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Date : 20230419


Dossier : T-1810-21

Référence : 2023 CF 567

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2023

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

PIERRETTE BOUDREAU

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Pierrette Boudreau, se représente ellemême. Elle est travailleuse indépendante et a créé sa propre entreprise en 2019, qu'elle décrit comme étant « Pierrette Boudreau – Consultante en Mieux-Être ». Elle possède aussi un certificat en coaching transformationnel. Auparavant, elle était psychothérapeute, mais elle n'utilise plus ce titre.

[2] Mme Boudreau sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’observation [l’Agente] de l’Agence du revenu du Canada [ARC], datée du 1er novembre 2021 [Décision], par laquelle, suite à un deuxième examen, l’Agente a conclu que Mme Boudreau n’était pas admissible à la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE]. L’ARC a refusé la demande de Mme Boudreau au motif qu’elle n’a pas gagné au moins 5 000 $ de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande, et qu’elle était capable de travailler, mais ne cherchait pas d’emploi.

[3] Mme Boudreau prétend que la Décision est déraisonnable, car selon elle, elle a respecté les critères de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 [Loi]. Mme Boudreau fait valoir que, contrairement à ce que l’ARC a conclu, elle satisfait aux deux critères mentionnés dans la Décision, notamment qu’elle a gagné un revenu de plus de 5 000 $ et qu’elle n’a pas cessé de travailler pour son compte. Mme Boudreau soutient également qu’elle a voulu remettre des preuves de revenus qu’elle a reçu en argent comptant, mais que l’Agente lui aurait dit ne pas en avoir besoin. Mme Boudreau prétend que l’Agente n’a pas proprement exercé son pouvoir discrétionnaire, en ce qu’elle était raide et posait des questions fermées, faisant en sorte que Mme Boudreau se sentait « accusée avant de dire quoi que ce soit » et « n’a pas senti avoir des droits ». Mme Boudreau affirme qu’en aucun temps elle a été informée que « tout ce [qu’elle disait] pouvait être retenu contre [elle] ».

[4] Le défendeur fait valoir que la Décision est raisonnable considérant que Mme Boudreau a déclaré une perte de 3 821 $ de revenu net d’entreprise pour l’année 2019 et de 12 098 $ pour l’année 2020. Compte tenu du fait que le revenu lié à l’entreprise était un revenu négatif, Mme Boudreau n’était pas admissible à la PCRE au motif qu’elle n’a pas gagné au moins 5 000 $ de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. Le défendeur soutient également que considérant les informations que Mme Boudreau a communiquées à l’Agente durant leur conversation téléphonique, l’Agente a raisonnablement conclu que Mme Boudreau n’était pas à la recherche d’un emploi comme salariée ou comme travailleur indépendant, et donc ne satisfaisait pas le deuxième critère prévu par la Loi.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Décision de l’Agente n’est pas déraisonnable. Par conséquent, la demande de Mme Boudreau doit être rejetée.

II. Contexte

[6] La PCRE fait partie d’un ensemble de mesures introduites par le gouvernement du Canada en réponse aux répercussions causées par la pandémie de COVID-19. Cette prestation était disponible pour toute période de deux semaines comprise entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021 pour les salariés et travailleurs indépendants admissibles qui ont subi une perte de revenus en raison de la pandémie de COVID-19 (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 2 [Aryan]).

[7] Les critères d’admissibilité à la PCRE sont prévus et détaillés dans la Loi. Ces critères exigent entre autres que le salarié ou le travailleur indépendant ait gagné au moins 5 000 $ de revenus d'emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa dernière demande (alinéa 3(1)e) de la Loi). De plus, le salarié ou travailleur indépendant doit avoir fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de chaque période de deux semaines (alinéa 3(1)i) de la Loi).

[8] Afin de recevoir la PCRE, le salarié ou travailleur indépendant doit présenter une demande pour chaque période de deux semaines. La PCRE a été offerte pour un total de 26 périodes, soit entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Mme Boudreau a demandé et reçu des prestations pour la période du 27 septembre 2020 au 5 juin 2021, totalisant 8 périodes. Elle a ensuite présenté une nouvelle demande de prestations pour la période du 6 juin 2021 au 25 septembre 2021, pour les périodes 19 à 26.

[9] Le 19 mars 2021, son dossier a été sélectionné pour un premier examen d’admissibilité à la PCRE. Le 1er septembre 2021, une agente d’observation a conclu que Mme Boudreau était inadmissible à la PCRE au motif qu’elle n’a pas gagné au moins 5 000 $ de revenus d’emploi ou revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande.

[10] Sur demande de Mme Boudreau, un deuxième examen d’admissibilité a été effectué par l’Agente. Cette dernière a déterminé que Mme Boudreau était inadmissible à la PCRE puisqu’elle (1) n’a pas gagné au moins 5 000 $ de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de demande; et (2) était capable de travailler, mais ne cherchait pas d’emploi.

[11] Le 30 novembre 2021, Mme Boudreau a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la Décision.

III. La norme de contrôle

[12] Il est bien établis que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable (He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20; Aryan aux para 15–16).

[13] Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]). Il incombe à Mme Boudreau, la partie qui conteste la Décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la Décision (Vavilov au para 100).

[14] La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100).

[15] La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et ne doit pas modifier ses conclusions de fait à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov au para 85). La cour doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la décision qu’elle aurait rendue à sa place.

IV. Analyse

A. Questions préliminaires

[16] La première question préliminaire est la suivante. Le défendeur soutient que le procureur général du Canada doit être désigné à titre de défendeur plutôt que l’Agence du revenu du Canada. En effet, l’alinéa 303(1)a) et le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoient qu’un office fédéral visé par la demande ne peut être désigné à titre de défendeur et que le procureur général du Canada doit l’être lorsqu’aucun défendeur ne peut être désigné en application du paragraphe 303(1). J’ordonne donc la modification de l’intitulé de la cause en conséquence.

[17] La deuxième question préliminaire porte sur certains documents qui étaient inclus avec l’affidavit de Mme Boudreau datée du 15 janvier 2022, à savoir les pièces C, D, E, et F. Dans l’affidavit de l’Agente datée du 15 février, cette dernière confirme qu’elle n’avait pas connaissance de ces documents. Elle affirme que même si elle n’avait pas connaissance de la pièce F (sommaire comparatif – T1 2020), elle a tenu compte des informations s’y trouvant au motif qu’elle y avait accès.

[18] Pièce C est décrite par Mme Boudreau comme étant un document sous forme d’attestation qu’elle aurait préparé pour demander la permission de ses clients pour divulguer leurs informations, ainsi que pour démontrer le nombre de consultations auxquelles ils ont participé. Le document d’attestation quoi que non complété avait comme but « de permettre à Madame Pierrette Boudreau de valider ses preuves de revenus nets de travail indépendant et de prouver son admissibilité a la PCRE ».

[19] Les pièces D et E sont deux documents rédigés à la main et contiennent des listes de montants répartis par mois. Pour chaque mois, les documents indiquent un certain nombre de réunions et de sessions, ainsi que les dates qui s’y rattachent. À part le nombre de participants, les pièces ne contiennent pas d’information sur les clients ni leur identité.

[20] L’affidavit contient aussi une section intitulée « Partie B – Faits additionnels », qui n’était pas devant l’Agente.

[21] De façon générale, le dossier de preuve présenté à la Cour à l’occasion du contrôle judiciaire d’une décision administrative doit être le même que celui dont disposait le décideur administratif (Association des universités et des collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright]). Bien qu’il existe des exceptions à la règle générale (Access Copyright au para 20), j’estime qu’elles ne s’appliquent pas à la nouvelle preuve présentée en l’espèce.

[22] À part les commentaires de Mme Boudreau quant à la Décision de l’Agente et les évènements subséquents, tous les évènements allégués, les points soulevés, ou les documents produits, ont tous eu lieu avant la Décision ou datent d’avant la Décision.

[23] Pour ces motifs, je conclus que certains paragraphes de l’affidavit de Mme Boudreau et les pièces C, D et E qui l’accompagnent ne sont pas admissibles. Au bénéfice de Mme Boudreau qui se représente elle-même, même si les documents avaient été admis en preuve, ils n'auraient pas modifié en fin de compte la décision de la Cour. Ces nouveaux éléments de preuve ne remédient pas au vice fatal de la demande de Mme Boudreau, à savoir que, même si elle a gagné des revenus, elle n'a pas gagné un revenu net d'au moins 5 000 $ au cours de la période applicable.

[24] Au cours de l'audience, Mme Boudreau a plaidé qu'elle souhaitait soumettre d'autres documents, mais qu'elle en était empêchée. Je note que Mme Boudreau avait déjà utilisé un télécopieur pour soumettre des informations et que rien ne l'empêchait donc de le faire. En outre, comme indiqué ci-dessus, même si la documentation supplémentaire contenue dans son affidavit avait été soumise, je suis d'avis qu'elle ne remédierait pas au vice fondamental de sa demande.

B. La Décision n’est pas déraisonnable

[25] Comme mentionné ci-dessus, il incombe à Mme Boudreau, dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, de démontrer que la Décision de l’Agente est déraisonnable.

[26] Mme Boudreau prétend que la Décision est déraisonnable parce que l’Agente ne lui aurait pas permis de soumettre les documents prouvant ses revenus et que l’Agente lui aurait dit ne pas en avoir besoin. Mme Boudreau soutient qu’elle a gagné un revenu de plus de 5 000 $ et n’a jamais cessé de travailler pour développer son entreprise.

[27] Mme Boudreau a soulevé un certain nombre de points qui, selon elle, ont une incidence sur son contrôle judiciaire notamment le vol de son numéro d’assurance social, les difficultés qu’elle a subies avec les paiements d’Aide aux travailleurs indépendants (ATI), la difficulté de trouver un local pour son entreprise de consultation en mieux-être, et le ton adopté par l’Agente de l’ARC. Cependant, je conclus que ces éléments ne sont pas pertinents au regard de la demande de Mme Boudreau.

[28] Le défendeur fait valoir que la Décision est raisonnable, car l’Agente a appliqué les critères d’éligibilité tels qu’établis par la Loi, ces derniers étant statutaires et non-discrétionnaires. Entre autres, la Loi stipule que pour être éligible à la PCRE, une personne doit avoir gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande.

[29] Le défendeur soutient que Mme Boudreau ne répond tout simplement pas à ces critères. En effet, Mme Boudreau est en défaut puisque ses revenus nets déclarés étaient inférieurs à 5 000 $, son entreprise ayant déclaré des revenus nets d’entreprise négatifs - une perte de 3 821 $ en 2019 et une perte de 12 098 $ en 2020. D’ailleurs, l’Agente aurait expliqué ce défaut à Mme Boudreau durant leur conversation téléphonique, et aurait également révisé avec elle les revenus qui figuraient dans ses déclarations de revenus.

[30] Le défendeur fait valoir que l’Agente a raisonnablement conclu que Mme Boudreau ne satisfaisait pas le critère d’éligibilité requérant qu’une personne ait fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de chaque période de deux semaines.

[31] Après avoir examiné les pièces justificatives de Mme Boudreau, le dossier devant l’Agente, et après avoir pris en considération les arguments des parties, je conclus que la Décision de l’Agente est raisonnable. Elle satisfait aux critères énoncés puisqu’elle est intrinsèquement cohérente en plus d’être transparente, justifiée et intelligible.

[32] Je comprends que cette situation soit très difficile pour Mme Boudreau, mais sur la base du dossier et des informations présentées à l'Agente, je ne peux pas conclure que l'Agente a commis une erreur susceptible de contrôle. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il n’était pas déraisonnable pour l’Agente de conclure que Mme Boudreau n’avait pas rempli les critères d’éligibilité établis par la Loi.

V. Conclusion

[33] Mme Boudreau ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir que la Décision rendue par l’Agente est déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[34] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, et suite aux représentations des procureurs du défendeur à cet égard, je suis d’accord que le défendeur a droit à des dépens suite au rejet de la demande de Mme Boudreau. Je suis d’avis que la somme forfaitaire de 500 $ est raisonnable et justifiée.


JUGEMENT au dossier T-1810-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L'intitulé de la cause est modifié pour que le procureur général du Canada soit désigné comme le défendeur approprié.

  3. Les dépens sont accordés en faveur du défendeur au montant de 500 $.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1810-21

INTITULÉ :

PIERRETTE BOUDREAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 19 AVRIL 2023

COMPARUTIONS :

Pierrette Boudreau

Pour LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Dominique Gallant

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour le défendeur

 

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