adressée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique ».

[40] Le 11 mai 2013, M. Palmer a tenté de relancer sa plainte fondée sur l’article 41 qui concerne le refus de sa demande visant à obtenir une habilitation de sécurité de niveau très secret. Le document fait huit pages et débute par l’exposé du rejet par le directeur du SCRS du premier grief relatif au congédiement en août 2003 et se poursuit par une longue analyse du refus de l’habilitation de sécurité de niveau très secret aux fins d’arbitrage devant la CRTFP, tout en s’arrêtant sur la tentative de rouvrir l’entente de règlement. Il est possible de lire ce qui suit, aux pages 6 à 8 :

[TRADUCTION]°

Vu les faits susmentionnés, j’affirme que la présente plainte est bien fondée.

 

Puisque je continue d’être privé de l’accès aux notes documentaires portant sur le refus de 2007, 2010 et 2011, je demande qu’elles soient acheminées au CSARS pour qu’il puisse examiner la procédure arbitraire et sélective suivie par le SCRS pour refuser mon habilitation de sécurité et empêcher que le CSARS se penche sur cette décision. Je signale qu’à aucun moment je n’ai eu l’occasion de répondre aux allégations sur ce point.

La tentative de rouvrir la plainte a été rejetée le 3 septembre 2013 pour les raisons suivantes :

[traduction]

Le 25 octobre 2004, le 25 mai 2007, le 22 août 2007 et le 22 décembre 2009, le CSARS vous a écrit ou a écrit à votre avocat pour vous informer que, après avoir procédé à l’examen préliminaire de vos diverses plaintes, il n’a pas compétence pour les instruire. Ces lettres contenaient les motifs de ces décisions. Nous avons pris très au sérieux votre récente demande et avons examiné la teneur de votre lettre compte tenu des décisions antérieures rendues dans vos dossiers. J’ai le regret de vous informer que le CSARS ne constate l’existence d’aucun nouveau renseignement qui pourrait justifier un réexamen de sa position quant à sa compétence d’instruire la plainte. Par conséquent, les dossiers du CSARS relatifs à vos plaintes resteront clos.

[41] Une quatrième plainte a été acheminée le 3 juillet 2015, cette fois concernant les articles 41 et 42.

[42] La plainte fondée sur l’article 41 reprochait au SCRS un prétendu manquement à sa propre politique de sécurité parce qu’il aurait manqué de prudence dans la prise en charge de documents classifiés secret et très secret produits en preuve devant la Cour dans un dossier concernant le demandeur. M. Palmer a allégué que, en raison de ce manque de prudence, le public a eu libre accès à des documents classifiés, ce qui a entraîné la publication de deux articles de presse. Une fois jointe par un journaliste, une porte‑parole du SCRS a fait des commentaires qui, selon M. Palmer, auraient entaché sa réputation. Là encore, le CSARS a jugé qu’il n’avait pas compétence au titre du paragraphe 41(1). La lettre de décision du 15 mars 2016 énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]°

Après avoir procédé à un examen préliminaire, le Comité a conclu que votre allégation sur la divulgation concerne une instance particulière qui était entièrement instruite par la Cour fédérale du Canada. Celle‑ci a compétence pour trancher les questions liées à l’admissibilité de la preuve et à la divulgation. Ainsi, le Comité ne dispose pas de la compétence voulue pour enquêter sur cette allégation. Le Comité a également conclu, eu égard à votre plainte concernant les déclarations qui auraient été faites par une porte‑parole du SCRS, que celles‑ci ne constituent pas « [une] activité du Service » au sens de l’article 41 de la Loi sur le SCRS. Par conséquent, le Comité n’a pas compétence pour instruire l’affaire.

[43] Quant à elle, la plainte relative à l’article 42 traitait encore du refus de l’habilitation de sécurité. Le CSARS a réitéré le même motif que celui donné dans une plainte antérieure (la deuxième plainte) pour expliquer l’absence de compétence :

[traduction]

Votre congédiement du 2 juillet 2003 était motivé par un rendement insatisfaisant et non par le refus d’une habilitation de sécurité. Votre plainte actuelle fait intervenir le refus de votre demande d’obtenir une habilitation de sécurité pour accéder aux documents dans le cadre du litige qui a suivi votre congédiement. Puisque le refus de votre demande n’a pas entraîné de renvoi ni d’opposition à un engagement, les conditions prévues à l’article 42 de la Loi sur le SCRS n’ont pas été satisfaites et le Comité n’est donc pas compétent en la matière. De ce fait, veuillez noter que le dossier du Comité à l’égard de votre plainte relative à l’article 42 est désormais clos.

[44] Toutes les décisions du CSARS sont définitives. De toutes les décisions rendues par le CSARS, seules celles visant la quatrième plainte, toutes deux rendues le 15 mars 2016, ont été contestées par voie de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. L’avis de demande de contrôle judiciaire a été déposé le 16 février 2017 (T‑210‑17). En raison du dépôt tardif de la demande, M. Palmer a sollicité une prorogation de délai. Sa demande en ce sens a été rejetée par la Cour, avec dépens. Le juge O’Reilly a conclu que [TRADUCTION]°« M. Palmer a avancé peu d’éléments de preuve et d’arguments pour établir que sa demande est bien fondée, qu’elle ne sera pas préjudiciable au PGC, ou qu’il existe une explication raisonnable pour justifier le délai ». Le critère à quatre volets permettant une prorogation de délai n’était pas rempli. M. Palmer a demandé à la Cour d’examiner à nouveau sa décision, en se fondant sur le paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales. La requête de réexamen a également été rejetée, avec dépens, puisque le juge O’Reilly affirme ne [TRADUCTION]°« pas [avoir été] en mesure de déceler aucun document dont [il n’aurait] pas tenu compte ». Un appel à la Cour d’appel fédérale (A‑292‑17) a été rejeté avec dépens, puisque [TRADUCTION]°« le demandeur n’a pas offert d’explication raisonnable pour justifier son inaction, n’a pas proposé d’échéancier pour le reste de l’instance et a admis dans ses observations que l’objet de l’appel était devenu théorique ».

[45] Ainsi, les décisions antérieures du CSARS n’ont jamais été validement contestées et elles demeurent valides.

V. Les motifs du rejet de la cinquième plainte

[46] Tout comme pour les quatre premières plaintes, le CSARS a rejeté la cinquième plainte. Il a conclu qu’il ne dispose pas de la compétence voulue pour instruire la plainte. Toutefois, avant de statuer sur celle‑ci, le CSARS a sollicité, le 12 mars 2018, des observations des parties sur son pouvoir de connaître de la plainte. Dans ses observations du 12 avril 2018 (DCT, p 106), M. Palmer n’a pas abordé la difficulté que pose le paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS. Il a plutôt repris ses allégations antérieures et a affirmé que sa plainte n’était pas frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi.

[47] M. Palmer a également indiqué qu’il ne pouvait pas solliciter de mesure de réparation au moyen d’un grief puisque l’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22 (la LRTSPF) ne s’appliquait pas dans son cas. Le demandeur est de nouveau revenu sur l’habilitation de sécurité qui, prétendait‑il, avait été refusée à tort. Il n’a pas mentionné que l’affaire avait déjà fait l’objet de litiges devant la CRTFP et la Cour.

[48] Il prétendait aussi de manière générale que [TRADUCTION]° « le Service avait sciemment réussi à entraver, pervertir et contrecarrer le cours de la justice par trois refus injustifiés d’accorder l’habilitation de sécurité de niveau très secret au demandeur. Ces refus visaient à empêcher la divulgation de la preuve invoquée dans la plainte qui portait sur la négligence criminelle, des menaces de mort, l’extorsion, des manquements au devoir, l’abus de confiance et d’autres actes répréhensibles » (p 6 et 7). Ces reproches semblent être directement liés aux allégations précises formulées dans les griefs antérieurs. Le demandeur conclut ses observations quant à la compétence du CSARS en déclarant que [TRADUCTION]°« la CTRPF ne peut pas être saisie de la plainte, car le plaignant a dépassé le délai de 30 jours et les actes décrits dans la plainte n’ont pas entraîné de mesures disciplinaires à son égard [...] Compte tenu du climat politique actuel sur le harcèlement, le plaignant estime que le CSARS prendrait au sérieux les allégations de harcèlement qui englobent des agressions physiques et des atteintes à la sécurité nationale, ainsi que le fait que les manœuvres de harcèlement se sont poursuivies de 2007 à 2014 avec les refus d’habilitation de sécurité et la diffamation faite par la porte‑parole du SCRS » (p 7 de 7).

[49] De façon surprenante à mon avis, le demandeur a totalement fait abstraction du paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS alors que cette disposition a été invoquée à plusieurs reprises par le CSARS comme étant un obstacle à l’exercice de sa compétence. Il « ne peut enquêter sur une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs établie en vertu de la présente loi [...] ». Si l’affaire peut être l’objet d’un grief, la loi interdit au CSARS de faire enquête.

[50] Le SCRS a transmis ses observations relatives à la compétence par une lettre datée du 16 avril 2018 (DCT, p 17). Selon lui, la cinquième plainte ne serait qu’une tentative d’instruire à nouveau les griefs et les questions déjà tranchées par le CSARS. En effet, M. Palmer cherche à rouvrir le débat concernant de son congédiement du Service. Les points soulevés, dont les prétendues agressions physiques de 1997, sont tous des questions pour lesquelles le demandeur était en droit de demander réparation par la procédure de griefs ou qui ont déjà été soumises au CSARS qui a conclu qu’il n’avait pas compétence en la matière. Cette plainte, prétend l’avocat du SCRS, constitue un acte de mauvaise foi de la part de M. Palmer et elle est vexatoire.

[51] Le 28 septembre 2018, le CSARS a conclu qu’il n’avait pas compétence sur le sujet (DCT, aux p 3 à 10). Il a estimé que les questions soulevées relevaient des relations de travail, lesquelles outrepassent sa compétence. Voici un extrait de ses observations :

[TRADUCTION]°

Après avoir procédé à un examen préliminaire, le Comité a jugé que les allégations formulées dans votre plainte ont été soulevées à plusieurs reprises devant lui, avec l’ajout d’un nouvel élément. Il faut signaler que le traitement par la direction du SCRS des allégations d’agressions, qui seraient survenues en 1997, n’a pas été soulevé dans votre grief auprès du SCRS ou devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. De surcroît, le Comité a conclu que la réponse de la direction du SCRS à une conduite tenue en milieu de travail relève des relations de travail.

Par conséquent, ces allégations sont liées à des questions qui auraient pu être soulevées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs du SCRS ou devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Le Comité ne constitue pas le for approprié pour instruire ces questions. Le paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS dispose expressément que « [l]e comité de surveillance ne peut enquêter sur une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs établie en vertu de la présente loi ou de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral ».

[52] Le membre désigné du CSARS chargé de l’analyse a offert une explication encore plus exhaustive. L’examen comprend un historique soigné et complet des plaintes relatives à l’article 41. Je reprends les paragraphes qui constituent l’essentiel de l’analyse :

[TRADUCTION]°

J’ai soigneusement apprécié tous les renseignements portés à la connaissance du Comité dans le cadre de mon examen préliminaire. Depuis 2004, le plaignant a présenté auprès du Comité cinq plaintes distinctes au titre de l’article 41. Le Comité a jugé à quatre différentes reprises qu’il n’avait pas compétence pour les instruire.

 

Le plaignant réitère les mêmes plaintes qu’auparavant, mais ajoute le nouvel élément portant qu’il aurait été harcelé par le SCRS après avoir dénoncé à la direction qu’il avait été agressé par son superviseur. Il faut signaler que le plaignant n’a pas soulevé, dans le cadre de la procédure de griefs du SCRS ou devant la CRTFP, la question du traitement par la direction du SCRS des allégations formulées à l’époque sur les agressions, qui se seraient produites en 1997.

Je suis d’avis que la réponse de la direction du SCRS à la conduite en milieu de travail relève des relations de travail. Par conséquent, ces allégations sont liées à des questions qui auraient pu être soulevées dans le cadre de la procédure de griefs du SCRS ou devant la CRTFP. Le Comité ne constitue pas le for approprié pour instruire ces questions. Le paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS dispose expressément que « [l]e comité de surveillance ne peut enquêter sur une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs établie en vertu de la présente loi ou de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral ».

[Non souligné dans l’original.]

VI. Arguments et analyse

[53] Le demandeur en l’espèce n’est pas représenté par avocat. Cette situation peut expliquer en partie pourquoi son mémoire des faits et du droit, préparé avant le prononcé de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], n’a pas été adapté au cadre désormais applicable aux affaires faisant intervenir le droit administratif. À la place, M. Palmer avait en main un volumineux aide‑mémoire qui comprenait, outre son mémoire des faits et du droit, de nombreuses pages faisant référence à l’arrêt Vavilov. La Cour l’a autorisé à utiliser ses notes, en dépit de l’objection formulée par l’avocat du défendeur, afin qu’il puisse présenter l’intégralité de sa thèse.

[54] Malheureusement, M. Palmer n’a jamais abordé de front la question principale à laquelle il est confronté. L’article 41 de la Loi sur le SCRS restreint la compétence dévolue au CSARS par la loi. Il incombait au demandeur de convaincre la Cour que la conclusion du CSARS selon laquelle il n’était pas compétent n’était pas raisonnable. Il a échoué.

[55] En effet, M. Palmer continue de contester près de vingt ans plus tard son congédiement du SCRS devant les tribunaux. Son mémoire des faits et du droit, complété par un volumineux aide‑mémoire, constitue en majeure partie une reprise des griefs et des plaintes examinés par les différentes instances au cours des vingt dernières années.

[56] Ainsi, le mémoire initial est surtout constitué de faits et d’allégations formulés au fil des années, que ce soit les affirmations selon lesquelles il aurait subi deux « agressions » (une situation visée par une enquête du SCRS à la suite de la plainte du demandeur, mais qui ne semble pas avoir été officiellement l’objet d’un grief), ou celles selon lesquelles il aurait dénoncé des pratiques, mis au jour des violations des politiques opérationnelles et analysé des menaces qui n’ont pas été prises au sérieux par son employeur.

[57] La description des incidents dans le mémoire fait l’objet de nombreuses pages. Le fait que le grief s’est réglé en octobre 2007 est tout simplement survolé au paragraphe 20 par les propos qui suivent [TRADUCTION]°: « a) un règlement a été conclu en octobre 2007 sur la foi d’un refus injustifié d’une habilitation de sécurité ». Ce n’est pas exact. La question de l’habilitation de sécurité de niveau très secret a effectivement été débattue devant la CRTFP après que M. Palmer eut réussi à rouvrir la question de l’entente de règlement, puis devant la Cour par voie de contrôle judiciaire de la décision. Comme je le mentionne précédemment, la Cour a jugé que : [r]ien dans le dossier soumis à la Cour ne permet de conclure que le SCRS aurait pu induire le demandeur en erreur ou l’aurait contraint à signer l’entente de règlement » (2013 CF 374 au para 58). La question est donc tranchée et tout nouveau litige constituerait une attaque indirecte des décisions du CSARS et de la Cour qui n’ont pas été remises en cause. Elles sont définitives.

[58] M. Palmer semble reconnaître que les efforts qu’il déploie en matière de contrôle judiciaire sont en grande partie gouvernés par la norme de contrôle de la décision raisonnable, du moins pour ce qui intéresse les arguments qu’il avance, qui ne font pas valoir une forme ou une autre de violation des principes d’équité procédurale. Je suis d’accord avec lui. La question de savoir si le CSARS dispose de la compétence voulue pour instruire la cinquième plainte déposée par M. Palmer exige une interprétation de sa loi constitutive, un exercice qui commande l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 24‑25). Toutefois, contrairement à ce qu’a prétendu le demandeur, il ne lui appartient pas de démontrer que son interprétation pourrait être raisonnable, mais plutôt que celle privilégiée par le CSARS ne l’était pas (Vavilov, au para 100).

[59] Il peut être approprié de signaler à cette étape que la cour de révision doit agir selon le principe de la retenue judiciaire et doit faire preuve de respect envers le rôle des décideurs administratifs (Vavilov, aux para 13‑14). Comme l’énonce la majorité de la Cour suprême, au paragraphe 13 : « [l]e contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif ».

[60] Le demandeur a cherché à établir un parallèle avec l’arrêt Vavilov en laissant entendre que le CSARS avait interprété ses observations d’une manière purement textuelle. Si je comprends bien l’argument, le CSARS a été créé aux fins d’enquêter sur les activités du SCRS pour veiller à leur légalité, ce qui voudrait vraisemblablement signifier, pour le demandeur, que le CSARS dispose d’une compétence illimitée. Malheureusement, le demandeur n’a jamais tenté d’expliquer ce qui est entendu par « ne peut enquêter sur une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs ». Comme nous l’avons déjà constaté, le CSARS interprète les limites de sa compétence comme excluant une question qui relève des relations de travail où un employé peut déposer une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs. Selon le CSARS, [TRADUCTION]°« ces allégations sont liées à des questions qui auraient pu être soulevées dans le cadre de la procédure de griefs du SCRS ou devant la CRTFP ». En d’autres termes, il « [n’]enquêter[a] pas sur une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs », selon le libellé du paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS. Il suffit qu’un plaignant soit en droit de demander réparation. La compétence du CSARS n’est pas sans limite. La question de savoir si un grief a été déposé ou non n’est pas pertinente, car c’est la possibilité de présenter un grief qui importe. En l’espèce, le demandeur n’a pas plaidé en faveur d’une interprétation différente. En effet, l’interprétation donnée à la disposition qui circonscrit la compétence du CSARS semble éminemment raisonnable puisque le paragraphe 41(2) fait état d’un grief « susceptible d’être réglé par la procédure de griefs ». Le paragraphe 41(2) ne confère manifestement pas au CSARS une compétence sans bornes. Il ne peut connaître d’une plainte si elle peut être instruite par la procédure de griefs. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que cette interprétation n’était pas raisonnable.

[61] M. Palmer a raison de dire que l’arrêt Vavilov contraint le décideur administratif à justifier sa décision. Or, elle était justifiée en l’espèce. Le CSARS explique pourquoi il a conclu à son absence de compétence, après avoir sollicité l’avis des parties. Les caractéristiques d’une décision raisonnable sont la justification, la transparence et l’intelligibilité; la décision est‑elle « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99)? Non seulement le processus suivi est important, mais l’issue l’est également. Si le CSARS ne peut connaître d’une matière, il ne peut pas se pencher sur le fond d’une question qui ne relève pas de sa compétence. Malgré cela, M. Palmer se plaint du fait que le CSARS n’a pas statué sur le fond de son dossier. Encore là, il soulève la question de son habilitation de sécurité, laquelle a été tranchée par la CRTFP et la Cour. Il fait également abstraction du fait que le grief supplémentaire a fait l’objet d’un règlement valide et exécutoire.

[62] La question à trancher par la Cour porte sur la conclusion du CSARS selon laquelle il ne peut pas connaître de la cinquième plainte parce que, à l’instar des quatre autres plaintes fondées sur l’article 41, celle‑ci traite de la manière dont la direction du SCRS fait face à une conduite en milieu de travail. Cette question relève des relations de travail et peut être instruite par la procédure de griefs établie par la Loi sur le SCRS ou par une autre loi fédérale comme la LRTSPF (ou d’autres lois au même effet, puisque la législation change au fil du temps). La décision rendue par le CSARS est intelligible, transparente et justifiée. En utilisant comme prétexte l’insuffisance des motifs du Comité, le demandeur est en réalité en train de contester le fait que le CSARS a fait fi du fond de sa plainte. Il faut comprendre qu’un décideur ne peut trancher le fond d’une affaire s’il n’a pas compétence en la matière. La question de savoir si la CRTFP aurait dû être saisie ou non de l’affaire et celle de savoir si elle était oui ou non compétente ne sont maintenant plus pertinentes. Comme l’a conclu le CSARS, il ne peut connaître d’une affaire si la plainte constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs établie en vertu de la Loi sur le SCRS. Fondamentalement, le demandeur devait s’attaquer à la question de savoir pourquoi le CSARS a déraisonnablement conclu qu’il n’avait pas compétence parce que les questions soulevées relevaient de la procédure de griefs. Il ne l’a pas fait.

[63] M. Palmer a cherché à tirer profit de son argument portant que les conclusions du CSARS ne sont pas étayées par les faits mis en preuve. Il renvoie à cet égard à un passage dans la cinquième décision du CSARS où il est fait référence aux quatre autres plaintes. Elles ne jouent qu’un rôle contextuel puisqu’elles ont toutes été tranchées de manière définitive, étant donné qu’elles n’ont pas été contestées avec succès. Le CSARS ne cherche pas à se pencher à nouveau sur des plaintes déjà tranchées. Plus précisément, le demandeur renvoie, dans les paragraphes 111, 112 et 113 de son mémoire des faits et du droit, à sa quatrième plainte, laquelle a été rejetée. En effet, il n’en a pas contesté le résultat et la décision du CSARS est donc définitive. Elle ne peut pas être remise en cause indirectement en tant qu’élément d’une plainte, la cinquième, qui est totalement distincte. En effet, le demandeur attrape au vol la mention de la quatrième plainte dans la décision du CSARS et tente de plaider que cette décision était soit erronée, soit que la plainte n’a pas été examinée au fond, comme si le débat subsistait toujours. Or, ce n’est pas le cas.

[64] Dans le même ordre d’idées, le demandeur conteste les conclusions de la cinquième plainte du fait que le CSARS n’a pas fait d’analyse comparative de la trame factuelle des quatre plaintes antérieures (mémoire des faits et du droit, para 115). Selon lui, le CSARS aurait dû tenir compte du dossier de la preuve et du cadre factuel général. Avec égards, le demandeur confond le soi‑disant bien‑fondé de ses plaintes avec la compétence requise pour les instruire. Je réitère qu’il n’aborde jamais la question de l’interprétation à privilégier concernant le paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS qui circonscrit la compétence du CSARS. Selon celui‑ci, il est sans compétence si l’affaire était susceptible de faire l’objet d’un grief. Comme je le mentionne précédemment, le CSARS ne peut se pencher sur le fond d’une plainte s’il n’est pas compétent à cet égard.

[65] La confusion se poursuit aux paragraphes 116 à 120 du mémoire des faits et du droit du demandeur. Dans cette section, le demandeur reproche au CSARS d’avoir fait référence à la procédure de griefs du SCRS ou de la CRTFP. Le CSARS considère, dans les passages reproduits aux paragraphes 51 et 52 des présents motifs, que le paragraphe 41(2) le dépossède du pouvoir de connaître des plaintes qui peuvent être réglées par la présentation d’un grief soumis en vertu de la Loi sur le SCRS ou de toute autre loi fédérale applicable pour l’instruire à ce moment. Il s’agit simplement d’un renvoi à la loi.

[66] Dans ses motifs afférents à la cinquième plainte, le CSARS fait référence à la CRTFP. Le demandeur signale que celle‑ci n’était pas encore instituée en tant que telle à l’époque. Il semble que l’organisme prédécesseur portait une dénomination différente. S’il s’agit d’une lacune, elle ne suffit pas à infirmer la décision, puisque « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100). L’objection du demandeur n’est, au mieux, que superficielle et accessoire. Il reste qu’une question susceptible de faire l’objet d’un grief ne peut pas être instruite par le CSARS.

[67] Le demandeur reprochait au CSARS de ne pas avoir conclu que sa plainte, essentiellement fondée sur l’article 41 de la Loi sur le SCRS, englobait aussi une plainte faite au titre de l’article 42. Il qualifie la décision [TRADUCTION]°« d’expéditive » parce qu’elle était muette quant à sa prétendue plainte relative à l’article 42. Cet argument est dénué de fondement. Le demandeur a dû admettre lors de l’audience qu’il n’était fait aucune mention de l’article 42 dans la plainte déposée au moyen du formulaire destiné aux plaintes fondées sur l’article 41. En effet, le dossier révèle que M. Palmer connaissait l’existence du formulaire 42 utilisé pour le dépôt de plaintes au titre de l’article 42 de la Loi sur le SCRS puisqu’il avait présenté ce type de plainte en juillet 2015 (DCT, p 147). Il s’agissait d’une quatrième plainte (présentée conjointement avec une autre plainte fondée sur l’article 41) qui avait été rejetée en mars 2016. M. Palmer a été congédié en raison de son rendement insatisfaisant. Suivant l’article 42, le CSARS ne peut se pencher sur un refus d’habilitation de sécurité que dans les seules circonstances décrites au paragraphe 42(1) de la Loi sur le SCRS. Selon le CSARS, la situation de M. Palmer ne correspond à aucune des conditions prévues dans ce paragraphe. Non seulement le CSARS a‑t‑il statué sur la question dans sa décision portant sur la quatrième plainte, mais la proposition du demandeur selon laquelle sa plainte fondée sur l’article 42 était intégrée dans sa cinquième plainte faite au titre de l’article 41 est dépourvue de vraisemblance.

[68] Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur consacre de nombreux paragraphes à reprocher au CSARS d’avoir rendu une [TRADUCTION]°« décision expéditive » parce qu’il ne s’est pas intéressé au fond de l’affaire. Le demandeur allègue même au paragraphe 126 du mémoire que le [TRADUCTION]°« Service a sciemment réussi à entraver, pervertir et contrecarrer le cours de la justice par trois refus injustifiés de lui accorder l’habilitation de sécurité de niveau très secret. Ces refus cherchaient à empêcher la divulgation de la preuve invoquée dans la plainte qui portait sur la négligence criminelle, des menaces de mort, l’extorsion, des manquements au devoir, l’abus de confiance et d’autres actes répréhensibles ». Il s’agit d’affirmations incroyables qui ne sont étayées par aucun élément de preuve. Or, en dépit du fait que le dossier visant l’entente de règlement a été instruit devant les tribunaux où il a été conclu que la transaction relative au congédiement était valide et exécutoire, le demandeur soulève encore une fois le fait que le processus d’habilitation de sécurité a été utilisé à mauvais escient par le SCRS [TRADUCTION]°« qui a contrôlé la divulgation de la preuve et l’a privé d’une audience équitable devant la CRTFP, en plus de lui imposer un règlement injuste » (mémoire des faits et du droit, para 130). Cette affirmation n’est pas fondée.

[69] M. Palmer n’a apparemment jamais accepté la décision portant que le CSARS n’avait pas compétence, parce qu’un plaignant, qui est en droit de demander réparation au moyen de la procédure de griefs établie en vertu de la Loi sur le SCRS, est empêché de saisir cet organisme de la question, par application du paragraphe 41(2). Ce constat devient particulièrement flagrant lorsque le demandeur écrit ce qui suit au paragraphe 131 de son mémoire des faits et du droit : [TRADUCTION]°« [d]ans sa décision expéditive, le décideur du CSARS n’a pas tenu compte du fait que le grief du demandeur ne se trouve plus devant aucun tribunal ou cour, de sorte que le CSARS peut et devrait exercer son pouvoir, son contrôle et ses devoirs en l’espèce ». Or, la question est ailleurs. En termes simples, M. Palmer devait démontrer en quoi la conclusion du CSARS selon laquelle les faits qu’il avait soulevés étaient susceptibles de faire l’objet d’un grief, qu’il l’ait ou non déposé, était déraisonnable. Comme le dit sans ambages le CSARS [TRADUCTION]°« la réponse de la direction du SCRS à la conduite en milieu de travail relève des relations de travail » (voir au paragraphe 52 des motifs du présent jugement). Le demandeur n’a pas su expliquer en quoi cette position est déraisonnable.

[70] Les mêmes thèmes revenaient encore dans les nouvelles observations formulées par M. Palmer durant l’audience du présent dossier.

[71] Il cherche à revenir sur les antécédents de l’espèce et sur des questions déjà tranchées. Ainsi, il s’attarde longuement sur la décision de la Cour selon laquelle la conclusion du CRTFP sur l’entente de règlement était valide et exécutoire. Il renvoie au paragraphe 58 de la décision, où la Cour conclut qu’il n’existe aucune preuve qui étaye la conclusion voulant que le SCRS ait induit le demandeur en erreur ou l’ait contraint à signer l’entente de règlement. Sans preuve à l’appui, il prétend qu’un haut fonctionnaire du SCRS aurait écrit sur la première page de la note d’information de mai 2007 qui recommandait le refus de l’habilitation de sécurité de niveau très secret qu’aucun fait n’appuyait ce refus. Cela démontre manifestement, selon le demandeur, qu’il a été induit en erreur. Le seul problème que pose cette prétention – et il est de taille – tient à l’absence de tout appui.

[72] Dans le même ordre d’idées, le demandeur soutient que ce même refus de lui accorder l’habilitation de sécurité en 2007 était le produit d’une série d’actions frauduleuses visant à simuler un refus alors que la véritable intention était de l’empêcher d’accéder à des renseignements avant la tenue de l’audience et de le contraindre à régler le dossier. Il s’agit exactement du point litigieux qui a été instruit et tranché à l’encontre du demandeur. Il n’y avait aucun élément de preuve indiquant un complot à l’époque, pas plus qu’il n’y en a à présent. En outre, l’avocat de M. Palmer a, en fait, obtenu l’habilitation de sécurité de niveau très secret et a été en mesure d’examiner les documents pertinents avant qu’une entente de règlement ne soit conclue. Or, le demandeur va encore plus loin et accuse le SCRS d’avoir usé d’artifices en vue de le frauder avec la bénédiction de son directeur. Ce reproche n’est pas approprié.

[73] Le demandeur prétend que le CSARS a conclu que la CRTFP avait compétence pour connaître des questions soulevées dans ses diverses allégations. Je me suis penché sur les diverses plaintes présentées par M. Palmer au fil des ans. Je n’ai pas été en mesure de déceler une telle conclusion. Tout au plus peut‑on dire que le CSARS a conclu que la première plainte n’était pas de son ressort parce que M. Palmer était en droit de demander réparation au moyen de la procédure de griefs établie en vertu de la Loi sur le SCRS, tandis que la conclusion de la cinquième plainte se contente de renvoyer au libellé du paragraphe 41(2). Le CSARS n’a pas compétence si les allégations auraient pu être soulevées au moyen de la procédure de griefs du SCRS ou de la procédure devant la CRTFP. Ce n’est pas le CSARS qui a confirmé que la CRTFP pouvait avoir compétence en la matière, mais plutôt le demandeur qui a déposé son grief devant cet organisme avant de régler son dossier avec l’aide d’un arbitre de grief. En effet, c’est lui qui est revenu devant la CRTFP pour rouvrir l’entente de règlement et qui a saisi la Cour de l’affaire par voie de contrôle judiciaire. Même si, comme semble maintenant le prétendre le demandeur, la compétence de la CRTFP (ou celle d’autres organismes au fil des ans) ne s’étendait pas aux congédiements pour rendement insatisfaisant, cela ne change rien au fait que l’existence de la procédure de griefs du SCRS suffisait pour empêcher le CSARS de faire valoir sa compétence. M. Palmer ne démontre pas que la conclusion du CSARS est déraisonnable.

[74] Prise dans son intégralité, la cinquième plainte fondée sur l’article 41 s’intéresse à des événements que le demandeur a signalés durant des années d’une manière ou d’une autre au fil de ses tentatives de contester son congédiement du SCRS. Là encore, il prétend dans sa cinquième plainte qu’il a été victime de représailles pour avoir fait certaines [TRADUCTION]°« divulgations ». Les premières lignes du document donnent tout de suite le ton de ce qui suit :

[TRADUCTION]°

Les allégations précises formulées contre le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS (Service canadien du renseignement de sécurité)) :

La plainte vise deux agressions physiques perpétrées par un membre du SCRS et les représailles exercées contre le demandeur entre 1997 et 2014 après qu’il eut dénoncé les voies de fait. Les dénonciations n’ont réussi qu’à susciter d’autres représailles et du harcèlement psychologique à l’endroit du plaignant qui ont abouti à son congédiement injustifié, à deux refus injustifiés de son habilitation de sécurité et à des propos diffamatoires de la part d’une porte‑parole du SCRS. Le SCRS s’est doté d’une politique sur le harcèlement qui vise, qui inclut [sic] les agressions physiques et les abus de pouvoir. Les actions exposées dans cette lettre correspondent en grande partie aux critères portant sur l’abus de pouvoir décrit dans la politique en matière de harcèlement du SCRS. Si le harcèlement physique et l’agression physique sont mieux compris, la définition du harcèlement psychologique reste moins connue (DCT, p. 118).

Les pages qui suivent développent ces propos en faisant allusion à des événements qui ont été en grande partie mentionnés dans des plaintes antérieures.

[75] Le demandeur avait pour tâche de convaincre la Cour que la décision du CSARS n’était pas raisonnable. Comme l’a relevé le CSARS, le nouvel élément à apparaître dans l’exposé du demandeur concernait les agressions qu’il prétend avoir subies sur son lieu de travail après avoir fait les [TRADUCTION]°« divulgations ». Les agressions ont effectivement été dénoncées à la direction du SCRS qui a ordonné la tenue d’un séminaire sur le harcèlement et la tenue d’une enquête à propos des incidents. Le CSARS s’est directement penché sur cet événement dans sa décision qui fait l’objet du présent contrôle. Il faut signaler que le demandeur n’a pas soulevé ce point dans le cadre de la procédure de griefs, que ce soit auprès du SCRS ou devant la CRTFP (ou son prédécesseur). Selon le CSARS, cette situation aurait alors pu être dénoncée, mais ne l’a pas été. Je le répète, le CSARS a interprété le paragraphe 41(2) comme écartant sa compétence si le plaignant a le droit de déposer une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs. Cette conclusion est digne d’être traitée avec retenue puisque le CSARS interprète sa loi constitutive.

[76] M. Palmer n’a pas expliqué pourquoi la décision du CSARS n’est pas raisonnable, que ce soit dans ses observations produites auprès de cet organisme sur la question de sa compétence ou devant la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire. Au lieu de présenter son argumentation sur ce point, il laisse entendre dans son aide‑mémoire supplémentaire produit à l’audience que ses plaintes n’ont jamais été tranchées quant au fond, ce qui vicie selon lui le résultat des plaintes antérieures fondées sur l’article 41. L’argument, vu sous son meilleur jour, est qu’une personne raisonnable jugerait que le CSARS finirait par voir la gravité des plaintes et par conclure qu’il a compétence. Insister n’affermit pas un argument. Il s’agit davantage d’une passe à la [TRADUCTION]°« Hail Mary » que d’un argument juridique bien ficelé.

[77] La démonstration par le demandeur du caractère déraisonnable de la décision du CSARS continuait à manquer cruellement. Ce n’est pas tant, comme le prétend le demandeur, que le CSARS avait tort de juger, au fil des ans, que les plaintes relevaient des relations de travail, mais plutôt que M. Palmer continuait d’avancer à toutes fins utiles la même question dans l’espoir que le CSARS revienne sur sa décision et finisse par conclure qu’il a compétence en dépit du paragraphe 41(2). Le CSARS a sollicité l’avis des parties sur la question de sa compétence avant de poursuivre son examen de la cinquième plainte. M. Palmer n’a pas présenté d’argument contraire devant le CSARS ou devant la Cour.

[78] Un dernier mot sur le sujet récurrent de l’habilitation de sécurité refusée. Ce point en particulier a directement été examiné par la CRTFP et par la Cour il y a une dizaine d’années. Une décision ne peut pas faire l’objet d’une attaque indirecte (Wilson c La Reine, [1983] 2 RCS 594 à la p 599 et suivant) et les autres arguments sur la question ne doivent pas être instruits. Pour respecter le principe du caractère définitif, la question ne doit plus être abordée.

[79] En somme, le CSARS a conclu qu’il n’avait pas compétence pour instruire la cinquième plainte déposée par M. Palmer vu l’interdiction posée par le paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS. La question soulevée par M. Palmer aurait pu être tranchée au moyen de la procédure de griefs du SCRS ou par les tribunaux administratifs s’ils avaient compétence. Dans tous les cas, un plaideur dispose ensuite d’un recours devant la Cour par voie de contrôle judiciaire. Il incombait à M. Palmer de convaincre la cour de révision que la décision concluant à l’absence de compétence était déraisonnable. Il n’a pas eu gain de cause. En fait, il n’a jamais abordé le problème fondamental auquel il était confronté.

VII. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[80] Le défendeur plaide que, dans la mesure où le demandeur fait encore valoir les questions qu’il a déjà soulevées dans ses quatre plaintes antérieures, la Cour ne devrait pas les instruire de nouveau. Il en est ainsi parce que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche tout nouvel examen. Je n’ai pas à me pencher sur cet argument, à strictement parler, compte tenu de la conclusion que j’ai déjà tirée. Malgré tout, je vais faire les observations suivantes.

[81] Dans l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 RCS 460 [Danyluk], la Cour suprême du Canada a souligné le besoin d’assurer le caractère définitif des instances :

18 Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative. L’appelante a décidé de se prévaloir du recours prévu par la LNE. Elle a perdu. Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.

[Non souligné dans l’original.]

Une fois qu’une question a été tranchée entre les parties, elle ne devrait pas être l’objet d’une nouvelle poursuite. Dans l’arrêt Danyluk, la Cour a cité avec approbation la définition suivante de « préclusion découlant d’une question déjà tranchée » :

24 La préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été définie de façon précise par le juge Middleton de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt McIntosh c Parent, [1924] 4 D.L.R. 420, p. 422 :

[traduction]

Lorsqu’une question est soumise à un tribunal, le jugement de la cour devient une décision définitive entre les parties et leurs ayants droit. Les droits, questions ou faits distinctement mis en cause et directement réglés par un tribunal compétent comme motifs de recouvrement ou comme réponses à une prétention qu’on met de l’avant, ne peuvent être jugés de nouveau dans une poursuite subséquente entre les mêmes parties ou leurs ayants droit, même si la cause d’action est différente. Le droit, la question ou le fait, une fois qu’on a statué à son égard, doit être considéré entre les parties comme établi de façon concluante aussi longtemps que le jugement demeure. [Je souligne.]

Le juge Laskin (plus tard Juge en chef) a souscrit à cet énoncé dans ses motifs de dissidence dans l’arrêt Angle, précité, p. 267‑268. Cette description des aspects visés par la préclusion (« [l]es droits, questions ou faits distinctement mis en cause et directement réglés ») est plus exigeante que celle utilisée dans certaines décisions plus anciennes à l’égard de la préclusion fondée sur la cause d’action (par exemple [TRADUCTION]°« toute question ayant été débattue ou qui aurait pu à bon droit l’être », Farwell, précité, p. 558). S’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Angle, précité, p. 255, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a également fait sienne la définition plus exigeante de l’objet de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. « Il ne suffira pas », a‑t‑il dit, « que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l’affaire antérieure ou qu’elle doive être inférée du jugement par raisonnement. » La question qui est censée donner naissance à la préclusion doit avoir été « fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé » dans l’affaire antérieure. En d’autres termes, comme il est expliqué plus loin, la préclusion vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit (« les questions ») à l’égard desquels on a nécessairement statué (même si on ne l’a pas fait de façon explicite) dans le cadre de l’instance antérieure.

[Non souligné dans l’originale.]

Le CSARS a conclu que, compte tenu des faits soulevés dans les diverses plaintes, il n’avait pas compétence vu l’interdiction rigoureuse prévue au paragraphe 41(2) (« ne peut enquêter sur une plainte »). Ces questions devraient‑elles être encore soulevées subséquemment?

[82] L’arrêt Danyluk énonce les conditions requises pour que la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique :

25 Les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ont été énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité, p. 254 :

(1) que la même question ait été décidée;

(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

La doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche toute nouvelle poursuite dans la mesure où M. Palmer soulève dans sa cinquième plainte des questions déjà tranchées qui n’ont pas été contestées avec succès. En effet, les trois conditions préalables sont satisfaites : même question, décision définitive et identité des parties concernées.

[83] En l’espèce, la même question a encore été soulevée dans la cinquième plainte : le CSARS a‑t‑il compétence, ou le paragraphe 41(2) constitue‑t‑il une restriction à l’exercice de sa compétence du fait que toute cette saga relève des relations de travail et aurait pu être réglée au moyen de la procédure de griefs? Il ne fait aucun doute que les parties sont les mêmes et l’ont toujours été. Les diverses décisions du CSARS visant les quatre plaintes antérieures sont également définitives. Elles auraient pu être contestées par voie de contrôle judiciaire, mais ne l’ont pas été, ce qui les rend définitives. Le demandeur a‑t‑il droit à une autre tentative? La réponse devrait être « non » pour les questions déjà soulevées et tranchées.

[84] L’arrêt Danyluk ajoute une deuxième étape à l’analyse et établit que la Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour décider si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée devrait être appliquée en l’espèce. Je n’ai pas de doute que le CSARS est en mesure d’exercer un pouvoir juridictionnel. En effet, la Loi sur le SCRS confère au CSARS un pouvoir juridictionnel qu’il a utilisé à l’égard des quatre plaintes antérieures. En l’espèce, le CSARS a expressément fait mention des plaintes antérieures et a conclu que la cinquième plainte était, dans une large mesure, une reprise de celles‑ci dans lesquelles il avait conclu qu’il n’avait pas compétence. Rien n’indique que ce pouvoir juridictionnel ait été exercé d’une manière qui pourrait justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser l’application de la préclusion. Le demandeur n’a rien plaidé en ce sens et je ne peux trouver en l’espèce des circonstances qui justifieraient l’intervention de la Cour, comme celles décrites au paragraphe 52 de l’arrêt Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77 [S.C.F.P.] :

52 La révision de jugements par la voie normale de l’appel, en revanche, accroît la confiance dans le résultat final et confirme l’autorité du processus ainsi que l’irrévocabilité de son résultat. D’un point de vue systémique, il est donc évident que la remise en cause s’accompagne de graves effets préjudiciables et qu’il faut s’en garder à moins que des circonstances n’établissent qu’elle est, dans les faits, nécessaire à la crédibilité et à l’efficacité du processus juridictionnel dans son ensemble. Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple : (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte. C’est ce que notre Cour a dit sans équivoque dans l’arrêt Danyluk, précité, par. 80.

[Non souligné dans l’original.]

Aucune allégation du genre n’a été formulée en l’espèce.

[85] Dans l’arrêt Danyluk, la Cour suprême a souscrit aux motifs de la Chambre des lords où Lord Keith of Kinkel a affirmé à la page 50 de l’arrêt Arnold c National Westminster Bank plc, [1991] 3 All E.R. 41 : « [l’]une des raisons d’être de la préclusion étant de rendre justice aux parties, il est loisible aux cours de justice de reconnaître que, dans certaines circonstances, son application rigide produirait l’effet contraire [...] » Toujours dans l’arrêt Danyluk, la Cour a recensé un certain nombre de facteurs pertinents à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Le plus important d’entre eux concerne le risque d’injustice qui peut être entraîné par l’application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[86] L’espèce ne fait intervenir aucune de ces circonstances particulières dans la mesure où les quatre plaintes antérieures se recoupent avec la cinquième. Plus précisément, je ne peux déceler aucun risque d’injustice qui aurait pu être subi compte tenu du libellé clair du paragraphe 41(2). Par conséquent, la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche tout nouvel examen des quatre plaintes antérieures qui, selon le CSARS, outrepassent les limites de la compétence conférée par les articles 41 et 42 de la Loi sur le SCRS. Dans tous les cas, la doctrine de l’abus de procédure aurait eu les mêmes effets si l’une des conditions préalables de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’avait pas été remplie. Comme la Cour l’énonce au paragraphe 37 de l’arrêt S.C.F.P. : « [a]insi qu’il ressort du commentaire du juge Goudge, les tribunaux canadiens ont appliqué la doctrine de l’abus de procédure pour empêcher la réouverture de litiges dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (généralement les exigences de lien de droit et de réciprocité) n’étaient pas remplies, mais où la réouverture aurait néanmoins porté atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice ». M. Palmer ne peut pas soulever de nouveau devant la CSARS des questions qui excèdent la compétence dévolue à cet organisme. Ces décisions sont définitives, font intervenir les mêmes parties et la même question relative à la compétence a déjà été tranchée.

[87] Toutefois, en ce qui concerne les agressions que le demandeur aurait subies en 1997, le CSARS reconnaît qu’il s’agit là d’une « nouvelle » question qui n’a pas été soulevée dans les quatre plaintes antérieures. Par conséquent, la préclusion s’appliquerait aux conclusions (faits et conclusions de droit ou mixtes de fait et de droit importants) déjà tirées par le CSARS dans les décisions antérieures relatives aux plaintes présentées par M. Palmer. Or, elle ne peut pas s’appliquer aux questions qui n’ont pas déjà été soulevées dans des plaintes antérieures.

[88] Comme l’a signalé le CSARS dans sa décision portant sur la cinquième plainte, le demandeur soulève les mêmes plaintes qu’auparavant sauf en ce qui concerne un élément supplémentaire [TRADUCTION]°« où il laisse entendre qu’il a été victime de harcèlement par le SCRS après avoir dénoncé à la direction du SCRS l’agression commise par un superviseur à son endroit » (para 6 à la p 10/350 du DCT). Selon le CSARS, cet incident aurait pu faire l’objet d’une demande de réparation au moyen de la procédure de griefs. De ce fait, il ne peut pas instruire la plainte.

[89] À l’époque, la prétendue agression a été traitée comme une question de relations de travail qui aurait pu faire l’objet d’un grief, mais ne l’a pas été. Que la préclusion s’applique ou non, il incombait à M. Palmer de démontrer que la décision du CSARS selon laquelle ce dernier était proscrit d’enquêter sur la plainte portant sur l’agression était déraisonnable. Il ne s’est pas acquitté de son fardeau.

[90] Le CSARS a conclu qu’il n’avait pas compétence parce que, comme pour les autres plaintes, le paragraphe 41(2) l’empêche de se pencher davantage sur la « nouvelle question » puisque celle‑ci était susceptible de faire l’objet d’un grief dans le cadre de la procédure de griefs. Par conséquent, la Cour ne peut pas statuer quant à cette « nouvelle question » sur le fondement de la préclusion, mais peut plutôt le faire parce que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la conclusion du CSARS portant que ce même organisme n’avait pas compétence par application du paragraphe 41(2) était déraisonnable.

VIII. Conclusion

[91] M. Palmer n’a pas eu gain de cause lorsqu’il a essayé de démontrer que la décision du CSARS relative à sa cinquième plainte n’était pas raisonnable. Le CSARS a conclu que le paragraphe 41(2) de la Loi sur le SCRS l’empêchait d’avoir compétence à l’égard des quatre plaintes antérieures. Soulever de nouveau les mêmes questions n’était d’aucun secours pour le demandeur. En ce qui concerne la « nouvelle » question, le CSARS a conclu qu’elle aurait pu être instruite au moyen de la procédure de griefs. Le demandeur n’a pas démontré qu’il s’agissait d’une décision déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[92] Lorsqu’elles ont été consultées à ce sujet, les parties ont laissé entendre que l’adjudication de dépens d’une somme globale de 1 000 $ à 2 000 $ serait appropriée. La Cour ordonne que des dépens d’un montant de 2 000 $, débours et taxes compris, soient adjugés au défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑1879‑18

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 2 000 $, taxes et débours compris, sont adjugés au défendeur.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Frédérique Bertrand‑Le Borgne


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1879‑18

 

INTITULÉ :

DANNY PALMER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

DANNY PALMER

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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